Le
Canard (suite)

Le superbe Canard colvert (Anas
platyrhynchos), aussi appelé Canard malard, est le canard sauvage le
mieux connu dans le monde. Il est présent partout en Amérique du Nord, en
Europe et en Asie et a aussi été introduit dans beaucoup d'autres régions du
globe. On peut même voir des Colverts dans de nombreuses grandes villes où, à
demi apprivoisés, ils quittent leurs étangs en se dandinant pour venir manger
dans les mains des gens.
Au Canada, l'aire de répartition du Colvert s'étend du sud-ouest du Québec
jusqu'à la côte du Pacifique; ce sont les provinces des Prairies qui en
abritent le plus grand nombre. Le Colvert s'est récemment propagé vers l'est,
où il est fermement établi le long de la rivière Saint-Jean, au
Nouveau-Brunswick. À l'Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve, c'est une espèce
rare qui cède la place au Canard noir, étroitement apparenté. On trouve aussi
aujourd'hui des Colverts dans certaines zones de la forêt boréale de l'est du
Canada ainsi que sur les basses terres des baies James et d'Hudson.

Traits distinctifs
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Il est impossible de ne pas reconnaître le mâle du Canard colvert en
plumage nuptial. Sa tête et son cou, d'un vert chatoyant, sont délimités par
un collier blanc sous lequel s'étend le plumage de sa poitrine, d'un marron
intense.
Ses parties inférieures et ses côtés sont gris pâle, son dos et ses ailes,
brun grisâtre, et sa queue blanchâtre, ornée de noir sur ses deux faces, est
ornée de deux plumes noires retroussées sur la ligne médiane de sa face supérieure.
Il a le bec jaune et les pattes et pieds orangés.
Le plumage de la femelle est beaucoup moins coloré. Son dos est tacheté de
brun et sa poitrine, fortement rayée, est chamois et brun foncé. On la reconnaît
surtout au miroir (plage violacée sur l'aile, près du corps) bordé de blanc,
semblable à celui du mâle. Ses pattes et pieds sont orangés, tout comme son
bec, lequel est parfois tacheté de noir. Son cri, un « couac »
puissant, est similaire à celui des canards de ferme. Le mâle, quant à lui,
émet un nasillement grave et plus doux.
Le Colvert est un canard de surface (ou barboteur) typique (voir
l'illustration). On le voit souvent basculer le corps sans plonger à la
recherche de nourriture, la tête dans l'eau et la queue dans les airs. Il peut
plonger en cas d'urgence, mais il le fait rarement.
Alimentation
L'alimentation du Canard colvert est fonction des exigences saisonnières
de la ponte, de la mue, ou des migrations et de l'hivernage pour lesquels il
doit accumuler des réserves de graisse. Il se nourrit surtout de végétaux et
d'invertébrés qu'il trouve dans l'eau ou sur la terre ferme. Dans l'eau, il
consomme des plantes émergentes, des racines de plantes dans les eaux peu
profondes, et de petits invertébrés nageurs ou des larves d'insectes dans les
fonds boueux. Sur la terre ferme, il se nourrit souvent de grain; on peut voir
de grands rassemblements de Colverts à l'automne dans les champs de céréales,
après la récolte.
Plongeurs et barboteurs
Les canards sauvages se nourrissent soit en plongeant, soit en barbotant à la
surface de l'eau. Si le Morillon à dos blanc barbote à l'occasion, c'est néanmoins
un canard plongeur parce qu'il recherche généralement sa nourriture loin sous
la surface. De plus le doigt postérieur de ses pattes, comme celui des autres
plongeurs, est lobé, ce qui lui permet de l'utiliser comme une rame dans l'eau.
Vie et moeurs
Les Canards colverts sont des oiseaux résistants qui hivernent régulièrement
dans le sud de l'Ontario et de la Colombie-Britannique. Certains demeurent dans
le Nord, aussi loin qu'ils peuvent trouver des masses d'eau libres de glace. Des
Colverts y passent les mois les plus rigoureux, même en Alaska, et, en Alberta,
certains hivernent sur les eaux libres de la Saskatchewan Nord jusqu'à
Edmonton.
La grande majorité migrent cependant vers le centre et le sud des États-Unis,
où les lacs et les étangs sont libres de glace toute l'année. Le Colvert vit
essentiellement en eau douce, mais certains hivernent dans les baies côtières.
Les Colverts sont parmi les premiers canards à revenir aux sites de
nidification au printemps. Dotés d'une grande faculté d'adaptation, ils
peuvent nicher près d'un lac, d'un étang, ou d'une rivière, ou même d'une
mare en terrain boisé. Ils préfèrent cependant les prairies naturelles parsemées
de roselières et de cuvettes, typiques des provinces des Prairies.
