Robert Newton en 1949

Aujourd'hui très peu connu des publics francophones, Robert Newton fut, de son vivant, une grande star dans les pays anglo-saxons même s'il tenait surtout des rôles de second plan. Spécialiste des personnages hauts en couleurs comme le pirate Long John Silver dans L'Île au trésor (Byron Haskins, 1950), il pouvait néanmoins exceller dans des rôles en demi-teintes, comme celui du père de famille dans This Happy Breed (David Lean, 1944). Aux yeux des cinéphiles avertis, sa performance la plus mémorable fut dans Odd Man Out (Carol Reed, 1947), dans lequel son personnage de peintre torturé lui permit d'exploiter toutes les facettes de son immense talent. D'autres classiques avec Newton: Henry V (Laurence Olivier, 1944), Oliver Twist (David Lean, 1948) et Autour du monde en 80 jours (Michael Anderson) Oscar du meilleur film en 1956.

BIOGRAPHIE

Robert Newton voit le jour à Shaftesbury, dans le sud de l'Angleterre, le 1er juin 1905. Son père est peintre (le célèbre Algernon Newton) et sa mère écrivain. Il a trois sœurs et un frère.

L'arrière-grand-père de Robert co-fondit la compagnie de matériel d'artiste Winsor & Newton en 1832. Prospère dès ses débuts, elle exporte aujourd'hui ses produits à travers le monde; cependant, elle n'appartient plus aux descendants de ses fondateurs depuis la fin du 19ème siècle.

À 15 ans, il abandonne ses études et s'engage dans la repertory company de Sir Barry Jackson à Birmingham. Pendant deux ans, il est l'homme à tout faire de la compagnie : doublure et régisseur, il peint aussi les décors et joue des petits rôles dans une quarantaine de pièces.

En 1923, il quitte la troupe de Birmingham et se joint à une compagnie théâtrale qui fait des tournées en Afrique du Sud. L'année suivante, il apparaît pour la première fois dans un théâtre du West End (le Broadway londonien). Son petit rôle ne le rend pas célèbre. Ce n'est qu'en 1928, avec son second rôle dans Her Cardboard Lover qui met en vedette Tallulah Bankhead et Leslie Howard, qu'il commencera à se faire un nom.

Noël Coward le remarque et lui confie un rôle dans sa nouvelle revue, Bittersweet. Le spectacle connaîtra un succès triomphal et restera à l'affiche pendant plus d'un an.

En mai 1931, il fait ses débuts à Broadway. Il y remplace Laurence Olivier dans le Private Lives de Noël Coward. Hélas! la Dépression économique contraint les théâtres à fermer l'été suivant et Newton devient alors serveur dans un restaurant sordide pour survivre. Un jour, surprise! un convive s'appelle Lewis Milestone (il a réalisé le célèbre All Quiet on the Western Front l'année précédente). Celui-ci, charitable, offre au malheureux acteur anglais de l'emmener à Hollywood avec lui.

Comme aucun contrat avec un studio n'est à l'horizon, Newton fait de l'auto-stop jusqu'au Canada. Pendant quelques mois, il travaillera dans un ranch en Colombie-Britannique.

En 1932, il devient le gérant d'un théâtre dans la banlieue de Londres et le rebaptise le Shilling Theatre. Le prix d'entrée est d'un shilling, afin de le rendre accessible à un public de la classe ouvrière. L'aventure durera jusqu'en 1934.

Les studios anglais commencent à faire appel à ses services. Après de très brèves apparitions dans quelques films peu mémorables, dont Dark Journey avec Vivien Leigh et Conrad Nagel, il commence à obtenir des rôles plus importants en 1937: consul débonnaire dans Vessel of Wrath aux côtés de Charles Laughton et Elsa Lanchester, cambrioleur romantique et élégant dans The Squealer avec Edmund Lowe, une ancienne gloire du muet en plein déclin et Ann Todd, noble espagnol pragmatique dans Fire Over England qui met en vedette son ami intime, Laurence Olivier, Flora Robson et Vivien Leigh, neveu communiste d'une vieille dame aussi riche que conservatrice dans la comédie Yellow Sands avec la légendaire Marie Tempest…

Alfred Hitchcock lui donne son premier rôle vraiment marquant au cinéma dans Jamaica Inn (1939). Robert Newton, en policier qui joue un double-jeu avec les pilleurs d'épaves, campe son personnage avec finesse et virilité; il parvient même à ne pas être tout à fait éclipsé par le cabotinage éhonté de Charles Laughton et par la beauté flamboyante de Maureen O'Hara. Tourné avec indifférence par Hitchcock qui détestait le scénario tel que remanié à la demande de Laughton, qui produisait le film, pour donner de l'importance à son personnage, Jamaica Inn est l'un des longs-métrages les moins estimés du réalisateur.

