Les bords du lac, autour du Beau-Rivage et de la CGN, seront barricadés. Seuls les habitants et commerçants munis de badges pourront pénétrer dans ce sanctuaire, lieu de résidence des invités de Jacques Chirac.
Les pirates en rêvaient, le G8 le fait: une frontière va séparer Ouchy du reste de la ville de Lausanne. En effet, dès le 29 mai, une vaste zone de sécurité empêchera tout accès aux bords du lac entre le chantier de la CGN et le Beau-Rivage Palace. Seuls les 500 habitants et les 120 commerçants du lieu pourront accéder à ce secteur interdit, à condition de porter un badge d’identification. En échange, contrairement à un premier plan présenté il y a un mois, le centre-ville ne subira pas trop de perturbations, hormis celles liées aux manifestations. Tous les chefs d’Etat invités par Jacques Chirac à participer au Sommet d’Evian logeront en effet sur le territoire interdit de la commune libre, répartis entre l’Hôtel d’Angleterre, le Beau-Rivage Palace, et la Résidence.
«Cette solution a le mérite de limiter les nuisances pour les Lausannois, commente Daniel Brélaz. Une zone de sécurité de ce type au centre-ville, comme celle prévue initialement autour du Palace et de l’Hôtel de la Paix, aurait paralysé complètement la ville.» Le syndic de Lausanne a d’ailleurs pesé de tout son poids politique pour imposer le logement des délégations étrangères à Ouchy, lieu de leur départ pour Evian. Ce plan était d’ailleurs le premier scénario envisagé par les experts de la sécurité. Les Français l’avaient fait, selon nos sources, échouer dans un premier temps en voulant économiser sur le prix des chambres. C’est seulement depuis samedi dernier que l’Elysée a donné son accord à l’arrivée de ses prestigieux invités à Ouchy, et surtout l’argent nécessaire pour annuler un congrès de planteurs texans au Beau-Rivage Palace.
Désormais définitif, le dispositif de protection présenté hier va considérablement perturber la vie sur les bas de la ville, tout comme la circulation. Plus aucune voiture ne pourra circuler dans la zone de sécurité, sauf celles des habitants et commerçants badgés. «Ils devront cependant disposer d’une place privée, nuance le commandant de la police municipale Gérald Hagenlocher. Il leur sera en effet strictement interdit de parquer sur la voie publique.» Tous les résidents d’Ouchy vont prochainement recevoir une lettre leur expliquant la marche à suivre pour obtenir un badge, et un macaron pour leurs véhicules.
Contrôles d’identité
Seule concession faite aux Lausannois, la place de la Navigation fermera un jour plus tard, le 30 mai au matin. Voilà pourquoi les autorités parlent de trois zones dites sécurisées (appelées A, B et C). Dans les faits, elles formeront un seul territoire interdit pendant quatre jours. Le périmètre de ce dernier pourrait même prendre de l’ampleur en fonction des événements par l’annexion d’un vaste secteur se situant au-dessous de l’avenue de Cour (nommé D). «Il existe cependant neuf chances sur dix pour que la vie dans ce secteur ressemble à un long fleuve tranquille», rassure cependant Daniel Brélaz. Ses 6000 habitants ne porteront pas de badge. En revanche, les policiers vont certainement mener souvent des contrôles d’identité pour empêcher l’arrivée de groupes d’opposants dans ce quartier privé de toute «manifestation publique» pendant le G8.
Détails tenus secrets
Beaucoup de points pratiques restent encore obscurs. Certains sont liés à l’organisation et au parcours des manifestations du 29 mai et du 1er juin.
Si les négociations avancent, aucun accord avec les alter-mondialistes n’est encore tombé. Les autorités n’ont pas non plus l’intention de donner trop de détails pour des raisons de sécurité. Impossible, par exemple, de connaître le nombre d’hommes mobilisés ni l’emplacement des héliports construits par l’armée pour l’événement. Seule bonne nouvelle, la piscine de Bellerive reste ouverte, mais la police recommande déjà au public de ne pas s’y rendre...
MEHDI-STÉPHANE PRIN
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Conseils pratiques
Pour éviter les surprises, les autorités donnent les recommandations suivantes:
La casse
Dans les zones de manifestations, le stationnement est fortement déconseillé. Les commerçants et entreprises devraient protéger leurs vitrines, vider leur fond de caisse, éloigner tout objet pouvant servir de projectile et mettre en lieu sûr leur sauvegarde informatique.
Le ravitaillement
Les magasins sont priés de se faire livrer leur marchandise mercredi 28 mai au plus tard, et de contrôler leur stock. Les livraisons seront en effet difficiles du 29 mai au mardi 3 juin.
La circulation
En raison des problèmes de trafic, la police déconseille les déplacements en voitures dès le 29 mai, surtout sur les bas de la ville. Les transports publics (excepté à Ouchy) devraient fonctionner normalement, sauf lors des manifestations.
Information:
Le site www.g8info.ch donne des précisions supplémentaires. Une permanence téléphonique sera ouverte dès lundi au 021 644 81 91 (de 8 h 30 à 17 h 30).
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Réactions dans une zone interdite
Sylvia et Guy Delessert, loueurs de bateaux à Ouchy
Classés en zone B, un secteur qui sera entièrement sécurisé par les forces de police dès le 30 mai à 6 h, Sylvia et Guy Delessert sont à la fois rassurés et très inquiets pour leurs seize pédalos et leurs dix bateaux à moteur. «Nous sommes perplexes. C’est bien le 29 qu’il y aura la manif, non? Si nous ne sommes pas sécurisés ce jour-là, c’est grave. Car si on nous casse tout, pour nous, c’est l’aide sociale!» Quant au dédommagement promis, ils espèrent qu’il sera «correct».
