ROCKSOUND, juin 1998

Rancid, 
CLASH TOUS RISQUES


Par Yves Bongarçon.

	Fin février dernier, en plein coeur de Hollywood. A Ocean Way 
studios, Rancid met la dernière main au mixage de son nouvel et quatrième 
album. En pleine effervescence ska, définitivement rebelle, le groupe de
Tim Armstrong et Lars Frederiksen prend une fois de plus la tangente en 
s'inventant un destin à la Clash, plutôt que d'essayer de tirer les 
marrons du feu. Matt Freeman et Lars Frederiksen disent pourquoi Rancid 
rime à jamais avec authenticité.


Est ce que certains évenements depuis le dernier album ont modifié un 
peu vos perspectives?
	LARS FREDERIKSEN: Oui, des choses ont changé depuis "... and out 
come the wolves". C'est difficile de se lever chaque matin avec le même 
état d'esprit déjà et puis, disons qu'on a eu comme chacun des soucis, 
des emmerdes qui font que tes émotions varient, que tout d'un coup, tu 
ne fais plus les choses comme tu avais l'habitude de les faire. Mais la 
vie est comme ça. Tu ne réagis plus à trente balais comme tu le faisais 
à seize. Dans un sens, Rancid est un autre groupe aujourd'hui et un groupe 
qui fait nécessairement des chansons différentes. Cela étant, après "... and 
out come the wolves", nous avons tourné longtemps, un an et demi. Puis, 
quand nous sommes rentrés, Tim a démarré un label Hellcat et a signé des 
groupes comme les Gadjits, Hepcats, The Pietasters, The Slackers, Dropkick 
Murphys, US Bombs et s'est investi dans la production pour donner à tous 
ces groupes l'occasion de faire un disque. Matt, de son côté, a rejoint 
The Antichrist avec Exene Cervanka de X. Moi même, j'ai produit un groupe 
pour Epitaph, Union 13. Tu vois, au lieu de s'éloigner de la musique, on 
s'en est encore rapprochés.

Comment voyez-vous la situation du punk US aujourd'hui que la folie est 
un peu passée?
	MATT FREEMAN: Je trouve que la flambée qu'il y a eu sur le punk 
ne nous a pas réellement touchés. Fondamentalement, je pense que ça nous 
a aidés à faire connaître le punk dans son ensemble si tu veux mon avis, 
que les grosses ventes de Green Day et Offspring ont aidé des groupes 
comme le nôtre à élargir notre public. Cela étant, il faut dire qu'on ne 
s'en est pas vraiment préoccupé. On a même refusé d'aller sur une major 
à l'époque qui nous proposait pourtant un joli paquet de dollars. Je crois 
qu'aujourd'hui tout montre qu'on a eu raison de ne pas céder aux sirènes. 
Alors aujourd'hui, que le punk soit haut, que le punk soit bas, je dirais 
qu'on s'en fout. Il y a moins de pression des médias, moins de paillettes, 
moins de projecteurs et moins de blé, c'est plus sain. Aujourd'hui, le 
punk existe, il va bien, on tourne, on fait des disques, c'est ce qu'on 
a toujours voulu faire, et on le fait. La vie est belle...

La décision de ne pas aller sur le label Epic, c'était une décision éthique?
	LARS FREDERIKSEN: Quand on est restés sur Epitaph au lieu d'aller 
sur une major, on l'a fait parce qu'on était bien sur Epitaph, on ne l'a pas
fait parce que c'était le truc moral à faire. On a juste considéré que 
c'était plus confortable. Ca marche bien pour nous sur Epitaph. On n'a pas 
de raison d'aller ailleurs. Sur Epic, je pense qu'on aurait été très malheureux.
	MATT FREEMAN: En fait, si tu veux savoir, je crois qu'on s'en 
contre tapait, on n'a jamais pris ça au sérieux. Epitaph, c'est notre maison,
aller sur une major serait comme aller à l'étranger. Intéressant peut être, 
avec plein de problèmes surement. Ca n'a pas été la prise de tête que les 
gens imaginent de refuser la proposition en question. On n'en avait vraiment
rien à foutre. Si on avait été chez Epic, honnêtement aujourd'hui je pense 
qu'on ne serait plus ensemble. Là, trois ans après, on est toujours dans 
le circuit et on a toujours des choses à dire. C'est ce qui est important. 
Pas de regrets mec.

