ACADEMIE BULGARE DES SCIENCES INSTITUT D'ETUDES BALKANIQUES

ETUDES BALKANIQUES, n° 3-4, 1997

UNE BIBLIOGRAPHIE ATTENDUE

Guetcheva, Krastina LE BOGOMILISME. Bibliographie, Sofia, 1997, 232 pages, 1997

 Кръстина Гечева,  БОГОМИЛСТВОТО. Библиография, София, 1997, 232 страници

 

En 1997, les éditions "Marin Drinov" de l'Académie bulgare des Sciences ont publié Le Bogomilisme. Bibliographie de Krastina Guetcheva, un des meilleurs historiens bibliographes bul­gares. Elle est encore l'auteur de Jordan ivanov. Bibliographie et de La littérature bulgare pendant le Réveil national. Bibliographie''.1 Le livre a été subventionné par le Centre des arts "Soros" et le Fonds National de Charité "13 siècles de Bulgarie".

Il convient de noter que le numéro du Bulgarian Studies Association News Lettеr américain de février 1997 a publié une annotation au sujet du livre avant sa parution. Des milieux scientifiques des U.S.A., de France, d'Angleterre et de Pologne ont manifesté un vif intérêt envers cet ouvrage, ce qui peut s'expliquer par la lacune que vient combler Le Bogomilisme. L'absence jusqu'à présent d'une bibliographie plus au moins complète du bogomilisme en Bulgarie ou à l'étranger était visible. Le volume de l'édition est vraiment surprenant:

elle contient 2457 titres de références et d'études publiées en Bulgarie et à l'étranger depuis le Bas Moyen âge jusqu'en 1994. Il s'agit de livres, d'études, d'articles, de bibliographies, d'exposés historiographiques, d'éditions périodiques scientifiques ou de recueils. Les titres des ouvrages sont présentés dans leur langue originale ( 14 langues en tout), ce qui correspond aux standards  académiques internationaux.

Les ouvrages figurent dans les rubriques par ordre alphabétique soit des auteurs, soit des titres des œuvres anonymes, en cyrillique et en latin. La plupart des titres sont décrits de visu, ce qui est un mérite considérable de la bibliographie. Cela est dû au fait que les bibliothèques bulgares renferment une grande quantité de littérature de ce genre, créée ou conservée en Bulgarie. En outre, l'auteur a eu la possibilité de travailler à la Bibliothèque Nationale de Paris, et dans d'autres bibliothèques spécialisées de la capitale française.

Les sources de références sont très riches, basées sur la structure systématique de la bibliographie: index des noms propres, index des notions géographiques, index thématique, liste des abréviations, ainsi que des informations sur les éditions périodiques scientifiques qui renferment des études à ce sujet. Le volume et la structure de la présente bibliographie montrent qu'elle est la première en son genre: outre le bogomilisme, elle inclut des oeuvres qui reflètent la diffusion et l'influence des hérésies qui lui sont apparentées. Cette primauté apparaît également sur la toile de fond des 12 bibliographies qui la précèdent et qui traitent partiellement le thème du bogomilisne, parues en la période 1906-1981 (citées p. 176). Les deux plus riches d'entre elles, celles de K u 1 c s a r, Z. Eretnekmozgalmak a XI-XIV sazadban. Budapesti. Budapest, Tankonyvkiado, 1964. 335 p. et de B e r k h o u t, C. and J. V. Russel. Mvdieval Heresies. A Bibliogpaphy. I960-1970. Toronto etc., 1981. XV, 201 p., abordent visiblement un spectre beaucoup plus étroit de problèmes, aussi bien sur le plan thématique que chronologique. Sans compter que la première est déjà vieille de 25 ans et la seconde de 15 ans.

D'autre pan, les qualités incontestables du livre prouvent qu'il ne s'agit pas d'un simple ouvrage de référence, mais d'une étude, originale. Qu'etendendons-nous par là?

En premier lieu, le Bogomilisme présente une infrastructure (pour emprunter ce terme très en usage actuellement dans le domaine de l'économie et des communications) assez spécifique dans deux aspects. Le premier réside dans l'accumulation des connaissances dont nous disposons au sujet du bogomilisme et des mouvements qui en dérivent. Par conséquent, nous pouvons ouvrir le débat concer-nant ces problèmes en nous plaçant au niveau de cet ensemble solide de faits, qui écarte toute improvisa-tion ou parti pris éventuels. Sur ce fond, la discussion Dondaine-Morghen dévoile la vision très subjective de Morghen, proposante une indépendance inexistante du dualisme médiéval occidental par rapport au bogomilisme2. Les principales études qui précèdent cette thèse, ainsi que les publications postérieures à la période de l'activité la plus intense de Morghen entre 1954 et 1966, accumulent des observations et des conclusions largement contredisant son intention.

En deuxième lieu, il s'agit également d'une "infrastructure" sur le plan géographique: l'ordre de la bibliographie fait suivre au lecteur le chemin de l'hérésie bulgare de Bulgarie en Angleterre, à l'Ouest et, de Bulgarie en Russie, à l'Est. C'est un tableau convaincant, étayé par les œuvres de checheurs de diverses générations et de différentes nationalités. Après avoir présenté la sphère paneuropéenne de diffusion du bogomilisme (naturellement, par le biais de ses influences et de ses modifications), l'auteur s'interroge sur les causes d'une telle manifestation spirituelle, sur son hérédité, voire sa reproduction dans les conditions actuelles.

La capacité conceptuelle de Krastina Guecheva est confirmée par les résultats des recherches les plus nouvelles.