Dans les années quarante, Robert Newton se taille une réputation d'excellent acteur de composition… Assez mal à l'aise dans les rôles de jeune premier et dans les scènes d'amour, il obtient ses meilleurs rôles avec ses premières rides et avec le début de son embonpoint. C'est la guerre et ce bourlingueur-né passera quelques-unes des plus belles années de sa vie à bord du HMS Britomart, en tant que dragueur de mines, à boire et à jouer aux cartes avec ses camarades.

Du reste, il ne passe pas trop de temps sous l'eau, car l'Angleterre lui donne de nombreuses permissions afin qu'il prête son talent et sa popularité à des films patriotiques. They Flew Alone raconte l'histoire de la première aviatrice britannique (Anna Neagle) et de son mari (Newton), de leurs exploits dans les airs et de leurs malheurs à terre… Dans le rôle de Jim Mollison, ivrogne, coureur, casse-cou, irresponsable et plein de charme, Newton a trouvé un personnage qui lui ressemble comme un frère jumeau.

David Lean donne son premier grand rôle à Newton dans This Happy Breed en 1944. Le scénario de Noël Coward est une suite d'anecdotes drôles et tendres qui se passent dans une famille de classe moyenne entre les deux guerres. Newton a signé un contrat spécial où il promet de ne pas prendre un seul verre d'alcool pendant le tournage sous peine de payer une lourde amende.

L'alcoolisme de Newton s'aggrave de plus en plus. Sur un plateau de cinéma, il peut être très difficile à vivre. Le réalisateur Edward Dmytryk racontera dans ses mémoires que Newton avait une double personnalité. Sobre, il se montre charmant et raisonnable. En état d'ébriété, il peut être absolument insupportable et ses frasques font la une des journaux à sensations. David Lean, qui ne supportait pas les ivrognes, avait toutefois beaucoup d'affection pour Newton, dont il estimait la personnalité attachante et sincère.

Robert Newton a toujours été un rebelle et un anti-conformiste. Quand des gens lui rendent visite dans sa loge, il ne se gêne pas pour uriner dans le lavabo, indifférent aux regards ahuris ou choqués de ses admirateurs. Un matin, il fouette sauvagement sa Rolls qui ne veut pas démarrer. Il souffre d'une dépression chronique qu'il soigne avec l'alcool. Hanté par la peur d'être ennuyeux, il a tendance à en faire trop, que ce soit à la ville, au cinéma ou sur une scène. Il aime être le centre de l'attention et raconte des histoires extraordinaires —et souvent apocryphes— sur son passé pour amuser la galerie. Son ami, David Niven, racontera que des imbéciles noyaient Newton dans l'alcool dans le seul but de se distraire à ses dépens; ces beuveries, qui duraient parfois pendant des semaines, avaient des conséquences souvent désastreuses pour l'acteur. À Hollywood, il passe une nuit en prison. En Angleterre, il s'endort sur une plage avec la braguette ouverte…Rires d'enfants et piaillements de mamans scandalisées.

Malgré ses problèmes personnels, la carrière de Newton est de plus en plus brillante. Au théâtre, il connaît un très grand succès dans Pas d'orchidées pour miss Blandish en 1947. La même année, un sondage auprès du public britannique déclare qu'il est le troisième acteur le plus populaire du pays. Pourtant, il joue très peu de premiers rôles au cinéma. Son Ancient Pistol dans Henry V (1944) est digne de la commedia dell'arte: le cabotinage haut en couleurs de Newton fait merveille et on regrette qu'il n'ait pas joué dans d'autres pièces de Shakespeare au cinéma.

En 1948, il devient Bill Sikes dans l'adaption d'Oliver Twist réalisée par David Lean. Dans le rôle de cette brute alcoolique et sans cœur, Newton est tout à fait crédible. Après le meurtre de Nancy, sa concubine, Sikes passe la nuit auprès de son cadavre. Pour la première fois de sa vie, l'homme se sent faible et désemparé. Au matin, il part avec son chien sur la grand route… Sans presque aucun dialogue pendant ses scènes, Newton donne vie à son personnage et à ses émotions confuses avec un langage corporel éloquent et naturel. Du grand art.

