Arrestation de Sadri Khiari et extradition du professeur Philippe Corcuff

Tunis le 27 Octobre 2002

Aujourd’hui 27 octobre dans la matinée, la police a fait irruption par la force au domicile de Sadri Khiari, artiste-peintre, membre du secrétariat du RAID (Attac-Tunisie) et membre fondateur du CNLT, en grève de la faim depuis le 25 octobre pour protester contre l’interdiction arbitraire de voyager dont il est victime depuis juillet 2000.
La police a évacué violemment Philippe CORCUFF, sociologue et membre d'Attac-France, venu à Tunis accompagner Sadri Khiari dans sa grève et l’a extradé. Six policiers sont revenus par la suite au domicile de Sadri Khiari et l’ont emmené manu militari. Jusqu’au début de l’après-midi, la famille de Sadri est sans nouvelles du lieu où il se trouve.

Arguant de fantomatiques poursuites judiciaires, la police des frontières a empêché six fois Sadri Khiari de quitter le territoire tunisien depuis juillet 2000.
Les avocats de Sadri Khiari, Maitres R. Nasraoui et R. Ayadi, ont recherché à plusieurs reprises les traces de ces poursuites ; à aucun moment le ministère public n’a pu confirmer l’existence de ces plaintes. En réalité, le pouvoir n’a jamais pardonné à Sadri Khiari la mission qu’il avait menée en Europe au printemps 2000 pour présenter, en sa qualité de responsable des relations extérieures, le premier rapport du CNLT sur l’état des libertés. Sadri est coupable d’avoir mis sur la scène internationale cette dénonciation systématique et sans complaisance de la dictature, rompant ainsi le glacis de la terreur pour la première fois en Tunisie, et ouvrant une brèche dans laquelle la société civile ne tardait pas a s’engouffrer. La notoriété dont jouissait alors Sadri Khiari l’avait prémuni de la prison dont il était ouvertement menacé, mais le pouvoir s’est rattrapé en lui faisant subir une privation sévère de sa liberté fondamentale de voyager.

Cette privation a beaucoup affecte ses activités associatives (il ne peut participer aux différentes activités internationales auxquelles il est invité en sa qualité de membre dirigeant de RAID), scientifiques (il est empêché de soutenir une thèse de sciences politiques qu’il a achevé depuis plus d’un an sous la direction de Jean-Maris Vincent, professeur à l’Université de Paris VIII) et artistiques (il ne peut faire les expositions auxquelles il est convié à l’étranger).
Sadri paie aujourd’hui pour avoir été la voix des sans voix dans une Tunisie réduite au silence par une dictature soft et d’avoir été un précurseur dans sa mise à nu.
Sa liberté doit être aujourd’hui inscrite comme une urgence dans l’agenda des ONG de défense des droits humains.

Cette violation caractérisée des droits fondamentaux d’un citoyen s’ajoute à la liste des violations dont se rendent coupables les autorités tunisiennes en toute impunité. En dépit de l’amendement de 1998 sur les passeports qui limite la décision d’interdiction de voyager à la seule compétence du juge, l’administration policière continue de disposer de la liberté de circulation du citoyen à sa guise, et use de ce droit comme d’un privilège qu’elle monnaye. La Tunisie est partie du pacte international sur les droits civils et politiques qui garantit à chaque citoyen le droit inaliénable à la libre circulation. Le CNLT s’élève avec la plus grande vigueur contre ce déni intolérable de droit à la liberté de circulation d’un défenseur de droits humain.
Il condamne énergiquement la violation de domicile et les violences dont il vient d’être l’objet lui et son compagnon, le professeur Philippe Corcuff. Il exige la libération immédiate de Sadri Khiari et son rétablissement dans ses droits légitimes à la libre circulation.

Pour le Conseil,

La porte-parole

Sihem Bensedrine