Conformément aux termes de l'accord de publication signé avec Leonardo, l'article ci-dessous n'est qu'une version préliminaire avant édition définitive et publication dans Leonardo Volume 33 No.3 , avec 13 de mes peintures, que vous trouverez en cliquant sur  Figures.

 

Entre Art et Science, le parcours métaphorique d'un peintre

Guy Levrier 1 février 1999

    Un chercheur authentique et sincère a toujours scrupule à parler de lui-même, car il ne sait que trop, depuis Euripide 1 , à quel point un manque d'humilité risquerait de lui faire perdre la raison. Mais, bien que reclus perpétuel afin de pouvoir se concentrer dans les meilleures conditions, il devra aboutir de toute façon à une communication. Le chercheur aura son langage particulier pour s'exprimer, que sa formulation soit mathématique, logique, chimique etc ... afin d'être compris par ses pairs à l'intérieur des limites de son domaine d'investigation. 

    En tant que peintre, je communique par ma peinture, mais l'art abstrait n'allant pas de soi, je n'ai pas d'autre choix que de la commenter moi-même par les mots, qui plus est à la première personne, ce dont je fais amende honorable, car il s'agit bien ici d'une aventure très personnelle, d'un cheminement étroit entre art, science et spiritualité, tout en m'efforçant de raison garder sous l'oeil vigilant d'Euripide, conscient que je suis de ne pas administrer ainsi une preuve scientifique quelconque. 

    Nous allons donc pouvoir mesurer de cette manière toute la force de l'inconscient collectif, d'une part, dans mon sentiment de responsabilité individuelle dans l'état actuel de l'humanité 2 , et, d'autre part, comme source conceptuelle 3 , dans un parcours très subtil entre analogie et métaphore. 

    Il convient en premier lieu de bien s'entendre sur le sens des mots. L'analogie se définit comme une similitude entre deux choses ou entre une chose et une autre, consistant en une ressemblance, non des choses en elles-mêmes, mais d'au minimum deux attributs, circonstances ou effets (Webster). 

    "Les analogies se fondent moins sur des ressemblances notionnelles (similitudines) que sur une stimulation intérieure, sur une sollicitation assimilatrice (intentio ad assimilationem) 4 ". J'observe ici avec intérêt que la seconde expression latine exprime l'idée d'intention d'assimilation. 

    La métaphore est le "procédé par lequel on transporte la signification propre d'un mot à une autre signification qui ne lui convient qu'en vertu d'une comparaison sous-entendue" (Larousse). 

    On trouve assez fréquemment un emploi indifférent de l'analogie et de la métaphore dans la littérature scientifique 5 , c'est la raison pour laquelle je souhaiterais situer ma démarche entre l'une et l'autre, avec plus de précision encore, par un exemple. Je considère que, lorsque je lance un caillou dans l'eau pour montrer à ma petite-fille Céline l'onde ainsi créée, et que je lui explique que l'onde lumineuse, dans sa forme et son mouvement, ressemble à ces "ronds dans l'eau", j'ai recours à une analogie, car il s'agit bien de deux ondes, du concept général d'onde, et nous restons dans le monde de la physique. En revanche et sur un tout autre plan, si j'évoque la manière dont Céline utilise son esprit pour comprendre une notion nouvelle pour elle, qui a pu lui paraître obscure à l'origine, je peux parler de la "lumière" de cet esprit, qui a éclairé cette notion et lui a permis ainsi de la comprendre. Il s'agit donc ici d'une métaphore, d’une transposition du domaine physique dans le domaine intellectuel, généralement mise entre guillemets afin d’en souligner le caractère interprétatif.

    A partir du moment où ma peinture, impressioniste à l’origine, est devenue abstraite, avec tout le mystère qui s’y rattache, j’ai essayé de trouver les mots susceptibles de rendre compte de ce que je ressentais, dans cette recherche de création. Curieusement, c’est dans la terminologie de la physique quantique que je les ai trouvés, sous leur forme de métaphore, ce dont j’ai été le premier surpris.

