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La calendrier (un an avant la présidentielle et les législatives) et la focalisation autour de Paris expliquent la politisation nationale du scrutin.

Le paradoxe des municipales

Par ERIC DUPIN
Eric Dupin est journaliste à «Libération».

Le lundi 5 mars 2001


A Lyon, Toulouse et Paris, un problème de succession offre à la gauche une opportunité de victoire. Son triomphe affecterait profondé-ment le climat national alors même qu'il n'aurait guère de signification idéologique. La logique cartésienne n'est pas toujours invitée à la comédie politique. Le cru 2001 des municipales offre un saisissant exemple de causalité paradoxale. La logique de ce scrutin est plus locale que jamais. Ses conséquences politiques nationales n'en risquent pas moins d'être retentissantes. La popularité gouvernementale, exceptionnelle par sa durée, rend improbable l'expression d'un «vote sanction» dont pâtirait la gauche à travers le pays. Elle n'annonce pas pour autant un «vote félicitations»: la politisation nationale des élections intermédiaires ne fonctionne qu'à sens unique. Les difficultés éprouvées par les ministres qui, comme Elisabeth Guigou, Dominique Voynet, Jean-Claude Gayssot ou Pierre Moscovici, tentent une conquête municipale montrent que la notoriété et la popularité ne suffisent pas à renverser un maire sortant bien implanté. Au final, le scrutin des 11 et 18 mars sera éclaté en 36 000 compétitions communales. Tout en étant sensible aux étiquettes politiques dans les zones urbaines, l'électeur se prononcera d'abord en fonction de la situation de sa municipalité. Qu'ils soient de droite ou de gauche, les édiles bien perçus seront réélus et les maires trop usés remerciés.

Mais deux données laissent présager que ce scrutin local produira un effet politique majeur. La première relève du calendrier. Les deux derniers renouvellements municipaux, déjà dominés par une logique communale, se sont déroulés après les échéances électorales nationales: dans la foulée de la présidentielle en 1995, un an après les présidentielle et législatives en 1989. Cette fois-ci, la bataille municipale se déroule un an avant la double élection dévolutrice du pouvoir en France. Une seconde caractéristique tient à un effet de loupe géographique. La bataille parisienne écrase largement les autres compétitions. C'est tout juste si les alternances possibles à Lyon et à Toulouse suscitent également quelque attention. Dans ces trois cas, un problème de succession offre à la gauche une opportunité de victoire. Son triomphe affecterait profondément le climat national alors même qu'il n'aurait guère de signification idéologique.

Une défaite de la droite dans la capitale s'interpréterait essentiellement en termes locaux. A ce détail près que c'est Jacques Chirac qui serait doublement sanctionné. L'ancien maire de Paris n'a pas su organiser sa propre succession. S'il avait donné les clés de l'hôtel de ville en 1995 à Edouard Balladur en gage de réconciliation, comme le lui recommandaient certains de ses conseillers, il n'en serait pas là aujourd'hui. Le chef de l'Etat n'a pas pu ensuite gérer la situation créée par la mise en place de Jean Tiberi. Par ailleurs, c'est précisément le système de gestion autoritaire et opaque établi sous son règne qui n'est plus supporté par les Parisiens. Chirac ne peut être que touché par le rejet qu'ils s'apprêtent à manifester. Un phénomène en partie injuste puisque la probable victoire de la gauche à Paris s'explique aussi par de profondes évolutions sociologiques. Ce n'est pas par hasard si, de scrutin en scrutin, la gauche progresse régulièrement dans la capitale. L'embourgeoisement de Paris a paradoxalement favorisé cette évolution à mesure que le PS attirait de plus en plus les catégories aisées tout en cédant du terrain dans les couches populaires.

L'histoire et la symbolique veulent néanmoins que Chirac soit la principale victime d'une déroute de la droite parisienne. Le scrutin le plus local qui soit - Bertrand Delanoë reste imperturbablement fidèle à son personnage de «local hero» - aura sans doute des répercussions sur l'élection la plus nationale - la joute présidentielle. Une impressionnante débâcle des listes Séguin et Tiberi déclenchera peut-être une sorte de déclic. De nombreux responsables de droite se sentiraient ouvertement autorisés à penser leur avenir sans Chirac. L'aventure du président de la République apparaît de plus en plus individuelle et de moins en moins porteuse pour une opposition nationale apparemment condamnée à le rester trop longtemps. L'effondrement attendu du système chiraquien dans la capitale est une métaphore parlante de l'impasse stratégique dans laquelle s'est enfermé l'actuel chef de l'Etat.

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