Samir Ziadé, patron de l’Orient Express, à l’av. d’Ouchy
«Il faut bien que les chefs d’Etat se réunissent quelque part. Et cela ne va pas durer des semaines. Ce n’est pas la fin du monde», relativise Samir Ziadé en préparant avec toute la sérénité requise un authentique café libanais. Toutefois, il s’interroge: «Qui va payer notre manque à gagner et avec quel argent?» Comme la plupart des commerçants du quartier, il envisage de fermer son magasin pendant cinq ou six jours et étudie la possibilité de mettre des barricades. Photos Chris Blaser
Claude Blanc, riverain du chemin du Beau-Rivage
«Pourquoi avoir choisi un endroit confiné entre montagnes et lac pour organiser une réunion de chefs d’Etat?», s’interroge Claude Blanc. «A mon avis, ce n’est pas innocent. C’est justement dans le but de provoquer cet incroyable remue-ménage. D’une part cela leur donne le sentiment d’être vraiment importants et d’autre part, cela sert à justifier les budgets investis dans la sécurité.» Agacé mais pas inquiet, Claude Blanc espère juste réussir à prendre son avion le 3 juin.
Sarah Henry, gymnasienne, future «badgée» du G8
«Franchement, je ne comprends pas pourquoi ils font ça là, alors qu’il y a plein d’habitants. Je n’ai aucune idée de comment cela va se passer pour moi, je ne sais même pas si je pourrai aller à l’école», dit Sarah Henry, élève au gymnase de Morges. Les policiers me laisseront sûrement sortir du quartier, mais je me demande combien de temps ces contrôles vont prendre. Une heure peut-être? J’imagine que je ne serai pas la seule à vouloir bouger durant cette période.»
Jo. F
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«Je vous invite tous à ouvrir»
COMMERÇANTS
Face à 500 tenanciers et indépendants, le canton évoque la possibilité d’une indemnisation.
«Beaucoup, à cette période, seront armés. L’autodéfense est-elle souhaitable?» A l’image de cette question — même si elle est restée isolée — les craintes, et même une petite part de psychose, étaient bien réelles parmi les commerçants, réunis hier en nombre à l’EPFL. Près de 500 s’étaient déplacés, à l’invitation du Centre patronal, pour entendre les explications des autorités. Réplique immédiate du commandant de la gendarmerie, Alain Bergonzoli: «Les casseurs, nous serons là pour nous en occuper avec une task force et une réserve de forces bernoises qui sera extrêmement mobile en ville. Pour rassurer et prévenir.» Le conseiller d’Etat Jean-Claude Mermoud s’en alarme aussi: «Je vous enjoins de ne pas ruiner vos propres carrières. Laissez-nous travailler. La centrale 117 sera renforcée. Nous sommes prêts pour cet événement majeur.» Ainsi, une majorité de questions ont porté sur les manifestants extrémistes ou cagoulés. «Cela fera certainement partie des conditions pour les manifestations, qui sont en négociations. La cagoule est un signe indicateur. Nous demanderons aussitôt aux participants de s’écarter, pour intervenir», a rassuré le chef du Département cantonal de la sécurité.
A la brésilienne
D’après le syndic Daniel Brélaz, le village alternatif sera sous observation et les manifestations souhaitées à Lausanne sont «à la brésilienne»: avec des couleurs et des drapeaux. Le major Bergonzoli abonde: «Ne diabolisons pas tous ceux qui ont l’intention de manifester. Les altermondialistes eux-mêmes ne veulent pas des casseurs et ils s’engagent à faire un service d’autoprotection.» Les commerçants ont-ils été rassurés? Difficile à dire. La réaction du promoteur immobilier Bernard Nicod est éloquente: «Après le 1er Mai, nous étions désemparés. Merci de vous être coordonnés et de travailler main dans la main. Mais il faut souligner que 18 manifestants ont réussi à faire peur à deux policiers.» Comment se protéger sur le parcours du cortège? Le commandant de la police municipale, Gérald Hagenlocher, les a invités à évaluer s’il fallait mettre une grille, du bois, ou prendre une agence de sécurité, à ne pas conserver d’argent, ne pas exposer de valeurs ou d’objets américanisés, à éloigner les objets pouvant servir de projectiles ou de combustibles.
«Est-il vraiment souhaitable de se barricader et donner l’image d’une ville digne du Moyen Age?», s’est toutefois interrogé le commerçant Michel Curchod. «Même si je suis proche d’une banque et d’un Macdo, j’ouvrirai, et vous invite tous à le faire. Il est totalement faux d’avoir la trouille», a lancé le traiteur Daniel Manuel. «Que nos hôtes gardent aussi de bons souvenirs, et non l’image d’une ville morte ou d’un camp retranché», conclut le Centre patronal. Pour anticiper les revendications des commerçants, le conseiller d’Etat n’était par ailleurs pas venu les mains vides. Alors qu’aucune compensation n’était jusqu’ici prévue, Jean-Claude Mermoud a annoncé la possibilité d’une indemnisation. La base légale en est cependant encore incertaine et cela reste encore à négocier avec la Confédération.
Patrick Combremont
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