J'accuse !

par

Ilan Vardi

 

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Les accusations portées contre Lance Armstrong dans le journal L’Equipe en date du 23 août 2005 n’ont aucune valeur scientifique ni légale. Il est nécessaire de rappeler que le protocole visant à garder l’anonymat des échantillons et que l’utilisation d’échantillons test A et B ont été conçus pour : 

·         Garantir l’intégrité scientifique

·         Protéger les droits de l’athlète

Dans ce cas, le protocole n’a pas été suivi, ce qui signifie que le test rapporté par le journal L’Equipe n’a aucune valeur scientifique et que la divulgation de ces résultats viole les droits de l’athlète en question. Tout le monde agréé sur ce point, il est reconnu qu’aucune sanction légale ni sportive ne peut être engagée. C’est pourquoi, l’article du journal L’Equipe et sa reconnaissance par le monde de la presse française n’est qu’une illustration de la négation des principes scientifiques de base ainsi que de ceux des droits de l’athlète. Un regard plus approfondi des conséquence au niveau éthique de cet incident est décrit dans  un article  de Tim Maloney (cet article est en anglais puisque aucun journaliste français n’a soulevé les conséquences éthiques de cet incident). C’est pourquoi on ne peut pas parler de faits dans ce cas précis mais seulement de l’utilisation de méthodes illégales visant à ternir la réputation du plus grand coureur de tous les temps du Tour de France.

Etant donné qu’aucune charge ne peut être retenue contre Armstrong, il est clair qu’il n’est pas tenu de se défendre contre ces accusations calomnieuses et sans fondement. Cependant, il est très possible de croire en son innocence. A cet égard, il serait vraiment suicidaire d’utiliser de l’EPO immédiatement après l’affaire Festina qui avait entaché le Tour de France 1998, à un moment où les descentes de police étaient considérées très probables, et comme le rapportait Jonathan Vaughters, son co-équipier, à un moment où les coureurs américains étaient terrorisés par la possibilité d’une garde à vue prolongée. Comme il l’a démontré au cours de ses victoires du Tour de France, Lance Armstrong ne prend aucun risque pour s’assurer la victoire. Une des autres raisons donnée par Armstrong lui-même : à nouveau, cela serait « suicidaire » de mettre en danger sa santé après avoir vaincu une improbable bataille contre le cancer et fait de la recherche et de la guérison du cancer le premier but de sa vie.

Si l’on croit en l’innocence d’Armstrong, alors que penser des tests positifs dont parle le journal L’Equipe ? Après réflexion, le cas d’O.J. Simpson aux Etats-Unis vient à l’esprit, où un athlète très connu a été accusé du meurtre de son ancienne épouse en 1994. Le procès fut l’un des premiers dans lequel des tests ADN ont été utilisés par le Procureur comme preuves à l’appui mais la défense avec l’aide d’experts mondiaux spécialisés dans l’ADN, a réussi à semer un doute qui a exonéré O.J. Simpson. Ces doutes étaient basés sur le protocole utilisé par les laboratoires policiers et par la possibilité d’une falsification des résultats par des fonctionnaires de police. Dans le cas d’O.J. Simpson, la quantité de preuves était telle qu’il aurait fallu un nombre impressionnant de personnes ayant décidé individuellement de falsifier leur « part » de preuve. En revanche, dans le cas présent, le nombre de personnes raisonnablement nécessaire pour falsifier des preuves est beaucoup plus restreint et la possibilité d’agir malhonnêtement beaucoup plus importante étant donné que la manière par laquelle le journal l’Equipe s’est procuré ces preuves était elle-même frauduleuse. En particulier, la personne qui a informé le journal en transmettant la correspondance entre les échantillons anonymes du laboratoire de Chatenay Malabry est déjà coupable d’une violation des droits éthiques très grave, de même que la personne qui a été autorisée à examiner la documentation du laboratoire de Chatenay Malabry,  ce laboratoire étant dans l’obligation de garantir l’anonymat en ce qui concerne toutes questions scientifiques et légales. C’est pourquoi, deux personnes sont déjà coupables de faute grave et qu’au moins l’une d’entre elles a pu facilement falsifier ces preuves dans le but d’accuser Lance Armstrong.

