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On pourra contester la généralité du propos. La puissance nouvelle de l'oligarchie - dont la figure de Jean-Marie Messier est presque trop caricaturale - n'en est pas moins justement démontrée et dénoncée. Cela n'est pas si fréquent, même sous la plume d'observateurs classés à gauche. Les nouveaux dirigeants, issus d'une alliance entre l'ancienne technostructure et les détenteurs du capital, considèrent le choix démocratique comme un insupportable facteur de risques. Le «capitalisme dynastique» qui se reconstitue en Occident, en attachant à son service les cadres dirigeants, est bien résolu à garder les formes de la démocratie pour mieux la vider de son contenu. Au fur et à mesure que les alternances démontrent une impuissance à changer effectivement de politique, une fraction croissante du peuple s'abstient. Le suffrage tend à redevenir censitaire. L'aventure de George W. Bush ou celle de Silvio Berlusconi montrent à quel point l'argent pèse sur les combats électoraux. Et combien celui-ci est payé en retour. Joffrin s'en prend à l'idolâtrie du marché. Après avoir conjuré la gauche de se soumettre, au début des années 80, aux rigueurs de l'économie de marché, il lui demande de réfuter l'axiome libéral selon lequel «la liberté est le prolongement du marché». Son souhait de voir le débat collectif, c'est-à-dire la décision politique, réhabilité conduit l'ancien directeur de la rédaction de Libération à brocarder l'idéologie libérale-libertaire avec des accents qui rappellent parfois le discours de Jean-François Kahn. Joffrin pointe le mépris du peuple de ceux qui ont trop rapidement remplacé la lutte des classes par la lutte des races, laissant la représentation populaire se scinder entre l'image du «beauf» et celle du «beur». Il ose s'en prendre aux «idiots utiles» du libéralisme que sont, à ses yeux, les défenseurs d'un Internet totalement libre ou encore les militants d'une régularisation systématique des sans-papiers. Dans ce sombre tableau de l'état de la démocratie française, y a-t-il quelque lueur d'espoir? L'auteur fait montre d'une indulgence insatisfaite à l'égard de Lionel Jospin à qui il reproche de pécher par «excès de prudence et de calcul». Il confesse un faible pour Jean-Pierre Chevènement mais l'élimine pour cause de blasphème «antieuropéen». Joffrin regarde avec sympathie le mouvement antimondialisation mais s'empresse d'appuyer cruellement sur ses trois points aveugles (le rôle de l'économie de marché, de l'Etat et de la démocratie). La suppression, éminemment souhaitable, des cabinets ministériels et des conseillers en communication, qu'il suggère en conclusion, ne suffira évidemment pas à ranimer la démocratie hexagonale. Ce petit livre refermé, le lecteur s'interroge sur l'usage du «grand livre de la raison» qu'invoque in fine l'auteur. |
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