Persécution des détenus politiques dans les prisons
L’état doit respecter ses engagements pour le traitement des prisonniers

Tunis le 4 Août 2002

Le Conseil National pour les libertés en Tunisie vient d’être saisi de plusieurs cas de persécution visant les détenus politiques dans les prisons tunisiennes.

Conditions inhumaines à Borj El Amri :
Ainsi plusieurs familles de détenus d’opinion à la prison de Borj El Amri, nous ont rapporté qu’une grève de la faim a été observée ces derniers jours pour protester contre les conditions désastreuses qui y prévalent. Cette prison, nouvellement construite au Nord de la capitale, est dirigée par le sinistre tortionnaire Imed Ajmi, solidement couvert par la hiérarchie pour les innombrables méfaits dont il s’est rendu coupable et notamment pour sa responsabilité dans la mort de plusieurs détenus, dont Abderrahman Jhinaoui en mars 2001.
De nombreuses plaintes font état d’un surpeuplement associé à un manque d’hygiène intolérables, favorisant la prolifération des parasites ; les détenus se plaignent des restrictions opérées, dans cette période de canicule, par l’administration sur la distribution de l’eau, limitée à une courte période de la nuit avec un débit très faible. Il semblerait aussi que les détenus soient cantonnés en permanence dans les cellules et privés des séances de promenade quotidiennes.
De même la famille de M.Hedi Jebali nous a saisi d’une agression dont il a été victime de la part d’un gardien dénommé Mohamed Farmli et qui a fait l’objet d’une plainte en justice déposée par Me Saida Akremi. Cette situation a conduit plusieurs familles à se rassembler le lundi 29 juillet devant le siège de la direction générale des services pénitentiaires qui a refusé de les recevoir.

Traitement spécial pour Z.Yahyaoui :
Encouragés, les gardiens multiplient les exactions et les brimades, ciblant en particulier certains détenus d’opinion. Zouhayr Yahyaoui, le cyber-dissident qui vient d’être condamné à 2 ans de réclusion pour avoir animé un site web satirique, fait l’objet de multiples mesures de rétorsion: privation de lecture, amputation de sa séance hebdomadaire de visite familiale qui se déroule dans des conditions pénibles en présence de nombreux gardiens se livrant à des provocations et menaces. Multipliant les interdits, l’administration s’ingénie à mener la vie dure à sa famille pour la moindre des démarches ordinaires comme la réception du couffin, des vêtements ou des ustensiles.

Persécution des anciens détenus :
Le CNLT est par ailleurs vivement préoccupé par la permanence des persécutions policières qui visent les anciens détenus d’opinion et leurs familles par le biais de la procédure du contrôle administratif qui est détournée par la police politique et transformée en un dispositif de destruction sociale et humaine des opposants. C’est ainsi que M.Abdallah Zouari, libéré de prison le 6 juin 2002 à l’expiration de sa peine de 11 ans de prison, vient de se voir notifier une mesure d’éloignement dans la campagne du Sud tunisien, par décision du ministre de l’Intérieur, alors qu’il réside à Tunis où se trouvent toute sa proche famille. M.Zouari a interjeté recours auprès du tribunal administratif contre cette mesure.
Le CNLT craint que cette décision du Ministre ne couvre en réalité le dessein des responsables de l’appareil répressif, illustré par maints exemples dramatiques récents, d’engager M.Zouari dans une dynamique implacable de persécutions et de harcèlements. La police politique s’est illustrée dans l’art d’imposer des entraves aux activités sociales des anciens prisonniers, notamment à leur quête d’un gagne-pain et cela en contravention avec les articles 80 et 81 des « Règles minima pour le traitement des détenus » de l’ONU de 1959, qui font obligation d’aider à la “réintégration du détenu après sa sortie de prison … afin de sauvegarder les intérêts de sa famille et sa réadaptation sociale”.
M.Abdallah Zouari vient tout juste de payer - avec sa famille - un très lourd tribut à l’exercice de droits constitutionnels et à l’expression légitime de sa citoyenneté ; son droit à se reconstruire dans la quiétude des liens familiaux et sociaux est inaliénable.

S’agissant du traitement des prisonniers, le CNLT rappelle à l’état tunisien ses engagements internationaux et notamment l’article 10 des « Règles minima pour le traitement des détenus » de l’ONU de 1959 qui dispose que « les locaux affectés au logement des détenus pendant la nuit doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne le cubage d’air, la surface minimum, l’éclairage, le chauffage et l’aération. » De même l’article 15 de la loi tunisienne sur les prisons prévoit que « les prisonniers sont logés dans les locaux disposant de moyens d’aération et d’éclairage suffisant ainsi que des équipements sanitaires nécessaires. En outre, l’Administration est tenue de mettre à la disposition de chaque prisonnier une literie individuelle. »

Le CNLT invite instamment les autorités tunisiennes à faire respecter la loi et à sanctionner ceux qui se sont rendus coupables de sévices et de traitements inhumains ou dégradants parmi les responsables de l’administration pénitentiaire.

Pour le Conseil,

La porte-parole

Sihem Bensedrine