Troisième partie :

La Justice

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

    « Sire, vous voyez Messeigneurs les Princes, qui non solum annuunt et miserantur sed urgent, le Clergé, tous les grands prelats par leurs sainctes prieres intercedent assez manifestement pour une si juste et saincte requeste. Il ne faut point representer à cette brave, fidele, et invincible Noblesse, ny la chemise percée et sanglante du defunct Roy, que Dieu absolve, (…) au milieu du grand Temple de Iustice pour les animer à en desirer et poursuivre la vengeance : l’amour, la bienveillance envers son Roy, l’outrage et l’indignité qui leur a esté faicte les y invite assez. Les malheurs que le Tiers Estat a soufferts par le moyen de ce parricide les pressent et les contreignent d’assister à leur tres humble requeste. Bref le ciel, la terre, et tous les elemens crient et demandent Iustice ».[1]

 

  31. L’univers de la mort autour de Louise de Lorraine : une constance baroque ?

 

311. Des lettres de condoléances

 

    Plusieurs décès vinrent endeuiller la vie de Louise de Lorraine : ceux de proches parents – Marguerite d’Egmont en 1554, Jeanne de Savoie en 1568, Nicolas de Vaudémont en 1577, Louise de Vaudémont vers 1585, Charles, cardinal de Vaudémont, en 1587, Henri et Louis de Guise en 1588, Philippe de Mercœur en 1590 ; ceux de membres de la famille royale – Marie Elisabeth de France en 1578, François Hercule, duc d’Anjou et d’Alençon en 1584, Catherine de Médicis et Henri III en 1589 ; ceux enfin de grands du royaume – dont Jacques de Savoie (duc de Nemours) en 1585, Henri de Bourbon (prince de Condé) en 1588, ou encore Louis de Gonzague (duc de Nevers) en 1595. Autant dire que les deuils n’étaient pas rares, et leur fréquence tranchait avec celle des baptêmes, si l’on excepte la ‘prolifique’ maison de Lorraine.

    De même que la mort est l’un des temps forts de l’existence, la lettre de condoléances est un moment privilégié de l’art épistolaire. Or le traitement par la reine de France de ce genre particulier n’est pas uniforme et oscille entre une conception empreinte d’un certain maniérisme de cour, et une autre, plus personnelle et dépouillée, presque une mise à nu de l’âme : outil de communication pratique, et cependant témoin d’un genre en gestation, la lettre en cette fin de XVIe siècle laisse le champs libre à un nombre croissant de potentialités, bien que le ton de la cour demeurât alors de rigueur.

 

 

    Le temps de la mort

 

    Le climat d’eschatologie propre au royaume de France dans le dernier quart du XVIe siècle trouve une manifestation dramatique dans le spectacle de la mort omniprésente : en juin 1580 la cour se réfugie à Fontainebleau pour échapper à des épidémies de catarrhe et de coqueluche, qui touchent 50000 parisiens, dont la famille royale (Louise de Lorraine eut à souffrir à de nombreuses reprises du catarrhe).

   Le 10 juin 1584, après une longue agonie, le duc d’Anjou, François Hercule de Valois, s’éteint à Château-Thierry : le cérémonial royal fut de mise pour ce prince mal aimé du roi et de la reine mère. Le 24 juin 1584 le couple royal vint lui « jeter de l’eau bénite à la chapelle Saint Magloire au faubourg Saint Jacques à Paris où le cercueil venait d’être déposé ».

 

    « La solennité fut grande. Le cortège de Henri III et de Louise surtout par ses couleurs exprima la mentalité baroque de la fin du XVIe siècle. le roi, à cheval, portait un grand manteau de velours violet. Louise était dans une litière garnie de serge de couleur tannée, portée par des mulets que montaient deux pages. La reine avait un grand manteau d’étamine et un grand voile de crêpe de couleur tannée et sa traîne était longue de cinq aunes. Elle était abondamment parée de dentelles. (…) Les souverains entrèrent dans la chapelle où sur un lit, reposait l’effigie du défunt, le cercueil fermé se trouvant sous ce lit. Ils se mirent à genoux sur des bancs garnis de coussins de drap violet et prièrent. Les chantres de la chapelle entonnèrent le De Profundis. Le roi ensuite se leva, la queue de son manteau portée par les princes du sang : le prince de Conti, le comte de Soissons, le duc de Montpensier. Il donna de l’eau bénite au corps de son frère, sortit et prit alors un manteau noir. La reine à son tour donna de l’eau bénite avec autant de cérémonie et sortit afin de regagner le Louvre, comme son mari ».[2]

 

    Cette expression publique du deuil s’accompagnait de la réception de lettres de condoléances. Le nonce Ragazzoni, dans son rapport au cardinal de Côme narre les audiences accordées par les souverains le 25 juin à cet effet : l’affliction du roi était moins celle d’un homme ayant perdu son frère que celle d’un souverain débarrassé d’un prince bien encombrant. Dans ce concert de faux atermoiements, la reine offrait aux regards un visage vraiment humain, sincèrement désolé et dont le deuil revêtait une dimension plus profonde que ne l’exigeait l’étiquette.

 

    « A la fin, je me rendis auprès de la reine régnante, que je trouvai toute triste et affligée ».[3]

 

    La piété de la reine accordant une grande part à la question du salut et à la nécessaire pénitence devant Dieu pouvait donc concevoir quelques inquiétude pour l’âme de son beau-frère, qui, pour être chef d’un parti volontiers frondeur, n’en était pas moins proche de Louise de Lorraine, surtout depuis l’affaire du voyage dans les Flandres de la reine de Navarre.

    Toutefois, un tel sentiment de  charité ne peut à lui seul expliquer cette affliction : au-delà d’un humanisme chrétien – parfois assimilé à la pensée du Portique – la reine dévoile malgré elle ses angoisses de femme sans enfants à la face de la cour. Car quels que furent ses sentiments à l’égard de la mort, celle-ci dut provoquer en elle à la fois un deuil véritable, mais aussi quelque crainte pour sa personne et son mariage.

 

    Un art de la mort : le stoïcisme et le style de la constance ?