Mes doutes en ce qui concerne la possibilité de falsifier des documents dans le but de « coincer » Armstrong se sont portés en tout premier sur de simples observations. L’article du journal L’Equipe a immédiatement et unanimement été accepté par tous les médias français, facteur réellement révélateur d’un climat très propice à la révélation d’une telle information qui pouvait être crue alors qu’elle n’avait pas été vérifiée de manière approfondie, ni même que cette information était fondée. Comme tout faussaire le sait, on ne vend ses biens qu’à des personnes qui recherchent impérativement le besoin de croire que ceux-ci sont vrais.

Deuxième facteur : ces révélations interviennent immédiatement après qu’Armstrong ait pris officiellement sa retraite, diminuant de ce fait considérablement les chances d’intenter une action légale en justice de la part de l’intéressé ou de toute autre organisation en désaccord avec l’article paru.

En fin de compte, la publication des articles ayant lieu exactement un mois après qu’Armstrong ait pris sa retraite, garantissait à l’objet de l’attaque qu’il n’allait pas tomber aux oubliettes de sitôt. En d’autres termes, l’article arrivait à point nommé pour attirer le maximum d’attention sans que l’on prenne trop le temps de se pencher sur les fondements mêmes de l’information.

En ce qui concerne la possibilité d’une falsification, il est encore une fois utile de rappeler que le protocole avec échantillons A et B et que l’anonymat ont été instaurés pour écarter toute possibilité de falsification… donc, en l’absence de ce protocole, la falsification devient possible. De plus,  falsifier les échantillons d’un coureur cycliste est une possibilité non négligeable étant donné que cela s’était déjà produit en France. En 2004, le coureur cycliste Cédric Vasseur a prouvé que le test révélé positif à la cocaïne qui avait été établi à la demande de la police française était faux et que sa signature sur les procès-verbaux au terme de sa garde a vue avait était imitée.

Si certains croient que la falsification s’est réellement produite, alors il est important de se poser la nécessaire question de l’identité de son ou de ses auteurs. Selon moi, il ne peut s’agir que d’une personne hors-pair et cette personne – celle qui a manifesté le moins de rigueur professionnelle dans une profession où les normes requièrent le niveau le plus élevé et le plus important dans le domaine de l’éthique –  ne peut être que Jacques de Ceaurriz, Directeur du laboratoire anti-dopage de Chatenay Malabry. Bien sûr, il n’a jamais exprimé son mécontentement concernant la divulgation de ses recherches confidentielles exploitées de manière subreptice par des journalistes… pas plus qu’il n’a soulevé d’objection quand le protocole scientifique et légal avait été violé aux fins de faire éclater une affaire de dopage, dans lequel son institut jouait un rôle clef. Au contraire, il a fait une déclaration dans le journal l’Equipe qui a été publiée conjointement avec les articles en question dans laquelle il confirme leur découverte. Même cette déclaration va à l’encontre de l’éthique scientifique, il donne une opinion subjective sur la validité des échantillons d’EPO congelés par l’institut sans aucun fondement scientifique (aucune étude n’existe à ce jour sur la validité des tests EPO réalisés sur des échantillons d’urine congelés depuis une longue période) et sans nuancer son jugement alors que les vérités scientifiques dans ce domaine sont toujours fondées sur des méthodes empiriques. De plus, son affirmation que son test de dépistage de l’EPO est 100% fiable est en complète contradiction avec le protocole rigoureux instauré dans le but d’éliminer la possibilité statistique d’une erreur.  Il était impératif que M. de Ceaurriz déclare son incertitude en ce qui concernait ses affirmations, ceci dans le but de conserver un niveau scientifique rigoureux et aussi afin d’instaurer un doute raisonnable chez les personnes non-initiées au domaine scientifique qui pourraient dans le cas contraire prendre pour argent comptant tout ce que leur dit un homme de science. Néanmoins, n’importe quelle déclaration de ce type aurait annulé l’impact de ses affirmations disant que le test de dépistage de l’EPO qu’il a réalisé est à 100 % fiable. Il est à noter qu’il peut arriver à un scientifique d’être appelé à donner son opinion personnelle sur des faits qu’il ne comprend pas parfaitement, si toutefois il s’agit de résultats anodins, mais pas dans le cas où son opinion attaque directement une personnalité publique et si cette opinion est présentée comme une preuve scientifique incontestable.

