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l'Institut National de la Langue Française (INaLF) 

[Le] mariage forcé [Document électronique] / Molière ; [éd.] 
par M. Eugène Despois [et Paul Mesnard]

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SCENE PREMIERE .
 
Sganarelle. 
Je suis de retour dans un moment. Que l' on ait bien 
soin du logis, et que tout aille comme il faut. Si l' on 
m' apporte de l' argent, que l' on me vienne querir vite 
chez le seigneur Géronimo ; et si l' on vient m' en demander, 
qu' on dise que je suis sorti et que je ne dois 
revenir de toute la journée. 
Géronimo. 
Voilà un ordre fort prudent. 
Sganarelle. 
Ah ! Seigneur Géronimo, je vous trouve à propos, et 
j' allois chez vous vous chercher.

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Géronimo. 
Et pour quel sujet, s' il vous plaît ? 
Sganarelle. 
Pour vous communiquer une affaire que j' ai en tête, 
et vous prier de m' en dire votre avis. 
Géronimo. 
Très-volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre, 
et nous pouvons parler ici en toute liberté. 
Sganarelle. 
Mettez donc dessus, s' il vous plaît. Il s' agit d' une 
chose de conséquence, que l' on m' a proposée ; et il est 
bon de ne rien faire sans le conseil de ses amis. 
Géronimo. 
Je vous suis obligé de m' avoir choisi pour cela. Vous 
n' avez qu' à me dire ce que c' est. 
Sganarelle. 
Mais auparavant je vous conjure de ne me point flatter 
du tout, et de me dire nettement votre pensée. 
Géronimo. 
Je le ferai, puisque vous le voulez. 
Sganarelle. 
Je ne vois rien de plus condamnable qu' un ami qui ne 
nous parle pas franchement. 
Géronimo. 
Vous avez raison. 
Sganarelle. 
Et dans ce siècle on trouve peu d' amis sincères. 
Géronimo. 
Cela est vrai.

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Sganarelle. 
Promettez-moi donc, seigneur Géronimo, de me parler 
avec toute sorte de franchise. 
Géronimo. 
Je vous le promets. 
Sganarelle. 
Jurez-en votre foi. 
Géronimo. 
Oui, foi d' ami. Dites-moi seulement votre affaire. 
Sganarelle. 
C' est que je veux savoir de vous si je ferai bien de 
me marier. 
Géronimo. 
Qui, vous ? 
Sganarelle. 
Oui, moi-même en propre personne. Quel est votre 
avis là-dessus ? 
Géronimo. 
Je vous prie auparavant de me dire une chose. 
Sganarelle. 
Et quoi ? 
Géronimo. 
Quel âge pouvez-vous bien avoir maintenant ? 
Sganarelle. 
Moi ? 
Géronimo. 
Oui. 
Sganarelle. 
Ma foi, je ne sais ; mais je me porte bien. 
Géronimo. 
Quoi ? Vous ne savez pas à peu près votre âge ? 
Sganarelle. 
Non : est-ce qu' on songe à cela ?

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Géronimo. 
Hé ! Dites-moi un peu, s' il vous plaît : combien aviez-vous 
d' années lorsque nous fîmes connoissance ? 
Sganarelle. 
Ma foi, je n' avois que vingt ans alors. 
Géronimo. 
Combien fûmes-nous ensemble à Rome ? 
Sganarelle. 
Huit ans. 
Géronimo. 
Quel temps avez-vous demeuré en Angleterre ? 
Sganarelle. 
Sept ans. 
Géronimo. 
Et en Hollande, où vous fûtes ensuite ? 
Sganarelle. 
Cinq ans et demi. 
Géronimo. 
Combien y a-t-il que vous êtes revenu ici ? 
Sganarelle. 
Je revins en cinquante-six. 
Géronimo. 
De cinquante-six à soixante-huit, il y a douze ans, ce

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me semble. Cinq ans en Hollande, font dix-sept ; 
sept ans en Angleterre, font vingt-quatre ; huit dans 
notre séjour à Rome, font trente-deux ; et vingt que 
vous aviez lorsque nous nous connûmes, cela fait justement 
cinquante-deux : si bien, seigneur Sganarelle, que, 
sur votre propre confession, vous êtes environ à votre 
cinquante-deuxième ou cinquante-troisième année. 
Sganarelle. 
Qui, moi ? Cela ne se peut pas. 
Géronimo. 
Mon Dieu, le calcul est juste ; et là-dessus je vous 
dirai franchement et en ami, comme vous m' avez fait 
promettre de vous parler, que le mariage n' est guère 
votre fait. C' est une chose à laquelle il faut que les jeunes 
gens pensent bien mûrement avant que de la faire ; 
mais les gens de votre âge n' y doivent point penser du 
tout ; et si l' on dit que la plus grande de toutes les folies 
est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos 
que de la faire, cette folie, dans la saison où nous 
devons être plus sages. Enfin je vous en dis nettement 
ma pensée. Je ne vous conseille point de songer au mariage ; 
et je vous trouverois le plus ridicule du monde, 
si, ayant été libre jusqu' à cette heure, vous alliez vous 
charger maintenant de la plus pesante des chaînes. 
Sganarelle. 
Et moi je vous dis que je suis résolu de me marier, 
et que je ne serai point ridicule en épousant la fille que 
je recherche. 
Géronimo. 
Ah ! C' est une autre chose : vous ne m' aviez pas dit 
cela.