 

    La lecture des lettres de Louise de Lorraine a conduit Jacqueline Boucher à considérer l’influence du stoïcisme – par l’intermédiaire de la constance – dans le discours épistolaire de la reine de France :

 

    « La formation morale de Louise la portait à rechercher la vertu et à dominer ses passions. Le mot constance tint une grande place dans sa pensée. En cela elle fut en accord avec des érudits de son temps, sans peut être les connaître. En 1585, Juste Lipse publia un De Constantia dans lequel il invoquait les philosophes et non les Pères de l’Eglise sur le sujet de la nature humaine. Déjà Guillaume du Vair avait composé des écrits d’inspiration stoïque : sa Philosophie morale des stoïques fut appréciée de Montaigne qui y fit des emprunts. (…) En 1587, un familier de Catherine de Médicis, et donc de Louise, Antoine de Laval, géographe de Henri III, qui l’appréciait, écrivit à sa femme à l’occasion de la mort de sa mère et de leur fils qui, âgé de huit ans, promettait beaucoup, un ensemble de lettres qui forma un petit traité de consolation, inspiré de Sénèque et de Saint Jérôme ».[4]

 

    Jacqueline Boucher fait du stoïcisme l’une des composantes de la pensée de la reine régnante ; et certes l’invocation de la constance est récurrente dans sa correspondance. Quant à Antoine de Laval, il est indéniable qu’il fut l’un de ses familiers, et il n’est guère étonnant de le retrouver au château de Moulins en compagnie de la duchesse de Bourbonnais… c’est à dire Louise de Lorraine. Pour autant, l’assimilation de la reine à cette philosophie – par opposition à une inconstance de cour érigée en lieu littéraire – alors ‘résurgente’ semble en grande partie outrée. Reine de France, Louise de Lorraine fut avant tout une praticienne de la cour, pour ne pas dire un maître d’œuvre de son fonctionnement : dans cette perspective, ses appels à la constance lors de la rédaction de lettres de condoléances montrent leur valeur publique et officielle plutôt qu’une hypothétique conscience personnelle de la pensée des Anciens.

    Afin de faire un examen de ce soi-disant stoïcisme, il convient de s’attacher en premier lieu à la lettre adressée à Anne d’Este le 4 septembre 1585, alors que le duc de Nemours est décédé depuis le 18 juin dernier, en son domaine de la Cassine-Chastelier, près de Moncalieri en Piémont. Ce retard envers des parents pour lesquels elle ne manque jamais de bonnes paroles s’explique sans doute par les évènements politiques de l’été 1585. Mais le plus surprenant demeure la dépêche en elle-même car la reine évite tout épanchement net et prolongé, et elle laisse à son messager, Nicolas d’Angennes, sieur de Rambouillet, « l’ofise » de « consollations » à sa tante pour celui qu’elle avoue cependant avoir considéré comme son « cecont pere » : en cela elle s’inscrit dans une certaine tradition, et sa lettre est comparable à celle que Henri III fit envoyer à la reine douairière Elisabeth d’Autriche le 2 juin 1578, après le décès de sa fille Marie Elisabeth de France.

 

    « Ma tante. Je ne vous et plutot randu cet ofise à me condoulloir de la mort de feu Monsieur de Nemour que j’ay tins comme un cecont pere tant pour l’onnoré et aimere comme cille me l’etois qu’à cet heur que M. de Rambouillest vous ferat cet ofise de ma part avec tant de regret que je resans an vostre perte, de laquelle vous supplie vous conformere à la voullonté de Dieu et vous conservere pour vos anfans, mais cousin, à qui et tant nesesere ; et vous asure, ma tante, de l’amittié que je vous porte, de laquelle les efés vous an randeront bonn temoignage. Vous pranderés cet creansse de moy, ma tante, qui desire l’eur à tout ce qui vous touche de plus pres, comme vous mayme. Or je ne vous veux part plus lons discours renouveller vostre afflictions du quelle, ma tante, prie Dieu vous donnerre la consollations qui vous et nesecere an un cy grand perte et longue et bonne viee ».[5]

    « Tres haulte, etc., nous desirerions que l’office de visitation duquel nous usons presentement en vostre endroict par le sieur de Montmorin, premier escuier de la Royne nostre tres chere et tres amée compaigne, present porteur, feust pour une plus agreable occazion et nouvelle que celle du trespas de feue nostre tres chere et tres amée niece Marie Elizabeth de France, vostre fille, qu’il a pleu à Dieu, ces jours passez, appeler à luy. Mais pour ce que nous participons avec vous à cette affliction que nous avons tres grande, nous envoyons devers vous ledict sieur de Montmorin, lequel vous fera entendre le regret et deplaisir que nous avons porté et portons de cette perte et que nous voulons pourtant perseverer à jamais en la vraye et fraternelle amytié que nous avons eue cy devant en vostre endroict ; nous vous prions le croire comme nous mesmes. Priant Dieu, etc. Escrit à Paris le IIe jour de (manque) 1578. ».[6]

 

    La similitude de ces deux dépêches s’explique assurément par leur caractère officiel d’éloge funèbre qui ne masque pourtant pas complètement des sentiments plus personnels. L’exercice de la consolation, avant d’être un appel à la constance, se présente comme une lettre ouverte, à la manière d’un Sénèque écrivant son De Consolatione. Or, ici, point de stoïcisme, mais seulement une recommandation : s’en remettre à la volonté de Dieu. Par conséquent, autant que les écrits de Sénèque, partagés entre lettres de condoléances et traités de morale pratique, la consolation est d’abord le fait d’une mode littéraire érigée en structure sociale. Et si les lettres de la reine diffèrent par leur objet de la Consolation d’Antoine de Laval que Jacqueline Boucher met justement en exergue, en revanche la forme et l’inspiration en est commune : s’il doit être question de stoïcisme, il faut le comprendre comme une pratique de cour, une science de l’existence dans ses développements pratiques, et non comme une pensée directrice en soi. Louise de Lorraine eut sans doute aussi bien recours au Portique qu’à d’autres philosophies sans aucune exclusive – le néo-platonisme de Marsile Ficin se retrouve dans la bibliothèque de Chenonceau – pour approfondir son éthique spirituelle. L’idée d’une contradiction entre le point de vue moralisant de la reine et la mode de l’inconstance n’est qu’un mélange des genres : plusieurs poètes de cour dédicacèrent leurs œuvres influencées par le thème de l’amour platonicien proche de celui de l’inconstance sans que la reine régnante ne s’en offusque. La louange poétique étant alors constitutive de la matière psychologique[7], la spiritualité intime (par opposition à la notion de religion imbriquée dans le politique) ne s’en trouvait pas dépréciée ni même affectée.

