Évian -- À l'Élysée, on est formel: le président des États-Unis n'a jamais envisagé d'aller dormir en Suisse pendant le sommet du G8 qui s'ouvrira à Évian demain! Qu'on se le dise donc: George Bush couchera en territoire français et pourra, comme les autres chefs d'État et de gouvernement, contempler les brumes matinales du lac Léman.
Mais il ne le fera qu'une seule nuit, contrairement aux autres invités, puisqu'il repartira dès lundi après-midi pour une rencontre semble-t-il beaucoup plus importante, celle des chefs arabes à Charm el-Cheikh.
Depuis un mois, le président américain n'a pas cessé de souffler le chaud et le froid sur ce sommet qui devait être celui de la réconciliation. Tous auront remarqué que George Bush a choisi de commencer son périple européen en Pologne. Le pays n'a peut-être fourni que 200 soldats à la guerre en Irak, mais il demeure le plus proaméricain des anciens pays de l'Est qui s'apprêtent à rejoindre l'Union européenne.
Comme pour donner le ton, le quotidien Le Figaro publiait hier une entrevue du président américain dans laquelle celui-ci se dit «décidé à travailler avec la France». George Bush y va même d'un étonnant : «Vive la France !» Mais le slogan est aussitôt nuancé d'un avertissement : «Jacques Chirac et les responsables français devront travailler à convaincre leurs propres concitoyens et montrer que la France est prête à coopérer avec les États-Unis.»
À bon entendeur, salut !
Lorsqu'il atterrira à l'aéroport de Genève, demain, ce sera la première fois que le président américain s'assoira autour d'une même table de travail avec ses alliés canadiens, français et allemands depuis le bras de fer des Nations unies et la guerre en Irak. Le G8 d'Évian est donc le sommet des retrouvailles après l'une des pires divergences à être survenues depuis 30 ans au sein de l'Alliance atlantique.
Depuis deux semaines, la France et le Canada ont multiplié les signaux positifs. Le ralliement français à la résolution 1484 de l'ONU levant les sanctions contre l'Irak a suivi une première rencontre entre Colin Powell et Dominique de Villepin lors de la conférence des ministres des Affaires étrangères du G8, la semaine dernière à Paris. Jacques Chirac a même décroché son téléphone pour s'entretenir dix minutes avec George Bush, comme l'a ensuite fait Jean Chrétien lundi dernier.
À l'appui de cette détente, le groupe américain Bechtel a annoncé que les entreprises françaises et allemandes ne seront pas écartées de la reconstruction de l'Irak, même si les pays de la coalition victorieuse seront servis en premier. «Je ne punis pas la France», a déclaré Colin Powell à Paris avant d'ajouter : «Il y a eu un désaccord et nous devons réexaminer l'ensemble des politiques entre nos deux pays et voir si certains changements ne seront pas nécessaires.» Les États-Unis ont déjà écarté les Français de l'exercice annuel de combat Red Flag, auquel l'armée de l'air française participait depuis une vingtaine d'années.
Voilà pourquoi, hier à Évian, la grande préoccupation n'était plus de savoir quelle grande déclaration d'unité sortirait du sommet mais comment on ferait pour prendre la traditionnelle photo de famille avant que le président américain ne s'envole pour le Moyen-Orient.
L'Irak oublié
On comprend aussi pourquoi Jacques Chirac, qui préside ce sommet après Jean Chrétien l'an dernier, a tout fait pour écarter l'Irak de l'ordre du jour. Pour faire oublier la participation mitigée du président américain, rien de tel que de noyer le poisson en conviant de nouveaux invités à la fête.
Ainsi la Chine a-t-elle été conviée pour la première fois à la grande messe. Même chose pour les chefs des grandes organisations multilatérales (ONU, OMC, FMI, Banque mondiale). Alors que Jean Chrétien avait invité quelques pays africains à Kananaskis, Jacques Chirac a privilégié un «dialogue élargi» avec les pays dits émergents.
Demain après-midi, avant le début du sommet officiel, les huit rencontreront donc leurs homologues du Brésil, du Mexique, de l'Inde, de l'Arabie Saoudite, de la Malaysia, du Maroc, du Sénégal, du Nigeria, de l'Afrique du Sud, de l'Égypte et de l'Algérie.
Jamais autant de pays n'ont participé à un G8 ! Pour répondre à ceux qui critiquent le G8 d'être devenu le «directoire» de la planète, Jacques Chirac a aussi multiplié les rencontres préparatoires avec les organisations non gouvernementales dont il finance le contre-sommet à hauteur de 1,6 million de dollars.