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Sganarelle. 
C' est une fille qui me plaît, et que j' aime de tout mon 
coeur. 
Géronimo. 
Vous l' aimez de tout votre coeur ? 
Sganarelle. 
Sans doute, et je l' ai demandée à son père. 
Géronimo. 
Vous l' avez demandée ? 
Sganarelle. 
Oui. C' est un mariage qui se doit conclure ce soir, et 
j' ai donné parole. 
Géronimo. 
Oh ! Mariez-vous donc : je ne dis plus mot. 
Sganarelle. 
Je quitterois le dessein que j' ai fait ? Vous semble-t-il, 
seigneur Géronimo, que je ne sois plus propre à 
songer à une femme ? Ne parlons point de l' âge que je 
puis avoir ; mais regardons seulement les choses. Y 
a-t-il homme de trente ans qui paroisse plus frais et 
plus vigoureux que vous me voyez ? N' ai-je pas tous les 
mouvements de mon corps aussi bons que jamais, et 
voit-on que j' aie besoin de carrosse ou de chaise pour 
cheminer ? N' ai-je pas encore toutes mes dents, les 
meilleures du monde ? Ne fais-je pas vigoureusement 
mes quatre repas par jour, et peut-on voir un estomac 
qui ait plus de force que le mien ? Hem, hem, hem : 
eh ! Qu' en dites-vous ? 
Géronimo. 
Vous avez raison ; je m' étois trompé : vous ferez bien 
de vous marier.

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Sganarelle. 
J' y ai répugné autrefois ; mais j' ai maintenant de 
puissantes raisons pour cela. Outre la joie que j' aurai 
de posséder une belle femme, qui me fera mille caresses, 
qui me dorlotera et me viendra frotter lorsque je 
serai las, outre cette joie, dis-je, je considère qu' en 
demeurant 
comme je suis, je laisse périr dans le monde la 
race des Sganarelles, et qu' en me mariant, je pourrai 
me voir revivre en d' autres moi-mêmes, que j' aurai le 
plaisir de voir des créatures qui seront sorties de moi, 
de petites figures qui me ressembleront comme deux 
gouttes d' eau, qui se joueront continuellement dans la 
maison, qui m' appelleront leur papa quand je reviendrai 
de la ville, et me diront de petites folies les plus 
agréables du monde. Tenez, il me semble déjà que j' y 
suis, et que j' en vois une demi-douzaine autour de moi. 
Géronimo. 
Il n' y a rien de plus agréable que cela ; et je vous 
conseille de vous marier le plus vite que vous pourrez. 
Sganarelle. 
Tout de bon, vous me le conseillez ?

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Géronimo. 
Assurément. Vous ne sauriez mieux faire. 
Sganarelle. 
Vraiment, je suis ravi que vous me donniez ce conseil 
en véritable ami. 
Géronimo. 
Hé ! Quelle est la personne, s' il vous plaît, avec qui 
vous vous allez marier ? 
Sganarelle. 
Dorimène. 
Géronimo. 
Cette jeune Dorimène, si galante et si bien parée ? 
Sganarelle. 
Oui. 
Géronimo. 
Fille du seigneur Alcantor ? 
Sganarelle. 
Justement. 
Géronimo. 
Et soeur d' un certain Alcidas, qui se mêle de porter 
l' épée ? 
Sganarelle. 
C' est cela. 
Géronimo. 
Vertu de ma vie ! 
Sganarelle. 
Qu' en dites-vous ? 
Géronimo. 
Bon parti ! Mariez-vous promptement. 
Sganarelle. 
N' ai-je pas raison d' avoir fait ce choix ?

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Géronimo. 
Sans doute. Ah ! Que vous serez bien marié ! Dépêchez-vous 
de l' être. 
Sganarelle. 
Vous me comblez de joie, de me dire cela. Je vous 
remercie de votre conseil, et je vous invite ce soir à 
mes noces. 
Géronimo. 
Je n' y manquerai pas, et je veux y aller en masque, 
afin de les mieux honorer. 
Sganarelle. 
Serviteur. 
Géronimo. 
La jeune Dorimène, fille du seigneur Alcantor, avec 
le seigneur Sganarelle, qui n' a que cinquante-trois ans : 
ô le beau mariage ! ô le beau mariage ! 
Sganarelle. 
Ce mariage doit être heureux, car il donne de la joie 
à tout le monde, et je fais rire tous ceux à qui j' en parle. 
Me voilà maintenant le plus content des hommes.

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SCENE II .
 
Dorimène. 
Allons, petit garçon, qu' on tienne bien ma queue, et 
qu' on ne s' amuse pas à badiner. 
Sganarelle. 
Voici ma maîtresse qui vient. Ah ! Qu' elle est agréable ! 
Quel air ! Et quelle taille ! Peut-il y avoir un homme 
qui n' ait en la voyant des démangeaisons de se marier ? 
Où allez-vous, belle mignonne, chère épouse future 
de votre époux futur ? 
Dorimène. 
Je vais faire quelques emplettes. 
Sganarelle. 
Hé bien, ma belle, c' est maintenant que nous allons 
être heureux l' un et l' autre. Vous ne serez plus en droit

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de me rien refuser ; et je pourrai faire avec vous tout ce 
qu' il me plaira, sans que personne s' en scandalise. 
Vous allez être à moi depuis la tête jusqu' aux pieds, et 
je serai maître de tout : de vos petits yeux éveillés, de 
votre petit nez fripon, de vos lèvres appétissantes, de 
vos oreilles amoureuses, de votre petit menton joli, de 
vos petits tetons rondelets, de votre... ; enfin, toute votre 
personne sera à ma discrétion, et je serai à même 
pour vous caresser comme je voudrai. N' êtes-vous pas 
bien aise de ce mariage, mon aimable pouponne ? 
Dorimène. 
Tout à fait aise, je vous jure ; car enfin la sévérité de 
mon père m' a tenue jusques ici dans une sujétion la 
plus fâcheuse du monde. Il y a je ne sais combien que 
j' enrage du peu de liberté qu' il me donne, et j' ai cent 
fois souhaité qu' il me mariât, pour sortir promptement 
de la contrainte où j' étois avec lui, et me voir en état de 
faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement 
pour cela, et je me prépare désormais à me 
donner du divertissement, et à réparer comme il faut 
le temps que j' ai perdu. Comme vous êtes un fort galant 
homme, et que vous savez comme il faut vivre, je 
crois que nous ferons le meilleur ménage du monde ensemble, 
et que vous ne serez point de ces maris incommodes 
qui veulent que leurs femmes vivent comme des 
loups-garous. Je vous avoue que je ne m' accommoderois 
pas de cela, et que la solitude me désespère. J' aime 
le jeu, les visites, les assemblées, les cadeaux et les 
promenades, en un mot, toutes les choses de plaisir, et

