Et pourtant, ce livre la fascinait.

"L'abolition de la volonté"... L'hypnose...

Depuis qu'elle l'avait eu entre les mains, elle avait eu du mal à se concentrer sur quoi que ce soit d'autre. Elle ne faisait les courses et la cuisine que par nécessité et le ménage parce que Ryô lui avait reproché son laisser-aller. Quant au Cat's Eye, elle y passait en coup de vent, histoire de saluer son amie Miki en revenant des courses.

Dès qu'elle le pouvait, elle se remettait à lire.

Elle était fascinée par tout ce que l'hypnose permettait.

Le contrôle total d'un être...

Le livre donnait tous les détails pour mener à bien une hypnose et annihiler complètement la volonté de la 'cible'. A force de le relire, elle savait exactement comment procéder. En lisant ce livre, Kaori comprenait à quel point cela pouvait être dangereux. Mais cela la fascinait tellement... En même temps, elle se demandait si tout ce qui était écrit était vrai.

"Le repas est prêt ? J'ai faim." La plainte de Ryô lui fit lever le nez de son livre.

"Ah... Oui... Oui ! Il ne reste plus qu'à dresser la table." Elle rangea son livre en vitesse et se précipita vers la cuisine.

Tout en mangeant, Ryô maudissait ce fichu bouquin. Depuis que Kaori l'avait déniché, elle ne faisait plus attention à rien. Bien sûr, il y avait des avantages à cette situation : il pouvait maintenant détailler et draguer à loisir toutes les jolies femmes, se jeter sur Saeko, Reika et Miki, surtout quand Umibôzu n'était pas là. Les premiers jours, Ryô avait profité de l'inattention de sa partenaire pour passer de longs moments dans les cabarets en compagnie de jolies hôtesses, à flirter (enfin...., plutôt essayer, vu que sa méthode pour aborder les femmes n'était pas la meilleure), à boire et rentrer le lendemain sans que Kaori y fasse attention. Mais maintenant... Même quand ils étaient ensemble dans la même pièce, elle était tellement absorbée par sa lecture qu'elle ne faisait même pas attention à ses pitreries... A lui...

"Tu ne l'as toujours pas fini ?" lui lança-t-il, maussade.
"Hein ? ... Ah ! ... Le livre... A vrai dire, il est tellement intéressant ! Tu savais Ryô que l'hypnose permet de dominer un individu, lui faire perdre toute volonté, jusqu'à le rendre esclave ? s'enthousiasma-t-elle.
- Et tu crois tout ce qui est écrit ? - Eh bien, ce livre est tellement bien fait ! L'auteur a même décrit le moyen d'hypnotiser. Tu sais, il suffit de regarder le sujet dans les yeux (elle fixa les yeux ténébreux de Ryô) et dire d'une voix monocorde :
Ecoutes ma voix et oublies tout ce que tu as en tête.
Tout ce qui te plaît. Comme tout ce qui te déplaît.
Fermes les yeux.
Concentres-toi sur ma voix. Il n'y a pas d'autre son qui résonne à tes oreilles.
Ma voix à elle seule satisfera tous tes désirs.
Il suffit pour cela que tu m'écoutes.
Le reste n'a strictement aucune importance.
Ma voix sera ton guide.
Obéis et tu seras comblé.
Maintenant je vais compter jusqu'à 3. Tu te réveilleras et tu m'obéiras.
1 !
2 !
3 !
Tu vois, je l'ai appris par cœur !... Tu imagines ! Il suffit de prononcer ces paroles pour totalement hypnotiser quelqu'un... Hé ! Ryô ! Tu m'écoutes ?
- Oui !" Sa voix anormalement calme la surprit.
"Ryô ? Ca va ?
- Oui !
- Mais, enfin, qu'est ce qui t'arrive ??"

Elle remarqua alors son visage fermé, sans expression et surtout, ses yeux. Vides.

"Parlez et je vous obéirai." Sa voix était très douce. Et soumise.

"Hein ? ... Ne me dis pas que... ?"

Kaori se précipita vers Ryô, lui prit le visage dans ses mains et le regarda attentivement. Non ! Ce n'était pas le Ryô qu'elle connaissait : fort, froid et orgueilleux ! Celui qu'elle avait en face d'elle semblait soumis et, presque, sans vie.

Ce livre disait donc la vérité !

Elle avait réussi à hypnotiser quelqu'un ! Et ce quelqu'un n'était autre que Ryô !