Vers la fin de mars et le début d'avril, les premiers Colverts sont de retour
dans les Prairies. À cette époque de l'année, les lacs et les étangs sont
habituellement encore gelés, et les seules eaux libres sont les eaux de fonte
qui remplissent les creux des pâturages et des champs. Ordinairement, les
premiers arrivés sont des couples déjà formés.
Accompagnée du mâle, la femelle se met à chercher un territoire. Le plus
souvent, le territoire choisi se trouve à proximité de son lieu natal.
Certaines femelles retournent au même site d'une année à l'autre.
C'est la femelle qui choisit le site de nidification. Le nid peut être
construit près d'un étang, mais il est souvent à une certaine distance de
l'eau et peut même en être passablement éloigné. Normalement construit au
sol, le nid n'est guère plus qu'une dépression tapissée de fragments d'herbe
et de joncs ou d'autres matériaux trouvés aux alentours. Il est habituellement
bien abrité par des plantes herbacées de bonnes dimensions ou des symphorines,
des églantiers ou d'autres arbrisseaux des prairies. Les oeufs, dont la couleur
peut varier d'une femelle à l'autre d'un vert terne à presque blanc, sont
pondus au rythme d'un par jour. La femelle peut pondre jusqu'à 15 oeufs, mais
le nombre habituel est de 8 à 12.
L'incubation ne commence qu'une fois tous les oeufs pondus, de sorte que les
canetons éclosent à peu près en même temps.
Durant la période de ponte, et tout particulièrement au début de
l'incubation, la femelle utilise une partie du duvet de son ventre pour garnir
le nid. Lorsqu'elle quitte le nid pour se nourrir, la femelle recouvre les oeufs
avec ces plumes grises dont la partie centrale est blanche. En plus de garder
les oeufs au chaud, le duvet les soustrait à la vue des corneilles, des pies et
des autres prédateurs capables de repérer facilement les oeufs laissés à découvert.
L'incubation, qui dure environ 28 jours, est assurée entièrement par la
femelle. Dès leur éclosion, les canetons sont de charmantes petites boules de
duvet. Leur dos, d'un brun sombre, est rehaussé de quatre taches jaunes. Leur
face et leurs parties inférieures sont jaunes, avec une tache foncée à
l'oreille et une ligne brune au niveau de l'oeil.
Si le nid est détruit, la femelle recommence la nidification; elle peut s'y
reprendre jusqu'à trois ou quatre fois. D'une fois à l'autre, le nombre
d'oeufs diminue. Le Colvert n'élève cependant qu'une seule nichée par année.
Dès que les canetons sont secs, la femelle les conduit au plan d'eau le plus près.
Le trajet peut être long et périlleux. Bien que la femelle construise parfois
son nid près d'une cuvette ou d'une mare remplies d'eaux de fonte, une grande
partie de cette eau peut s'être évaporée, ne laissant qu'une boue en voie
d'assèchement. Sur la terre ferme, les canetons peuvent s'égarer dans l'herbe
ou être cueillis par des prédateurs.
La femelle est une excellente mère. Elle s'arrête à maintes reprises pour
rassembler et réchauffer ses petits. Si une personne ou un animal constituant
une menace se présente, elle attirera habituellement l'intrus loin des petits
en battant des ailes et en poussant des cris rauques, comme si elle était blessée.
Un humain ne s'y laissera probablement pas prendre, mais les prédateurs mordent
à tout coup à l'hameçon.
Une fois à l'eau, la femelle conduit ses petits vers les aires d'alimentation.
Les canetons trouvent eux-mêmes leur nourriture, laquelle est au début
probablement composée de petits crustacés, comme les puces d'eau, ainsi que
d'insectes et de végétaux minuscules, comme les lenticules mineures.
Graduellement, les petits perdent leur duvet et se revêtent de plumes véritables.
À l'âge d'environ 10 semaines, leur plumage ressemble beaucoup à celui de la
femelle. À cet âge, leur mère les a quittés.
Après la saison de reproduction, les Canards colverts muent et acquièrent leur
plumage dit d'éclipse. Les mâles sont les premiers à subir cette mue.
Les mâles demeurent sur leur territoire pendant environ les 10 premiers jours
de l'incubation, après quoi ils quittent leur partenaire. Ils se réunissent
alors dans de grands marais où ils perdent leur éclatant plumage nuptial et
prennent une apparence assez semblable à celle des femelles. Ils perdent d'un
coup leurs plumes de vol et, durant à peu près un mois, sont incapables de
voler. Ils vivent alors cachés dans les roseaux jusqu'à ce que leurs nouvelles
plumes aient poussé.
