JEAN-LOUIS BORY
Quand on n'avait pas vingt ans dans les années 60 et qu'on voulait faire du cinéma, qu'en plus on était un garçon "bien fait de sa personne", on rencontrait forcément Jean-Louis Bory. Non pas que Jean-Louis fusse le moins du monde un dragueur de minets, contrairement à d'autres "tantes" peu fréquentables dans le milieu du spectacle toujours à la recherche de "poulains" aux fesses bien arrondies et de préférence en dessous d'un certain âge légal, non Jean-Louis se contentait de rapports platoniques et intellectuels. Il aimait discuter des heures au Flore, entouré de sa jeune cour, du dernier Hitch ou d'un film de Bergman. comme il avait le verbe facile, la bourse (je parle d'argent) généreuse, et surtout beaucoup d'esprit, j'aimais le rencontrer et l'écouter béat sans rien dire. J'avoue que son discours sur le cinéma était plutot transparent car rien ne m'en est resté, au contraire des nuits tourmentées passées avec Jean Douchet à la sortie de la cinémathèque. Jean-Louis bory parlait des films du moment, et il y avait une sorte de futilité à rester dans l'actualité. Jean Douchet  parlait des Grands Classiques, notamment Fritz Lang dont il me fit découvrir toutes les subtilités de la mise en scène, Murnau dont il parlait à flots continus, et ces propos m'ont marqué à vie, ils ont affirmé ma vocation de cinéaste, et fait rencontré l'essentiel dans les grandes oeuvres des véritables cinéastes. Bory, lui, c'était une bulle de savon, avec des points de vue qu'il ne voulait pas péremptoires, et jamais de méchancetés, ni de perfidies.
C'était le critique mondain de gauche type ce Jean-Louis Bory, à la voix si chatoyante, au débit rapide mais jamais précipité comme Cau ou Sollers. Il donnait l'illusion de ne jamais boire qu'un petit blanc, alors que finalement il restait des heures au bistrot. Je ne l'ai jamais entendu dire Roger (pour Vadim), Christian (pour Marquand), ou Brigitte (pour Bardot) comme le faisaient les autres qui les avaient vaguement croisé à un cocktail de première. Lui les connaissait bien ces célébrités, mais jamais il ne se prétendait un intime,auprès de nous les jeunes, alors que parfois il l'était. Même le sec Alain (Delon) ou le havre Alain (Cavalier), qui le reconnaissaient comme une fine plume et fin diseur, n'ont jamais obtenu une critique complaisante. Pourtant que d'efforts faisaient les critiques (dont je tairai le nom, et dont j'exclus d'office le gaillard Louis Chauvet du Figaro) pour se compromettre auprès des stars. Que de Jean (pour Gabin), Michelle (pour Morgan), Bernard (pour Blier), Michel (pour Audiard) et Henry (pour Verneuil) n'ai-je pas entendu de petits écrivaillons de seconde zone qui s'étaient retrouvés, par piston de papa, dans une "rubrique spectacle" d'un quotidien ! Je pourrai citer quelques noms devenus célèbres par ailleurs, et un jour de pintage je le ferai ! Parce qu'il faut savoir que dans les années 60, la critique de cinéma était VRAIMENT influente et certains faisaient payer chers (même en monnaies, et oui !) leur influence. Et les pôvres producteurs étaient souvent pieds et poings liés avec eux. J'exclus encore Louis Chauvet du Figaro qui avait un véritable esprit libertaire, et qui m'a même envoyé un jour un de ses livres "légers, voire porno" avec une dédicace me faisant part d'une estime dont il ne pouvait faire état dans son journal qu'avec des circonvolutions pleins d'humour. J'ai du garder un de ses articles sur JE SUIS A PRENDRE, qui vaut son pesant de cacahouettes d'hypocrisie !
J.L.Bory avait eu le Prix Goncourt en 45 pour son roman " Mon village à l'heure allemande", et comme il savait que je fouinais les bouquinistes, il m'avait missionné (très discrètement) pour racheter les exemplaires dédicacés, pour se faire (avec humour) sa liste "de traites ou de fauchés". J'ai retrouvé des Mauriac, Duhamel, Barjavel (et oui !), et même Maurois !