 

Ainsi, elle a inclu dans sa bibliographie la lit­térature sur les vaudois, tranchant de la sorte une discussion inachevée du siècle dernier. Certains au­teurs penchent en faveur de l'indépendance des vaudois par rapport aux cathares, ce qui ne corres­pond pas à la réalité étant donné que Valdo fait son entrée sur la scène historique après l'avènement de l'hérésie cathare en Italie et en France, après quoi, tout en renonçant à la cosmogonie bogomile-cathare compliquée, il n'en adopte pas moins littéralement le modèle et le langage du comporte­ment social des dualistes: la prêche en langue popu­laire, la présence des "parfaits" comme guides spirituels, etc. Il suffit au lecteur de jeter un coup d'œil au Manuel de l'inquisiteur de Bernard Gui du XIV' siècle3 pour voir les analogies typologiques.

Le fait de placer l'Angleterre (totalement ex­clue, il n'y a pas longtemps) dans la sphère de l'influence bogomile semble être aussi un choix personnel de l'auteur. I1 s'appuie sur des faits signalés au XIX' siècle par M. Gaster et I. Franko4 et qui paraissent, Dieu sait pourquoi, complètement oubliés par les médiévistes de notre siècle.

L'inclusion de la littérature apocryphe com­me une manifestation de la diffusion du bogomilisme est également un apport intéressant qui a sa pro­pre rubrique dans la bibliographie, intitulée "Apocryphes" (189 titres). La création de la langue littéraire pour beuacoup de nations en Europe, la naissance même des littératures nationales portent le souffle des apocryphes, de leurs sujets et inter­prétations. Dans ce sens on pourrait citer la "Légen­de dorée" de Jacques de Voragine (XIIIe siècle). Sa "Vie des saints" connue sous le nom de "Légende dorée", bien que créée par un adversaire des ca­thares, comporte un nombre considérable de sujets bogomiles ou cathares. Sans compter que la "Légende dorée" a une influence prouvée sur les littératures en herbe d'Italie, d'Angleterre et d'autres pays.

Krastina Guetchcva complète son étude sur les dimensions nouvelles de l'influence spirituelle des dualistes bulgares et des leurs ramifications européennes en y ajoutant des analyses des premières traductions en langue vivante de la Bible, et plus particulièrement du Nouveau Testament, dans quelques pays occidentaux: la Provence, la France, l'Angleterre etc. La science exhorte les historiens bulgares à fournir plus d'efforts afin de démontrer la portée européenne de la tradition cyrillo-mélhodienne pour la traduction des saintes écri­tures, assimilée et transportée en Europe occiden­tale par les bogomiles. Il ne s'agit pas d'hypothèses mais de faits. Il convient de citer à ce propos le livre volumineux et plein de mérites de M. Deanesly "La Bible des Loilards" qui représente une sorte de catalogue des traductions de la Bible faites en Europe par les hérétiques5. Cet ouvrage suffit à démontrer que la traduction de la Bible en langue maternelle est une invention des hérétiques. Probablement, à cause d'une faible connaissance de la genèse de l'hérésie dualiste médiévale, M. Deanesly impute prioritairement ces tendances aux vaudois. C'est l'occasion pour les chercheurs bulgares de corriger cette inexactitude et de jeter la lumière sur la présence bulgare dans la création et la diffusion de la littérature chrétienne populaire sur le vieux con­tinent.

Une conclusion logique s'impose: de toute évidence le "Bogomilisme" dépasse les fonctions de la simple littérature bibliographique. En effet, le livre peut être examiné comme une étude approfondie comportant ses propres conceptions, qui ont le mérite d'être exprimées pour la première fois. Noire opinion reprend en fait celle de feu l'académicien DimitarAngelov, qui avait rédigé de son vivant la préface détaillée du livre, intitulée "Le Bogomilisme: dimensions bulgares et européennes". A son avis, il s'agit "d'une publication scientifique précise et détaillée, d'une grande valeur, qui ne manquera pas de devenir une référence bibliographique irremplaçable, aussi bien pour les chercheurs bulgares qu'étrangers..." (p.28)

I1 serait juste de relever aussi les omissions. En réalité, il n'y a qu'un seul problème dont la responsabilité n'incombe certes pas à l'auteur. Il semble que les éditions académiques "Marin Drinov", peut-être à cause des difficultés économiques que notre pays connaît ces dernières années, aient voulu économiser le travail du correcteur en ce qui concerne les titres étrangers cités. C'est ce qui explique la présence de fautes qui n'existaient pas dans le manuscrit. Nous ne pouvons pour le moment qu'espérer que les temps changeront et feront dis­paraître de telles pratiques, surtout quand il s'agit de proposer au monde un ouvrage si riche et si utile.

Gueorgui Vassilev

 

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1Гечева, К. Й. Иванов, Библиография. С., 1994; Българската литература през Възраждането. Библиография (Българска и чужда книжнина, 1878-1983), София, 1986

2 Cf. Богданов, Ст. Спорът "Донден- Морген" по въпроса за произхода на средновековните ереси през XI век и неговото отражение в съвременната буржоазна историография (Историогр. обзор) - in: Научни изследвания на преподавателите във ВТУ "Кирил и Методий", В. Търново, 1979, 33-60 с.с.

3 G u i, B. Manuel de l'inquisiteur. Ed. et trad. par G. Mollat avec collabor. de G. Drioux. T. 1-2. Paris, Libri Champion, 1926-1927.

4 G a s t e r, M. Ilchester Lectures on Greeko-Slavonic Litеrature (and its Relation to the Folklore of Europe during the Middle Ages). London, Trubner, 1887;  Франко, I. Апокрiфи i легенди з украiнcких рукописiв, Т. 1,2, Львiв, 1896-1899.

5 D e a n e s 1 y, M. The Lollard Bible and Other Medieval Biblical Versions. Cambridge Univ. Prcss, 1920/1966.