Long John Silver… C'est en 1951 que Walt Disney décide de transposer Treasure Island à l'écran avec la jeune star maison, Bobby Driscoll. Newton est le choix parfait pour incarner le célèbre pirate à la jambe de bois. Le film remportera un immense succès et on associera désormais le nom de Robert Newton à celui de Long John.

Svengali… Les producteurs de ce film font l'erreur de croire Newton quand il leur jure qu'il ne boit plus une goutte. Hélas, il commence à se comporter de façon épouvantable dès le début du tournage. Il tombe amoureux fou de Hildegarde Neff; parce qu'elle repousse ses avances, il la prend en grippe et mange de l'ail avant leurs scènes d'amour. Une autre fois, il disparaît pendant trois jour: l'un des producteurs finit par le trouver dans une boite de nuit, en train de danser en pyjama. Son épouse (Vera, la quatrième), exaspérée, prend l'avion avec leur fils bébé, Kim. Newton se hâte de la rejoindre à Los Angeles. Le trio repart immédiatement pour l'Australie où Newton doit tourner dans une série télévisée, Long John Silver. Les producteurs de Svengali remplacent Newton avec Donald Wolfitt et entament des poursuites contre leur ex-protagoniste. Newton sera condamné à payer $300 000 en dédommagements, ce qui l'obligera à déclarer faillite.

On n'offre plus à Newton que des rôles d'ivrognes… et on lui demande souvent de parler comme Long John, même si le personnage n'est pas un pirate. Soldat aussi peu intelligent que zélé dans la pochade Soldiers Three, voyou sympathique dans The Beachcomber, un remake de Vessel of Wrath dans lequel il avait tenu le rôle de l'élégant et beau consul en 1938, clochard sinistre dans un épisode d'Alfred Hitchcock Presents, etc. En 1952, il fait un numéro digne du grand guignol dans Blackbeard the Pirate, tourné à la Cinecitta. Un an plus tard, il livre l'une des meilleures performances de sa carrière dans dans The Desert Rats: instituteur déchu par l'alcool et devenu troufion, il donne des leçons de morale à son ancien élève devenu son supérieur (Richard Burton) et essaie de surmonter sa poltronnerie.

En 1955, le producteur Mike Todd, qui est un joueur invétéré, prend un risque énorme en donnant à Newton l'un des quatre rôles principaux de Around the World in Eighty Days. Le film coûtera une fortune et sera tourné dans plusieurs pays. Des dizaines de stars y feront des "caméos", un néologisme inventé par Todd pour l'occasion. Pour la première fois depuis longtemps, le personnage de Newton, l'inspecteur Fix, ne boit pas. D'ailleurs, Newton est sage comme un ange pendant tout le tournage, même s'il cache un flacon de gin dans sa canne. Il prend de moins en moins d'alcool depuis la débacle de Pygmalion et la fuite de sa femme. Du reste, son médecin l'a averti qu'il mourrait s'il n'arrêtait pas de boire.

Robert Newton est décédé à Hollywood le 14 avril 1956. C'était à la levée du jour… Une crise cardiaque foudroyante… Il s'est éteint dans les bras de Vera… Il n'avait que 50 ans et dix mois.

Malgré ses quatre mariages, ses trois enfants et ses nombreux amis, Robert Newton avait un penchant prononcé pour la solitude. Il aimait lire, pêcher, marcher et faire la cuisine. Il vivait trop souvent ses rôles autant dans la vie que sur une scène ou un plateau de cinéma, ce qui le rendait d'une compagnie difficile. Imaginez seulement... avoir Bill Sikes ou Long John Silver comme mari, père ou ami!

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Des débuts obscurs au cinéma
dans The Tremarne Case en 1924


Jeune premier romantique
avec Maureen O'Hara
dans Jamaica Inn (1939)


Cockney un peu brute mais sympa
dans Major Barbara
avec Rex Harrison (1942)


Encore svelte et élégant
dans Night Boat to Dublin en 1946


Le très dangereux Bill Sikes
dans Oliver Twist (1948)


Long John Silver et Captain Flint
dans Treasure Island (1951)


À la pêche
(photo prise par David Niven)


Avec Linda Darnell
dans Blackbeard the Pirate (1952)


Emouvant au côté de Richard Burton
dans The Desert Rats (1953)


Une expression typique de Mr. Fix
dans Around de World in 80 Days

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