n°2
Martin Le Fléau

par Chantal Portillo

Lui, c'est Martin. Martin Le Fléau. Il ne craint que la foudre.

Qu'elle ne retombe du toit en longues flammes sèches et n'embrase le crin des mèches sombres qui envahissent son front, cachent ses oreilles, glissent dans son cou en recouvrant son tee-shirt sous le blouson de cuir fauve. Des milliers d'étincelles piqueraient le toit de zinc du grenier où il s'abrite. Sa peur de la foudre est plus forte que toutes ses autres peurs.

Etre reconnu. Etre repéré. Vendu… sur fichier...

Jamais !

Effacer ses traces. Toujours. Ne rien laisser. Se fondre. Devenir transparent. Ou couleur des ténèbres. Emprunter les caniveaux. Ils sont sa route. Ne se déplacer que dans leurs eaux saumâtres, entre les crottes de chiens et les vieux chiffons qui font barrage aux larmes de la ville. Les franges de son jeans, collées par l'eau, s'enroulent autour de ses chevilles nues, dans ses reebok bleu lagon, sans lacet. Eternellement mouillées. Elles n'ont jamais le temps de sécher. Il ne frissonne même plus en les enfilant le soir. Le jour il dort, les rideau tirés. La première étoile le réveille dans la lucarne au-dessus de son lit. Il aime son regard et l'odeur violente du café sur sa langue.

Lui, c'est Martin. Martin Le Fléau. Ce n'est pas un surnom. C'est son nom. Au lycée on l'appelait le blé, la famine ou calamity. Ca lui est égal. Dans l'opacité  humide de la ville, il pisse. Droit le long du mur. Haut. D'une pisse ample qui inonde le trottoir, toute la place Bienvenue, jusqu'au centre commercial, jusqu'à la gare, jusqu'à la peur, que le liquide ambré charrie. Une rigole mousseuse, s'élargit en un flot tumultueux qui s'écoule dans le caniveau. Et part vers la mer. Il tient d'un seul doigt son sexe chaud, doux. Sa blancheur le surprend. S'il voulait, il arroserait la ville comme un geyser éclatant qui illuminerait le ciel. Au mitan de la nuit, debout contre le mur, le plus haut qu'il ait trouvé, l'orgueil du quartier Montparnasse, sa Tour, dans le bruit lointain des trains en partance pour l'Océan, les jambes écartées, la nuque renversée, les yeux clos dans le plaisir, il pisse, Martin. Dru.



(à suivre)

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Deuxième épisode