The 8th International Milton Symposium, 7-11 June 2005, Grenoble

PHILOSOPHIE ET IMAGERIE DUALISTES DANS LES TRAITES DE JOHN MILTON

L’auto-identification pro-dualiste de  John Milton

 Beaucoup d’études sont consacrées au caractère  spécifique des vues religieuses de John Milton. Nous pouvons citer la production la plus récente. A. Nuttall dans son livre « The Alternative Trinity : Gnostic Heresy in Marlowe, Milton and Blake » (1998) se sert du terme quasi-gnostique1, le recueil « Milton and Heresy » (1998), composé par St. Dobranski et J. Rumrich, y ajoute « hors de doute arminianism… mélangé avec des vestiges calvinistes ». Le titre de N. Forsyth, dédié au « Paradise Lost » - « The Satanic Epic » (2002) aussi accentue l’aspect non orthodoxe de la théologie de Milton. Son ouvrage commence par la phrase : « Paradis Perdu n’est pas un poème orthodoxe et il a besoin d’être sauvé de ses critiques orthodoxes. »3

Cetrains auteurs ont approché par intuition la présence de la philosophie dualiste dans le poème de Milton sans la nommer directement. Des idées pareilles ont été énoncées au 19ème siècle dans le livre de S. Gurteen « L’Epopée de la chute de l’homme. Etude comparée sur Cædmon, Dante and Milton4. Hugh White5 a supporté la these d’Arthur Lovejoy

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1 Nuttall, A. The Alternative Trinity: Gnostic Heresy in Marlowe, Milton and Blake. Oxford, 1998, p. 127
2  Milton and Heresy. Cambridge, NY, CUP. 1998, p.1, p.94
3 Paradise Lost is not an orthodox poem and it needs to be rescued from its orthodox critics. Forsyth, N. The Satanic Epic. Princeton University Press. 2002, p.I
4 Gurteen, S. H. The Epic of the Fall of Man. (A comparative study on Caedmon, Dante and Milton.) New York. 1896.
5White, H. Langland, Milton and felix culpa. – In: The Review of English Studies. 1994. V. 45, No.179 p.1


formulé dans son article  il y a 50 ansMilton et le paradoxe de la chute fortunée” (Milton and the Paradox of the Fortunate Fall,1937). Hugh White se sert de l’expression: la  participation de  Milton en une tradition ancienne d’après laquelle la Chute est une felix culpa, un événement finalement heureux, puisqu’il rapporte plus du bien que nous aurions eu sans lui. »1 Cependant cette « tradition ancienne » reste sans l’explication due. Nous pouvons encore énumérer d’autres recherches, d’autres trouvailles partielles, d’autres analogies vagues. Il ne faut pas omettre les efforts  de Maurice Kelley, l’un des miltonistes les plus éminents du XX-ème siècle, encore éditeur “De Doctrina Christiana”, aussi les publications de Barbara Lewalski.2

            Mais ne vaut-il pas mieux  de remplacer la recherche intuitive en répondant à deux questions concrètes :

-quelles sont les sources historiques de cette hérésie,

-quelles sont ses expressions directes dans les traités de John Milton ?

            Notre travail deviendra plus productif quand les faits seront jugés d’une précision sociologique. Encore il ne faut pas négliger les auto-définitions du poète, lui-même, plutôt faudrait-il commencer par là. Elles sont présentes  en « Areopagitica » et en ΕIΚΟNOKΛΑΣΤΗΣ où le poète tout en rejetant l’institution épiscopale comme superflue, annonce sa sympathie et admiration pour les églises hérétiques des vaudois et des cathares : « J’ajoute que plusieurs églises, éminentes par sa foi et par ses bonnes œuvres, établies il y a plus de quatre cents d’années en France, en Piémont et en Bohême, ont enseigné et pratiqué la même Doctrine sans admettre l’épiscopat en elles. …j’ai trouvé dans un livre, écrit il y a presque quatre cents ans et lié avec l’histoire de la Bohême, que ces églises  en Piémont ont tenu la même Doctrine et organisation, après le temps de Constantine, qui avec ses mauvaises