Que pensez-vous du regain ska-punk de ces derniers mois?
	LARS FREDERIKSEN: Le fait est que le ska n'a jamais été aussi 
important et que ça, c'est fantastique. Quant au renouveau de cette musique, 
je pense que de nouveau les gens sont sensibles aux chansons. Notamment 
tous ces gosses qui découvrent probablement l'aspect mélodique du rock 
avec le ska. Nous, on s'en félicite, on est de ceux qui pensent que ce qui 
est important, ce sont les chansons, qu'il s'agisse de celles de Rancid, 
ou celles de Pearl Jam. Les vraies chansons viennent du coeur, c'est 
d'autant plus vrai en ce qui concerne le punk, le reggae ou le ska, qui 
sont les dernières vraies musiques de rue. Donc d'un côté, c'est un peu 
naturel qu'elles fusionnent, d'un autre ça ne m'étonne pas qu'elles intéressent 
les gens. Nous, on faisait déjà cette musique il y a dix ans avec Operation 
Ivy, on est ravi qu'elle se retrouve plébiscitée aujourd'hui. (note du 
recopieur: à mon avis, c'est plutôt Matt qui parle à ce moment là, vu que 
Lars n'a jamais fait partie d'Operation Ivy, mais bon...)

Vous participez régulièrement à des concerts de soutien ou à des causes 
récemment pour le Tibet. Vous croyez toujours fermement au pouvoir des 
chansons?
	LARS FREDERIKSEN: Oui, sans aucun doute. La musique est encore 
un medium très puissant. La musique, c'est encore le seul truc qui a le 
pouvoir de faire rire, pleurer, crier, danser les gens, pratiquement en 
même temps. L'espace d'un instant la musique a le pouvoir de donner de 
l'espoir, de bousculer les idées reçues. En outre la musique est universelle, 
et elle est un bon moyen pour afficher ses convictions. Quel intérêt de 
vivre sans convictions? C'est en tout cas ce que je pense. On a fait le 
Tibetan Freedom Concert parce que c'était une grande cause qui interpelle 
tout le monde. je ne veux pas comparer ce qui n'est pas comparable, mais 
tout le mmonde a ressenti un jour ce sentiment de se faire dérouiller 
injustement par plus grand et plus costaud que soi! En tout cas pour nous, 
chez Rancid, on connaît ça... Alors, on met juste notre musique au service 
de nos convictions. Oui, c'est injuste et scandaleux que la Chine occupe 
et martyrise le Tibet. Et puis on a participé au Tibetan Freedom Concert 
parce qu'Adam Yauch est un type impeccable. On a toujours adoré Beastie 
Boys. C'était peut être l'occasion d'ouvrir l'esprit de pas mal de gens 
sur le problème. Et ça, il ne faut pas le laisser passer. La musique est 
toujours une arme. Cela dit, on n'essaie pas d'influencer les gens, de 
faire gober une idéologie à la place d'une autre, c'est à eux de voir en 
leur âme et conscience.

Pour le nouvel album, vous êtes allés à la Jamaïque pour enregistrer avec 
Buju Banton...
	LARS FREDERIKSEN: Ouais mec, c'était fantastique. La Jamaïque est 
un pays incroyable et totalement fou. On est allé là-bas avec les mecs de 
Hepcats parce qu'ils chantaient sur notre disque, et aussi Vic des Slackers 
qui a joué toutes les parties d'orgue Hammond B3 pour nous. On a enregistré 
dans le studio où Buju a fait tous ses disques, et où se sont fait tous 
les grands enregistrements de reggae dancehall. Les vibrations étaient 
incomparables mec. Tu avais quarante rastas qui traînaient là, c'était 
hallucinant. Franchement, je me demandais où on était tombés. Mais, en 
même temps, les Jamaïcains sont des gens tellement curieux des autres et 
accueillants, je pense qu'avec nos tronches on avait l'air moins décalé 
que dans n'importe quel bled de Floride (sourire). On a passé six jours 
à enregistrer au studio Penthouse, un jour on a vu se pointer Sly et Robbie 
et on a fait un titre avec Buju. C'était génial. 