    Ces prémices établies, une relecture des lettres permet de restituer la nature de son sentiment du malheur. La sensibilité dont elle fait montre s’inscrit en premier lieu dans une certaine logique de compassion féminine :

 

« il est inpossible vous dire l’anvie et grant regret que j’ay res[eu] de la mort de feu madame ma seur que j’aymays comme ma mere, vous baisant les meins de la bonne consollation qu’il vous plaict me faire, me faictsant paroitre part tant de payne qu’avés prins que m’emés et tant d’obliguation vous avoir comme je dois et serat toute ma viee de tel affection… ».[8]

 

    Le langage de l’amitié dont nous avons vu les potentialités dans la plume de Louise de Lorraine donne à voir une scène de la vie privée entre la reine, sa tante et sa sœur, pour laquelle elle affiche des dispositions maternelles. La mort ne bouleverse pas sa sérénité ; son « regret » est une lamentation, une douce plainte, qui n’inspire pas les cris, mais des larmes. Le ton est celui de l’amour, de la confiance, de l’« affection » envers son prochain. Cette humaine bonté n’est cependant pas partisane et ne se discerne pas seulement lorsque les protagonistes sont des proches. En témoigne une lettre à la duchesse de La Trémoïlle du 24 octobre 1588 : cette dernière implorait la reine de venir au secours de sa fille, Charlotte de La Trémoïlle, accusée d’avoir empoisonnée son époux, Henri de Bourbon, prince de Condé. Or Louise de Lorraine en octobre 1588, ne disposait que d’un pouvoir infime : Henri III lui-même connaissait les pires difficultés après son départ de Paris, les Etats Généraux lui étaient défavorables, et le duc de Guise sûr de son fait. La requête d’Anne de Laval en soi manifeste déjà le sentiment de désespoir de cette mère, l’affaiblissement du pouvoir royal étant notoire. Or, contre toute attente, alors que la cour prenait fait et cause pour la thèse de l’empoisonnement, la réponse de la reine régnante est un exemple d’humilité et de confiance en Dieu que rien ne paraît altérer.

 

    « Ma cousine, j’ay esté bien aise d’entendre de voz nouvelles par les lettres que m’avez escrites et par le raport que particulierement m’en a faict ce porteur ; et eusse bien desiré, pour vostre repos et contentement, qu’elles n’eussent pas esté traversées de tant d’afflictions que je scay vous avez eues depuis quelques temps. Mais comme Dieu vous a faict naistre sage et vertueuse, je le prieré aussy vous assister, s’il luy plaist, en la constance qu’il sçait vous estre necessaire pour les suporter le plus doucement et patiemment ; estant aussy desplaisante de cest inconvenient que personne de ce monde qui vous puisse bien aymer. Vous priant de croire que si j’eusse eu moien de vous y aporter quelque soulagement, je l’eusse faict aussy voluntiers que je prie Dieu, ma cousine, vous tenir en sa saincte garde. A Bloys, le XXIIIIe jour d’octobre 1588 ».[9]

 

    La « constance » trouve en cet endroit une acception particulière : ni fermeté d’âme, ni force courageuse, elle est au contraire douceur et patience, œuvre de foi et d’espérance en un Dieu d’amour vers lequel tendent les âmes. L’idée du malheur pour Louise de Lorraine semble tirer son origine dans l’héritage évangélique de l’humanisme car la foi se renforce et se nourrit en quelque sorte du malheur, « recevant de Dieu la certitude que c’est dans le malheur que le chrétien doit être assuré de la plus grande espérance en la justice divine et qu’au bout du malheur il y a la bénédiction »[10]. A ceci près que deux décennies de guerres civiles ont conditionné cette première définition : toutefois la sérénité imprimée laisse une impression d’espoir, alors que les tensions s’accumulent dans le royaume, à la cour, dans son entourage proche, et même sur sa personne. Par conséquent, la  compassion de Louise de Lorraine est une compassion en acte car le spectacle de la souffrance lui est suffisamment familier. La notion de rumeur lui est ainsi insupportable, autant pour des raisons de morale pratique que pour ce  qu’elle est une atteinte à sa propre intimité lorsqu’elle touche le roi ou la reine mère : c’est pourquoi, dans une logique de condamnation qui ne dit pas son nom, voilée sous le discours de l’affabilité et d’une certaine tempérance, les préoccupations d’Anne de Laval la saisissent dans les remous de sa vie intérieure. Mais cette compassion se suffit également à elle-même et se déploie en soi, comme inspirée par Dieu, sous la forme d’une « charité christique »[11] car elle n’intervient pas seulement lors de moments critiques, mais avec une récurrence certaine, même après le ‘drame absolu’, l’assassinat de Henri III. En effet, le 22 octobre 1595, le duc de Nevers, Louis de Gonzague, s’éteint à Nesle, âgé de cinquante six ans. La reine douairière s’empresse alors de faire parvenir un mot de condoléances à la duchesse – Henriette de Clèves – qu’elle estimait fort et comptait parmi ses amies intimes.

 

    « Ma cousine. C’est à mon grand regret que je vous rans l’offise qu’and sanblable malheur m’avez randu, quy et pour me condoulloir avec vous de la mort du feu mon cousin Monsieur le duc de Nevers, vostre cher et tant aimé mary, resantant an mon particulier vostre perte infinimant, comme doyt fere tout ce reaume d’avoir perdu un cy sage et prudant prinse que Dieu absolve et le suplie, ma cousine, de toute mon affection vous donner la consstance de suporter cest extreme doulleur ».[12]

 

    Ce début de lettre présente un discours apparemment plus conventionnel dans la mesure où l’éloge du défunt est clairement exposée : sa sagesse est alors cause de la « consstance » que doit cultiver Henriette de Clèves. Cependant, cette constance intervient dans un contexte nouveau, car la sérénité a disparu : le mot de « malheur » est même lancé. La constance, par un glissement sémantique perceptible, devient la fermeté d’âme « de suporter cest extreme douleur », révélatrice d’une patience vécue comme un combat de plus en plus ardu : la foi est ainsi mise à l’épreuve et le besoin de justice ne s’en ressent que plus âprement. Cette déviation illustre la caractère illusoire d’une assimilation du discours épistolaire de la reine à une pensée déterminée : Louise de Lorraine utilise bien souvent d’une manière assez pragmatique diverses influences recueillies au sein de son entourage (en l’occurrence, l’humanisme dans ses aspects évangéliques et néo-platoniciens, ainsi qu’une part de stoïcisme fortement christianisé se référant certainement plus à saint Augustin qu’à quelque philosophe antique) qu’elle adapte selon les circonstances et l’évolution de son jugement.