    En premier lieu, je me suis donc interrogé sur ma motivation : pourquoi donc, en tant que peintre, ai-je autant besoin de la science, et surtout de la physique quantique, en particulier ? Prenant ma part de responsabilité individuelle dans une société déshumanisée, décadente, qui a perdu le contrôle d'elle-même, et est caractérisée - entre autres - par la mort de son Art, je partage avec force le sentiment exprimé par Ernst Gombrich, historien d'art à la grande notoriété, lorsqu'il écrit :

    "Les progrès de la science moderne sont si étonnants que je me sens un peu gêné lorsque je vois mes collègues à l'université discuter des codes génétiques, alors que les historiens d'art discutent le fait que Duchamp a envoyé un urinoir à une exposition. Réfléchissez à la différence de niveau intellectuel, ce n'est vraiment pas possible.6

    On observe ici la gêne quelque peu honteuse de l'homme de métier qui constate une opposition entre les progrès de la science et la régression de l'art. Donc, mon propos consiste à inverser la tendance, à associer ma création artistique à la dynamique du progrès et non à la décadence de la régression, à me rapprocher pour ce faire de personnes sérieuses, les scientifiques, qui travaillent avec rigueur pour le bien commun, avec le sens de l'existence d'un ordre dans la nature, que je partage. Voilà pour la motivation. 

    En ce qui concerne la source conceptuelle, l'histoire de mon cheminement métaphorique entre art et science est jalonnée par trois chocs .

Premier choc

    La prise de position de Malevitch vis-à-vis de son art, la peinture (le carré blanc sur fond blanc, (1918)) , mise en parallèle avec celle d'Heisenberg (les équations d'incertitude (1925)) vis-à-vis de la science. 

    Dans une première approximation, en effet, en tant qu'homme de la rue, j'attends de l'artiste qu'il me donne de l'art, dont le critère est pour moi le beau, et du scientifique qu'il me donne de la science, dont le critère est pour moi la certitude démontrée, dans la connaissance.

    Or, je constate la validité du concept d'inconscient collectif selon Jung, par le fait qu'en 1918 Malevitch nous propose du non-art 7 , et Heisenberg de l'incertitude, ou, disons, la limite de la connaissance en 1925. Voici donc bien, à 7 ans près, un cas de synchronicité troublant. Je suis sensible, dans le cas présent, à la force du thème de l'incertitude au niveau de la métaphore. L'artiste est, du reste, toujours en avance sur le scientifique, car il a une totale liberté que ce dernier n'a pas. Mais cette totale liberté a un prix, qui est une prise de risque considérable, susceptible d'aboutir à l'échec également total, à rien, au néant stérile. Tandis que le scientifique est protégé par la nécessité de la preuve par l'expérimentation.

    Je ne puis m'empêcher de penser que, s'il avait bien voulu être sincère dans l'appréciation de son oeuvre, et à l'écoute des commentaires de son public, Malevitch n'aurait certainement pas poursuivi dans la voie du nihilisme. Car cet auto-contrôle " par l’intermédiaire des autres " fait partie intégrante du processus d'inspiration et du travail de création de l'artiste. Que cela nous serve au moins de leçon pour l'avenir : cette sorte d’expérience nous aura conduits à un délire profond, dont nous n'avons pas encore réussi à nous remettre en 1998. 

    Métaphoriquement, tout se passe donc ici comme s'il existait une sorte de sphère supérieure 8 dans laquelle prendraient naissance des concepts (par le bas, sous l'effet des efforts de progrès de l'humanité, ou par le haut, par l'aide de Dieu, ou par la somme des deux ?), et dans laquelle tout chercheur viendrait puiser : selon sa structure mentale, ses dons particuliers et sa volonté personnelle, son travail aboutirait à une oeuvre d'art ou à une oeuvre de science, mais avec une similitude de thème d'inspiration autour d'un même concept général (dans le cas présent, non-art et/ou non-science). 

   

Deuxième choc

    L'affrontement entre Einstein et Bohr sur les fondements de la physique quantique, autour du thème de l'interprétation de Copenhague, selon laquelle "Il n'est de réel que le réel observé". 

