Général à vendre
(Les Frères Jacques)
(paroles de Francis Blanche)


De bon matin me suis levé, c'était dimanche 
A la carriole j'ai attelé la jument blanche 
Pour m'en aller au marché 
Dans le chef-lieu du comté 
Paraît qu'y avait des généraux à vendre 

Mais le soleil écrasait tant la route blanche 
La jument s'arrêtait si souvent sous les branches 
Que lorsque je fus rendu 
On ne m'avait pas attendu 
Et tous les généraux étaient vendus

Pourtant là-bas, tout au bout du champ de foire 
Par un coup de chance, il en restait encore un 
Il n'était pas couvert de gloire 
Mais avec un peu de ripolin 
Il pourrait faire encore très bien 

Je l'ai échangé contre un cageot de pommes pas mûres 
Quatre choux-fleurs et une tartine de confiture 
Tout ça pour un général 
C'était déjà pas trop mal 
Et puis je l'ai chargé dans la voiture

A la maison on m'a fait des reproches amers 
Encore une fois paraît que je m'étais laissé faire 
Un général dans cet état 
Ça valait beaucoup moins que ça 
Mais puisque c'était fait tant pis pour moi 

Et puis les gosses ont eu peur de sa moustache 
Elle était rousse et ça les faisait pleurer 
On lui a coupée d'un côté 
Mais le chien s'est mis à aboyer 
Alors on lui a laissé l'autre moitié 

Il fichait rien pour pas salir son beau costume 
De temps en temps il épluchait quelques légumes 
Ou réparait l'escabeau 
Ou débouchait le lavabo 
Mais il ne savait môme pas jouer du piano 

Pourtant certains soirs, certains soirs d'été 
Le général s'asseyait sur la paille 
Et les yeux perdus dans l'immensité 
Il nous racontait ses batailles 

Il nous parlait des Dardanelles 
Quand il n'était que colonel 
Et de la campagne d'Orient 
Quand il n'était que commandant 
L'épopée napoléonienne 
Quand il n'était que capitaine 
Et puis la Guerre de Cent Ans 
Quand il n'était que lieutenant 
Les croisades de Pépin-le-Bref 
Quand il n'était que sergent-chef 
Et les éléphants d'Hannibal 
Quand il n'était que caporal 
Les Thermopyles, Léonidas 
Quand il n'était que deuxième classe 
Et Ramses II, la première guerre 
Quand sa mère était cantinière. 

Et le général jusqu'au petit matin 
Déroulait le fil de son immense histoire 
Puis il s'endormait sur la botte  de foin 
Et nous, sans parler, nous rêvions de gloire 

Il est resté comme ça chez nous jusqu'à l'automne 
Sans travailler, sans trouver la vie monotone 
Ça nous a même étonnés 
D'apprendre par le curé 
Qu'il avait fait deux jumeaux à la bonne 

Et puis voilà que par un beau matin de décembre 
Il est entré sans même frapper dans ma chambre 
Il venait de lire dans le journal 
Qu'on le nommait Maréchal 
Alors il nous quittait c'était fatal 

Je l'ai ramené en carriole jusqu'à la ville 
On m'a rendu mes choux-fleurs et mes cageots 
Et sans émotion inutile 
Sans pleurer, sans dire un mot 
On s'est quittés en vrais héros 

A la maison la vie a repris sans aventures 
Y'a plus personne pour nous faucher nos confitures 
Le général au bistrot 
Avait planté un drapeau 
Pour la patrie j'ai payé la facture 

Je ne suis plus jamais retourné au marché 
Mais quelquefois dans le ciel de la nuit d'été 
On voit briller cinq étoiles 
Et ça nous fait un peu mal 
Oh ! n'achetez jamais un général... 


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