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1Ibidem, p.336
2Quotation d’après “Studies in English Literature” (Vol. 32, Winter 1992), articles de Barbara Lewalski, Christopher Hill, Maurice Kelley

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donations avait empoisonné Silvestre et toute l’Eglise. »1

Cette citation est une preuve que John Milton a travaillé avec des manuscrits hérétiques, qu’il connaissait l’histoire des églises, dites hérétiques, et que ces connaissances provenait des documents originaux. Il a mentionné par son nom l’Eglise vaudoise et indirectement l’Eglise cathare, parlant de l’Eglise de France. Encore il cite l’Eglise de Bohême, c’est-à-dire l’Eglise hussite.De cette manière le poète en son rôle de réformateur d’église a instauré une liaison, une continuité entre la Réformation anglaise et les vaudois, n’oubliant d’ajouter l’influence des cathares, l’affiliation des hussites. Une nouvelle face de cet auteur est devant nous – celle d’un historien audace, mais basé sur des réalités. Ses observations sont sans doute actuelles aujourd’hui, des observations qu’une grande partie des médiévistes contemporains ne sont pas préparés d’adopter.

Par le respect particulier qu’il porte pour John Wycliffe, Milton dévoile une autre source d’idées importante. De cette façon il trace un contexte intégral, embrassant vaudois, cathares, hussites et Wycliffe (cela veut dire aussi les lollards). Son affinité pour l’héritage de Wycliffe est nettement exprimée. « Areopagitica » indique Wycliffe et Hus comme les initiateurs du premier conflict important avec la papauté.2 Encore il place Wycliffe au fond de la Réforme anglaise, cela veut dire qu’il se déclare lui-même en tant que son continuateur : « des sermons de Wycliffe tous les réformateurs suivant ont en effet allumés leurs chandelles. »3 Il profère une vraie apologie de Wycliffe, en le proclamant d’être au

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1 I add that many Western Churches Eminent for their Faith and good Works, and settl’d above four hundred Years ago in France , in Piemont and Bohemia , hath both taught and practis’d the same Doctrine, and not admitted of Episcopacy among them. And if we may believe what the Papists themselves have Written of these Churches, which they call Waldenses, I found in a Book Written almost four hundred Years since, and set forth in the Bohemian History, that those Churches in Piemont have held the same Doctrine and Government, since the time that Constantine with his mischievous Donations poyson’d Silvester and the whole Church. –in: Milton, J. ΕIΚΟNOKΛΑΣΤΗΣ  in Answer to a Book Intitul’d ΕIΚΟNOΒΑΣΙΛΙΚΗ the Portracture of His Sacred Majesty King Charles the First in His Solitudes and Sufferings. Amsterdam. 1690, p.136  
2 …for about that time Wiclef and Husse growing terrible, were they who first drove the Papal court in a stricter policy of prohibition - in: Areopagitica; A Speech of Mr. John Milton for the Liberty and Vnlicenc’d Printing, to the Parliament of England. London. 1644, p.7
3…although indeed our Wicliff’s preaching at which all the succeeding reformers more effectually lighted their tapers. - in: Of the Reformation in England and the Causes That Hitherto Have Hindered it. In Two Books. – In: Areopagitica and Other Prose Works of John Milton. London, New York, Toronto. 1927, p.58.
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l’origine de la Réformation européenne. Selon Milton une réalisation plus heureuse de l’œuvre  de Wycliffe en l’île aurait déclenché une gloire et reconnaissance pour Angleterre, aurait fait de ce pays le centre de la Réformation de l’Europe entière : «Si n’était pas l’obstination  perverse de nos prélats contre l’esprit divin et admirable de Wiclef – leur obstination de le supprimer comme schismatique et innovateur, peut-être ni Husse et Jerome de Bohême, ni les noms de Luther ou bien de Calvin seraient connus. Nous aurions la gloire entière d’avoir réformé tous nos voisins.”1 Il est bien difficile de se servir de l’expression quod erat demonstratum (QED) dans les sciences sociales et humanitaires, mais en ce cas nous oserons de le faire, parce que nous somme en possession de l’auto-identification  de John Milton avec l’esprit et la pratique des églises hérétiques, avec le legs de Wycliffe. Et ce quelle est catégorigue cette auto-identification !  - Milton glorifie « l’esprit divin et admirable de Wiclef ». C’est l’une des éloges les plus fortes dispensées par Milton à ses compatriotes. Cela signifie que le lien de parenté spirituelle Wycliffe-Milton, que seul W. Summers2 désigne, révèle une racine essentielle de l’idéologie spécifique miltonienne.