 

    Les emblèmes de la constance selon Loys Papon : un stoïcisme politique

 

    Vers la fin de 1589, ou bien en 1590, l’un des aumôniers de la nouvelle reine douairière lui présenta un poème de circonstance , La Constance à très-illustre princesse Loyse, reine de France, œuvre d’un poète forézien, Loys Papon, client d’une puissant famille ligueuse du Forez, les d’Urfé.[13] Elle ne dut pas la trouver à son gré, ou alors, devinant les desseins politiques inavoués d’une telle poétique, elle paraît ne pas avoir conservé ce livre manuscrit (et donc réservé à son seul usage) : sa rancœur envers certains milieux ligueurs explique sûrement l’absence d’édition de cette œuvre. Plus significatifs que le long poème, plusieurs emblèmes de la constance illustrent le propos de Loys Papon, donnant de cette attitude une interprétation érudite, mais se référant pour une fois à la pensée du Portique.

 

« Ce chesne espois & fort sert d’ombre aux gran-chaleurs

De couvert, à la pluye, & de tout, à l’orage :

Ainsi l’amy confiant, d’un semblable courage

Sert de regle au bonheur, & d’azil aux malheurs.

**

La tourtre falabre mort, pleint sa compagne esteinte,

Fuyant tout autre pair, enroue ses regretz.

O veufve plus constante, est-il cueur en ses tretz,

Qu’il ne pleure aux soupirs d’une si douce pleinte.

**

De trois fermes vertus au chef arme-tymbré,

Est le secret dessein d’une dive Constance :

Au vaze est le recueil de sa perseverance,

Ses resolutions, en ce pilier mabré.

**

Phénix ange du Ciel, idée des beautés

Qui sans paie en ce monde ardz affin de renaistre.

Est il cueur si constant, en ces calamités

Où la vertu finit qui s’immole pour estre.

**

Ce cueur flame-brulant en ces spheres de glace,

Faict voir aux alteres d’amoureuse poison :

Comm’en ces passions la celeste raison

Refroidit les bouilhons, de leur gloute falace.

**

Le sceptre du Roy sainct, aylé d’un lustre zelle,

Quitte les Magestés, des terrestres Estatz.

Pour maugré les vapeurs des eguaves brouilhas,

Obtenir dans les Cieux, la coronne eternelle.

**

Le constant resolu aux fortunes adversses,

Quoy que l’envie essaye à le faire broucher,

Ne sesment au peril non plus que le rocher,

En mer entre les flotz, aux vens en leurs traversses ».

 

    La concision que procure la réduction de chaque idée en un seul quatrain s’érige en pédagogie, comme une paraphrase de la longue galerie de portraits stoïques qui pénètrerait tous les aspects importants sous une forme attrayante pour une personnalité mondaine. Certes, la « constance » défendue par le poète forézien s’inspire la plupart du temps des Anciens : le « chesne » représente la force tranquille, la quiétude de l’âme face au malheur que peint Virgile dans ses Bucoliques[14] ; la tourterelle évoque les fabulistes grecs ; le phénix renvoie à une thématique récurrente de l’Antiquité ; le « chef arme tymbré »  est accompagné de symboles héraldiques gréco-romains avec le « vaze » et le « pilier ma[r]bré ». Le discours se construit donc autour de l’idée d’une tempérance refoulant toute passion : le chêne protège de l’orage, les « spheres de glace » répondent à la chaleur, le rocher saillant dans la mer résiste « aux vens en leurs traversses ». Le Portique ne réapparaît cependant point sous son aspect originel, et se mêle de nombreuses de références chrétiennes : l’apothéose du « roy saint » marque l’immixtion de la superposition de la civitas divina aux terrestres Estatz », les trois vertus illustrent peut-être les vertus théologales, le thème du péril en mer[15] et enfin, la figure du phénix évoque celle du Christ qui « s’immole pour estre ».

    Ce modèle de constance diffère donc sensiblement de celui proposé dans les lettres de Louise de Lorraine. Toutefois, c’est la motivation politique de la constance qui distingue largement l’inspiration d’un Loys Papon. Et dans cette perspective, les non-dits revêtent parfois une certaine audace ; ainsi le renvoi à ce saint roi qui doit recevoir la « coronne eternelle » aux cieux : Henri III est le souverain de l’idéal des trois couronnes, et sa piété inquiétait parfois son épouse ; or aux yeux des ligueurs, le roi est décédé sous le coup d’une excommunication, il ne peut donc être ce roi recevant la couronne céleste. Tant d’ambiguïté, de double jeu ne sauraient demeurer si implicites. La dernière emblème, qui se distingue des autres par sa longueur, personnifie beaucoup plus l’attitude ‘idéale’ de la reine douairière que la seule constance :

 

 

« Aux revolutions où Fortune se loue,

De l’estat des humains, caduque chancelant ;

L’encre de ferme espoir, en un cueur excellent,

Arreste ses erreurs, ses voile & sa roue,

 

Au royal fondement de trois vives vertus,

Ce triangle excellent diaphane d’exemples :

Estoile sa hauteur, en misteres ardus,

Corone le solide & asseure les trembles.

 

Le laurier touiou-vert d’un tige renaissant ;

Voyant de ces harnoys ces branches eschauffées,

Abhomine le sang, et iette ces trophées

Pour s’ériger au Ciel d’un espoir innocent.

 

De ce palais doré, l’humble voute est de reste,

L’orgueil ruyne ainsi, l’humilité soustient ;

C’est pour quoy nostre Eglise ainsi ferme se tient

Car tant plus on l’aflige & plus ell’a de texte.

 

Ce terme à double front qui sans jambes ne mains,

Instruict des maux easses prevoit lire future :

Est mis pour sentinelle au front de l’aventure.

Pour le ferme Salut, des celestes humains.

 

    La métamorphose de Louise de Lorraine en personnification de la fermeté d’âme ne relève plus d’une accumulation de références symboliques ou hermétiques : le sens politique requiert une compréhension explicite du discours. La justification par l’Eglise tient lieu d’objet suprême du poète – « plus on l’aflige & plus ell’a de texte » – et le Salut des chrétiens est d’abord celui de la reine. Or « Fortune se loue » en temps de sédition et rend l’humain « caduc chancelant » : seule une sainte et véritable émanation de la royauté – « royal fondement de trois vives vertus » – semble en mesure de relever le royaume.