Non ! Cela ne pouvait être vrai ! Comment elle, qui faisait des efforts, parfois au-dessus de ses forces, pour être une partenaire digne de lui, aurait-elle pu réussir ? Non ! Ryô devait sûrement se moquer d'elle ! Cette pensée la fit sortir de ses gongs : une énorme massue se matérialisa entre ses mains et le pauvre Ryô ne fut plus q'un objet volant identifié qui alla s'écraser dans le mur. Mais contrairement à son habitude, Ryô s'arracha du mur, s'avança vers Kaori avec un profil humble et se posta devant elle comme s'il attendait un autre coup !

Cette attitude déstabilisa Kaori.

Elle recula. Qu'avait-elle fait ?

"Que... que veux-tu, Ryô ?
- Vous servir."

Il n'y avait aucune hésitation : elle avait bel et bien hypnotisé Ryô !

Elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle voyait, ni ce qu'elle entendait. Elle avait besoin de faire le point sur ce qui venait d'arriver. Elle s'assit et commença à réfléchir. Elle ne remarqua pas que Ryô s'était approché.

"Que désirez-vous ?"

Surprise, elle prit néanmoins le temps de réfléchir un instant et répondit :

"Débarrasses donc la table, puis tu feras la vaisselle."

C'était un test. Lui qui rechignait toujours à l'aider et qui préférait lire ses magazines sexy, comment allait-il réagir ?

Contrairement à son habitude, il débarrassa la table et fit la vaisselle avec docilité et rapidité. Puis, ayant terminé, il se posta devant une Kaori ahurie en attente d'un autre ordre.

C'était la première fois que Ryô (même si ce n'était pas le VRAI Ryô) effectuait ce genre de travaux depuis que Kaori était devenue sa partenaire. Il fallait vraiment en profiter !

"Ranges ta chambre et ensuite, nettoies-la à fond."

Et pendant la demi-heure suivante, elle contempla, ébahie, (assise sur le tabouret qu'elle avait fait apporter) la rapidité avec laquelle Ryô dépoussiérait les meubles et les livres, nettoyait les vitres et astiquait le parquet. Pendant tout ce temps, son café était resté suspendu entre la soucoupe et ses lèvres. Et s'était refroidi !

Profitant de l'enthousiasme de son nouveau domestique, elle lui fit nettoyer la bibliothèque, le salon, puis (pourquoi pas ?) tout le reste de l'appartement. Et comme Ryô était encore plein d'énergie, elle lui fit nettoyer l'entrée et l'escalier de l'immeuble !

"C'est une bonne journée pour moi. Tout ce travail que j'essayais désespérément d'accomplir, je l'ai fait ! Mais, n'empêches qu'à force de te voir t'activer dans tous les sens, je suis fatiguée !" lui reprocha-t-elle.

Il était presque 18h. Il ne restait que 2h avant de se rendre au Cat's Eye pour l'anniversaire de Miki et Kasumi. Il était donc grand temps de rendre sa liberté à Ryô. Ce fut donc avec un soupir de désolation qu'elle lui dit :
"Ryô, assis-toi en face de moi et regardes moi bien dans les yeux. Bien. Hum... Hum... (elle s'éclaircit la voix). Ecoutes ma voix.
Au fur et à mesure que je compterai jusqu'à 10, tu redeviendras toi-même. Tu retrouveras la maîtrise de ta volonté progressivement tout en oubliant tout ce que tu viens de faire, d'entendre et de voir. Concentres-toi bien sur ma voix.
1...
2...
3...
4...
5...
6...
7...
8...
9...
10 !
Voilà, tu es libre", ajouta-t-elle avec regret.

Mais Ryô ne bougeait pas. Il se contentait de la fixer. Son visage était toujours aussi impassible et vide. Il était toujours sous hypnose.

Kaori s'efforça de garder la tête froide :
"Ce n'est pas le moment de paniquer. Voyons, réfléchissons... dit-elle tout haut. Je ne me suis pas trompée dans les paroles. Donc, c'est une question de concentration. Oui, c'est ça ! Comme je suis un peu fatiguée, je n'arrive pas à me concentrer suffisamment. Bon... Il me reste encore quelque temps avant d'aller chez Miki. Je vais me reposer une petite demi-heure et je serai en forme pour libérer cet empoté de Ryô."
Sur ce, elle l'abandonna pour se précipiter dans sa chambre.

Elle se sentait légère. Tout était calme, harmonieux. Seul un bruit vint ternir cette atmosphère. Un bruit rauque, insistant, périodique... Le réveil?... Non... Ce n'était pas le réveil... Mais quoi donc ? ... Emergeant avec réticence à la réalité, Kaori tendit l'oreille en maintenant les yeux bien clos : elle voulait pouvoir se rendormir dès qu'elle aurait pu définir et localiser ce bruit.