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vous devez être ravi d' avoir une femme de mon humeur. 
Nous n' aurons jamais aucun démêlé ensemble, et 
je ne vous contraindrai point dans vos actions, comme 
j' espère que, de votre côté, vous ne me contraindrez 
point dans les miennes ; car, pour moi, je tiens qu' il 
faut avoir une complaisance mutuelle, et qu' on ne se 
doit point marier pour se faire enrager l' un l' autre. Enfin 
nous vivrons, étant mariés, comme deux personnes 
qui savent leur monde. Aucun soupçon jaloux ne nous 
troublera la cervelle ; et c' est assez que vous serez assuré 
de ma fidélité, comme je serai persuadée de la 
vôtre. Mais qu' avez-vous ? Je vous vois tout changé de 
visage. 
Sganarelle. 
Ce sont quelques vapeurs qui me viennent de monter 
à la tête. 
Dorimène. 
C' est un mal aujourd' hui qui attaque beaucoup de 
gens ; mais notre mariage vous dissipera tout cela. Adieu. 
Il me tarde déjà que je n' aie des habits raisonnables, 
pour quitter vite ces guenilles. Je m' en vais de ce pas 
achever d' acheter toutes les choses qu' il me faut, et je 
vous envoyrai les marchands.

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SCENE III .
 
Géronimo. 
Ah ! Seigneur Sganarelle, je suis ravi de vous trouver 
encore ici ; et j' ai rencontré un orfèvre, qui, sur le bruit 
que vous cherchez quelque beau diamant en bague pour 
faire un présent à votre épouse, m' a fort prié de vous 
venir parler pour lui, et de vous dire qu' il en a un à 
vendre, le plus parfait du monde. 
Sganarelle. 
Mon Dieu ! Cela n' est pas pressé. 
Géronimo. 
Comment ? Que veut dire cela ? Où est l' ardeur que 
vous montriez tout à l' heure ? 
Sganarelle. 
Il m' est venu, depuis un moment, de petits scrupules 
sur le mariage. Avant que de passer plus avant, je voudrois 
bien agiter à fond cette matière, et que l' on m' expliquât 
un songe que j' ai fait cette nuit, et qui vient tout 
à l' heure de me revenir dans l' esprit. Vous savez que 
les songes sont comme des miroirs, où l' on découvre 
quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me sembloit 
que j' étois dans un vaisseau, sur une mer bien agitée, 
et que... 
Géronimo. 
Seigneur Sganarelle, j' ai maintenant quelque petite 
affaire qui m' empêche de vous ouïr. Je n' entends rien

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du tout aux songes ; et quant au raisonnement du mariage, 
vous avez deux savants, deux philosophes vos 
voisins, qui sont gens à vous débiter tout ce qu' on peut 
dire sur ce sujet. Comme ils sont de sectes différentes, 
vous pouvez examiner leurs diverses opinions là-dessus. 
Pour moi, je me contente de ce que je vous ai dit tantôt, 
et demeure votre serviteur. 
Sganarelle. 
Il a raison. Il faut que je consulte un peu ces gens-là 
sur l' incertitude où je suis.

SCENE IV .
 
Pancrace. 
Allez, vous êtes un impertinent, mon ami, un homme 
bannissable de la république des lettres.

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Sganarelle. 
Ah ! Bon, en voici un fort à propos. 
Pancrace. 
Oui, je te soutiendrai par vives raisons que tu es un 
ignorant, ignorantissime, ignorantifiant et ignorantifié 
par tous les cas et modes imaginables. 
Sganarelle. 
Il a pris querelle contre quelqu' un. Seigneur... 
Pancrace. 
Tu veux te mêler de raisonner, et tu ne sais pas seulement 
les éléments de la raison. 
Sganarelle. 
La colère l' empêche de me voir. Seigneur... 
Pancrace. 
C' est une proposition condamnable dans toutes les 
terres de la philosophie.

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Sganarelle. 
Il faut qu' on l' ait fort irrité. Je... 
Pancrace. 
Toto coelo, tota via aberras. 
Sganarelle. 
Je baise les mains à monsieur le docteur. 
Pancrace. 
Serviteur. 
Sganarelle. 
Peut-on... ? 
Pancrace. 
Sais-tu bien ce que tu as fait ? Un syllogisme in 
balordo.

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Sganarelle. 
Je vous... 
Pancrace. 
La majeure en est inepte, la mineure impertinente, et 
la conclusion ridicule. 
Sganarelle. 
Je... 
Pancrace. 
Je crèverois plutôt que d' avouer ce que tu dis ; et je 
soutiendrai mon opinion jusqu' à la dernière goutte de 
mon encre. 
Sganarelle. 
Puis-je... ?

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Pancrace. 
Oui, je défendrai cette proposition, pugnis et calcibus, 
unguibus et rostro. 
Sganarelle. 
Seigneur Aristote, peut-on savoir ce qui vous met si 
fort en colère ? 
Pancrace. 
Un sujet le plus juste du monde. 
Sganarelle. 
Et quoi, encore ? 
Pancrace. 
Un ignorant m' a voulu soutenir une proposition erronée, 
une proposition épouvantable, effroyable, 
exécrable. 
Sganarelle. 
Puis-je demander ce que c' est ? 
Pancrace. 
Ah ! Seigneur Sganarelle, tout est renversé aujourd' hui, 
et le monde est tombé dans une corruption générale ; 
une licence épouvantable règne partout ; et les 
magistrats, qui sont établis pour maintenir l' ordre dans 
cet état, devroient rougir de honte, en souffrant un 
scandale aussi intolérable que celui dont je veux parler. 
Sganarelle. 
Quoi donc ? 
Pancrace. 
N' est-ce pas une chose horrible, une chose qui crie 
vengeance au ciel, que d' endurer qu' on dise publiquement 
la forme d' un chapeau ? 
Sganarelle. 
Comment ?