            Plus qu’on avance dans cette matière, les preuves se multiplient. Une culmination de cet engagement aux mouvements hérétiques, cette fois complètement ouverte et passionée, est son poème « Sur  le massacre récent au Piémont ». Pendant les repressailles catholiques cruelles contre les vaudois en 1655 au Piémont, le poète a dénoncé ce crime en son poème, écrit l’année même :


Fais ta justice, o Dieu, pour tes ses saints égorgés, dont les os
sont dispersés sur les montagnes froides  des Alpes.
Tous ceux, qui supportaient ta vérité si pure depuis longtemps,
tandis que nos pères adoraient des objets inanimés – ne les oublie pas.
Ecris leur gémissements dans ton livre…3
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1 Areopagitica: A Speech of Mr. John Milton for the Liberty and Unlicenc’d Printing to the Parliament of England. London. 1644, p. 31. Voire aussi: Animadversions Upon Remomontrant’s Defense Against Smectymnuus – in: Prose Works. Vol.III. London. 1883, p.92 Milton reconnaît l’influence des réformateurs européens en Angleterre, tout en gardant un effort de ne pas négliger  la contribution propre de la Réformation anglaise:“we have looked so long upon the blaze that Zuinglius and Calvin hat beaconed up to us, that we are stark blind. –in: Areopagitica, p.31
2 Summers, W. Our Lollard Ancestors. London. MCMIV-1904, p. 29. Comparées à Summers, les autres auteurs, admettants une relation Wycliffe-Milton, sont beaucoup plus hésitants. In 1977 A. L. Rowse mentioned a possible Wyclifitte influence in his book titled Milton the Puritan. Portrait of a Mind (University Press of America).
3Milton, J.  Avenge O lord thy slaughter’d saints, whose bones/ Lie scatter’d on the Alpine mountains cold/ Ev’n them who kept thy truth so pure of old/ When all our fathers worshipp’d stok and stones/ Forget not: in thy book record their groans…3 On the Late Massacre in Piedmont. – In: Selected Shorter Poems and Prose. London, New York, 1988/9, p.137

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Certains spécialistes des hérésies médiévales pourraient objecter que les victimes au Piémont ont été des vaudois, par conséquent le poète s’est déclaré ami d’une Eglise qui n’est pas dualiste. Les choses prennent un aspect plus différent, si nous nous adressons de nouveau aux faits. Il semble que Milton fait sa distinction entre les vaudois et les cathares. Oui, il est  défenseur d’une Eglise où le Verbe de Dieu sera prêché en langue vernaculaire, l’Evangile sera dans les mains des croyants  et on n’aura aucun besoin des évêques. C’est l’usage commun des vaudois et des cathares et pour être fidèle à la vérité, il faut préciser, que les cathares ont traduit premiers le Nouveau Testament en provençal avant Valdo, que plutôt c’est Valdo, qui prête et adopte pour sa communauté le modèle de l’Eglise cathare. Cette vue d’organisation, plutôt de la réorganisation de l’Eglise, propre aux cathares et aux vaudois, devient une ligne de développment dans l’histoire de la Réformation anglaise, visible dans la vie et l’activité de Wycliffe (et lollards), Tyndale et Milton. Seulement Milton y ajoute des arguments strictement dualistes, dont la quantité est abondante. Par exemple dans le poème, déjà cité il dit “when all our fathers worshipp’d stok nad stones », ce qui est la locution connue des lollards, les dualistes anglais, qui, suivant les croyances bogomilo-cathares,  niaient par ces mots les icones.1 Encore il confesse de sa manière le principe fondamental du dualisme, selon lui lié  avec « …la connaissance du bien et du mal, on dirait deux jumeaux, collés l’un à l’autre, surgis dans ce monde.”2(Areopagitica, 1644). C’est une résonance presque complète avec le concept primordial des cathares, enregistré par le fameux inquisiteur Bernard Gui : « La secte, l’hérésie et les partisans dévoyés des Manichéens reconnaissent et