    Selon Penrose " ...ce qui a le plus troublé Einstein fût l'apparent manque d'objectivité dans la manière dont la théorie quantique semble avoir été décrite. Dans mon exposé sur la théorie quantique, j'ai beaucoup insisté sur le fait que la description du monde telle qu'elle est donnée par la théorie, est véritablement tout-à-fait objective, bien que fréquemment étrange et contraire à l'intuition. Par ailleurs, Bohr semble avoir considéré l'état quantique d'un système (entre deux mesures) comme n'ayant aucune réalité physique, se comportant simplement comme la synthèse des "connaissances de l'observateur" sur ce système. Mais plusieurs observateurs ne pourraient-ils pas avoir des connaissances différentes d'un système, si bien que la fonction d'onde semblerait être quelque chose d'essentiellement subjectif - c'est-à-dire "totalement dans l'esprit du physicien" 9" ?

    L'on m'objectera que ce qui est vrai au niveau microscopique ne l'est plus au niveau macroscopique : en matière d'art, c'est à ce dernier niveau que l'on se situerait, c'est-à-dire à celui où la physique classique prévaut. Précisément pas : c'est ce que j'ai ressenti lorsque je suis passé de la représentation d'objets en art figuratif, à la non-représentation de quoi que ce soit, en art abstrait. J'ai, par ce passage, avancé d'un degré dans l'expression de ma subjectivité.

    En effet, lorsque j'étais impressioniste, j'essayai de peindre un arbre, aussi beau que possible, en espérant que le regardeur le trouverait beau, très beau, point final. J'espérais ajouter à la beauté intrinsèque de l'arbre celle du sentiment d'élévation que suscitait en moi sa contemplation, et faire partager la somme de l'un et de l'autre à mon regardeur.

    Si j'ai arrêté de peindre "impressioniste", c'est d'une part parce que j'ai fini par trouver routinier, c'est-à-dire anti-créatif, le fait de reproduire des objets, et que, concurremment, le public s'est également lassé de voir peindre des objets : c'est insuffisant pour lui, il souhaite une sensation plus forte, nouvelle, différente, plus profonde. C'est en second lieu parce que, à partir du moment où l'on n'a plus le support de l'objet, au fond de la solitude totale de l'atelier, on ressent cet appel, venant aussi bien de soi-même que des autres. Pourquoi ne pas faire l'effort d'y répondre ?

    "Qu'avez-vous voulu représenter ?" me demandent alors ceux qui n'ont pas encore osé s'engager dans l'aventure à laquelle je les convie. Avec la représentation de l'objet, je n'ai pas à poser de question : l'objet est réel, il est confortable. Si l'on me retire cet objet, que me reste-t-il ? Motherwell répond à cela "La peinture a comme devoir premier de véhiculer des rapports humains". C'est précisément ce qui se passe lorsque je réponds à la question. Sachant d'avance ce qui va se passer, je réponds, selon la personne et l'humeur du moment, soit "C'est la question à ne pas poser, car j'ai voulu ne rien représenter", ce qui déstabilise toujours quelque peu, soit par exemple un peu n'importe quoi, tel que "C'est la porte de l'au-delà", pour rire un peu.

    Il s'ensuit un silence, une réflexion, puis "Je n'avais pas vu cela comme cela, j'aurais plutôt pensé à la danse des sabres, par exemple". Très bien : le regardeur aurait parfaitement pu aboutir de lui-même à cette conclusion sans me demander mon avis. Mais cet échange entre nous l'a fait entrer dans l'aventure, dans le royaume de l'abstraction, dans un réel qui n'appartient qu'à lui seul. Ainsi mon réel à propos de ce tableau n'est pas plus vrai que celui de mon regardeur parce que j'en suis l'auteur, je n'ai aucune autorité particulière en la matière, simplement, nos réels sont complémentaires. La complémentarité ... voici encore un concept central en physique quantique 10 .

    Ainsi, nous ne nous situons pas ici au niveau du réel microscopique ou macroscopique, mais sur le plan du réel exprimé par la métaphore, par cette sorte "d'archétype partagé" de l'inconscient collectif. Et la similitude au niveau de l'image commune, entre art et science, est troublante.

Troisième choc :

    La ressemblance entre ma perception de mon processus personnel d'inspiration et le nouveau concept de réalité, après la démonstration du théorème de Bell ("Toute réalité ne peut être que non-locale").