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Pancrace. 
Je soutiens qu' il faut dire la figure d' un chapeau, 
et non pas la forme ; d' autant qu' il y a cette différence 
entre la forme et la figure, que la forme est la disposition 
extérieure des corps qui sont animés, et la figure, 
la disposition extérieure des corps qui sont inanimés ; et 
puisque le chapeau est un corps inanimé, il faut dire la 
figure d' un chapeau et non pas la forme. Oui, ignorant 
que vous êtes, c' est comme il faut parler ; et ce sont 
les termes exprès d' Aristote dans le chapitre de la 
qualité.

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Sganarelle. 
Je pensois que tout fût perdu. Seigneur docteur, ne 
songez plus à tout cela. Je... 
Pancrace. 
Je suis dans une colère, que je ne me sens pas. 
Sganarelle. 
Laissez la forme et le chapeau en paix. J' ai quelque 
chose à vous communiquer. Je... 
Pancrace. 
Impertinent fieffé ! 
Sganarelle. 
De grâce, remettez-vous. Je... 
Pancrace. 
Ignorant ! 
Sganarelle. 
Eh ! Mon Dieu ! Je... 
Pancrace. 
Me vouloir soutenir une proposition de la sorte ! 
Sganarelle. 
Il a tort. Je... 
Pancrace. 
Une proposition condamnée par Aristote ! 
Sganarelle. 
Cela est vrai. Je...

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Pancrace. 
En termes exprès. 
Sganarelle. 
Vous avez raison. Oui, vous êtes un sot et un impudent, 
de vouloir disputer contre un docteur qui sait lire 
et écrire. Voilà qui est fait : je vous prie de m' écouter. 
Je viens vous consulter sur une affaire qui m' embarrasse. 
J' ai dessein de prendre une femme pour me tenir compagnie 
dans mon ménage. La personne est belle et bien 
faite ; elle me plaît beaucoup, et est ravie de m' épouser. 
Son père me l' a accordée ; mais je crains un peu ce que 
vous savez, la disgrâce dont on ne plaint personne ; et 
je voudrois bien vous prier, comme philosophe, de me 
dire votre sentiment. Eh ! Quel est votre avis là-dessus ? 
Pancrace. 
Plutôt que d' accorder qu' il faille dire la forme d' un 
chapeau, j' accorderois que datur vacuum in rerum natura, 
et que je ne suis qu' une bête. 
Sganarelle. 
La peste soit de l' homme ! Eh ! Monsieur le docteur, 
écoutez un peu les gens. On vous parle une heure durant, 
et vous ne répondez point à ce qu' on vous dit. 
Pancrace. 
Je vous demande pardon. Une juste colère m' occupe 
l' esprit. 
Sganarelle. 
Eh ! Laissez tout cela, et prenez la peine de m' écouter.

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Pancrace. 
Soit. Que voulez-vous me dire ? 
Sganarelle. 
Je veux vous parler de quelque chose. 
Pancrace. 
Et de quelle langue voulez-vous vous servir avec moi ? 
Sganarelle. 
De quelle langue ? 
Pancrace. 
Oui. 
Sganarelle. 
Parbleu ! De la langue que j' ai dans la bouche. Je 
crois que je n' irai pas emprunter celle de mon voisin. 
Pancrace. 
Je vous dis : de quel idiome, de quel langage ? 
Sganarelle. 
Ah ! C' est une autre affaire. 
Pancrace. 
Voulez-vous me parler italien ? 
Sganarelle. 
Non. 
Pancrace. 
Espagnol ? 
Sganarelle. 
Non. 
Pancrace. 
Allemand ? 
Sganarelle. 
Non. 
Pancrace. 
Anglois ?

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Sganarelle. 
Non. 
Pancrace. 
Latin ? 
Sganarelle. 
Non. 
Pancrace. 
Grec ? 
Sganarelle. 
Non. 
Pancrace. 
Hébreu ? 
Sganarelle. 
Non. 
Pancrace. 
Syriaque ? 
Sganarelle. 
Non. 
Pancrace. 
Turc ? 
Sganarelle. 
Non. 
Pancrace. 
Arabe ? 
Sganarelle. 
Non, non, françois. 
Pancrace. 
Ah ! François ! 
Sganarelle. 
Fort bien.

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Pancrace. 
Passez donc de l' autre côté ; car cette oreille-ci est 
destinée pour les langues scientifiques et étrangères, et 
l' autre est pour la maternelle. 
Sganarelle. 
Il faut bien des cérémonies avec ces sortes de gens-ci ! 
Pancrace. 
Que voulez-vous ? 
Sganarelle. 
Vous consulter sur une petite difficulté. 
Pancrace. 
Sur une difficulté de philosophie, sans doute ? 
Sganarelle. 
Pardonnez-moi : je... 
Pancrace. 
Vous voulez peut-être savoir si la substance et l' accident 
sont termes synonymes ou équivoques à l' égard 
de l' être ? 
Sganarelle. 
Point du tout. Je... 
Pancrace. 
Si la logique est un art ou une science ?

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Sganarelle. 
Ce n' est pas cela. Je... 
Pancrace. 
Si elle a pour objet les trois opérations de l' esprit, ou 
la troisième seulement ? 
Sganarelle. 
Non. Je... 
Pancrace. 
S' il y a dix catégories, ou s' il n' y en a qu' une ? 
Sganarelle. 
Point. Je... 
Pancrace. 
Si la conclusion est de l' essence du syllogisme ? 
Sganarelle. 
Nenni. Je... 
Pancrace. 
Si l' essence du bien est mise dans l' appétibilité ou 
dans la convenance ? 
Sganarelle. 
Non. Je... 
Pancrace. 
Si le bien se réciproque avec la fin ?

