The 8th International Milton Symposium, 7-11 June 2005, Grenoble
PHILOSOPHIE ET IMAGERIE
DUALISTES DANS LES TRAITES DE JOHN MILTON
L’auto-identification
pro-dualiste de John Milton
Cetrains
auteurs ont approché par intuition la présence de la philosophie
dualiste dans le poème de Milton sans la nommer directement. Des idées
pareilles ont été énoncées au 19ème siècle
dans le livre de S. Gurteen « L’Epopée de la chute de l’homme.
Etude comparée sur Cædmon, Dante and Milton”4.
Hugh White5 a
supporté la
these
d’Arthur Lovejoy
----------------
1
Nuttall, A. The Alternative Trinity: Gnostic Heresy in Marlowe, Milton
and Blake. Oxford, 1998, p. 127
2
3
“Paradise
Lost is not an orthodox poem and it needs to be rescued from its orthodox
critics.” Forsyth,
N. The Satanic Epic. Princeton University Press. 2002,
p.I
4
Gurteen, S. H. The Epic of the Fall of Man. (A comparative study on Caedmon,
Dante and Milton.) New York. 1896.
5White,
H. Langland, Milton and felix culpa. – In: The Review of English Studies.
1994. V. 45, No.179
formulé
dans son
article
il y
a 50 ans
“Milton et le
paradoxe de
la chute
fortunée”
(Milton and the Paradox of the Fortunate Fall,1937). Hugh White se sert
de l’expression: “la participation de Milton en une tradition
ancienne d’après laquelle la Chute est une felix culpa, un événement
finalement heureux, puisqu’il rapporte plus du bien que nous aurions eu sans
lui. »1 Cependant cette « tradition ancienne » reste sans
l’explication due. Nous pouvons encore énumérer d’autres
recherches, d’autres trouvailles partielles, d’autres analogies vagues. Il
ne faut pas omettre les efforts de
Maurice Kelley, l’un des miltonistes les plus éminents du XX-ème
siècle, encore éditeur “De Doctrina Christiana”, aussi les
publications de Barbara Lewalski.2
Mais ne vaut-il pas mieux de
remplacer la recherche intuitive en répondant à deux questions
concrètes :
-quelles
sont les sources historiques de cette hérésie,
-quelles
sont ses expressions directes dans les traités de John Milton ?
Notre travail deviendra plus productif quand les faits seront jugés
d’une précision sociologique. Encore il ne faut pas négliger les
auto-définitions du poète, lui-même, plutôt
faudrait-il commencer par là. Elles sont présentes en
« Areopagitica » et en ΕIΚΟNOKΛΑΣΤΗΣ
où le poète tout en rejetant l’institution épiscopale
comme superflue, annonce sa sympathie et admiration pour les églises hérétiques
des vaudois et des cathares : « J’ajoute que plusieurs églises,
éminentes par sa foi et par ses bonnes œuvres, établies il y
a plus de quatre cents d’années en France, en Piémont et en Bohême,
ont enseigné et pratiqué la même Doctrine sans admettre l’épiscopat
en elles. …j’ai trouvé dans un livre, écrit il y a presque
quatre cents ans et lié avec l’histoire de la Bohême, que ces
églises en Piémont ont
tenu la même Doctrine et organisation, après le temps de
Constantine, qui avec ses mauvaises
--------------
p.2
donations
avait empoisonné Silvestre et toute l’Eglise. »1
Cette citation
est une preuve que John Milton a travaillé avec des manuscrits hérétiques,
qu’il connaissait l’histoire des églises, dites hérétiques,
et que ces connaissances provenait des documents originaux. Il a mentionné
par son nom l’Eglise vaudoise et indirectement l’Eglise cathare, parlant de
l’Eglise de France. Encore il cite l’Eglise de Bohême, c’est-à-dire
l’Eglise hussite.De cette manière le poète en son rôle de
réformateur d’église a instauré une liaison, une
continuité entre la Réformation anglaise et les vaudois,
n’oubliant d’ajouter l’influence des cathares, l’affiliation des
hussites. Une nouvelle face de cet auteur est devant nous – celle d’un
historien audace, mais basé sur des réalités. Ses observations
sont sans doute actuelles aujourd’hui, des observations qu’une grande partie
des médiévistes contemporains ne sont pas préparés
d’adopter.