Après que les femelles ont abandonné leurs petits, elles se rassemblent à
leur tour dans les roseaux pour muer. Elles perdent elles aussi la faculté de
voler, mais cette mue modifie peu leur apparence. À la fin de l'automne, les
jeunes acquièrent le plumage caractéristique de leur sexe; le plumage des mâles
peut toutefois ne pas avoir tout son éclat avant la deuxième année.
Vers la fin de l'été, les oiseaux se rassemblent en groupes mixtes de jeunes
et d'adultes. Pendant une bonne partie de la journée, ils se tiennent immobiles
ou flânent à distance du rivage. Quand le grain devient mûr, ils s'envolent
vers les champs pour s'y nourrir.
Habituellement, les Colverts gagnent les champs tôt le matin et les quittent
tard le soir, mais, quand le temps est couvert ou orageux, ils peuvent effectuer
ces déplacements en tout temps durant le jour. Ce sont ces volées qui
procurent la chasse la plus excitante.
Conservation
Dans toute son aire de répartition, le Canard colvert est très prisé
des chasseurs : son vol est rapide, on peut l'attirer facilement au moyen
d'appeaux et d'appelants, et sa chair est excellente. Le poids moyen des adultes
est de 1.24 kg, et les plus gros mâles peuvent facilement atteindre 1.36 kg.
Aucun autre canard n'est autant chassé : au Canada, plus de la moitié de
tous les canards abattus sont des Colverts.
Le Colvert est l'un des canards les plus résistants et les plus adaptables. Néanmoins,
la destruction régulière de ses habitats de nidification dans les Prairies,
particulièrement dans les hautes terres herbeuses, a fait que, depuis bon
nombre d'années, les populations continentales de Colverts diminuent. La sécheresse
qui a sévi dans les années 1980 et 1990 a créé des conditions défavorables
aux canards des Prairies et a facilité la mise en culture de nombreuses
anciennes terres humides qui se sont asséchées.
Dans l'est du Canada, l'espèce est florissante. Elle y trouve d'abondants sites
de nidification dans les fermes abandonnées, les parterres de coupe à blanc et
les espaces verts des villes, ce qui l'a aidée à se propager. La prolifération
du Colvert, conjuguée au fait qu'il se croise facilement avec le Canard noir,
un proche parent, ont rendu passablement problématique la conservation des
populations de Canards noirs de l'Est.
Devant la chute des populations de Colverts des Prairies et d'autres canards,
comme le Canard pilet, observée depuis bon nombre d'années, on a décidé de
mettre en oeuvre à l'échelle du continent un programme de conservation de la
sauvagine et d'autres espèces des terres humides. Le Plan nord-américain de
gestion de la sauvagine (PNAGS), signé en 1986, poursuit des objectifs bien précis
de gestion des habitats du Colvert, tant dans ses habitats de nidification des
Prairies que dans ses couloirs migratoires et ses aires d'hivernage, pour en rétablir
les populations. Le Canada, les États-Unis et, depuis peu, le Mexique
participent au PNAGS. Le Plan conjoint Habitat des Prairies, l'un des volets de
ce plan, vise à restaurer plus de 1,4 million d'hectares renfermant des
habitats de première qualité pour la reproduction du Colvert au Manitoba, en
Saskatchewan, et en Alberta. On peut obtenir de plus amples renseignements sur
le PNAGS en s'adressant à la Direction de la mise en oeuvre du PNAGS à
l'adresse mentionnée ci-contre pour le Service canadien de la faune.
Le Colvert est l'un des rares canards qui se nourrit régulièrement de céréales.
Il est particulièrement friand d'orge et de blé. De nos jours, comme la plus
grande partie des céréales est récoltée au moyen de moissonneuses-batteuses,
les canards ne peuvent constituer une nuisance pour les agriculteurs que lorsque
le mauvais temps oblige ces derniers à laisser leurs céréales en andains.
De tout temps, les humains se sont nourris des oeufs et de la chair du Canard
colvert. Il existe aussi depuis longtemps une variété domestique de cet
oiseau, lequel est aussi à l'origine de nombreuses autres races de canards
domestiques, dont le plumage brillant trahit la descendance.
Le Colvert n'est pas seulement utile : ce magnifique oiseau fait aussi la joie
de nombreux amateurs de plein air. L'ornithologue amateur connaît peu de
spectacles aussi fascinants que celui des Colverts qui, les pattes tendues,
cherchent à se poser au printemps sur les premières eaux libres.
  
Fait par Frédéric F. le 25 novembre 2002
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