 

312. L’expression d’une ‘juste passion’

 

    Les souffrances du corps

 

    Depuis sa fausse couche du printemps 1575, Louise de Lorraine eut à supporter plusieurs maladies infligeant à son corps de véritables stigmates. Ainsi un catarrhe contribua peu à peu à la dégradation de sa santé, au point d’inquiéter dès 1580 les observateurs attentifs qu’étaient les ambassadeurs. Le 26 avril 1580, le nonce Anselme Dandino y consacre une partie de sa dépêche au cardinal de Côme :

 

    « Le mal de la reine régnante s’avère vraiment sérieux, contrairement à ce qu’en laissait présager les débuts, et n’est pas de la sorte d’abord estimée ; l’on a trouvé au contraire un cattarhe qui lui enfle beaucoup le visage, surtout le côté gauche et l’oeil, non sans un peu de fièvre. Plaise à Dieu de bien vouloir l’en libérer, comme on l’espère, s’il estime la grande bonté et la vertu qui sont en elle ».[16]

 

    Heureusement, le même nonce rapportait le 1er mai suivant que la reine était hors de danger. Cependant le 18 novembre 1584, le nonce Ragazzoni renonçait pareillement à la visiter, ayant appris qu’elle devait garder le lit. Au printemps 1587 encore, une affection semblable fit craindre pour sa vie[17]. Un état de langueur et de mélancolie semblait l’accabler durant ces accès de douleurs :

 

    « mon catere ne me permet de me trener qu’avec paine, de coy j’ay esté extremement travallé depuis un mois ; an quelque etta myserable que soie jamais, serés toute ma vie, vostre bien bonne niepce ».[18]

 

    Cette certaine propension à la dépression ne nécessitait pas l’apparition de symptômes purement physiques pour se manifester : à l’automne 1577, Pierre de L’Estoile mentionne qu’elle souffrait de sa stérilité et de la peur d’être répudiée.[19] D’ailleurs, sa supposée précarité lui fit tenir des propos malheureux et assurément irréfléchis qui alimentèrent de nombreuses rumeurs – que ses parents s’empressèrent de colporter, comme en mai 1584, alors que la cour attendait le trépas de Monsieur, frère du roi…

 

    « Mais pour tout cela, le duc de Mercœur a dit au R.P. Claudio que la Reine régnante sa sœur croyait assurément que le Roi perdait la tête ».[20]

 

    La douleur physique devint soudainement plus insupportable et incessante après l’assassinat du roi. Louise de Lorraine se plaint au cours de ses lettres de fréquentes indispositions liées la plupart du temps à un état de langueur probablement d’origine psychosomatique. Le 23 mai 1593, la joie que lui cause l’annonce de la conversion prochaine de Henri IV se ressent dans le ton de sa lettre, bien qu’elle se déclare « toute malade »[21]. Elle dut d’ailleurs renoncer à se rendre à Saint Denis pour cette raison. En mars 1596, alors qu’elle souhaiterait voir le roi et les parlementaires afin de restreindre l’enregistrement de l’édit de Folembray, l’impossibilité de quitter le lit ou d’affronter un voyage augmente d’autant ce sentiment de « languissante vie », dont elle s’ouvre alors à sa belle-sœur, Diane de France[22]. Le R.P. Thomas d’Avignon, qui accompagna les derniers mois de son existence, souligne dans son Oraison funèbre que la mort d’Henri III fut pour elle un énorme choc traumatique :

 

    « Car toutes les maladies qui s’estoient rassemblées dans le corps de ceste pauvre princesse ; procedoient d’une grande tristesse & melancholie qui avoit saisi son cœur et investy son ame, pour la mort du Roy son seigneur, & comme une douce & chaste tourterelle pleuroit l’absence de son espoux ».[23]

 

Mais l’image de la tourterelle mélancolique – assez fréquente chez ses contemporains et biographes – pleurant le roi n’est pas le seul tourment que son âme a infligé à son corps. Les exercices de piété auxquels elle s’adonnait avec une ferveur extrême finirent par contribuer à la dégradation de sa santé, au point que les médecins lui conseillèrent vivement de se réfréner.

 

    « Quelque temps apres son souper se retiroit à son prie-Dieu, pour s’occuper durant une heure à l’oraison mentale, ce que elle a continué un fort longtemps, mais par ce que cela preiudicioit grandement à sa santé corporelle, les medecins luy dirent qu’il failloit necessairement, qu’elle se divertist de cest exercice spirituel apres son souper, pour la conservation de sa santé, car autrement elle encourroit d’autres plus grandes & beaucoup plus dangereuses, que celles desquelles elle estoit continuellement agitée, si que desormais apres son disner se retiroit avec ses dames en sa chambre, où elle parloit, ores de choses spirituelles & divines, ores des maux dont elle estoit affligée ».[24]

 

 

    Les chants de l’affliction

 

    « Ma mye, apres que mes ennemys ont veu que tous leurs artifices son alloyent dissippez par la grace de Dieu et qu’il n’y avoit plut de salut pour eulx que en ma mort (…), ilz ont pensé n’avoir poinct de plus beau moyen pour parvenir à leur malheureux desseing que soubz le voille et habit d’un religieux en cest maudite conspiration viollant toutes les loix divines et humaines et la foy qui doibt estre en l’habit d’un eclesiastique. (…) Lors ce meschant et malheureux m’a donné ung coup de coutteau pensant me tuer. (…) Grace à Dieu ce n’est rien et que j’espere dans peu de jours retrouvrer ma santé faict par le sentiment que j’en ay en moi mesme que par l’asseurance des medecins et chirurgiens (…) ».[25]

 

    Ramenée d’urgence à Chenonceau le 2  ou le 3 août 1589 afin d’être en sécurité, Louise de Lorraine n’était en rien préparée à la nouvelle de l’assassinat de Henri III. L’un de ses prédicateurs, Pierre Dinet dut lui annoncer ce décès : « son biographe a écrit que sa douleur fut si vive qu’elle crut en mourir.[26] Ses écrits attestent avec une intensité dramatique la résonance d’un tel malheur dans son fors intérieur. L’affliction est surtout manifeste dans ses missives de l’année 1589 ( une lettre à Henri IV le 6 septembre, une instruction à son écuyer le 1er octobre, une requête adressée au roi début novembre, et une lettre au duc de Nevers le 6 décembre). Le foisonnement des images hyperboliques s’y articule autour de trois thèmes : l’impossible qualification de ce meurtre, la désolation de son âme et le nécessaire châtiment que doit infliger la justice aux coupables.