Par le respect
particulier qu’il porte pour John Wycliffe, Milton dévoile une autre
source d’idées importante. De cette façon il trace un contexte
intégral, embrassant vaudois, cathares, hussites et Wycliffe (cela veut
dire aussi les lollards). Son affinité pour l’héritage de
Wycliffe est nettement exprimée. « Areopagitica » indique
Wycliffe et Hus comme les initiateurs
du premier conflict important avec la papauté.2 Encore il place Wycliffe
au fond de la Réforme anglaise, cela veut dire qu’il se déclare
lui-même en tant que son continuateur : « des sermons de
Wycliffe tous les réformateurs suivant ont en effet allumés leurs
chandelles. »3 Il profère une vraie apologie de Wycliffe, en le
proclamant d’être au
--------------
1
I add that many Western Churches Eminent for
their Faith and good Works, and settl’d above four hundred Years ago in
2
…for about that time Wiclef and Husse growing terrible, were they who first
drove the
Papal
court in a stricter policy of prohibition - in: Areopagitica; A Speech of Mr.
John
Milton
for the Liberty and Vnlicenc’d Printing, to the Parliament of England. London.
1644,
p.7
3…although
indeed our Wicliff’s preaching at which all the succeeding
l’origine de la Réformation européenne. Selon Milton une réalisation
plus heureuse de l’œuvre de
Wycliffe en l’île aurait déclenché une gloire et
reconnaissance pour Angleterre, aurait fait de ce pays le centre de la Réformation
de l’Europe entière : «Si n’était pas l’obstination
perverse de nos prélats contre l’esprit divin et admirable de
Wiclef – leur obstination de le supprimer comme schismatique et innovateur,
peut-être ni Husse et Jerome de Bohême, ni les noms de Luther ou
bien de Calvin seraient connus. Nous aurions la gloire entière d’avoir
réformé tous nos voisins.”1 Il est bien difficile de se servir
de l’expression quod erat demonstratum (QED) dans les sciences sociales et
humanitaires, mais en ce cas nous oserons de le faire, parce que nous somme en
possession de l’auto-identification de
John Milton avec l’esprit et la pratique des églises hérétiques,
avec le legs de Wycliffe. Et ce quelle est catégorigue cette
auto-identification ! - Milton glorifie « l’esprit divin et
admirable de Wiclef ». C’est l’une des éloges les plus fortes
dispensées par Milton à ses compatriotes. Cela signifie que le
lien de parenté spirituelle Wycliffe-Milton, que seul W. Summers2
désigne, révèle une racine essentielle de l’idéologie
spécifique miltonienne.
Plus qu’on avance dans cette matière, les preuves se
multiplient. Une culmination de cet engagement aux mouvements hérétiques,
cette fois complètement ouverte et passionée, est son poème
« Sur le massacre récent
au Piémont ». Pendant les repressailles catholiques cruelles contre
les vaudois en 1655 au Piémont, le poète a dénoncé
ce crime en son poème, écrit l’année même :
Certains
spécialistes des hérésies médiévales
pourraient objecter que les victimes au Piémont ont été des
vaudois, par conséquent le poète s’est déclaré ami
d’une Eglise qui n’est pas dualiste. Les choses prennent un aspect plus différent,
si nous nous adressons de nouveau aux faits. Il semble que Milton fait sa
distinction entre les vaudois et les cathares. Oui, il est défenseur
d’une Eglise où le Verbe de Dieu sera prêché en langue
vernaculaire, l’Evangile sera dans les mains des croyants
et on n’aura aucun besoin des évêques. C’est l’usage
commun des vaudois et des cathares et pour être fidèle à la
vérité, il faut préciser, que les cathares ont traduit
premiers le Nouveau Testament en provençal avant Valdo, que plutôt
c’est Valdo, qui prête et adopte pour sa communauté le modèle
de l’Eglise cathare. Cette vue d’organisation, plutôt de la réorganisation
de l’Eglise, propre aux cathares et aux vaudois, devient une ligne de développment
dans l’histoire de la Réformation anglaise, visible dans la vie et
l’activité de Wycliffe (et lollards), Tyndale et Milton. Seulement
Milton y ajoute des arguments strictement dualistes, dont la quantité est
abondante. Par exemple dans le poème, déjà cité il
dit “when all our fathers worshipp’d stok nad stones », ce qui est la
locution connue des lollards, les dualistes anglais, qui, suivant les croyances
bogomilo-cathares, niaient par ces
mots les icones.1 Encore il confesse de sa manière le principe
fondamental du dualisme, selon lui lié
avec « …la connaissance du bien et du mal, on dirait deux
jumeaux, collés l’un à l’autre, surgis dans ce monde.”2(Areopagitica,
1644).