Ron... Ron..

Un ronflement ? ... dans sa chambre?!

Ce n'était pas elle qui ronflait. Alors... De qui pouvait-il s'agir ?

Se doutant de la réponse, elle bondit hors du lit et trébucha sur Ryô qui était allongé sur le sol. Celui-ci s'élança pour la rattraper avant qu'elle ne tombe, puis la maintint tout contre lui.

"Ryô.." Sa voix n'était qu'un murmure.

Elle posa sa tête sur son large thorax pour reprendre ses esprits. Que ce moment était doux. Elle aurait aimé qu'il dure à l'infini. Elle aurait aimé...

Elle leva la tête pour le regarder mais ne parvint pas à distinguer ses traits dans la pénombre. Ryô, à son tour, se pencha vers elle. Qu'allait-il se passer maintenant ?

"Veuillez m'excuser. Dites-moi comment racheter ma faute et je vous obéirai, lui murmura-t-il.
- Hein ?!..." Ah, oui. C'est vrai, il eest encore sous hypnose. De dépit, Kaori se libéra de son étreinte. Elle qui avait espéré...
"Prépares-moi un bon bain et ensuite, habilles-toi correctement." se reprit-elle.

L'eau du bain était bien chaude. Cela lui permit de se relaxer et de se remettre de son réveil un peu mouvementé.. Cet idiot de Ryô ! Dormir dans SA chambre ! Et, en plus, au pied de son lit ! Pour rester auprès de sa maîtresse, lui avait-il expliqué. Vraiment ! Avait-elle une tête à être la maîtresse de quelqu'un ? Et, surtout, de SA maîtresse, à lui ? Pour qui la prenait-il ? Elle regrettait de ne pas avoir choisi sa massue la plus lourde pour le frapper ! Tant pis, ce sera pour une prochaine fois.

Maîtresse...
Elle aurait aimé donner à ce mot un sens différent de celui donné par Ryô. Son regard se fit rêveur.

Après tout, c'est elle qui dirigeait. Elle pourrait tout lui demander. Et lui s'éxécuterait.
Oui... Tout...
Mais, ce ne serait pas avec LE Ryô qu'elle aimait.
Et pourtant...

Elle se laissa aller à sa rêverie, mais fut interrompue par un :
"Désirez-vous que je vous gratte le dos ?"
"..."

Kaori resta figée, incapable de prononcer un mot.

Comment osait-il ?!

Sans même s'en rendre compte, sa colère éclata sous la forme d'un konpitô qui projeta Ryô à l'extérieur de la salle de bains.

Maintenant, elle était trop énervée pour se concentrer et ramener Ryô dans son état normal. Tout en s'habillant, elle réfléchit à la façon d'expliquer aux autres le nouveau comportement de son partenaire.

Une grosse fatigue, une déception sentimentale...
Non, ce ne serait pas crédible. Ryô étant d'une nature plus qu'optimiste et joviale en compagnie de femmes, ces subterfuges ne risqueraient pas d'expliquer le nouveau caractère réservé de son partenaire. Il lui fallait donc une excuse à son niveau. Laquelle ?
Voyons. Quand on pense à lui, la première chose qui vient à l'esprit, c'est son "enthousiasme" pour les femmes. Oui ! C'est ça !

Elle jeta un coup d'oeil vers l'homme qui ne semblait être plus qu'un ombre. En fait, pour être plus exact, il était devenu son ombre à elle.

Ils sortirent de l'immeuble et se dirigèrent vers le Cat's Eye. Un merveilleux soleil orange se cachait derrière les immeubles et envoyait ses derniers rayons pour éclairer le chemin des rares passants. Mais Kaori (avec Ryô trottant à ses côtés avec un air absent) ne voyait rien de tout cela : elle ruminait sa nouvelle idée.

Le point faible de Ryô est son mokkori. Donc, si le moral de son mokkori est au plus bas, alors forcément, le moral de Ryô est aussi au plus bas. Voilà une bonne excuse pour son apathie.

Heureuse d'avoir trouvé une si bonne idée, elle regarda son compagnon et lui sourit, fière d'elle même.

"Bonsoir". Miki, Kasumi, Saeko et Reika les accueillirent avec un grand sourire. Umibôzu était déjà installé devant l'énorme gâteau. Mais avant même que Kaori puisse leur répondre, Ryô serrait toutes ces femmes dans ses bras : "Ah mes trésors. Que je suis HEUREUX de vous voir. Votre seule présence suffit à défaire la malédiction que m'a jetée cette mauvaise Kaori." Puis, se tournant vers cette dernière, il lui adressa un sourire triomphant.