    Henri III souligne dans cette ultime lettre comment l’on a osé s’en prendre à sa personne, « viollant toutes les loix divines et humaines » : l’idéal monarchique français du Rex Christiannissimus oint de l’onction sacré, évêque du dehors et l’époux mystique du royaume rendait un tel acte inconcevable, terrifiant de par sa nouveauté même. D’où la violence déployée dans les tentatives de qualification de l’acte :

 

    « ceste tant miserable nouvelle »

    « la mort cruelle »

    « cet acte, plus que barbare »

    « ceste enorme et execrable meschanceté »[27]

 

    « l’enormité que circonstances remarquables au misérable accident »

    « l’horeur d’un crime si enorme »[28]

 

    « malheureusement tué et meurtry »

    « la plus execrable et proditoire meschanceté »

    « un si detestable crime »

    « si enorme forfaict »

   « desloyal, scelerat et sanglant parricide »

    « la violence d’iceluy »

    « l’atrocité de ce mesfaict où Dieu, la Majesté des Rois et le reste des hommes sont irremissiblement offensez et outragez »

    « mort si malheureusement conjurée »

    « nul exemple pareil à cette felonnie »

    « damnable assassinat »

    « tout ce que l’on a jamais reveré en ce monde comme sainct et sacré a esté tres indignement mesprisé, profané et violé »

    « cettuy-ci insignement meschant et inhumain »

    «  ce cruel et plus que barbare assassinat »

    « la felonnie et atrocité du crime »[29]

 

    Cette accumulation souligne l’incompréhension suscitée par un tel meurtre qui s’inscrit à la fois contre Dieu et les hommes, selon la conception qu’a Louise de Lorraine de ces deux entités. La portée traumatique d’un tel événement ne vaut pas seulement dans sa dimension intime – à savoir la manifestation de l’impossibilité de l’amour conjugal parfait. De même que « tout ce que l’on a jamais reveré en ce monde comme sainct et sacré a esté tres indignement mesprisé, profané et violé », de même l’ensemble de ses repères normatifs s’effondre : cet acte « barbare » raille toute l’œuvre des Valois et le monde de la cour hérité de l’humanisme. Toutefois, l’abondance épistémologique n’est que le pâle reflet de son désarroi intérieur, véritable tempête d’accablement qui foule aux pieds toute idée de constance ou bien de stoïcisme : les passions de l’âme – conforme à l’esprit sombre mais baroque des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné – offrent un exutoire à tant de « meschanceté ».

 

    « la violente douleur et passion dont mon ame a esté travaillée sans cesse »

    « tellement mise hors de moi mesme »

    « mon extresme affliction »

    « ma juste douleur »

    « ceste desolée vefve »

    « aveuglée par l’abondance des larmes »

    « ceste lamentable plainte »

    « ce pitoyable estat »[30]

 

    « extresme regret et douloureuses passions qui pressent et affligent infiniment Sa Majesté »[31]

 

    « deplorable veufve »

    « de plus en plus miserable et affligée »

    « pressée d’extresmes regrets et douloureuses passions »

    « meue et deuement touchée d’une fervente ardeur »

    « veufve et pour jamais desolée »[32]

 

    « accablé de continuelle doulleur »

    « ma perte trop cruelle et insuportable »

    « mon malheur »[33]

 

    Ce « malheur » offre une prégnance beaucoup plus douloureuse que le malheur dans son acception évangélique auquel la reine fit peut-être allusion avant 1589. Et la seule réponse au chaos selon Louise de Lorraine ne se borne plus à une seule soumission totale en Dieu, mais à l’avancement de ses desseins par l’intermédiaire de la justice. A ceci près que cette justice n’est plus coextensive de l’harmonie, mais du péril vécu comme un tragédie shakespearienne. Le Dieu de Justice est alors le dieu vengeur de l’Ancien Testament, celui du déluge universel, celui du « Sinaï aride où souffle l’Esprit brûlant ».[34]

 

    « sans punition exemplaire »

    « ne desirant plus de vie que pour veoir la punition faite de ceux qui me la rendent sy miserable »[35]

 

    « elle [Sa Sainteté] condampnera et jugera estre d’aultant plus detestable »[36]

 

    « la juste punition (…) la plus exemplaire en l’horreur du tourment et supplice »

    « l’inviolable resolution (…) de vivre et mourir en ceste saincte poursuitte »

    « ne laisser sur le front de la posterité l’injure d’iceluy de la secourir, assister et ayder en cette si juste poursuitte »

    « reparation et punition si exemplaire »

    « non toutefois avec assez de tourmens et d’infamie »[37]

 

    Le besoin de vengeance, inhabituel dans la plume de la reine exprime à travers le cataclysme de la mort d’Henri III l’accumulation des craintes, des angoisses, des frustrations tant publiques que privées subies, elle-même étant ballottée entre son devoir, ses liens avec la famille royale, sa parenté lorraine et ligueuse. Le Livre VI des Tragiques s’intitule justement « Vengeances »… Et de même que d’Aubigné[38] montre Dieu laissant Caïn en proie à ses remords plus terribles que la mort, Louise de Lorraine, en rupture avec son habituelle bonté et compassion envers les pêcheurs (elle visitait les prisons de Paris), insiste pour réserver aux coupables un châtiment édifiant et dont l’exécution, longue et progressive, leur fasse sentir sa propre souffrance – « la plus exemplaire en l’horreur du tourment et supplice ». Signe évident de son emportement, elle se contredit quelques lignes plus loin, déclarant qu’une telle punition serait sans commune mesure avec sa douleur – « non toutefois avec assez de tourmens et d’infamie ».

    Ces trois lettres matières à la désolation de la reine interviennent toutes dans un contexte politique : le choix des mots revêt par conséquent une pertinence non négligeable, mais leur résonance extrême dépasse les convenances polies dont la reine était la ‘dépositaire’ à la suite de Catherine de Médicis. Certes, l’intention politique affleure partout et une tentative de mystification pourrait être envisageable, si le deuil continu de la reine jusqu’à sa mort n’avait pas autant frappé ses contemporains en raison de sa permanence et de sa représentation dramatique. L’affliction peut donc se lire à plusieurs niveaux, politiques ou personnels, mais elle s’insère au plus profond d’une âme baroque dans ses épanchements, mais s’abord meurtrie dans ce qu’elle révérait le plus au monde (après Dieu ?).

 

 

  32. Vivre, mais pour obtenir justice

 

321. Les chemins de Rome : la justice de Dieu ?

 

    Si le premier geste politique de la reine douairière consiste en une réponse en forme de lettre ouverte au nouveau roi Henri IV le 6 septembre 1589, en revanche ses prières ardentes la poussent à implorer Rome, afin d’obtenir une bonne et catholique justice (Henri IV n’est encore que le ‘béarnais’ huguenot). Ainsi, accablée par le malheur, coupée de la plus grande partie de ses parents et poursuivie avec acharnement par ses créanciers et ceux de la feue reine mère[39], Louise de Lorraine n’en demeure pas moins fidèle à Henri III et prône la nécessité d’une justice exemplaire, dont la teneur reviendrait à l’arbitre suprême, et donc dans la cité terrestre au ‘magistère impeccable’ qu’est la papauté.

