Explication de texte
Maupassant, Pierre et Jean, Chapitre II (extrait).
L’extrait :
Sur sa droite, au-dessus de Sainte-Adresse, les deux phares électriques du cap de la Hève, semblables à deux cyclopes monstrueux et jumeaux, jetaient sur la mer leurs longs et puissants retards. Partis des deux foyers voisins, les deux rayons parallèles, pareils aux queues géantes de deux comètes, descendaient, suivant une pente droite et démesurée, du sommet de la côte au fond de l'horizon. Puis sur les deux jetées, deux autres feux, enfants de ces colosses, indiquaient l'entrée du Havre ; et là-bas, de l'autre côté de la Seine, on en voyait d'autres encore, beaucoup d'autres, fixes ou clignotants, à éclats et à éclipses, s'ouvrant et se fermant comme des yeux, les yeux des ports, jaunes, rouges, verts, guettant la mer obscure couverte de navires, les yeux vivants de la terre hospitalière disant, rien que par le mouvement mécanique invariable et régulier de leurs paupières : "C'est moi. Je suis Trouville, je suis Honfleur, je suis la rivière de Pont-Audemer." Et dominant tous les autres, si haut que, de si loin, on le prenait pour une planète, le phare aérien d'Etouville montrait la route de Rouen, à travers les bancs de sable de l'embouchure du grand fleuve. Puis sur l'eau profonde, sur l'eau sans limites, plus sombre que le ciel, on croyait voir, ça et là, des étoiles. Elles tremblotaient dans la brume nocturne, petites, proches ou lointaines, blanches, vertes ou rouges aussi. Presque toutes étaient immobiles, quelques-unes, cependant, semblaient courir ; c'étaient les feux des bâtiments à l'ancre attendant la marée prochaine, ou des bâtiments en marche venant chercher un mouillage. Juste à ce moment la lune se leva derrière la ville ; et elle avait l'air du phare énorme et divin allumé dans le firmament pour guider la flotte infinie des vraies étoiles. Pierre murmura, presque à haute voix : "Voilà, et nous nous faisons de la bile pour quatre sous !" Tout près de lui soudain, dans la tranchée large et noire ouverte entre les jetées, une ombre, une grande ombre fantastique, glissa. S'étant penché sur le parapet de granit, il vit une barque de pêche qui rentrait, sans un bruit de voix, sans un bruit de flot, sans un bruit d'aviron, doucement poussée par sa haute voile brune tendue à la brise du large. Il pensa : "Si on pouvait vivre là-dessus, comme on serait tranquille, peut-être !"
ATTENTION! La présentation ci-dessous correspond à une
METHODE POUR L'ORAL du bac qu'il est vivement conseillé de connaître pour une bonne utilisation de toute fiche ainsi présentée!
L’Intro :
Pour Maupassant, seuls les sens nous apprennent quelque chose sur le monde : c’est donc en reconstituant l’appréhension du réel par les sensations que l’on peut donner l’impression de la vérité d’un personnage par exemple : ainsi Paul de Brétigny, dans Mont-Oriol ou Jeanne dans Une vie entretiennent-ils un rapport privilégié à la nature qui les transporte là où d’autres ne peuvent aller…
Dans Pierre et Jean, le personnage hypersensible de Pierre se prête particulièrement bien à cette primauté des sensations : ainsi le spectacle du port qui est décrit dans cet extrait du chapitre II permet-il au lecteur de mieux comprendre la souffrance du personnage.
Lecture du texte
Pierre, en proie à la jalousie nous donne à voir un paysage fantasmagorique surprenant. Ce spectacle aux frontières du surnaturel révèle une vérité du personnage qu’il n’a lui-même pas encore réalisée.
