La Tunisie en deuil de ses institutions républicaines

Tunis le 25 Juillet 2002

Aujourd’hui, c’est dans le deuil que les Tunisiens commémorent le 45e anniversaire de la république. En effet, il ne reste plus grande chose des institutions républicaine après le 26 mai 2002, où une pseudo consultation populaire est venue couvrir de légalité une refonte de la constitution, déjà bien mise à mal par de multiples manipulations au gré des couturiers politiques.
Mais cette fois on acheva ce qui restait de la séparation des pouvoirs ; affirmant une volonté de monopole de la vie publique de la part d’un pouvoir autoritaire qui s’est octroyé de ce fait une légalité, les citoyens tunisiens se retrouvaient sans constitution véritable, à la merci d’un pouvoir absolu d’un homme au-dessus des lois, qui n’a de comptes à rendre à qui que ce soit.
Et pour mieux faire passer le message, durant les quelques semaines qui ont suivi, une véritable offensive contre la société civile a été menée par les pouvoirs publics se traduisant par pas moins de huit procès politiques et de multiples harcèlements visant les défenseurs de droits humains allant de l’interdiction de circuler, de voyager, de tenir des réunions publiques ou privées à l’agression physique et la coupure des lignes de téléphones et d’Internet.
Mais, l’institution qui est dans la ligne de mire, reste la Justice, plus instrumentalisée que jamais par l’exécutif qui en fait sa machine à réprimer. Le malaise est aujourd’hui grand chez les magistrats qui commencent à résister à ce détournement de fonction de leur institution. Le barreau, en tant que profession engagée en première ligne dans le combat pour les libertés et le respect de l'état de droit, fait l'objet d’atteintes arrogantes aux droits de la défense et d'une attaque tous azimuts, relayée ces derniers temps par la presse aux ordres qui diffame le Conseil et son bâtonnier en toute impunité.
Les représailles contre les opposants, dont près d’un millier croupissent dans les prisons dans des conditions inhumaines, s’étendent aux familles qui vivent un véritable calvaire. C’est ce qui a conduit la célèbre avocate Radhia Nasraoui à mettre en péril sa vie dans une grève de la faim illimitée pour exiger la libération de son mari Hamma Hammami et que cesse la persécution contre sa famille. L’appel à une amnistie générale pour toutes les victimes de la répression est aujourd’hui une urgence et une priorité pour toutes les ONG de droits humains ainsi que pour l’opposition démocratique.
Il est aujourd’hui important d’œuvrer à favoriser l’émergence d’une justice indépendante et impartiale, délivrée de la tutelle du pouvoir exécutif et qui soit en mesure de jouer son rôle dans la protection et le respect des lois et dans la sanction de ceux qui les transgressent. Il est de même indispensable que soient abrogées les lois liberticides qui empêchent le citoyen d'exercer ses droits naturels à l'expression, à l’organisation et à la réunion.

Le CNLT, qui s’est associé à toutes les initiatives de la société civile pour dénoncer toutes les violations au droit, appelle toutes les forces citoyennes attachées aux valeurs de la république à se mobiliser en vue de réhabiliter leur constitution et reconquérir leurs droits fondamentaux en rejetant le statut de « sujet » qu’on cherche à leur faire assumer ; en investissant l’espace public et instaurant les contre-pouvoirs propres à réinscrire la valeur de citoyenneté dans la vie quotidienne. La dictature n’est pas une fatalité.

Pour le Conseil,

La porte-parole

Sihem Bensedrine