    Il apparaissait, jusqu’à Einstein, qu’il existait une réalité de la matière, indépendante de notre observation, et qu’il nous appartenait de la découvrir par notre recherche. Niels Bohr, dans son interprétation de Copenhague de la physique quantique, soutient qu’au contraire, il n’existe qu’une réalité observée. Bell, partant de l’expérience imaginaire d’Einstein, Podolsky et Rosen, " démontre que la théorie quantique orthodoxe prédit une corrélation entre objets éloignés qui ne peut s’expliquer en faisant appel à une quelconque réalité locale  11 " et donnera raison à Bohr, en 1964. Cette démonstration théorique sera enfin confirmée expérimentalement par Alain Aspect en 1982.

    Il en résulte qu’une corrélation supérieure existe en mécanique quantique, par rapport à toute théorie de réalité locale : toute tentative de recherche de connaissance du réel doit donc obligatoirement tenir compte de l'univers dans son ensemble, du Tout. C’est à cette corrélation que j’ai l’impression d’être sensibilisé, comme toute personne s'efforçant de faire acte de création : une corrélation qui me met en relation en dehors de ma réalité locale et immédiate, avec des éléments constitutifs de notre univers dit "holistique" - c'est-à-dire qui agit sur chacun de ses éléments de base, chacun de ceux-ci réagissant sur l'ensemble de l'univers - avec sa force cosmique et psychique.

    Tout se passe comme si l'acte de création impliquait nécessairement que tout créatif soit conduit à élaborer son mode personnel d'inspiration, à l'écoute de l'univers, par sa contemplation tant extérieure qu'intérieure, par son effort de travail auto-contrôlé, en échange avec son public, et ceci en évolution permanente car rien n'est fixe dans ce Tout.

Le nécessaire et le suffisant

    Grande loi méthodologique de rigueur des mathématiques, en passant toujours par la métaphore, c'est ma loi de création dans mon travail sous auto-contrôle : dire tout ce qu'il y a à dire, et exclusivement ce qu'il y a à dire, afin d'obtenir le maximum de concentration de l'esprit, tant de l'auteur que du regardeur, dans l'échange, sans verbiage inutile. (Sans aucunement forcer le trait, on peut, du reste, pousser la métaphore jusqu'à lui faire exprimer une morale de vie. En effet, au lieu de vouloir nous imposer une égalité mythique les uns aux autres, nous serions, me semble-t-il, beaucoup mieux inspirés et plus heureux si chacun d'entre nous s'efforçait d'avoir le nécessaire, et de se satisfaire du suffisant.)

    Une métaphore est toujours discutable, et les créatifs ne s'en privent pas dans leurs joutes incessantes au sein d'expériences imaginaires, du style "votre métaphore est absurde, tandis que la mienne est pertinente". On ne dispose pas en la matière, comme en science, de la possibilité de faire trancher la question par l'expérimentation, et d'obtenir ainsi une forme quelconque de preuve. Mais j'ai eu la chance inespérée de découvrir une très forte présomption de preuve - troublante - en ce qui concerne le fait que je peins exclusivement sur fond blanc, dans un article de Jacques Mandelbrojt, physicien quantique, mathématicien et peintre abstrait, qui fait de même et qui écrit :

    "... une des caractéristiques de mes peintures c'est qu'en dehors des traces qui sont nécessaires pour transmettre mon image mentale, je garde le blanc de la toile ou du papier. Ceci peut être mis en parallèle avec une des propriétés du raisonnement mathématique et de la méthode axiomatique, dans laquelle les hypothèses nécessaires minimales ... sont faites afin d'arriver au résultat le plus général et afin surtout de mettre en évidence le mécanisme fondamental qui sous-tend une propriété mathématique. Il m'est difficile de dire si ce fait de représenter uniquement les détails signifiants fait référence aux mathématiques, ou s'il reflète une propriété des images mentales telle que la décrivait Jean-Paul Sartre : "Le caractère de Pierre en image, c'est d'être clairsemé" 12 ".

    Cette étonnante synchronicité apporterait, de surcroît et si nécessaire, une preuve de la justesse de l'intuition de Jung quant à la réalité de l'inconscient collectif.

