Geneviève Jeanson
son entraîneur André Aubut

Été 2000


photo : Michel Nepveu

L'entraînement comme un tout

Michel Nepveu

Il est professeur d'éducation physique dans une école de Lachine, où il est né. À la fin des années 1970, il fait de la compétition en canoë-kayak au niveau national. Il est champion canadien en 1978, alors qu'il amorce des études en éducation physique. André termine ses études en 1981 à l'UQAM. Il entraîne déjà certains athlètes de canoë-kayak et devient officiellement coach en 1982. Il s'adonne par la suite au ski de fond (encore au niveau national), puis au triathlon et au duathlon.

À la boutique de vélo Rossi, à Lachine, il rencontre le père d'une certaine Geneviève Jeanson qui lui signale que sa fille, âgée de 13 ans, cherche un programme d'entraînement. André Aubut lui propose ses services. L'élève est douée, l'entraîneur aussi. Ce sera le début d'une collaboration extrêmement fructueuse, dont on n'a pas fini de voir les résultats. Aujourd'hui âgé de 44 ans, André Aubut, toujours athlète accompli, continue de conseiller sa jeune protégée avec une assiduité et une rigueur peu communes. En quelques années, il a aidé Geneviève Jeanson à devenir l'une des meilleures cyclistes du monde.

Vélo Mag Vous avez fait (en plus du ski de fond) de la compétition de haut niveau en canoë-kayak. C'est le milieu que vous connaissez le mieux. Si l'on se fie aux succès de Geneviève et qu'on suppose que vous avez «importé» certaines méthodes de ce milieu, doit-on déduire qu'on s'y entraîne mieux, ou plus fort ?

André Aubut. Je crois que oui. Enfin, on s'y entraîne très fort, ça c'est certain. En vélo, je ne sais pas, peut-être qu'on ne s'entraîne pas assez... ou alors trop ? Mais il me semble que quelque chose cloche, si l'on se fie aux résultats en tout cas. C'est difficile à dire, je n'ose pas trop me prononcer. En canoë-kayak, je faisais 25-30 heures d'entraînement par semaine, et beaucoup d'intensité. Et beaucoup de base, de technique, ce qui me semble faire défaut dans le milieu du vélo.

Justement, on vous présente volontiers comme quelqu'un d'étranger au monde du vélo.

D'une certaine façon, oui, c'est vrai. Je ne côtoie pas beaucoup les gens du milieu.

Pourquoi ? Par exemple, on a l'impression aujourd'hui que toute la préparation de votre protégée, depuis des années, s'est faite dans l'ombre.

Nous allons à certaines épreuves, Geneviève fait sa course, et nous repartons. Il n'y a pas de raisons de s'attarder. Pour ce qui est du travail dans l'ombre, je ne dirais pas ça. Elle s'entraîne avec moi, et avec quelques amis quand c'est une sortie de récupération, c'est tout. Ça nous permet de contrôler les entraînements à notre guise. Nous ne nous joignons pas aux groupes de cyclistes. Si on est plusieurs et qu'on fait une montée, par exemple, je note quelque chose, je ne peux pas arrêter tout le monde et dire : «On reprend ça, j'aimerais vérifier une chose ou deux...» Quand on est seuls, je peux le faire. On peut reprendre la même montée dix fois, 15 fois si on le veut.

On peut croire que vous êtes bien au courant des méthodes d'entraînement utilisées dans le monde du vélo. Les jugez-vous adéquates ? Quelle est votre méthode, votre école ?

Pour être franc, je ne les connais pas vraiment. Mais vous évoquez par exemple la vieille méthode : beaucoup de volume à bas régime (et sur petits braquets) en début de saison, puis, petit à petit, un peu d'intensité... Ça n'est pas du tout mon approche. En revanche, je ne pourrais dire pour autant que je suis de telle ou telle école. Pour moi, ça n'a aucune importance. Ce qui compte, par exemple en début de saison, c'est d'arriver préparé, d'être prêt à pédaler, prêt à s'entraîner. On n'a pas des milliers de kilomètres à perdre sur 39-17... C'est une des raisons pour lesquelles j'incite Geneviève à faire de la musculation et d'autres sports.


photo : Serge Desrosiers

Le nom de Geneviève Jeanson est étroitement associé au vôtre. Comment estimez-vous votre contribution à ses succès ?