C’est une résonance
presque complète avec le concept primordial des cathares, enregistré
par le fameux inquisiteur Bernard Gui : « La secte, l’hérésie
et les partisans dévoyés des Manichéens reconnaissent et
--------------
1Expression,
mise par écrit au 8 août, l’an 1511, au procès contre les
lollards de Kent. Heresy Proceedings 1511-12. Edited by N. Tanner. Kent.
1997, p. 85. Sur la base
d’une étude comparée (Bogomils
and Lollards. Dualistic motives in
2
…the
knowledge
of good and evil, as two twins
cleaving together, leaped
forth into the world – in:
Areopagitica
and other Prose Works by John Milton. London, New York. 1927, p. 13
p.5
confessent
deux Dieux ou deux Seigneurs, à savoir un
Dieu bon et un Dieu mauvais. »1
Les comparaisons pourraient être plus détaillées. La
négation des icônes et de la croix est un trait connu des
dualistes. Voilà le témoignage
d’ Euthymius
Zigabenus
dans
--------------
Un vestige du dualisme ressort dans l’opinion compliquée et
distante de Milton à l’égard de la croix. L’objection des
bogomiles contre la croix est bien connue, citons prêtre
Cosmas :…ils parlent de la croix de cette manière: comment
la vénérer ? Parce que le juifs ont crucifié sur elle
le fils de Dieu, elle est très détestable à Dieu.”2 On
retrouve cette exclamation bogomile transplantée chez les lollards
anglais – le couturier William Hardy de Mundham exprime le même
sentiment: «…et encore on ne doit pas aucune vénération
à la croix, pas plus qu’au gibet auquel un homme est pendu. »3 Le prêtre
bulgare Cosmas dans sa polémique contre les bogomiles nous rappelle aussi
que les hérétiques
« coupent les croix et en font des outils. »4 Milton de nouveau témoigne
une compétence remarquable en histoire en nous signalant qu’il est au
courant des actions vulgaires pareilles (enormities)
en Angleterre et son information est évidemment l’une des plus ancienne
sur la pratique des lollards.5 Les mêmes manifestations lollardiennes sont
documentées par le tribunal qui juge les lollards à Norwich.