    Ainsi donc, m'imposant - dans la joie de la création - cette rigueur méthodologique qui semble si bien réussir à nos frères scientifiques, je vogue allègrement à contre-courant de l'aspiration à notre mort artistique actuelle, afin de lui survivre tout simplement.

Le "n'importe quoi", le non-être et le non-art

    La mode en art, en effet, depuis quelques décennies déjà, est à la totale liberté de l'artiste : "Fais n'importe quoi !" Je m'évertue à faire précisément le contraire, et qui plus est, en m'appliquant. Face à cette mode, tous les critères ont disparu, et le public se plaint d'avoir perdu ses repères. Yves Michaud décrit ainsi la situation:

    "... le jugement d'appréciation esthétique est identifié à un jugement à partir de critères et de normes reconnus par une communauté particulière, et, potentiellement, par l'humanité tout entière. Le triomphe du n'importe quoi marque donc la fin de l'esthétique, et même de l'art tout court.

    "Sous une version encore modérée, la responsabilité de la situation sera imputée à la défaillance du jugement critique, qui est incapable de discerner les critères adéquats (Olivier Mongin), qui manque de courage pour les imposer (Domecq), ou encore qui s'est laissé marginaliser par l'évolution sociale engendrant des mouvements de mode, de snobisme et même un terrorisme du jugement esthétique (Le Bot, Gaillard). Sous une version radicale, l'art est proclamé aussi mort que nul (Baudrillard)13 ".

     Que peut-il donc bien se passer dans la tête d'un homme qui a voué sa vie à la peinture et qui aboutit à peindre un carré blanc sur fond blanc d'une part, et à écrire - tout logiquement de ce fait - qu'il convient d'arrêter de peindre, autant pour lui-même que pour les autres ? Comment une telle absurdité réussit-elle à faire école dans le milieu de l'art en premier lieu, et, par voie de conséquence, dans l'ensemble du public ? La réponse est tristement simple : par l'argent et le snobisme pseudo-intellectuel.

    J'observe que ce "milieu" a réussi à provoquer la destruction de notre art contemporain, alors que les scientifiques ont abouti, eux, face à une situation paradoxale et inconfortable pour la raison ("si vous croyez à la physique quantique, vous ne pouvez pas la prendre au sérieux"), à faire progresser la science. Les seconds ont par rapport aux premiers l'avantage de la vérification expérimentale de leurs théories. Mais les artistes auraient bien dû reconnaître que les réactions de rejet du grand public constituaient pour eux précisément l'équivalent de la vérification expérimentale des scientifiques.

    Heureusement, ce public, dernier détenteur de la sincérité de jugement, entend garder son sens commun, c'est-à-dire sa raison, et refuse de se joindre à ce mouvement de décadence de la société en en rejetant le symbole : le non-art. Il faut croire que la situation prend des proportions véritablement inquiétantes pour que le Ministère de la culture ait commandé une importante étude sociologique intitulée "Les rejets de l'art contemporain"14 .

    C'est donc tout simple, au fond : nous allons devoir nous ré-attacher à nos valeurs morales, idéologiques et esthétiques, entre autres. La méthode est la même que celle qu’applique le pilote perdu : rechercher l'étoile qui guide. Pour nous, ce sera notre spiritualité. Puis repartir du dernier point sur lequel il se savait sur sa route : pour nous, la nature. Parce que la nature nous donne en permanence une leçon d'éternelle beauté. Cela demandera beaucoup de travail, car il faut beaucoup travailler pour être inspiré, pour avoir l'honneur de pratiquer un Art qui existe en dehors du temps.


1 " Quos vult Jupiter perdere, dementat prius " : Jupiter commence par ôter la raison à ceux qu'il veut perdre.
2 " En dernière analyse, la chose essentielle est la vie de l’individu. Elle seule fait l’histoire, c’est en elle seule que les grandes transformations se produisent, et tout l’avenir, toute l’histoire du monde, jaillissent, en définitive, comme une gigantesque somme de ces sources cachées dans chaque individu. Au sein de nos vies les plus privées et les plus objectives, nous ne sommes pas seulement les témoins passifs de notre époque, et ses souffre-douleurs, mais également ses auteurs. " C.G. Jung, 1964, Vol.10, p. 149, " Si les choses vont mal dans le monde, cela est dû au fait que le mal se situe dans l’individu, que le mal est en moi. Par conséquent, si je suis sensé, je dois commencer par m’amender moi-même. "

Ibidem p. 154 Cité dans Danah Zohar, The Quantum Self, Quill/ William Morrow, New York, 1990.