Comme le paragraphe précédent le démontre, Jacques de Ceaurriz a validé un article de journal qui viole les principes mêmes sur lesquels sont basées les recherches de son institut et s’est servi de son opinion personnelle comme d’un fait scientifique. Je crois donc qu’il n’est pas impensable d’imaginer qu’il soit  lui-même impliqué d’une manière ou d’une autre dans la contrefaçon des échantillons concernés. Tout au moins, je pense à présent probable qu’il ait pu donner son accord personnel aux journalistes de L’Equipe d’examiner les documents confidentiels appartenant à son institut. Même dans ce cas, ce serait une violation de l’éthique sans précédent qui mériterait sa démission du poste de Directeur (je crois que son manque d’intérêt dans les dysfonctionnements qui se sont produits de son institut seraient au moins suffisants pour une sanction disciplinaire). Il est également probable qu’il connaisse l’identité de la personne qui a fait le lien entre les numéros d’échantillons anonymes et le nom de l’athlète, vraisemblablement une personne de la Fédération Française de Cyclisme, qui est l’un des seuls endroits où le lien entre échantillons anonymes et noms des athlètes peut être fait.

Si une des possibilités énumérées ci-dessus est correcte, alors on peut se demander comment le Directeur d’un institut renommé puisse se permettre de tels écarts. Je pense que la clef de tout cela vient comme d’habitude de la faiblesse humaine et que le Directeur est lui-même devenu victime des mêmes tentations auxquelles succombent le coureur dopé, coureur qui est son « gagne pain » et qu’il essaie de faire tomber dans ses propres filets… En particulier  le Directeur d’un Institut de recherche français gagne environ 10 000 € par mois,  une somme dérisoire comparée à son homologue américain qui gagnerait dix fois plus et d’autant plus dérisoire comparée à Lance Armstrong qui gagne cent fois plus. Le manque à gagner comparé aux Américains peut certainement peser fortement sur quelqu’un approchant de l’âge de la retraite et une enquête sur sa vie privée pourrait peut être révéler quelques surprises et éléments de réponse. Deuxièmement, et c’est sans doute le point le plus important, le test de dépistage de l’EPO de l’institut est le fruit du travail de toute sa vie, bien qu’il n’ait pas mis au point lui-même le test de dépistage de l’EPO mais que c’est néanmoins son laboratoire qui a acquis la faveur des médias et la notoriété mondiale, comme ces articles l’attestent :

Cependant, même dans ce cas, ses standards éthiques ne sont pas encore à la hauteur. Forcément, puisqu’un autre laboratoire de Lyon a accusé Jacques de Ceaurriz et son laboratoire de s’être approprié de manière illégale à son compte le test de dépistage de l’EPO ! La recherche qui a conduit à établir le test de dépistage de l’EPO a été découvert par Françoise Lasne qui a travaillé aux Hôpitaux de Lyon avant qu’elle ne rejoigne le laboratoire de Chatenay Malabry. Mais c’est le laboratoire de Lyon qui  a déposé le brevet scientifique en 1998 et Christian Collombel, le Directeur du laboratoire de l’Hôpital civil de Lyon a accusé Jacques de Ceaurriz de s’être approprié le test en manipulant les médias.  Un article complet peut être consulté ici. La manipulation des médias aux fins de voler le test de dépistage de l’EPO et la position de Jacques de Ceaurriz allant contre toute éthique dans l’affaire du journal l’Equipe (et la retombée médiatique qui en découle) entrouvre certainement la porte à d’autres conduites irrégulières.

J’espère que Jacques de Ceaurriz lira ceci. Je suis certain qu’il aura une réaction indignée de se sentir accusé sans preuve tangible.   Au moins, s’il est innocent des accusations les plus importantes que je soulève, il se rendra compte de la position délicate dans laquelle Armstrong a été placé suite aux articles du journal L’Equipe auxquels de Ceaurriz a souscrit contre tous les principes auxquels font appel sa profession. Il se rendra compte aussi, que toute défense de sa part pourra être immédiatement transposée pour défendre Lance Armstrong. Toute erreur de méthodologie dans mes accusations est déjà présente dans celles soulevées par le journal L’Equipe et soutenues par Jacques de Ceaurriz.

Lorsque j’ai lu l’article du journal L’Equipe pour la première fois, ma première réaction a été « La France a  trouvé un nouveau Dreyfus ».  En effet, il y a plus d’un siècle la France n’était pas prête à accepter la possibilité d’un militaire juif et honnête et en 2005 la France n’accepte pas un cycliste américain et honnête. Même dans la disgrâce, Dreyfus clamait : « Vive la France ! » et Lance Armstrong en références aux attaques des médias français déclarait le mois dernier : « Vive le Tour ! »  En fait, ce que la France doit trouver, c’est un nouveau Zola.

 

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