Le crachat
(Léo Ferré)


Glaireux à souhait avec des fils dans l'amidon
Se demandant s'il tombera du mur ou non
    Le crachat au soleil s'étire

Son oeil vitreux de borgne où la haine croupit
Brillant d'un jaune vert pâlot et mal nourri
    Sous la canicule chavire

D'où viens-tu pèlerin gélatineux et froid
De quelle gorge obscure as-tu quitté l'emploi
    Pour te marier à cette pierre

D'un gosier mal vissé ou d'un nez pituiteux
D'un palais distingué d'un poumon besogneux
    Ou d'une langue de vipère

Avant que de finir au plat sur ce granit
Etais-tu préposé au catarrhe au prurit
    Ou bien à résoudre une quinte

Es-tu le doute du rêveur l'orgueil du fat
La solution d'un douloureux échec et mat
    Ou l'exutoire du farniente

Agacé par l'insecte au ventre crevant d'oeufs
Décoloré, suintant, le crachat comateux
    Sur le trottoir enfin débonde

Tandis qu'agonisant sous des pieds indistincts
A l'aise enfin chez lui il me dit l'air hautain
    « Je suis la conscience du monde »


Merci à Peter Weber pour ce texte.
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