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1Expression, mise par écrit au 8 août, l’an 1511, au procès contre les lollards de Kent. Heresy Proceedings 1511-12. Edited by N. Tanner. Kent. 1997, p. 85. Sur la base d’une étude comparée (Bogomils and Lollards. Dualistic motives in England during the Middle Ages – in: Etudes Balkaniques, 1/1993) je décris la parenté entre cathares et lollards.
2 the knowledge of good and evil, as two twins cleaving together, leaped forth into the world – in:  Areopagitica and other Prose Works by John Milton. London, New York. 1927, p. 13  

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confessent deux Dieux ou deux Seigneurs, à savoir un Dieu bon et un Dieu mauvais. »1

            Les comparaisons pourraient être plus détaillées. La négation des icônes et de la croix est un trait connu des dualistes. Voilà  le témoignage d’ Euthymius Zigabenus dans Panoplia dogmatica (11-éme siècle): « Ils méprisent les saintes icônes et les appellent des idoles des païens, argent et or, fabrication des mains humaines. »2 La formule «  fabrication des mains humaines »est enregistrée au procès contre les lollards de Kent, pendant les années1511-12.3 Milton aussi attaque les icônes, les définit d’être des idoles (images and idols), qualifie le fait de leur adoration comme déviation du vrai devoir chrétien. Il écrit : « Des pierres, de colonnes et des crucifixions reçoivent maintenant l’honneur et l’aumône qui sont dûs au membres vivants de la communauté de Jésus… »4 Le poète rejette les louanges icôniques avec excès, offertes à  Jésus, « colporté comme un idole horrible ».5 Il fait preuve d’une approfondie de l’histoire parce qu’il renforce son attitude iconoclaste par les actes des empéreurs byzantins iconoclastes Léon III (gouvernant pendant les années 717-741) et Constantine V Copronime (au pouvoir les années 741-775). C’est une maîtrise de  revenir  sur le terrain de l’histoire de l’Eglise officielle, pour en extraire des précédents soutenants la thèse dualiste, d’ailleurs finissante par une satisfaction émotionnelle évidente que

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1 Manicheorum itaque secta et heresies et ejus devii sectatores duos Deos aut duos Dominos asserunt and fatentur, benignum Deum videlicet et malignum… - In: Gui, B. Manuel de l’inquisiteur. T.I. Paris, 1926. p.10
2Άτιμάζουσι και τας σεβασμίος εικονας,  ταε ιδωλα λέγοντες των εθνων, αρύριον και χρυσιον, έργα χειρων ανθρπωων. In:Euthymii Zigabeni de haeresi bogomilorum narratio. – In: Ficker, G. Die Phundagiagiten. Leipzig.1908, p. 97
3…made with many hands. In:Heresy Proceedings 1511-12. Edited by N. Tanner. Kent. 1997, p. 85
4…stones, and pillars and crucifixes, have now the honour and the alms due to Christ’s living members. –In: Of the Reformation in England and the Causes That Hitherto Have Hindered It. In Two Books – In: Areopagitica and Other Prose Works of John Milton. London , New York , Toronto , 1927, p.66
5…pageanted about like a dreadful idol - ibidem,  p. 57
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ces empereurs byzantins « ont écrasé toutes les icônes du préjudice ».1