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Sganarelle. 
Eh ! Non. Je... 
Pancrace. 
Si la fin nous peut émouvoir par son être réel, ou par 
son être intentionnel ? 
Sganarelle. 
Non, non, non, non, non, de par tous les diables, 
non. 
Pancrace. 
Expliquez donc votre pensée, car je ne puis pas la 
deviner. 
Sganarelle. 
Je vous la veux expliquer aussi ; mais il faut m' écouter. 
Sganarelle, en même temps que le docteur. 
L' affaire que j' ai à vous dire, c' est que j' ai envie de 
me marier avec une fille qui est jeune et belle. Je l' aime 
fort, et l' ai demandée à son père ; mais, comme 
j' appréhende... 
Pancrace, en même temps que sganarelle. 
La parole a été donnée à l' homme pour expliquer 
sa pensée ; et tout ainsi que les pensées sont les portraits 
des choses, de même nos paroles sont-elles 
les portraits de nos pensées ; mais ces portraits diffèrent

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des autres portraits en ce que les autres portraits 
sont distingués partout de leurs originaux, et que la 
parole enferme en soi son original, puisqu' elle n' est 
autre chose que la pensée expliquée par un signe extérieur : 
d' où vient que ceux qui pensent bien sont aussi 
ceux qui parlent le mieux. Expliquez-moi donc votre 
pensée par la parole, qui est le plus intelligible de tous 
les signes. 
Sganarelle. Il repousse le docteur dans sa maison, et tire la 
porte pour l' empêcher de sortir. 
< peste de l' homme ! 
Pancrace, au dedans de la maison. 
Oui, la parole est animi index et speculum ; c' est le 
truchement du coeur, c' est l' image de l' âme. 
(Pancrace monte à la fenêtre et continue, et Sganarelle quitte 
la porte.) 
c' est un miroir qui nous représente naïvement les 
secrets les plus arcanes de nos individus. Et puisque 
vous avez la faculté de ratiociner et de parler tout ensemble, 
à quoi tient-il que vous ne vous serviez de la 
parole pour me faire entendre votre pensée ? 
Sganarelle. 
C' est ce que je veux faire ; mais vous ne voulez pas 
m' écouter. 
Pancrace. 
Je vous écoute, parlez.

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Sganarelle. 
Je dis donc, monsieur le docteur, que... 
Pancrace. 
Mais surtout soyez bref. 
Sganarelle. 
Je le serai. 
Pancrace. 
évitez la prolixité. 
Sganarelle. 
Hé ! Monsi... 
Pancrace. 
Tranchez-moi votre discours d' un apophthegme à la 
laconienne. 
Sganarelle. 
Je vous... 
Pancrace. 
Point d' ambages, de circonlocution. 
(Sganarelle, de dépit de ne pouvoir parler, ramasse des pierres 
pour en casser 
la tête du docteur.) 
hé quoi ? Vous vous emportez, au lieu de vous expliquer. 
Allez, vous êtes plus impertinent que celui qui 
m' a voulu soutenir qu' il faut dire la forme d' un chapeau ; 
et je vous prouverai, en toute rencontre, par raisons 
démonstratives et convaincantes, et par arguments in 
barbara, que vous n' êtes, et ne serez jamais qu' une 
pécore, et que je suis et serai toujours, in utroque jure, 
le docteur Pancrace. 
(le docteur sort de la maison.)

p45
 
sganarelle. 
Quel diable de babillard ! 
Pancrace. 
Homme de lettre, homme d' érudition. 
Sganarelle. 
Encore... 
Pancrace. 
Homme de suffisance, homme de capacité, (s' en allant) 
homme consommé dans toutes les sciences naturelles, 
morales et politiques, (revenant) homme savant, 
savantissime per omnes modos et casus, (s' en allant) 
homme qui possède superlative fables, mythologies et 
histoires, (revenant) grammaire, poésie, rhétorique, dialectique 
et sophistique, (s' en allant) mathématique, 
arthmétique, optique, onirocritique, physique et métaphysique, 
(revenant) cosmimométrie, géométrie, architecture, 
spéculoire et spéculatoire, (en s' en allant) 
médecine, astronomie, astrologie, physionomie, métoposcopie, 
chiromancie, géomancie, etc...

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Sganarelle. > 
au diable les savants qui ne veulent point écouter les 
gens ! On me l' avoit bien dit, que son maître Aristote 
n' étoit rien qu' un bavard. Il faut que j' aille trouver l' 
autre ; 
il est plus posé, et plus raisonnable. Holà !

SCENE V .
 
Marphurius. 
Que voulez-vous de moi, seigneur Sganarelle ? 
Sganarelle. 
Seigneur docteur, j' aurois besoin de votre conseil sur

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une petite affaire dont il s' agit, et je suis venu ici pour 
cela. Ah ! Voilà qui va bien : il écoute le monde celui-ci. 
Marphurius. 
Seigneur Sganarelle, changez, s' il vous plaît, cette façon 
de parler. Notre philosophie ordonne de ne point 
énoncer de proposition décisive, de parler de tout avec 
incertitude, de suspendre toujours son jugement ; et, par 
cette raison, vous ne devez pas dire : " je suis venu ; " 
mais : " il me semble que je suis venu. " 
sganarelle. 
Il me semble ! 
Marphurius. 
Oui.

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Sganarelle. 
Parbleu ! Il faut bien qu' il me le semble, puisque 
cela est. 
Marphurius. 
Ce n' est pas une conséquence ; et il peut vous sembler, 
sans que la chose soit véritable. 
Sganarelle. 
Comment ? Il n' est pas vrai que je suis venu ? 
Marphurius. 
Cela est incertain, et nous devons douter de tout. 
Sganarelle. 
Quoi ? Je ne suis pas ici, et vous ne me parlez pas ? 
Marphurius. 
Il m' apparoît que vous êtes là, et il me semble que 
je vous parle ; mais il n' est pas assuré que cela soit. 
Sganarelle. 
Eh ! Que diable ! Vous vous moquez. Me voilà, et vous 
voilà bien nettement, et il n' y a point de me semble à tout 
cela. Laissons ces subtilités, je vous prie, et parlons de 
mon affaire. Je viens vous dire que j' ai envie de me 
marier. 
Marphurius. 
Je n' en sais rien. 
Sganarelle. 
Je vous le dis. 
Marphurius. 
Il se peut faire. 
Sganarelle. 
La fille que je veux prendre est fort jeune et fort 
belle. 
Marphurius. 
Il n' est pas impossible.