Je pense qu'on forme une équipe. Moi, j'ai un travail à faire, qui consiste à lui donner des outils. Elle, elle s'en sert. Je crois qu'on a fait jusqu'ici, tous les deux, un bon travail.

Imaginez que l'on vous confie un autre athlète, raisonnablement doué. Arriveriez-vous aux mêmes résultats ?

Je crois que oui, pourquoi pas ? Il faut que le talent soit là, par contre et, surtout, la volonté de travailler. Mais vous savez, j'ai eu de bons succès avec des équipes de basketball, ici, à l'école. Le principe était le même : acquérir une base solide avant de s'attaquer au reste.

N'avez-vous jamais été approché pour entraîner d'autres athlètes ? Avez-vous la tentation de le faire ?

On ne m'approche pas vraiment. Je crois qu'il y a de l'incertitude, des craintes... Mes méthodes sont différentes et puis, on a peut-être peur de travailler ! Mais de toute façon, je passe beaucoup d'heures avec Geneviève, je n'aurais pas le temps. Vous savez, l'entraîneur Michel Portman suivait deux athlètes d'élite, à un certain moment, un sprinteur et un sauteur. Quand on lui demandait comment il trouvait ça, diriger deux athlètes, il répondait : «Il y en a un de trop.» Quand je vois des coachs entraîner 50 personnes par fax, par courrier... Au fond, chapeau ! Il faut que ça se fasse. Ces gens-là n'ont pas le choix, ils gagnent leur vie, et puis c'est certainement mieux que rien, mais on ne peut pas s'attendre aux mêmes résultats. Il faudrait plus d'entraîneurs comme ça au Québec, avec chacun moins d'athlètes à suivre.

Êtes-vous un partisan de l'entraînement en volume ou préconisez-vous davantage l'intensité ?

Ça prend un minimum de volume, mais évidemment beaucoup d'intensité. C'est un mélange de tout. Pour le volume, on fait une ou deux sorties d'environ trois heures et demie par semaine.

À faible intensité, sur le petit plateau ?

Jamais de petit plateau ! Au moment des sorties de récupération, on roule sur 53-19, à 25 km/h ! Ceux qui nous accompagnent ces fois-là, le père de Geneviève, par exemple, finissent toujours par partir, ils trouvent qu'on est trop lents !

Que vous inspire le fait qu'un cycliste tel Miguel Indurain se soit toujours entraîné «à la sensation», à une époque où, déjà, les méthodes étaient très scientifiques ?

C'est important de tenir compte de la sensation. J'y crois. J'ai raturé bien des programmes d'entraînement pour tenter de les adapter à ces sensations. Je ne crois pas vraiment à la rigidité d'un programme que l'on suit à la lettre.

Travaillez-vous par exemple avec les zones d'intensité 1, 2, 3, 4, 5 ? Avec des moniteurs cardiaques ?

Nous travaillons avec un moniteur cardiaque, essentiellement pour savoir si Geneviève travaille assez fort ou, à l'inverse, si elle prend ça assez easy. En ce qui a trait aux zones, pour moi, il y en a deux : 1 et 5 ! Je crois qu'une erreur commune chez les sportifs est de s'entraîner souvent un peu trop fort, c'est-à-dire dans les zones 3 ou 4. Quand vient le moment de forcer, de travailler en zone 5, ils sont usés, fatigués, ils font du 3 1/2, 4... Quand je fais faire de l'intensité à Geneviève, c'est de l'intensité !

Quelle importance accordez-vous à la technique, à l'efficacité du coup de pédale, à la position... Tout cela vous semble- t-il important ?

Très important ! Je suis très méthodique... un peu maniaque, même. Ça me vient du ski de fond, en partie, mais surtout du canoë-kayak, un sport très technique où l'on peut répéter le même geste - l'entrée de l'aviron dans l'eau, par exemple - une centaine de fois. Je fais un peu la même chose à vélo. Je suis très attentif à la position, au coup de pédale, à l'efficacité du geste. On essaie beaucoup, on teste, on reprend la même chose plusieurs fois, on essaie plusieurs braquets différents et on mesure ce que ça donne. Si un athlète n'a jamais de constantes, de paramètres, ça ne donne rien. Il faut un peu de précision dans tout ça.