            Un vestige du dualisme ressort dans l’opinion compliquée et distante de Milton à l’égard de la croix. L’objection des bogomiles contre la croix est bien connue, citons prêtre  Cosmas :…ils parlent de la croix de cette manière: comment la vénérer ? Parce que le juifs ont crucifié sur elle le fils de Dieu, elle est très détestable à Dieu.”2 On retrouve cette exclamation bogomile transplantée chez les lollards anglais – le couturier William Hardy de Mundham exprime le même sentiment: «…et encore on ne doit pas aucune vénération à la croix, pas plus qu’au gibet auquel un homme est pendu. »3 Le prêtre bulgare Cosmas dans sa polémique contre les bogomiles nous rappelle aussi que  les hérétiques « coupent les croix et en font des outils. »4 Milton de nouveau témoigne une compétence remarquable en histoire en nous signalant qu’il est au courant des actions vulgaires pareilles (enormities) en Angleterre et son information est évidemment l’une des plus ancienne sur la pratique des lollards.5 Les mêmes manifestations lollardiennes sont documentées par le tribunal qui juge les lollards à Norwich. L’un des accusés proclame que « toutes les icônes doivent être détruites et refoulées ».6

            Le poète évite des opinions pareilles extrêmes, il transforme la négation dualiste de la croix en une critique plus au moins rationaliste contre l’adoration aveugle de la croix, qui était propre des habitudes de la vie ecclésiastique avant la Réformation. Il avertit qu’une vénération exagérée de la croix pourrait devenir un préjudice. 7 Selon lui un cas pareil est le moment du baptême, quand le prêtre « gratte » de manière mécanique une croix sur le front

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1broke all superstitious images to pieces – in: ΕIΚΟNOKΛΑΣΤΗΣ, p.135
2Ïðåçâèòåð Êîçìà. Áåñåäà ïðîòèâ áîãîìèëèòå – in: Ñòàðà áúëãàðñêà ëèòåðàòóðà 2. Ñîôèÿ. 1982, p.34
3 and no more worship ne reverence oweth be do to the crosee than oweth be do to the galwes whiche men be hanged on.  in: Tanner, N. Heresy Trials in the Diocese of Norwich , 1428-31. London.1977, p.154
4 Ïðåçâèòåð Êîçìà, Op. cit, p.33
5 ΕIΚΟNOKΛΑΣΤΗΣ, p.153
6 all ymages owyn to be destroyed and do away  - in: Heresy Trials.., p.86
7 Of the Reformation in England , p.69
 

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de l’enfant.1 Il décoche une flèche aussi contre Constantine et Hélène, percevant comme acte de fétichisme le fait, que l’on a fixé un des clous, trouvés de la crucifixation de Jésus, sur l’heaume de Constantine ou sur la bride son cheval en guise d’amulette.2 Finalement il ne croit pas que la découverte de la croix de Jésus, accomplie par Constantine et Hélène est un exploit. Cette distance miltonienne envers la croix est confirmée et par ses mots, que si cette détection était vraiment importante, elle aurait été faite encore par les disciples du Christ.3

            Une autre influence dualiste évidente sont les expressions, employées par Milton « bons hommes » (good men), plus particulièrement  « bons hommes et saints (good men and Saints)4, « milliers de bons hommes » (thousands of good men)5. Dans la structure des bogomiles, des cathares et des lollards c’est le nom de leurs leaders, autrement appelés « les parfaits ». Le contexte dualiste est confirmé par l’opposition « good men » - « l’évêché » et par le langage mordant, adressé à l’Eglise officielle. Tandis que les cathares qualifie leur Eglise comme « l’Eglise bonne », comme « l’Eglise de Jésus-Christ », il traitent l’Eglise catholique en « mère de fornications, grande Babylone, courtisane et basilique de diable, synagogue de Satan. »6 Par des mots enflamés pareils se sert quatre cents ans plus tard Milton, en attaquant les évêques : « Ils ne sont pas des évêques. Dieu et tous les bons hommes  (cursive –G.V.) savent qu’ils ne le sont pas ; ils ont rempli cette terre de confusion et de violence, ils sont une bande et une corporation  d’imposteurs, qui sous ce nom a trompé et

