Rocksound, hors série punk rock n°1

La lutte des Clash
RANCID

Par Yves Bongarçon. 


Apres avoir sorti l'un des meilleurs disques punk de l'année avec 
"Life won't wait", Rancid ne reste pas pour autant les deux pieds 
dans la glu. Au contraire. Le groupe tourne comme un forcené tout en 
se préoccupant aussi de sa descendance. En effet, en créant le label 
Hellcat, pour héberger tous les jeunes groupes, Tim Armstrong et 
Lars Frederiksen prouvent une fois encore leur implication. Rencontre 
avec deux hommes de bien.

Alors, comment s'est passé la tournée?
	LARS FREDERIKSEN: Très bien. C'était un peu le bordel au début 
pour tout mettre sur pieds mais maintenant, ca roule. Tout est parfait. 
Sauf qu'on est vraiment crevés.

Votre nouvel album est plus que jamais ancré dans les racines punk et 
ska. Etait-ce votre façon de répondre à certains artistes américains 
qui détournent en quelque sorte cette musique?
	TIM ARMSTRONG: Je crois que la réponse est aussi simple que 
ça: on fait juste ce qu'on veut.
	L.F.: Aux Etats Unis, il y a beaucoup de groupes qui mélangent 
un peu tous les genres: le punk, le reggae, le métal et le funk. Tout 
devient bordélique. Je suis dans le punk et le ska depuis longtemps 
déjà. J'ai grandi avec, j'allais à des concerts de punk quand j'étais 
môme. Ca fait longtemps que j'en joue aussi. Donc, oui, d'une certaine 
façon, ce disque essaie de remettre les choses à leur place. C'est 
certain qu'on a une approche différente d'un groupe qui a commencé il 
y a un an.
	T.A.: On s'est tellement investis dans le punk! Cette musique 
représente tant à nos yeux! On jouait du punk quand ça n'était pas 
cool, puis quand ça l'est devenu, et maintenant que ça ne l'est plus 
de nouveau. 

Que pensez vous de groupes comme Save Ferris qui utilisent un peu le 
ska comme une mode sur laquelle surfer?
	T.A.: Sur Hepcat, le label que l'on vient de créer, on a plein 
de groupes de ska comme Hepcat, Pietasters, Dropkick Murphys. Et tous 
ces groupes voulaient signer chez nous. Pas Save Ferris. Ils ne 
voulaient pas être sur un label indépendant mais sur une major de 
merde. Je m'en fous, après tout. Bonne chance à eux! Mais j'ai franche-
ment honte d'être américain quand j'entends leur chanson à la radio!

Cela aurait été facile pour vous de succomber à la tentation de faire 
des hits commerciaux. Vous avez choisi la direction opposée: vous êtes 
allés en Jamaïque, vous avez créé votre label. C'est votre façon de 
rester fidèles?
	L.F.: Je pense que toute la musique que nous aimons vient de 
la rue, que ce soit le rock steady, le reggae des 60's, 70's et 80's, 
ou le punk rock. Toutes ces musiques viennent du même endroit, ont la 
même intensité. Ca rajoute de l'authenticité à ces groupes parce 
qu'ils ne sont pas obnubilés par le nombre de disques qu'ils vont 
vendre ni par l'effet de mode qu'ils vont produire. Leur but n'est pas 
de faire du fric à tout prix.
	T.A.: Ils composent des morceaux qui laissent les gens sur le 
cul, de vraies bombes. Ils vivent dans un autre monde que celui de 
Save Ferris. 

Créer votre label était il un moyen de renvoyer l'ascenseur?
	T.A.: Oui, on voulait aider tous ces excellents groupes. Et, 
pour moi, ça me donne aussi un moyen de m'occuper lorsque Rancid ne 
joue pas. Après avoir tourné pendant quelques années, on a fait un 
break. J'ai recommencé à faire n'importe quoi, à boire. J'avais besoin 
de quelque chose sur lequel me focaliser.
	L.F.: On a décidé de rester à LA pour créer notre label. Et en 
deux semaines/un mois, on a eu toutes les signatures d'Hellcat! C'est 
vraiment facile d'avoir des groupes parce qu'il y en a un sacré paquet 
d'excellents aux Etats Unis. On va en signer d'autres cette année 
mais, pour l'instant, on se concentre sur six d'entre eux. Je pense 
qu'on a fait du bon boulot. Personne n'a refusé de travaillé sur notre 
label. Dropkick Murphys, par exemple, ils nous ont envoyé une démo et 
on les a signés. Tels quels. 

Comment réagissez vous au rachat de Burning Heart par Epitaph?
	L.A.: Ils l'ont racheté? Ah bon! Mais qui était sur Burning 
Heart déjà?

Millencolin notamment...
	L.F.: Ah ouais! J'aime bien ce groupe. Je crois que Burning 
Heart distribuait aussi pas mal d'autres catalogues de groupes de punk 
rock. Ben, je ne sais pas trop quoi dire. Si ça peut les aider, c'est 
cool...