Retour à la mission première
Les observateurs estiment que ce pourrait être l'occasion pour le G8 de revenir à ce qui était sa mission première au moment de sa création, en 1975, par Valéry Giscard d'Estaing : l'économie. Puisque le Canada a le meilleur taux de croissance des pays du G8, c'est donc Jean Chrétien qui fera rapport sur la question.
Les chefs d'État et de gouvernement se réunissent en effet à un moment où l'horizon économique s'assombrit : chute du dollar, récession en Allemagne, crainte de déflation, déficits à la hausse en France, en Allemagne et en Belgique. Alors que la bulle financière a éclaté et que les prix du pétrole se sont stabilisés, Jacques Chirac dit vouloir inviter ses homologues à tout faire pour rétablir la confiance dans la croissance.
«Nous devons démontrer clairement au monde entier que nous sommes déterminés à agir ensemble», expliquait le président français au Financial Times. Il serait par contre surprenant que les Américains et les Européens tombent d'accord sur une politique précise de relance. À défaut, les tapes dans le dos ne peuvent pas faire de mal.
Mais les chefs d'État pourront difficilement éviter les sujets qui fâchent. Parmi ceux-ci, on retrouve la dette des pays du Tiers-Monde et l'accès à l'eau potable pour les pays pauvres. L'Afrique sera, comme l'année précédente à Kananaskis, un des sujets majeurs du sommet. Le NEPAD devrait entrer dans sa phase de mise en oeuvre, insiste-t-on à l'Élysée. Il importe d'en vérifier les progrès. Paris, qui défend pourtant la politique agricole européenne, entend peser de tout son poids pour qu'à Évian les Huit réaffirment l'importance du cycle de Doha et de l'ouverture des marchés du Nord aux pays pauvres, notamment ceux d'Afrique.
L'accès à l'eau potable sera abordé pour la première fois dans ce genre de sommet. C'est la moindre des choses dans une ville réputée pour la qualité de ses eaux ! On estime que la population mondiale affectée par la pénurie d'eau pourrait atteindre trois milliards de personnes en 2025. Au Forum de Kyoto, les pays participants s'étaient mis d'accord sur une déclaration ministérielle qui reconnaissait que l'eau est un élément indispensable au développement mais pas pour autant un droit fondamental. Il serait surprenant que le G8 parvienne à dépasser les déclarations générales sur cette question.
Sur la lutte contre le sida, le sommet devrait permettre de consolider le fonds mondial créé à Gênes en 2001. Les pays donateurs s'y sont engagés à financer la lutte contre la pandémie à hauteur de 3,4 milliards de dollars d'ici 2008. Une somme de 1,5 milliard de dollars a déjà été versée à 150 programmes mis en oeuvre dans 81 pays. George Bush arrive à Évian fort de l'engagement américain d'y consacrer, au cours des cinq prochaines années, 15 milliards de dollars. Il a même mis au défi ses alliés «d'annoncer un engagement financier similaire».
Cet engagement pourrait forcer les Français à modérer les ardeurs du plan d'action sur la santé qui sera soumis aux États membres du G8. Les documents préparatoires proposaient un «cadre intégré pour améliorer l'accès aux médicaments et aux traitements» ainsi que pour favoriser «la production locale et les transferts de technologie». Selon le quotidien Le Monde, les derniers textes ne feraient plus référence à la production locale de médicaments et aux transferts de technologie. Aurait aussi été supprimée toute référence aux accords de l'OMC à Doha sur les médicaments génériques.
Reste ce mystère jamais résolu : comment les membres du G8 feront-ils pour aborder toutes ces questions en une seule journée puisque le président américain s'envolera lundi ? La plupart des déclarations politiques sont déjà ficelées depuis des semaines. Seule la déclaration économique serait, dit-on, encore ouverte. Mais la soudaine vigueur américaine à l'égard du Moyen-Orient chamboulera-t-elle l'ordre du jour ?
Tout est possible dans un G8. Le pire comme le meilleur.
FAIR USE NOTICE: This page contains copyrighted material the use of which has not been specifically authorized by the copyright owner. NoNonsense English offers this material non-commercially for research and educational purposes. I believe this constitutes a fair use of any such copyrighted material as provided for in 17 U.S.C § 107. If you wish to use copyrighted material from this site for purposes of your own that go beyond fair use, you must obtain permission from the copyright owner, i.e. the media service or newspaper which first published the article online and which is indicated at the top of the article unless otherwise specified.