    A cette occasion se constitue autour de sa personne un réseau de personnalités romaines qu’elle tente de s’attacher. Consciente de son statut de ‘Royne blanche’, et déployant en elle un supplément d’âme inconsciemment politique car a priori éthique et religieux, elle se révèle être, malgré les échecs successifs de ses démarches auprès du Saint Siège, l’émanation de la seule reine possible pour le royaume de France, dans cette dernière décennie du XVIe siècle. alors que la reine légitime, Marguerite de Valois demeure reléguée à Usson, Louise de Lorraine emplit Rome de ses missives. Certes, elle ne tient pas tête au pape comme un Philippe Auguste face à Boniface VIII. Cependant Jacques de Montmorin, François de Joyeuse et surtout Arnaud d’Ossat vont par leur fidélité et leur entremises assurer à la papauté une victoire à la Pyrrhus, car travaillant à la réhabilitation du feu roi, ils manifestent la vertu irréprochable de la reine, et par conséquent lui confèrent une singulière renommée qui se répand en Europe, et particulièrement en France, par un curieux effet rétroactif.

 

    L’Instruction du 1er octobre 1589

 

    Les larmes n’empêchent donc guère Louise de Lorraine de reprendre ses esprits, et dès le mois de septembre, elle s’attache à engager une procédure auprès de Rome en des termes diplomatiques. L’instruction du 1er octobre 1589 est le premier indice d’une pratique de l’art de la négociation chez la reine. Ainsi se déploie au travers de l’ostentation de son immense affliction un catalogue méthodique visant à réhabiliter Henri III, assurer le salut de son âme et soulager ses passions :

 

  1. Présentation de la plainte au moyen d’un discours, de lettres et d’un mémoire.
  2. Déclaration condamnant l’assassinat de tout roi, et surtout celui du roi Très-Chrétien.
  3. Reconnaissance de la catholicité de Henri III et de prières pour son âme.
  4. Adresse au clergé et défense d’attenter à la mémoire de Henri III, surtout à Paris.
  5. Condamnation des deux couvents jacobins où vécut le régicide.
  6. Célébration des obsèques du roi à Rome (si l’on n’y a pas déjà procédé).

 

    Le voyage diplomatique de Jacques de Montmorin

 

    Jacques de Montmorin, premier écuyer de la reine depuis 1570, eut à remplir plusieurs missions diplomatiques hors du royaume de France : ainsi en 1578 lorsqu’il dut se rendre à Vienne afin de présenter les condoléances du roi à la veuve de Charles IX, son ancienne maîtresse, pour la mort de sa fille demeurée en France. Ce proche de Louise de Lorraine bénéficiait aussi de sa faveur puisque celle-ci appela dans sa maison son épouse Gilberte de Marconnay dès 1579, sa fille, Magdeleine de Montmorin de 1582 à sa mort en 1584, et l’un de ses parents, Jean Baptiste de Montmorin, comme aumônier. Ayant quitté Chenonceau probablement peu après la remise de l’instruction, il dut arriver à Rome un mois plus tard et obtint trois audiences auprès du Souverain Pontife. La reine fut tenue informée de l’état des discussions entreprises par son envoyé, et avant la dernière audience, elle envoya quelques recommandations tenant compte des difficultés rencontrées.

                               

    « Et pour ce que sur l’esperance et en atendant l’autre audience poursuivante, Sa Majesté luy manda que surtout il feist principalement… ».[40]

 

    Compte tenu de la distance et du temps mis par les courriers à parvenir à leurs destinataires, la première audience se tint vers la mi-novembre et le dernière à la fin du mois de décembre. Après quoi le sieur de Montmorin regagna la Touraine, non sans solliciter le cardinal Cajetan qu’il rencontra en chemin, puisque le légat était assurément plus au fait des affaires de France et de la réputation de la reine douairière[41]. Cependant, après avoir (fait ?) rédigé un rapport de ses activités à Rome, l’on ne trouve plus trace de lui dans l’entourage de Louise de Lorraine.

    Le rapport de mission reprend scrupuleusement, voire même mot à mot les consignes données dans l’instruction, et présente le déroulement des audiences pontificales avec pour tout commentaire la déploration de l’attitude de Sixte Quint :

  1. Hommage au pape, présentation de la plainte de la reine et mise en exergue de l’horreur du crime, « vray sacrilege et parricide perpetué par ung homme d’Eglise » (fol.121 r°).
  2. Après avoir exposé les requêtes de la reine, Montmorin revient sur ceux « ne se monstrant pas moings cruelz et felons à la memoire dudit feu seigneur Roy qu’à sa propre personne d’aultant qu’ilz maintiennent par escritz et libelles predications publiques et scandaleuses qu’il ne fault poinct faire » (id.), alors que le roi a « tousiours esté des plus devotieux catholicques deceddé ferme et resollu en ceste [ ] et profession » (id.).
  3. Une fois démontrée l’orthodoxie de Henri III à l’heure de sa mort, Montmorin demande des « bulles expresses » adressées aux clercs afin qu’ils prient pour le salut du roi, « se retenant doresnavant de plus proferer publier et dire les calompnies et propos scandaleux esquelz ilz se sont insollemment licentiez en leur predications libelles et escritz » (id.).
  4. Requête afin d’obtenir des funérailles, et qu’elles « y fussent faictz pendant son sejour (…) à ce qu’il peust de tout porter une si bonne nouvelle à ladite dame » (fol.121 v°).
  5. Le pape « ne tint aucun propos (…) qui donnast esperance de contentement à Sa Majesté » (id.), fait une réponse empreinte de considérations politiques, regrettant « la totalle confusion et desolation de ce pauvre estat » (id.), ainsi que les conséquences d’un tel désordre pour la chrétienté.
  6. Le pape loue la dévotion de Louise de Lorraine et lui promet « ayde support et commodité (…) et propres moiens et de ceux de la Chambre apostolique si pour sa personne speciallement elle en avoit besoing » (id.).
  7. Quant aux requêtes, le pape se réfugie derrière la Congrégation de France, « sans l’advis desquelz elle [Sa Sainteté] ne se resoudroit d’aucune chose » (id.).
  8. A la fin de la deuxième audience, le pape interroge d’une manière moins officielle le sieur de Montmorin sur « l’estat des affaires de France » (id.), mais ce dernier s’esquive, lui rappelant que son seul soin est celui de sa maîtresse.
  9. En attendant la dernière audience, Louise de Lorraine lui demande « que surtout il feist principalement instance du service Obiit et ceremonie funebre à Rome » (id.), ce dont il s’efforce, tout en faisant de la mémoire d’Henri III « le principal subject et fondement de sa troisieme suplication » (id.).
  10. Rome, « d’où debvrient naistre et partir tous atraitz de sainte reconciliation » (id.) s’emplit des calomnies contre le feu roi, et le pape se doit d’y remédier, « selon le debvoir de sa charge et la naturelle obligation service et respect qu’il avoit audit defunt seigneur Roy » (id.).
  11. Montmorin se fait plus pressant et manifeste son agacement…
  12. Le pape, « aucunement esmeue ou d’ailleurs plus que auparavant disposée à compassion » (fol.122 r°), apaise l’audience en reconnaissant « qu’elle y proceddoit d’une tres ardante voloncté » (id.) ; mais le royaume subit une punition divine et Sixte Quint prophétise sa « ruyne n’estre que trop prochaine » (id.) : cependant il souhaite intervenir pour que cessent les libelles injurieux.
  13. Sur la question de « l’estat auquel ledit defunt seigneur Roy estoit deceddé » (id.), le pontife entend consulter le légat Cajetan et le Consistoire ; enfin il envoie à Louise de Lorraine un bref, et remercie son envoyé.
  14. « Voilla en somme le subiect et recit veritable et la resollution de la negociation qu’a faicte à Rome ledit sieur de Montmorin » (id.) : devant l’accumulation des obstacles, ce dernier n’a point évoqué le sort des couvents jacobins de Sens et de Paris.