Partagez-vous les mêmes conceptions de ce métier que Fat Mike de NoFX? 
	L.F.: NoFX et Rancid sont amis de longue date. Ce qui ne 
signifie pas qu'on soit toujours d'accord. Par exemple, je ne pourrais 
jamais dire que le vrai punk rock date de 1977, parce qu'aujourd'hui 
encore, des gosses traversent les mêmes épreuves que nous autrefois. 
Il y a toujours des gamins qui sont paumés et sans abri à New York. 
Qu'on vienne de la middle-class ou de la bourgeoisie, il peut toujours 
y avoir un truc qui ne tourne pas rond, et c'est la raison pour laquelle 
ces gamins sont à la rue. Peut être que leur père était un connard 
fini, peut être que leur mère était ivrogne, on n'en sait rien... Le 
punk rock sera toujours vivant en Amérique tant que cette société sera 
aussi tarée, ce qu'elle est aujourd'hui. Le punk rock ne mourra 
jamais. Des gamins qui pourront se procurer une guitare pourrie ne 
sonneront peut être pas comme Rancid ou NoFX. Ce sera sans doute plus 
violent mais ils ne mourront pas. Sinon, j'adore Mike et NoFX. Je 
trouve cependant qu'ils font toujours un peu le même disque, qu'ils 
n'innovent pas assez. Leurs quatre derniers albums sont assez identi- 
ques. Moi, je ne pourrais pas faire tout le temps la même chose. Quand 
tu fais un disque, tu dois te dire "merde!", être excité à l'idée de 
le faire. Tu dois constamment te lancer des challenges. 

Le titre de l'album 'Life won't wait' est-il intentionnel?
	L.F.: Rico, notre pote de toujours, nous avait appelés pour 
nous dire qu'il était d'accord pour travailler avec nous. C'est comme 
un père pour nous. Il a toujours été présent sur tous les albums qu'on 
a sortis sur Epitaph. Il avait enregistré toutes les voix sur '...and 
out come the wolves' et il n'avait même pas été crédité pour ça! Il 
était là au début de l'enregistrement du nouvel album mais il est 
retourné à son vieux démon: la drogue. Ca fait cinq fois qu'il est 
clean de nouveau et qu'il est très proche de nous. Mais je croise les 
doigts. Il avait repris du crack et de la coke. Le titre 'Life won't 
wait' est à cet égard très significatif pour lui. Et Lester, un autre 
de nos potes, est mort d'une overdose d'héroïne il y a six semaines.
C'était un mec bien avec un talent fou. Ce titre est un peu pour lui 
aussi... L'album a été produit très rapidement. On a écrit des morceaux, 
on les a mis sur cassettes. Epitaph n'avait aucune idée de ce qui se 
passait. On a dû annuler les sessions parce que Rico, Brett et Lester 
étaient trop 'high'. On ne savait vraiment pas ce qu'allait devenir 
Epitaph. On a fait ce disque et maintenant, ça va mieux. Mais Epitaph 
sera de nouveau Epitaph quand Brett sera définitivement clean. Cela 
dit, Epitaph est notre famille. L'avantage d'être chez eux et pas sur 
une major, c'est que tu peux sortir un album quand tu veux. C'est le 
meilleur endroit pour travailler. On n'a pas de pressions, pas 
d'attentes. C'est très différent de Columbia, où tu dois sortir six 
disques de plus en dix ans. Ce serait vraiment un cauchemar pour nous!

Toutes les critiques s'accordent pour dire que cet album est le 
meilleur que Rancid ait fait. Est-ce un signe d'une certaine maturité? 
	T.A.: Ca fait bientôt dix ans qu'on joue tous dans ce groupe. 
Je pense qu'on a grandi ensemble du fait d'être resté côte à côte si 
longtemps. En tout cas, une chose restera toujours certaine à propos 
de Rancid: c'est le changement. 
	L.F.: Je crois en effet que c'est notre meilleur album... 
jusqu'à maintenant (sourire). De la batterie de Brett au chant de Tim, 
toutes les chansons sont impeccables. Tim communique, il raconte sa 
vie, ça me donne envie de chialer. Je pense que c'est un album très 
profond. 

Beaucoup de journalistes comparent Rancid à Clash. Qu'en pensez vous? 
	T.A.: C'est plutôt flatteur. Ca vaut mieux que d'être comparés 
aux Smashing Pumkins (rires)! Je déteste les Smashing! The Clash est 
un grand groupe. En plus, on n'appartient pas à la même catégorie. 
Nous ne sommes pas anglais. C'est cool. J'adore la musique des Clash, 
mais ce n'est pas comme si c'était le seul groupe qu'on écoutait. Mais 
cette comparaison avec un grand groupe ne me dérange pas. 

Un tribute aux Clash va sortir avec une reprise par Heather Nova et 
Moby. Trouvez-vous cela significatif d'une nouvelle tendance? 
	L.F.: C'est OK, c'est un de mes morceaux préférés sur l'album.  

The Clash a été fustigé en son temps. Aujourd'hui, il se révèle être 
un groupe référence de la scène punk...
	L.F.: Elvis Presley et Jerry Lee Lewis ont eux aussi été 
considérés comme des suppôts de Satan en leur temps. Tout le monde 
crachait sur ces types. Maintenant, que sont-ils devenus? Des putains 
d'icônes du rock n roll! Quand tu prends du recul, c'est un peu comme 
quand tu es gamin et que tu dérouilles la fille que tu aimes. Parce 
que tu l'aimes vraiment et que tu ne supportes pas d'avoir des 
sentiments pour elle. Tous les grands groupes se sont fait tirer 
dessus. Ils sont devenus des grands parce qu'ils ont su passer entre 
les balles (rires). Non, c'est surtout parce qu'ils sont restés 
fidèles à ce en quoi ils croyaient. 
	T.A.: Le punk rock a explosé en 1995. Tout le monde 
s'attendait à ce que notre premier single extrait de '...and out come 
the wolves' soit une chanson punk. Mais ça a été un morceau de ska. 
Après, plein de groupe nous ont suivis: No Doubt, Sublime, Save 
Ferris... La liste est longue. On a fait ce qu'on voulait. On n'a pas 
suivi la mode et je crois que beaucoup de gens ont été sensibles à 
notre attitude. C'est cette même démarche qu'on a appliquée pour cet 
album. Aujourd'hui, je ne peux pas dire à quoi ressemblera le prochain 
(rires).