3 " Travaux de Jung - l’accent qu’il met sur l’inconscient collectif, sa notion de connexions synchroniques entre les personnes et les évènements, sa définition plus large du " moi " pour y inclure les archétypes partagés, et des images d’unité et de totalité ... "
Zohar [2] p.158.

4 "M.Blondel, L'Etre et les Etres, p.225-226. (I. Benrubi)
5 " Lorsqu’il s’avère que nous nous exprimons par métaphores, toute l’histoire de la pensée scientifique présente des péripéties aussi nouvelles qu’intéressantes. Nous avons ainsi découvert que des modèles sont des métaphores qui peuvent fonctionner comme des analogies. Parfois des entités métaphoriques aboutissent à une réalité concrète : des particules transmettent des forces, des quanta de lumière et des courants faibles neutres. Comme outils d’exploration scientifique, les métaphores donnent accès à des univers possibles qui peuvent devenir réels. Les métaphores permettent d’assurer la continuité dans le progrès scientifique. "

Arthur I. Miller, Insights of Genius, Copernicus, p. 252. 1996. (Traduction de l’auteur).

6 " Ernst Gombrich, "Entretien", in L'Image , Paris, Musée d'Histoire contemporaine, B.D.I.C., n°2, mars 1966, p. 207.
7 " En 1913 apparaît le fameux " Carré noir sur fond blanc " qui sera présenté à Petrograd, en 1915, à l’exposition du suprématisme. " La peinture est dépassée, le peintre n’est plus qu’un préjugé du passé ", écrit-il. Après ce premier aboutissement, il découvre qu’un contraste aussi expressif peut être atteint dans l’opposition du même au même : ce sera son " Carré blanc sur fond blanc " (1918). Malevitch poursuit cette " expérience pure du monde sans objets " jusqu’à cesser de peindre. "

 Frank Maubert, La peinture moderne, Nathan 1985, p. 75.

8 "J’observe que les philosophes ont fréquemment eu besoin de recourir à la métaphore d’une " autre " sphère, distincte de notre monde matériel, telle que la sphère des mathématiques pour Platon, ou la noosphère pour Teilhard de Chardin, entre autres.
9 " R. Penrose, The emperor’s new mind, p. 280, Oxford University Press, 1985.
10 " En rejetant toute tentative de la physique à s’accrocher aux derniers lambeaux d’une réalité dans laquelle les objets possèdent des propriétés clairement définies, Bohr a introduit une notion nouvelle, qu’il a appelée " complémentarité ". Selon Bohr, la complémentarité était un principe nouveau et profond, plus profond encore que le principe d’incertitude. La complémentarité signifie que l’univers quantique ne peut être contenu dans une description unique. Au contraire, des descriptions complémentaires et même paradoxales sont nécessaires, telles que l’onde et la particule. Plus on se concentre sur l’une des descriptions, plus l’autre devient ambiguë. "

 F. David Peat, Einstein’s moon, p. 46, Contemporary Books, 1990. (Traduction de l’auteur).

11 " Peat [10] p.127.
12 "Jacques Mandelbrojt, " Mon activité de scientifique a-t-elle influencé ma peinture ? " in Cahiers art et science, Mai 1994, p. 50, Editions Confluences. Remarquable et démonstrative coïncidence : l’une des toiles illustrant l’article est intitulée " Nécessaire et peut-être suffisant " !  Elle date de 1986, alors que j’ai moi-même commencé à peindre sur fond blanc en 1983, et que cet article n’est paru qu’en mai 1994.
13 " Yves Michaud, La crise de l’art contemporain, p. 31, Presses Universitaires de France, 1997.
14 "Nathalie Heinich, Les rejets de l'art contemporain, Association ADRESSE 1995