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1 Ibidem, p.57
2 Ibidem, p.69  
3 Ibidem
4 The Reason of Church Government Urged against Prelaty – in: Milton Prose. Oxford,
London, New York, Toronto. 1931/1949, p.108
5 Ibidem, p. 97.
6 Gui, B. Manuel de l’inquisiteur. Tom I. Paris. 1926, p.10

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aveuglé le monde si longtemps. »1       

            John Milton et le transfer des manuscrits vaudois-cathares

            Notre liste des preuves et des analogies pourrat-être largement augmentée. Mais il est temps de poser une autre question – est-ce qu’il est possible d’indiquer des contacts réels, documentés de Milton avec des traditions, des fonds de l‘hérésie dualiste et ses ramifications ? Puisqu’il exalte le nom de Wycliffe et surtout son activité réformatrice, nous devrions accepter les œuvres de John Wycliffe, son héritage comme source importante, bien connue au poète. Naturellement le problème d’une detaillisation reste ouvert. Donc, c’était le fond local, une accumulation des idées dualistes sur le sol anglais. Mais il y a encore une autre aventure passionante, plus ouverte, plus saillante, qui mérite d’être présentée, plutôt rappelé au public miltonien. Revenons au moment où Milton écrit son poème exclamation« Sur  le massacre récent au Piémont » (1655). On sait bien que Cromwell a accompli et intensive campagne diplomatique de grande envergure pour arrêter les persécutions contre vaudois au Piémont et à cause de cela il a été appelé « capo e prottetore » du protestantisme dans certaines relations vénétiennes à citer le très compétent auteur russe du 19ème siècle sur le catharisme Nikolay Osokin 2. Les documents de cette action ont été préparés par le secrétaire des langues étrangères (Latin secretary) Milton, il existe même une estampe du 19 ème  siècle, intitulée « O. Cromwell et J. Milton protestant contre le massacre des vaudois » (O. Cromwell and J. Milton protesting against the massacre of the Waldensians). Samuel Morland, qui a été envoyé en Europe d’accomplir cette tâche, a réalisé encore une autre mission importante – il a reçu des mains de Jean Léger, pasteur de la vallée de Lucerne et modérateur de Piémont, une collection des manuscrits vaudois3, retransmise en  l’an 1658 à l’Université de Cambridge.  Les connaissances approfondies de Morland en cette matière sont visibles dans son livre « History of the Evangelical Churches in the Valleys of  Piedmont » (1658).

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1 They are not bishops, God and all good men know they are not, they have filled this land with late confusion and violence, but a tyrannical crew and corporation of impostors, that have blinded and abused the world so long under that name –in:  Of the Reformation in England…, p. 62.
2 Îñîêèí, Í. Èñòîðèÿ àëüáèãîéöåâ è èõ âðåìåíè. Ìîñêâà. 2000, ñ.183
3 Brenon, A. Localisation des manscrits vadois. Centro studi piemontesi. Torino. 1978, p.196  

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            Cette histoire est complétée par une révélation du 20ème siècle, cette fois par le philologue belge Théo Venckeeler, qui a découvert un texte cathare dans une collection pareille, venue en Angleterre à la même époque, cette fois celle-ci de Dublin. Il s’avère que le manuscrit, connu sous le chiffre A.6.10 (aujourd’hui MS 269) contient deux traités cathares d’origines provençale, le premier dédié à l’organisation de l’Eglise cathare, le deuxième présentant une glosse sur la prière cathare principale « Pater Noster »1. La conclusion de Théo Venckeeler est complètement confirmée par Anne Brenon (aussi Anne Joliot).2 D’ailleurs de telles mixtures des manuscrits vaudois et cathares, correspondantes aux jonctions partielles tardives des deux communautés pendant les persécutions, sont signalées par Nikolay Osokin et Jean Duvernoy.