L’un des accusés proclame que « toutes les icônes
doivent être détruites et refoulées ».6
Le poète évite des opinions pareilles extrêmes, il
transforme la négation dualiste de la croix en une critique plus au moins
rationaliste contre l’adoration aveugle de la croix, qui était propre
des habitudes de la vie ecclésiastique avant la Réformation. Il
avertit qu’une vénération exagérée de la croix
pourrait devenir un préjudice. 7 Selon lui un cas pareil est le moment du
baptême, quand le prêtre
« gratte » de manière mécanique une croix sur le front
--------------
p.7
de
l’enfant.1 Il décoche une flèche aussi contre Constantine et Hélène,
percevant comme acte de fétichisme le fait, que l’on a fixé un
des clous, trouvés de la crucifixation de Jésus, sur l’heaume de
Constantine ou sur la bride son cheval en guise d’amulette.2 Finalement il ne
croit pas que la découverte de la croix de Jésus, accomplie par
Constantine et Hélène est
un exploit. Cette distance miltonienne envers la croix est confirmée et
par ses mots, que si cette détection était vraiment importante,
elle aurait été faite encore par les disciples du Christ.3
Une autre influence dualiste évidente sont les expressions, employées
par Milton « bons hommes » (good men), plus particulièrement « bons
hommes et saints (good men and Saints)4, « milliers de bons hommes »
(thousands of good men)5. Dans la structure des bogomiles, des cathares et des
lollards c’est le nom de leurs leaders, autrement appelés « les
parfaits ». Le contexte dualiste est confirmé par l’opposition
« good men » - « l’évêché » et par
le langage mordant, adressé à l’Eglise officielle. Tandis que
les cathares qualifie leur Eglise comme « l’Eglise bonne », comme
« l’Eglise de Jésus-Christ »,
il traitent l’Eglise catholique en « mère de fornications, grande
Babylone, courtisane et basilique de diable, synagogue de Satan. »6
Par des mots enflamés
pareils se sert quatre cents ans plus tard Milton, en attaquant les évêques :
« Ils ne sont pas des évêques. Dieu et tous les bons hommes (cursive
–G.V.) savent qu’ils ne le sont pas ; ils ont rempli cette terre de
confusion et de violence, ils sont une bande et une corporation
d’imposteurs, qui sous ce nom a trompé et
--------------
1
Ibidem, p.57
2
Ibidem, p.69
3
Ibidem
4
The Reason of Church Government Urged against Prelaty – in: Milton
Prose. Oxford,
London,
New York, Toronto. 1931/1949, p.108
5
Ibidem, p. 97.
6
Gui, B. Manuel de l’inquisiteur.
Tom I. Paris. 1926, p.10
aveuglé
le monde si longtemps. »1
John Milton et le transfer des manuscrits vaudois-cathares
--------------
p.9
Donc
Angleterre au 16 ème s’était
munie des collections vaudois-cathares essentielles et il est logiquement de
supposer que Milton en eut un contact immédiat autant qu’il était
participant important dans la défence des vaudois. L’activité du
trio Cromwell, Morland sur ce point-là est bien documentée.
A la fin il est nécessaire de formuler un discernement - tout en prêtant le langage polémique des dualistes, Milton sauvegarde un respect pour certaines figures importantes de l’Eglise officielle. Son but n’est pas de créer une église entièrement conflictuelle et oppositionaire, imitante la vie clandestine des bogomiles, cathares et lollards ; il désire l’existence d’une Eglise nationale, foyer spirituel pour toute la société, mais réformée sur la pratique simplifiée des dualistes, qui d’ailleurs y reproduisent la communauté
--------------
1
Venckeleer, T. Un recueil cathare: le manuscript A.6.10 de Dublin. Une
apologie. – In:
2
Joliot, A. Les livres des Vaudois. Catalogue. Ecole pratique des hautes études.
V-e section – sciences religieuses. Annuaire. Tommes LXXX-LXXXI. Extraits du
fascicule II, p.71
p.10
primaire de
p.11
A la fin il
est nécessaire de formuler un discernement
- tout en prêtant le langage polémique des dualistes, Milton
sauvegarde un respect pour certaines figures importantes de l’Eglise
officielle. Son but n’est pas de créer une église entièrement
conflictuelle et oppositionaire, imitante la vie clandestine des bogomiles,
cathares et lollards ; il désire l’existence d’une Eglise
nationale, foyer spirituel pour toute la société, mais réformée
sur la pratique simplifiée des dualistes, qui d’ailleurs y reproduisent
la communauté primaire de Jésus et ses apôtres. Donc il
s’agit de changer l’Eglise nationale, par adoptant le potentiel réformateur
des dualistes. Cette tactique nous fait voir Milton non comme un hérétique
dissimulé, mais comme réformateur radical. Et pour être en
contact avec la tradition officielle, cette fois contrariant la négation
de saint Pierre par les bogomiles,
cathares et lollards, il forge une union inattendue entre ce saint et les bons
hommes, en disant que le titre de la vraie prêtrise est
donnée « aux hommes de Dieu » par saint Pierre. C’est-à-dire
il arrive à mettre l’exemple et la pratique des “bons hommes” sous
la protection du saint.
p.12