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Sganarelle. 
Ferai-je bien ou mal de l' épouser ? 
Marphurius. 
L' un ou l' autre. 
Sganarelle. 
Ah ! Ah ! Voici une autre musique. Je vous demande 
si je ferai bien d' épouser la fille dont je vous parle. 
Marphurius. 
Selon la rencontre. 
Sganarelle. 
Ferai-je mal ? 
Marphurius. 
Par aventure. 
Sganarelle. 
De grâce, répondez-moi comme il faut. 
Marphurius. 
C' est mon dessein. 
Sganarelle. 
J' ai une grande inclination pour la fille. 
Marphurius. 
Cela peut être. 
Sganarelle. 
Le père me l' a accordée. 
Marphurius. 
Il se pourroit. 
Sganarelle. 
Mais, en l' épousant, je crains d' être cocu. 
Marphurius. 
La chose est faisable.

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Sganarelle. 
Qu' en pensez-vous ? 
Marphurius. 
Il n' y a pas d' impossibilité. 
Sganarelle. 
Mais que feriez-vous, si vous étiez en ma place ? 
Marphurius. 
Je ne sais. 
Sganarelle. 
Que me conseillez-vous de faire ? 
Marphurius. 
Ce qui vous plaira. 
Sganarelle. 
J' enrage. 
Marphurius. 
Je m' en lave les mains. 
Sganarelle. 
Au diable soit le vieux rêveur ! 
Marphurius. 
Il en sera ce qui pourra. 
Sganarelle. 
La peste du bourreau ! Je te ferai changer de note, 
chien de philosophe enragé. 
Marphurius. 
Ah ! Ah ! Ah ! 
Sganarelle. 
Te voilà payé de ton galimatias, et me voilà content.

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Marphurius. 
Comment ? Quelle insolence ! M' outrager de la sorte ! 
Avoir eu l' audace de battre un philosophe comme moi ! 
Sganarelle. 
Corrigez, s' il vous plaît, cette manière de parler. Il 
faut douter de toutes choses, et vous ne devez pas dire 
que je vous ai battu, mais qu' il vous semble que je vous 
ai battu. 
Marphurius. 
Ah ! Je m' en vais faire ma plainte au commissaire 
du quartier, des coups que j' ai reçus. 
Sganarelle. 
Je m' en lave les mains. 
Marphurius. 
J' en ai les marques sur ma personne. 
Sganarelle. 
Il se peut faire. 
Marphurius. 
C' est toi qui m' as traité ainsi. 
Sganarelle. 
Il n' y a pas d' impossibilité. 
Marphurius. 
J' aurai un décret contre toi. 
Sganarelle. 
Je n' en sais rien.

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Marphurius. 
Et tu seras condamné en justice. 
Sganarelle. 
Il en sera ce qui pourra. 
Marphurius. 
Laisse-moi faire. 
Sganarelle. 
Comment ? On ne sauroit tirer une parole positive de 
ce chien d' homme-là, et l' on est aussi savant à la fin 
qu' au commencement. Que dois-je faire dans l' incertitude 
des suites de mon mariage ? Jamais homme ne fut 
plus embarrassé que je suis. Ah ! Voici des égyptiennes ; 
il faut que je me fasse dire par elles ma bonne 
aventure.

SCENE VI .
 
(les égyptiennes, avec leurs tambours de basque, entrent en 
chantant 
et dansant.) 
sganarelle. 
Elles sont gaillardes. écoutez, vous autres, y a-t-il 
moyen de me dire ma bonne fortune ?

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1. égyptienne. 
Oui, mon bon monsieur, nous voici deux qui te la 
diront. 
2. égyptienne. 
Tu n' as seulement qu' à nous donner ta main, avec la 
croix dedans, et nous te dirons quelque chose pour ton 
bon profit. 
Sganarelle. 
Tenez, les voilà toutes deux avec ce que vous 
demandez. 
1. égyptienne. 
Tu as une bonne physionomie, mon bon monsieur, 
une bonne physionomie. 
2. égyptienne. 
Oui, bonne physionomie ; physionomie d' un homme 
qui sera un jour quelque chose. 
1. égyptienne. 
Tu seras marié avant qu' il soit peu, mon bon monsieur, 
tu seras marié avant qu' il soit peu. 
2. égyptienne. 
Tu épouseras une femme gentille, une femme 
gentille.

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1. égyptienne. 
Oui, une femme qui sera chérie et aimée de tout le 
monde. 
2. égyptienne. 
Une femme qui te fera beaucoup d' amis, mon bon 
monsieur, qui te fera beaucoup d' amis. 
1. égyptienne. 
Une femme qui fera venir l' abondance chez toi. 
2. égyptienne. 
Une femme qui te donnera une grande réputation. 
1. égyptienne. 
Tu seras considéré par elle, mon bon monsieur, tu seras 
considéré par elle. 
Sganarelle. 
Voilà qui est bien. Mais dites-moi un peu, suis-je menacé 
d' être cocu ? 
2. égyptienne. 
Cocu ? 
Sganarelle. 
Oui. 
1. égyptienne. 
Cocu ? 
Sganarelle. 
Oui, si je suis menacé d' être cocu ? 
(toutes deux chantent et dansent : la, la, la, la...) 
que diable ! Ce n' est pas là me répondre. Venez çà. 
Je vous demande à toutes deux si je serai cocu.

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2. égyptienne. 
Cocu, vous ? 
Sganarelle. 
Oui, si je serai cocu ? 
1. égyptienne. 
Vous, cocu ? 
Sganarelle. 
Oui, si je le serai ou non ? 
(toutes deux chantent et dansent : la, la, la, la...) 
peste soit des carognes, qui me laissent dans l' inquiétude ! 
Il faut absolument que je sache la destinée de 
mon mariage ; et pour cela, je veux aller trouver ce 
grand magicien dont tout le monde parle tant, et qui, 
par son art admirable, fait voir tout ce que l' on souhaite. 
Ma foi, je crois que je n' ai que faire d' aller au magicien, 
et voici qui me montre tout ce que je puis 
demander.