Certaines choses s'améliorent plus difficilement, cependant. On a tendance à croire, par exemple, qu'un bon contre-la-montre relève d'une sorte de cadeau génétique...

Évidemment, il faut certaines qualités au départ. Mais vous savez, lorsque j'ai commencé à entraîner Geneviève (elle avait 13 ans), elle gagnait ses petites courses au sprint ! Elle n'aimait ni les côtes ni les contre-la-montre. On lui disait même, à l'époque, qu'elle était une sprinteuse, et pas une «rouleuse». Quand on a un talent minimal, on peut s'améliorer considérablement avec du travail... et une attitude, car il est certain qu'il faut être prêt à souffrir. Geneviève a cette qualité, ou cette attitude, si vous préférez... en plus du talent !

Votre travail avec elle vous oblige à faire les exercices vous-même. Avez-vous parfois des difficultés ?

Ça arrive, oui... À l'occasion, j'ai du mal à récupérer de certains entraînements. Dans les côtes, je prends parfois une petite avance... je l'accompagne à partir du deuxième ou du troisième kilomètre quand il s'agit d'un col ; elle monte vite ! Mais écoutez, je ne suis pas là pour courser avec elle, même si on le fait à l'occasion, pas sérieusement. Je suis là pour guider, analyser, chronométrer, recueillir ses impressions... Si j'étais à 185 pulsations par minute tout le temps, la concentration serait un peu déficiente par moments. Je suis là avant tout pour la faire travailler, pas pour travailler moi-même. Mais, chose certaine, je dois être moi-même un cycliste pour faire ce que je fais.

Percevez-vous un écart (ou une disproportion) entre les succès de quelques athlètes d'élite - Geneviève Jeanson, Lyne Bessette, Sylvain Beauchamp, Dominique Perras... - et une «tradition» cycliste plutôt chancelante au Québec ?

Il y a deux façons de «produire» des athlètes d'élite. Il y a la façon pyramidale, présente dans la plupart des pays européens - ou dans les pays scandinaves pour le ski de fond. On a alors une base de participants considérable, et un niveau compétitif local, provincial, puis national, où l'on retrouve l'élite. Puis, il y a la façon verticale, telle qu'on a pu la pratiquer en Nouvelle-Zélande, où quatre gars de plein air, par exemple, ont décidé qu'ils s'y mettaient (au kayak), tout seuls, et ont réussi. Les deux peuvent fonctionner. Pour ce qui est de la présence d'un sport, c'est autre chose. Le mode vertical, c'est ce qui se passe au Québec, il n'y a pas de relève. Ou alors on n'en entend pas parler.

Je crois savoir que vous trouvez que le milieu cycliste a le «classement» rapide...

En effet ! Certains jeunes n'ont pas 16 ans qu'on leur dit : «Toi, tu es un sprinteur, tu ne seras jamais bon en côte» ; «Toi, tu es un rouleur» ; «Toi, tu es un coureur de critérium», etc. Le sport amateur devrait être formateur. Il faut essayer, tester, travailler. On les fait parfois courir comme des professionnels. Il me semble que les jeunes n'ont pas toujours la chance de s'exprimer (sportivement parlant) comme ils pourraient le faire.

Vos relations avec les instances officielles (FQSC, ACC) semblent plutôt tendues. Qu'en est-il au juste ?

Hum... Ça revient en partie au fait que nous nous débrouillons tout seuls, mais aussi au fait que je sois si méthodique. Quand Geneviève a gagné le contre-la-montre aux Championnats du monde juniors, elle connaissait le trajet par coeur, chaque section, chaque repère, tout ! Je n'aime pas faire les choses au hasard, et je suis très organisé. Or, j'ai l'impression que je dérange quand je pose des questions. Certains détails me semblent importants à moi, mais pas à tout le monde...