Pensez-vous qu'il soit nécessaire à un artiste d'être provocateur?
	LARS FREDERIKSEN: Non, je ne pense pas que ce soit une nécessité. 
Il y a des tas de façons d'être provocateur. Si j'avais l'occasion de foutre 
un seau de flotte sur la tête du président Clinton, comme Chumbawamba l'a 
fait sur le ministre de la culture britannique, je le ferai probablement, 
histoire de dire: "Eh, réveille toi espèce de gros con!". Mais ça rimerait 
à quoi? Ils me foutraient probablement en taule pour trente piges et mon 
compte serait réglé. Et ça servirait en quoi les causes que je veux défendre? 
Du temps et de l'énergie gâchés pour un gag! Mieux vaut essayer de promouvoir 
le ska sur les radios, c'est plus efficace à long terme, il me semble.

Vous sentez-vous dépositaires d'une confiance et avez-vous le sentiment 
d'être responsables par rapport à votre public? 
	LARS FREDERIKSEN: Dépositaires d'une confiance sûrement, responsables 
je n'en suis pas convaincu. Chacun vit sa vie. Ce n'est pas à nous de nous 
substituer à la conscience et au libre arbitre des gens qui nous écoutent. 
Notre responsabilité est de ne pas les décevoir et de continuer à sortir 
de bons disques en ne trahissant pas la confiance qu'ils ont mis en nous. 
Mais je ne me sens pas responsable au sens moral du terme, nous ne sommes 
pas leurs parents, nous sommes tout le contraire. Je sais très bien que 
des gosses boivent nos paroles et que certaines de nos chansonsou de nos 
disques ont changé la vie de certains gosses, je le sais parce qu'il en 
a été de même pour moi avec certains groupes. Mais ça ne pousse pas plus 
à me sentir responsable. J'espère juste qu'ils prendront le meilleur qu'ils 
ont à y prendre et qu'ils en feront bon usage. Le maximum de responsabilité 
que j'ai à leur endroit, c'est de les respecter en prenant au sérieux ce 
que nous faisons et en continuant à produire de la bonne musique.
	MATT FREEMAN: L'important, c'est de continuer à rechercher le 
contact avec les fans et avec les gens qui viennent nous voir, de continuer 
à parler avec eux, et de les traiter à un niveau humain et surtout de ne 
pas se comporter en rock stars. Le type qui bosse dur et dépense dix dollars 
pour venir te voir a droit à ce respect. Voilà notre responsabilité, elle 
est ici et pas ailleurs. 

C'est qui votre famille? Le punk? Epitaph?
	MATT FREEMAN: Le groupe!
	LARS FREDERIKSEN: Ouais, le groupe sans aucun doute. Je crois 
sincèrement que nous, tous, nous aimons beaucoup les nôtres mais que nous 
ne savions pas vraiment ce qu'était une vraie famille avant de rentrer 
dans ce groupe. 
	MATT FREEMAN: Tu sais, c'est vraiment dingue. On passe une journée 
chez nous, je veux dire avec nos copines, il ne s'écoule guère plus de 
quelques heures sans qu'on s'appelle plusieurs fois les uns les autres, 
genre: "Qu'est ce tu fous? Qu'est ce que tu regardes à la télé? " (rires). 
On a tellement fait de trucs tous les quatre qu'on ne peut littéralement 
plus se passer les uns des autres. Et puis on fait les choses pareil, au 
restau, on prend les mêmes plats, la viande, nous l'aimons tous "à point", 
on boit la même bière. Mec, on est presque devenus des clones les uns des 
autres (sourire). C'est grave docteur? 

De quoi êtes vous le plus fier concernant Rancid? 
	LARS FREDERIKSEN: Des trois autres! (rires)
	MATT FREEMAN: Laisse tomber, tu vois, on est vraiment oufs! (rires)