SCENE VII .
 
Lycaste. 
Quoi ? Belle Dorimène, c' est sans raillerie que vous 
parlez ?

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Dorimène. 
Sans raillerie. 
Lycaste. 
Vous vous mariez tout de bon ? 
Dorimène. 
Tout de bon. 
Lycaste. 
Et vos noces se feront dès ce soir ? 
Dorimène. 
Dès ce soir. 
Lycaste. 
Et vous pouvez, cruelle que vous êtes, oublier de la 
sorte l' amour que j' ai pour vous, et les obligeantes paroles 
que vous m' aviez données ? 
Dorimène. 
Moi ? Point du tout. Je vous considère toujours de 
même, et ce mariage ne doit point vous inquiéter : c' est 
un homme que je n' épouse point par amour, et sa seule 
richesse me fait résoudre à l' accepter. Je n' ai point de 
bien ; vous n' en avez point aussi, et vous savez que 
sans cela on passe mal le temps au monde, qu' à 
quelque prix que ce soit, il faut tâcher d' en avoir. J' ai 
embrassé cette occasion-ci de me mettre à mon aise ; et 
je l' ai fait sur l' espérance de me voir bientôt délivrée du 
barbon que je prends. C' est un homme qui mourra 
avant qu' il soit peu, et qui n' a tout au plus que six mois 
dans le ventre. Je vous le garantis défunt dans le temps 
que je dis ; et je n' aurai pas longuement à demander 
pour moi au ciel l' heureux état de veuve. Ah ! Nous 
parlions de vous, et nous en disions tout le bien qu' on 
en sauroit dire.

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Lycaste. 
Est-ce là monsieur... ? 
Dorimène. 
Oui, c' est monsieur qui me prend pour femme. 
Lycaste. 
Agréez, monsieur, que je vous félicite de votre mariage, 
et vous présente en même temps mes très-humbles 
services. Je vous assure que vous épousez là une 
très-honnête personne ; et vous, mademoiselle, je me 
réjouis avec vous aussi de l' heureux choix que vous 
avez fait. Vous ne pouviez pas mieux trouver, et monsieur 
a toute la mine d' être un fort bon mari. Oui, monsieur, 
je veux faire amitié avec vous, et lier ensemble 
un petit commerce de visites et de divertissements. 
Dorimène. 
C' est trop d' honneur que vous nous faites à tous deux. 
Mais allons, le temps me presse, et nous aurons tout le 
loisir de nous entretenir ensemble. 
Sganarelle. 
Me voilà tout à fait dégoûté de mon mariage, et je 
crois que je ne ferai pas mal de m' aller dégager de ma 
parole. Il m' en a coûté quelque argent ; mais il vaut 
mieux encore perdre cela que de m' exposer à quelque 
chose de pis. Tâchons adroitement de nous débarrasser 
de cette affaire. Holà !

p58

SCENE VIII .
 
Alcantor. 
Ah ! Mon gendre, soyez le bienvenu. 
Sganarelle. 
Monsieur, votre serviteur. 
Alcantor. 
Vous venez pour conclure le mariage ? 
Sganarelle. 
Excusez-moi. 
Alcantor. 
Je vous promets que j' en ai autant d' impatience que 
vous. 
Sganarelle. 
Je viens ici pour autre sujet. 
Alcantor. 
J' ai donné ordre à toutes les choses nécessaires pour 
cette fête. 
Sganarelle. 
Il n' est pas question de cela. 
Alcantor. 
Les violons sont retenus, le festin est commandé, et 
ma fille est parée pour vous recevoir. 
Sganarelle. 
Ce n' est pas ce qui m' amène. 
Alcantor. 
Enfin vous allez être satisfait et rien ne peut retarder 
votre contentement.

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Sganarelle. 
Mon Dieu ! C' est autre chose. 
Alcantor. 
Allons, entrez donc, mon gendre. 
Sganarelle. 
J' ai un petit mot à vous dire. 
Alcantor. 
Ah ! Mon Dieu, ne faisons point de cérémonie. Entrez 
vite, s' il vous plaît. 
Sganarelle. 
Non, vous dis-je. Je vous veux parler auparavant. 
Alcantor. 
Vous voulez me dire quelque chose ? 
Sganarelle. 
Oui. 
Alcantor. 
Et quoi ? 
Sganarelle. 
Seigneur Alcantor, j' ai demandé votre fille en mariage, 
il est vrai, et vous me l' avez accordée ; mais je 
me trouve un peu avancé en âge pour elle, et je considère 
que je ne suis point du tout son fait. 
Alcantor. 
Pardonnez-moi, ma fille vous trouve bien comme 
vous êtes ; et je suis sûr qu' elle vivra fort contente avec 
vous. 
Sganarelle. 
Point. J' ai parfois des bizarreries épouvantables, et 
elle auroit trop à souffrir de ma mauvaise humeur. 
Alcantor. 
Ma fille a de la complaisance, et vous verrez qu' elle 
s' accommodera entièrement à vous.

p60
 
Sganarelle. 
J' ai quelques infirmités sur mon corps qui pourroient 
la dégoûter. 
Alcantor. 
Cela n' est rien. Une honnête femme ne se dégoûte 
jamais de son mari. 
Sganarelle. 
Enfin voulez-vous que je vous dise ? Je ne vous conseille 
pas de me la donner. 
Alcantor. 
Vous moquez-vous ? J' aimerois mieux mourir que d' avoir 
manqué à ma parole. 
Sganarelle. 
Mon Dieu, je vous en dispense, et je... 
Alcantor. 
Point du tout. Je vous l' ai promise ; et vous l' aurez en 
dépit de tous ceux qui y prétendent. 
Sganarelle. 
Que diable ! 
Alcantor. 
Voyez-vous, j' ai une estime et une amitié pour vous 
toute particulière ; et je refuserois ma fille à un prince 
pour vous la donner. 
Sganarelle. 
Seigneur Alcantor, je vous suis obligé de l' honneur 
que vous me faites, mais je vous déclare que je ne me 
veux point marier. 
Alcantor. 
Qui, vous ? 
Sganarelle. 
Oui, moi.

