PATRICE DE LA TOUR DU PIN

(1911-1975)


D’UN CAPTIF

 

Je suis seul dans le poème, entouré de quatre côtés
Par les frontières du poème, tel un captif
Qui se recueillerait... J’avance sur le vif
Et dans les souterrains déjà creusés...
Plus lentement,
Mon chant captif, n’allez pas déborder!

J’affleure sur les eaux comme émergent les îles,
Je projette mes bras en longues péninsules
Et le plan de mon lac s’abaisse tout autour;
C’est un observatoire étonnant qui domine
Une étendue courue par tous mes courants d’âme,
Par les anges du large et leurs annonciations!
Je suis captif, mais mon île est à l’air libre,
Un feu couvert, mais des êtres de feu me sillonnent;
Et je marque leur nombre et leur phosphorescence,
Leur race et leur vitesse de croisière, et le temps
Qu’ils prennent pour aller d’un horizon à l’autre:

“Rien jusqu’au 18 novembre.
18 novembre. Vent est: à trois heures de l’après-midi, un groupe d’anges pourprés passe assez loin et vite.

Nuit froide, très calme.

9 heures du soir, le 19 novembre: j’entends beaucoup de bruit, signe évident d’une nouvelle arrivée: probablement des Petits Brûlés, à leurs cris. Quelques-uns ont dû se poser: invisibles.

Rien d’autre jusqu’à 6 heures du matin: des Petits Couronnés passent alors effroyablement vite sur l’itinéraire habituel.

Tempête certaine plus haut.

Le 20 novembre, le vent remonte au nord et devient plus fort. Des Silvaticus commencent à passer, pourtant habitués au très gros temps. Bandes assez serrées, appels. Même direction.

La nuit, rien. Le vent tourne au plein nord, mais faiblit.Un peu de neige à partir de cinq heures.

21 novembre: toujours rien.

Vers quatre heures, deux grands Anges Pourprés.

Il fait de plus en plus froid, le vent se met à souffler en tempête. Vers six heures arrive un prodigieux passage d’anges (Silvaticus, Anges des Crevasses, Petits Couronnés, Petits Brûlés). Le ciel en est complètement couvert; ils semblent affolés.

Toute la nuit, la tempête continue; on entend distinctement le cri des Anges des Crevasses: il doit y avoir des passages perdus, mais le ciel est bouché.

Vers huit heures, un couple d’Anges de Grande-Passion, très haut; tout près de moi, à ras de l’eau, une femelle d’Ange de Mer. Quelques espèces rares, devinées plutôt qu’aperçues, une bande des célèbres Anges Roses, quelquefois rencontrés sur les Ianelles.

Il est certainement passé plusieurs milliers d’Anges cette nuit sur Undeneur.

23 novembre: le vent est nettement tombé,

Vers diz heures, je crois voir passer un Ange Solitaire qui hésite et retourne.

Le soir, les deux Anges de Grande Passion reviennent.

Le lendemain, plus rien: le lac est complètement désert.

Le 27 novembre, dans la nuit, tout commence à remonter."

(Une somme de poésie, Gallimard, Paris, 1946)


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