Références textuelles |
Analyses |
Interprétations |
I. La fantasmagorie de Pierre : |
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Deux phares électriques/des rayons parallèles/deux autres feus/d’autres, beaucoup d’autres, fixes ou clignotants à éclats ou à éclipse/des étoiles |
CL lumière/feu |
Nuit éclairée de mille feux propice à l’évasion que Pierre recherche sans doute (échapper à sa jalousie…) |
Jaunes,rouges, verts/blanches, vertes ou rouges |
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Variété des lumières |
Eau/étoile Lune/phare |
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Enfermement et décor à la fois : l’imaginaire de Pierre ! |
Au-dessus de Sainte-Adresse/cap de la Hève/ l’entrée du Havre/ de l’autre côté de la Seine/Trouville/ Honfleur/Pont-Audemer… |
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Mvt panoramique du regard de Pierre qui pense trouver un réconfort dans cette " marine " impressionniste… |
Semblables à deux cyclopes |
comparaison |
Image poétique qui rappelle que Maupassant nous montre le pt de vue d’un être sensible et imaginatif |
Jetaient sur la mer leurs longs et puissants regards |
métaphore |
Idem |
cyclopes |
Appartient à la mythologie |
Intervention du merveilleux |
Regards, enfants/ comme des yeux/paupières Disant/montrait..etc " C’est moi. Je suis Trouville, je sui Honfleur, je suis la rivière de Pont-Audemer. " |
Personnifications + métaphore filée |
Aux regards s’ajoute la parole : une complicité ambiguë s’établit : la mer (comme la mère) semble en fait contraire au bonheur de cette famille (isole le père, fera souffrir Pierre…) |
Sur sa droite, au-dessus de, partis des, descendaient, suivant une pente, du sommet, au fond, puis sur les deux jetées, indiquaient, et là-bas, de l’autre côté… |
Très nombreuses indications de déplacement liées aux lumières |
Le regard de Pierre suit ce mouvement vertigineux et éclatant des lumières, sorte de spectacle baroque ds lequel semble trouver plaisir à s’égarer… |
Les phrases |
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Imprégnation du cadre : vers une possible symbiose Pierre/cadre rendant possible l’étude psychologique du personnage par l’étude de la description… |
Puis sur l’eau profonde, sur l’eau sans limite, plus sombre que le ciel |
Rythme ternaire fréquent ds le passage + gradation et répétition/ insistance sur le mystère insondable de cette mer ne faisant plus qu’un avec le ciel |
Toujours sens double : immersion dans le paysage ou introspection par images interposées… |
II. Un paysage intérieur révélateur des " démons " de Pierre ? |
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Regard, enfants, yeux, paupières… + " … " |
Revenons sur les personnifications |
Pierre différent de Jean (imagination, poète, peintre…) Focalisation interne |
Les phares |
Valeur symbolique : orientation |
Pierre est inconsciemment à la recherche de repères… |
firmament |
Evoque l’Etoile du Berger |
Guide… (idem). Pierre partira à la fin sur cette mer… |
Cyclopes, monstrueux géants, démesurées, colosses , ombre fantastique |
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Quels démons ? faute de la mère, jalousie… Pierre est aussi celui qu’on " mon(s)tre " parce qu’il n’est pas comme ceux de sa classe… |
Deux, deux cyclopes jumaux, deux foyers, deux rayons parallèles, deux comètes, deux jetées, deux autre feus |
CL de la dualité |
Insistance : obsession de Pierre, gémellité fraternelle ou altérité " l’autre qui est en nous " un peu plus haut ds le chapitre |
0.Etouville 1.Les deux phares du cap de la Hève 2. Le Havre 3.Trouville 4. Honfleur 5.Pont-Audemer 6.Etouville |
Regard circulaire, 360° |
Pierre " tourne en rond " dans sa tentative de thérapie, d’analyse (c’est la structure de tout le chapitre cf remarque suivante) |
Dès qu'il fut dehors, Pierre se dirigea vers la rue de Paris, la principale rue du Havre, éclairée, animée, bruyante. L'air un peu rais des bords de mer lui caressait la figure, et il marchait lentement, la canne sous le bras, les mains derrière le dos. |
Début du chapitre |
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"Merci... merci... mon bon Pierre, merci." Et Pierre s'en retourna, de son pas lent, la canne sous le bras, les mains derrière le dos. |
Vers la fin du chapitre |
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La fantasmagorie |
Imagination ou hallucinations |
L’excès ici de la description rappelle la pathologie de Pierre |
Conclusion.
Nous avons mis à jour la stratégie de Maupassant dans ce passage : celui-ci place le lecteur du côté de Pierre pour nous faire partager son état particulier. Le malaise de Pierre est d’abord exprimé par la fuite vertigineuse dans un concert de lumières, concert baroque propice au divertissement … Mais bien vite se superpose un imaginaire fantasmagorique dans lequel le monstrueux et le gémellaire semblent ramener Pierre à ses démons intimes dont la suite du roman amplifiera l’obsédante présence en lui.
Une fois de plus dans ce chapitre, Pierre échoue dans sa tentative de faire triompher l’être raisonnable qui est en lui. L’être sensible semble le plus fort pour le bonheur de la description naturaliste mais au grand désespoir de Pierre qui ne trouvera de solution que dans l’exil à la fin du roman.
Dans Le Roman, Maupassant insiste sur la nécessité pour le romancier d’interpréter le réel en le mettant en scène en tenant compte de ce qu’éprouvent les personnages. Ainsi ceux-ci se révèlent, faisant oublier le narrateur lui-même, aux yeux du lecteur. Cet extrait illustre parfaitement cette caractéristique de l’écriture naturaliste de Maupassant.