Comme bonne introduction, on pourra lire l'excellent texte "Trois préjugés sur le préjugé" du professeur israélien Marcelo Dascal. Nous conseillons aussi la lecture du texte "Du quotidien, des préjugés et de l'apprentissage interculturel" du professeur allemand Hans Nicklas. Ou, dans un genre plus modeste, celui d'un jeune internaute surnommé "Celeri" ! |
Dans un premier temps, nous nous sommes exercés
à un petit exercice d'introspection. Douze étudiants de la
conférence ont bien voulu se livrer à une réflexion
sur leurs propres préjugés. Qu'ils en soient remerciés.
On lira ci-dessous une synthèse sommaire de leurs réponses.
Mes commentaires, de statut inégal, se situent entre crochets [].
J'avais suggéré la définition
suivante: le préjugé est une opinion facilement construite
(à partir de sa famille, de son entourage ou de ses impressions)
mais difficilement modifiable (par paresse intellectuelle, conformisme
social, esprit routinier ou rigidité mentale).
Les définitions proposées par les
étudiants sont étonnamment convergentes:
- "Conception du monde formée par l'éducation,
l'intuition, l'expérience et l'environnement, fondée sur
un noyau réel" [lequel , that is a
part of the question]
- "Jugement préconçu, a priori et
non fondé"
- "Idée préconçue qui a généralement
une connotation péjorative" [mais pas toujours]
- "Idée préconçue sur un sujet
donné qu'un individu reprend à son compte alors qu'il n'en
a jamais vérifié la véracité par l'expérience"
- "Opinion adoptée sans examen"
- "Condamnation de l'autre (...) On ne veut pas
connaître l'inconnu qu'on a fiché" [ah,
la manie française des classements !]
- "Jugement effectué instinctivement, sans
fondement rationnel"
- "Opinion admise et considérée comme
universellement valable, précédant l'examen critique"
- "Idée, impression préconçues
qui biaisent notre appréciation d'une situation, d'un événement
(...) Les préjugés sont souvent faussement ressentis comme
personnels" [Alors qu'ils sont effectivement souvent
le reflet d'une vision très répandue dans un milieu particuler]
- "Une représentation stéréotypée
(...) difficile à mettre à distance"
- "Jugements a priori fondés sur des généralisations
péremptoires"
- "Un conditionnement".
Le complexe de supériorité domine
les réponses: "Les autres sont des cons", "Sciences Po mène
à tout", "Sciences Po, c'est la garantie de trouver un emploi",
"Etre à Sciences Po, c'est être déjà au sommet
de l'échelle professionnelle", "Nous sommes l'élite de la
nation et nous savons tout sur tout", "Sciences Po ouvre toutes les portes",
"Les étudiants de Sciences Po sont plus que d'autres capables de
comprendre le monde", "Nous sommes les élites de la nation".
L'ombre de l'ENA: "Faire Sciences Po signifie
vouloir faire l'ENA", "On ne peut pas faire l'ENA sans passer par Sciences
Po", "l'ENA, il n'y a que ça de vrai".
La hiérarchie interne: "SP est la
meilleure section", "les étudiants CRH et SI se la coulent douce",
"Faire Service public ou Eco fi, c'est plus valorisant que faire CRH",
"En théorie, il n'y a pas de différence entre les IEP de
province et nous, mais en fait..." [De mon temps,
les gens de SP surnommaient les CRH (à l'époque PES) les
"saltimbanques"...]
Le conformisme: "Il ne faut pas mal penser",
"il faut être à la page", "l'habit fait le moine", "Il y a
un moule type Sciences Po", "Vous ne lisez pas le Monde ?"
Le formalisme: "les étudiants apprennent
surtout à faire semblant de savoir", "Les plans doivent comporter
deux parties", "Réaliser en dix minutes un plan en deux parties
et parler deux langes étrangères, c'est l'idéal".
Le racisme: "Les juifs aiment l'argent", "La
xénophobie", "La haine de l'autre" (parfois associée à
la "haine de soi").
Le mépris social: "Le chômage
est surtout affaire de paresse", "Juger quelqu'un par ses origines sociales",
"lien entre réussite sociale et réussite de sa vie", "L'anti-intellectualisme",
"Les préjugés anti-jeunes et anti-sportifs", "Les étudiants
de Sciences Po sont des êtres supérieurs", "Les journalistes
sont tous des exploiteurs d'actualité". [Pas
tous :-)]
L'apparence physique: "contre les rouquins",
"l'habit fait le moine", "contre les cheveux longs et les jeans troués".
Le sexisme (contre les femmes ou contre les
homosexuels).
Les préjugés religieux ou politiques
("L'Etat est un fardeau").
Les préjugés géographiques:
"L'Allemagne du Nord est une banquise peuplée de pingouins et la
Bretagne est une terre d'arriérés". [C'est
plutôt le contraire, non ?]
Le fatalisme: "C'est la crise".
La question a visiblement gêné les étudiants.
Trois d'entre eux n'y ont pas répondu. L'un reconnaît honnêtement:
"J'essaie tous les jours de me dégager de ces préjugés,
mais c'est très dur !"
Voici, en vrac, les préjugés qui
ont été vaincus par certains:
"Tout est foutu"
"Le diplômes sont nécessairement signe
d'intelligence"
"Les gens qui sont désagréables au
premier abord sont des abrutis finis"
"Les classes prépa sont de l'ordre du surhumain"
"Les relations avec les gens ne sont pas forcément
compliquées" [Découverte fondamentale...]
"Tout homme politique agit moins pour ses idées
que pour lui-même"
"Les étudiants de Sciences Po sont des être
supérieurs"
"Un adulte ne peut plus être heureux"
"Politiques: tous pourris"
Là encore, il n'est pas simple de regarder
en face ses propres préjugés. Deux étudiants ont éludé
cette question. Un répondant dit franchement: "Je me reconnais certains
préjugés assez répandus dans mon milieu sociologique
(bourgeoisie de gauche), notamment à l'égard du libéralisme
économique, l'anti-communisme, l'anti-cléricalisme, l'anti-militarisme".
Les Américains sont cités deux
fois: quelqu'un même parle d'"américanophobie virulente" !
La variété des préjugés
conscients est toutefois assez impressionnante:
La méfiance à l'égard du progrès:
"haine de la technique et de l'esprit de progrès".
"Je juge trop souvent les gens sur leur apparence"
"Léger préjugé contre les homosexuels
mais en voie d'amélioration"
"Les fonctionnaires ont tendance à être
lents et désagréables"
"J'ai tendance à fuir les gens qui étalent
leurs connaissances"
"Contre les catholiques qui s'affichent et se revendiquent
comme tel"
"Méfiance lorsqu'on est accostée à
Paris"
"Ce qui est inconnu est à craindre"
"A Sciences Po, il y a beaucoup de gosses de riches
qui ne connaissent pas la valeur de l'argent"
"Sciences Po ouvre presque toutes les portes"
"Les étudiants des écoles de commerce
sont des être creux et superficiels"
"La vie d'artiste est une vie de rêve, le
conformisme est généralisé"
"Le fast-food, à la poubelle !"
"Même si la critique de Télérama
est élogieuse, je n'irai plus jamais voir un film avec Sophie Marceau
!" [Il ne faut jamais trop faire confiance à
Télérama]