Donc Angleterre au 16 ème  s’était munie des collections vaudois-cathares essentielles et il est logiquement de supposer que Milton en eut un contact immédiat autant qu’il était participant important dans la défence des vaudois. L’activité du trio Cromwell, Morland sur ce point-là est bien documentée.

A la fin il est nécessaire de formuler un discernement  - tout en prêtant le langage polémique des dualistes, Milton sauvegarde un respect pour certaines figures importantes de l’Eglise officielle. Son but n’est pas de créer une église entièrement conflictuelle et oppositionaire, imitante la vie clandestine des bogomiles, cathares et lollards ; il désire l’existence d’une Eglise nationale, foyer spirituel pour toute la société, mais réformée sur la pratique simplifiée des dualistes, qui d’ailleurs y reproduisent la communauté

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1 Venckeleer, T. Un recueil cathare: le manuscript A.6.10 de Dublin. Une apologie. – In: Revue Belge de Philologie et d’Histoire. t.38. 1960, pp. 815-834; Une Glose sur le Pater. – In: Revue Belge de Philologie et d’Histoire. t. 39. 1961, pp. 759-762. Venckeleer, T. Un recueil cathare: le manuscript A.6.10 de Dublin. Une apologie. – In: Revue Belge de Philologie et d’Histoire. t. 38. 1960, p. 816.
2 Joliot, A. Les livres des Vaudois. Catalogue. Ecole pratique des hautes études. V-e section – sciences religieuses. Annuaire. Tommes LXXX-LXXXI. Extraits du fascicule II, p.71

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primaire de Jésus et ses apôtres. Donc il s’agit de changer l’Eglise nationale, par adoptant l’énorme potentiel réformateur des dualistes. Cette tactique nous fait voir Milton non comme un hérétique dissimulé, mais comme réformateur radical, récupérant la modestie organisationnelle et la richesse spirituelle des communautés hérétiques. A la fin de notre étude signalons de nouveau qu’il a personnellement souligné cette continuité, qu’il s’identifie sur ce plan avec les Vaudois, en les appelant « nos premiers réformateurs » (the Waldenses, our first reformers)1, les voyant comme exemple aux presbytériens (examples to presbyterians)2. Et pourtant, pour ne pas abandonner la tradition officielle, necéssaire au édifice d’une Glise nationale, cette fois contrariant la négation de saint Pierre par les  bogomiles, cathares et lollards, il forge une union inattendue entre ce saint et les bons hommes, en disant que le titre de la vraie prêtrise  est donnée « aux hommes de Dieu » par saint Pierre. C’est-à-dire, il arrive à mettre les “bons hommes” sous la protection du saint, de donner l’exemple de la réconciliation entre la forme officielle et la pratique dualiste.

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1Milton, J. Considerations Touching the Likeliest Means to Remove Hirelings out of the Chirch  -in Prose Works. Vol.III. London. 1883, p.32  
2Milton, J. The Tenure of Kings and Magistrates, p.27  

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A la fin il est nécessaire de formuler un discernement  - tout en prêtant le langage polémique des dualistes, Milton sauvegarde un respect pour certaines figures importantes de l’Eglise officielle. Son but n’est pas de créer une église entièrement conflictuelle et oppositionaire, imitante la vie clandestine des bogomiles, cathares et lollards ; il désire l’existence d’une Eglise nationale, foyer spirituel pour toute la société, mais réformée sur la pratique simplifiée des dualistes, qui d’ailleurs y reproduisent la communauté primaire de Jésus et ses apôtres. Donc il s’agit de changer l’Eglise nationale, par adoptant le potentiel réformateur des dualistes. Cette tactique nous fait voir Milton non comme un hérétique dissimulé, mais comme réformateur radical. Et pour être en contact avec la tradition officielle, cette fois contrariant la négation de saint Pierre par les  bogomiles, cathares et lollards, il forge une union inattendue entre ce saint et les bons hommes, en disant que le titre de la vraie prêtrise  est donnée « aux hommes de Dieu » par saint Pierre. C’est-à-dire il arrive à mettre l’exemple et la pratique des “bons hommes” sous la protection du saint.

 

 

 

 

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