p61
 
Alcantor. 
Et la raison ? 
Sganarelle. 
La raison ? C' est que je ne me sens point propre pour 
le mariage, et que je veux imiter mon père, et tous ceux 
de ma race, qui ne se sont jamais voulu marier. 
Alcantor. 
écoutez, les volontés sont libres ; et je suis homme à 
ne contraindre jamais personne. Vous vous êtes engagé 
avec moi pour épouser ma fille, et tout est préparé pour 
cela ; mais puisque vous voulez retirer votre parole, je 
vais voir ce qu' il y a à faire ; et vous aurez bientôt de 
mes nouvelles. 
Sganarelle. 
Encore est-il plus raisonnable que je ne pensois, et 
je croyois avoir bien plus de peine à m' en dégager. Ma 
foi, quand j' y songe, j' ai fait fort sagement de me tirer 
de cette affaire ; et j' allois faire un pas dont je me serois 
peut-être longtemps repenti. Mais voici le fils qui 
me vient rendre réponse.

p62

SCENE IX .
 
Alcidas, parlant toujours d' un ton doucereux. 
Monsieur, je suis votre serviteur très-humble. 
Sganarelle. 
Monsieur, je suis le vôtre de tout mon coeur. 
Alcidas. 
Mon père m' a dit, monsieur, que vous vous étiez venu 
dégager de la parole que vous aviez donnée. 
Sganarelle. 
Oui, monsieur : c' est avec regret ; mais... 
Alcidas. 
Oh ! Monsieur, il n' y a pas de mal à cela. 
Sganarelle. 
J' en suis fâché, je vous assure ; et je souhaiterois... 
Alcidas. 
Cela n' est rien, vous dis-je. (lui présentant deux épées.) 
monsieur, prenez la peine de choisir de ces deux épées 
laquelle vous voulez. 
Sganarelle. 
De ces deux épées ? 
Alcidas. 
Oui, s' il vous plaît. 
Sganarelle. 
à quoi bon ? 
Alcidas. 
Monsieur, comme vous refusez d' épouser ma soeur

p63
 
après la parole donnée, je crois que vous ne trouverez 
pas mauvais le petit compliment que je viens vous 
faire. 
Sganarelle. 
Comment ? 
Alcidas. 
D' autres gens feroient du bruit, et s' emporteroient 
contre vous ; mais nous sommes personnes à traiter les 
choses dans la douceur ; et je viens vous dire civilement 
qu' il faut, si vous le trouvez bon, que nous nous coupions 
la gorge ensemble. 
Sganarelle. 
Voilà un compliment fort mal tourné. 
Alcidas. 
Allons, monsieur, choisissez, je vous prie. 
Sganarelle. 
Je suis votre valet, je n' ai point de gorge à me couper. 
La vilaine façon de parler que voilà ! 
Alcidas. 
Monsieur, il faut que cela soit, s' il vous plaît. 
Sganarelle. 
Eh ! Monsieur, rengainez ce compliment, je vous prie. 
Alcidas. 
Dépêchons vite, monsieur : j' ai une petite affaire qui 
m' attend. 
Sganarelle. 
Je ne veux point de cela, vous dis-je. 
Alcidas. 
Vous ne voulez pas vous battre ? 
Sganarelle. 
Nenni, ma foi.

p64
 
Alcidas. 
Tout de bon ? 
Sganarelle. 
Tout de bon. 
Alcidas. 
Au moins, monsieur, vous n' avez pas lieu de vous 
plaindre, et vous voyez que je fais les choses dans l' ordre. 
Vous nous manquez de parole, je me veux battre 
contre vous ; vous refusez de vous battre, je vous donne 
des coups de bâton : tout cela est dans les formes ; et 
vous êtes trop honnête homme pour ne pas approuver 
mon procédé. 
Sganarelle. 
Quel diable d' homme est-ce ci ? 
Alcidas. 
Allons, monsieur, faites les choses galamment, et 
sans vous faire tirer l' oreille. 
Sganarelle. 
Encore ? 
Alcidas. 
Monsieur, je ne contrains personne ; mais il faut que 
vous vous battiez, ou que vous épousiez ma soeur. 
Sganarelle. 
Monsieur, je ne puis faire ni l' un ni l' autre, je vous 
assure. 
Alcidas. 
Assurément ?

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Sganarelle. 
Assurément. 
Alcidas. 
Avec votre permission donc... 
Sganarelle. 
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! 
Alcidas. 
Monsieur, j' ai tous les regrets du monde d' être obligé 
d' en user ainsi avec vous ; mais je ne cesserai point, s' il 
vous plaît, que vous n' ayez promis de vous battre, ou 
d' épouser ma soeur. 
Sganarelle. 
Hé bien ! J' épouserai, j' épouserai... 
Alcidas. 
Ah ! Monsieur, je suis ravi que vous vous mettiez à 
la raison, et que les choses se passent doucement. Car 
enfin, vous êtes l' homme du monde que j' estime le 
plus, je vous jure ; et j' aurois été au désespoir que 
vous m' eussiez contraint à vous maltraiter. Je vais appeler 
mon père, pour lui dire que tout est d' accord.

p66

SCENE X .
 
Alcidas. 
Mon père, voilà monsieur, qui est tout à fait raisonnable. 
Il a voulu faire les choses de bonne grâce, et 
vous pouvez lui donner ma soeur. 
Alcantor. 
Monsieur, voilà sa main, vous n' avez qu' à donner la 
vôtre. Loué soit le ciel ! M' en voilà déchargé, et c' est 
vous désormais que regarde le soin de sa conduite. 
Allons nous réjouir, et célébrer cet heureux mariage. 
 


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