Souscrivez-vous à l'hypothèse de Pierre Foglia selon laquelle on vous garderait rancune, dans le milieu cycliste, de ce que vos succès surviennent hors du milieu cycliste, voire malgré lui ?

Je ne m'attarde tellement pas à ce genre de choses... ce sont des bouffonneries. S'il y a de l'adversité (il y en a parfois), tant mieux ! Il faudra être encore meilleur !

On vous dit dur avec Geneviève...

«Dur»... C'est quoi être dur ? Écoutez, avant chaque entraînement, je définis le type d'exercice, pourquoi on le fait, et ce que ça va rapporter. Au fond, son désir de gagner et de s'améliorer va définir l'intensité de son effort. Je suis là pour encadrer Geneviève. Elle le fait parce qu'elle aime ça. Et on vise toujours plus haut. C'est peut-être ça, être dur ? C'est peut-être de dire, quand on a atteint 43 km/h de moyenne en contre-la-montre, bon, c'est bien, on va regarder pour 45 km/h maintenant ? Et quand on atteint 45 km/h, on regarde pour 47 km/h ? C'est une spirale, ça n'est jamais fini.

Quelle est votre plus grande qualité d'entraîneur ?

La passion. Je suis un passionné, je crois que c'est ma première qualité. Ensuite... j'ai toute une tête de cochon ! Mais aussi, je n'ai pas peur de la critique, et je n'ai surtout pas peur de me critiquer. J'ai fait des erreurs, j'ai essayé des choses... je me disais après : «Hum... pas fort, ça !» Je fais encore des erreurs et j'en ferai certainement encore, mais je continue à être critique, toujours.

Pourquoi des athlètes accomplis, qui connaissent très bien la musique, ont-ils besoin d'un entraîneur ?

Bonne question ! Mais d'abord, pourquoi devient-on athlète ? Le désir de vaincre ? Le plaisir de la comparaison ? De battre les autres? L'accomplissement ? Ouais... Un peu de tout ça, mais surtout, la gratification ! La reconnaissance ! Une relation bizarre avec le public... Je crois qu'il y a des points communs entre certains artistes et certains athlètes. Voyez les histoires de Michael Jordan, qui se retire, qui revient, qui échoue au baseball, qui s'achète un club de basket... Voyez le footbal- leur extraordinaire Dexter Manly (aujourd'hui au Temple de la renommée), qui entrait tous les jours dans le vestiaire avec le Wall Street Journal. Une fois riche, célèbre, retiré, il a éprouvé le besoin de faire une conférence de presse. Il pleurait comme un bébé en avouant qu'il était illettré... Tout ça pour dire qu'un athlète a besoin d'être rassuré, consolé, encouragé. Au fond, la «cuisine» de l'entraînement, dans la plupart des cas, l'athlète la connaît. Il attend autre chose, parfois beaucoup plus d'un entraîneur.

Avez-vous l'impression de détenir des «secrets» d'entraînement, que vous pourriez craindre de révéler ?

Pas vraiment... ou en tout cas plus ou moins. Ce que j'enseigne à Geneviève, c'est un tout. C'est ma connaissance, mon expérience, mes erreurs. Que je dise qu'on fait telle côte de cette façon, tels intervalles à telle vitesse, des dix minutes sur tel braquet... tout ça, c'est peut-être 25 %, un peu plus, je ne sais pas. Non, c'est un entraînement personnalisé. Je parle à Geneviève de telle façon, je parlerais autrement avec quelqu'un d'autre. C'est véritablement un tout. L'idée, c'est de s'entraîner, évidemment, et pas n'importe comment, mais c'est aussi de comprendre tout ça, de comprendre l'histoire de Dexter Manly, de comprendre toute la dynamique du sport.



photo : Guy Maguire

À l'occasion du Gala EXCELLENCE 2001, La Presse a publié un cahier spécial de 16 pages. En page 12, on retrouve un article de Jean-Paul Soulié partiellement consacré à André Aubut, entraîneur de Geneviève Jeanson et de l'équipe cycliste RONA.


de la saison 2000 de Geneviève Jeanson

Cette page du site www de Geneviève Jeanson (une section de VÉLOPTIMUM), a été mise en ligne le
13 octobre 2001 par