 

    L’âpreté du ressentiment de Louise de Lorraine, conjugué à cet échec en première instance, n’était cependant pas inconciliable avec une réflexion de stratégie diplomatique plus profonde sur la manière la plus adéquate de parvenir à ses fins. Se rendre favorable Rome pouvait lui donner l’impression d’assurer un arrière plan politique et un surcroît de légitimité. Mais il convenait alors d’agir avec prudence : le rapport du sieur de Montmorin, pour impersonnel qu’il soit, insiste sur cette notion.

 

    « Sa Sainteté se voulut informer (manque) dudit sieur de Montmorin de l’estat des affaires de France. Ledit sieur de Montmorin n’ayant avec soing que du service de sa maistresse, pres de laquelle, disoit-il à Sa Sainteté, on ne verioit que pleurs et larmes, soupirs et regretz, se retint et comporta par ceste excuse de telle façon qu’il n’en aprint rien de luy, comme aussi ne l’en pouvoit-il beaucoup contenter ».[42]

 

    En outre, le rapport laisse transparaître plusieurs principes de l’art de la négociation qui furent assurément pris en compte pour l’avenir, dont la nécessaire maîtrise du ‘terrain’. En effet, le discours de Sixte Quint et son intransigeance sur la plupart des points soulevés par l’envoyé (à l’exception de la condamnation officieuse des libelles et de toute diffamation émanant des milieux parisiens) tranchent avec « les suplications et responses des deux premieres audiances assez facilement obtenues ».[43]

 

    « A quoy Sa Sainteté, aucunement esmeue ou d’ailleurs plus que auparavant disposée à compassion ».[44]

 

    Ce paradoxe entre la bonne réception et la position attentiste finale dut surtout être ressenti par Jacques de Montmorin qui ne connaissait peut-être guère les usages romains : l’idéal serait donc de disposer d’un intermédiaire meilleur savant en la matière.

 

322. Un ambassadeur de choix : Arnaud d’Ossat.

 

    Le manuscrit français 3473 comporte en son sein 25 lettres de celui qui fait office de chargé de mission de la reine douairière à Rome de 1590 à 1600. Ces dépêches, souvent assez longues, constituent un ensemble disparate et très probablement fragmentaire (6 pour 1590, 13 pour 1591, 1 pour 1592, 1 pour 1598, 1 pour 1599 et 3 pour 1600) ; en fait une sélection paraît avoir été opérée, ne retenant que les dépêches les plus significatives, en plus de pièces annexes aussi contenues dans le manuscrit 3473. Cette correspondance s’engage le 1er juin 1590 par une lettre de Louise de Lorraine que l’abbé reçoit par l’intermédiaire de l’ambassade de Toscane le 19 juillet suivant[45]. Il convient d’ores et déjà de prendre en compte l’éloignement des correspondants et la lenteur des courriers, en buttes aux aléas des guerres de France, et confrontés à la précellence des dépêches en provenance d’Espagne. Le 15 avril 1591 notamment, d’Ossat déplore la dégradation du courrier de Lyon qui passe maintenant tous les mois, au lieu de chaque quinzaine, et encore :

 

    « il i vient plus pour porter les paquets d’Hespaigne que pour ceux de France »[46].

 

De même, le 6 août suivant, il réitère son mécontentement de ne recevoir des nouvelles de France qu’une fois le mois[47]. Le décalage crée serait susceptible de provoquer quelque désordre dans le suivi des évènements et en toute prise de décision. C’est pourquoi, à de nombreuses reprises, Arnaud d’Ossat se permet de devancer les missives de Louise de Lorraine afin de lui rendre compte – parfois quotidiennement comme en avril 1591 – du déroulement de son affaire. Cependant le temps ne constitua point le seul obstacle, et l’insécurité des chemins pouvait faire craindre pour l’acheminement du courrier : peu avant le 11 juin 1591, un envoyé du cardinal de Bourbon arrive à Rome, mais ne peut délivrer à l’abbé les lettres en provenance de la reine car son convoi a été dévalisé[48].

 

    Arnaud d’Ossat

 

    « (il) estoit né de pauvres parens, qu’il perdit à l’âge de neuf ans. Il fit ses études à Paris, & ensuite y enseigna la rhétorique et la philosophie. Il y apprit aussi les mathématiques & le droit, & fit à Bourges un cours de droit sous Cujas ; ensuite de quoi étant revenu à Paris, il fréquenta le barreau. Paul de Foix, depuis archevêque de Toulouse, que le roi Henri III envoyoit ambassadeur à Rome, engagea d’Ossat à l’accompagner en qualité de secrétaire de l’ambassade. Après la mort de cet ambassadeur à Rome, l’an 1584, d’Ossat, qui s’étoit engagé dans l’état ecclésiastique, fut reçu dans la maison du cardinal d’Est, protecteur en cette cour des affaires de France ».[49]

 

   Cependant en 1590, l’abbé se retrouve dépositaire d’une ambassade de facto, mais non pas de jure : aucun des partis en guerre dans le royaume de France ne dispose alors d’une délégation permanente à Rome, si ce n’est la Ligue, mais ses représentants sont informels. La nouvelle reine douairière lui donne l’occasion d’accéder réellement au statut d’ambassadeur car elle seule est en mesure de représenter aux yeux de Rome – du moins jusqu’à la conversion de Henri IV – la continuité monarchique en France. Cette précision explique sans doute l’empressement de l’abbé à satisfaire à ses demandes et à lui conserver toute sa fidélité :

 

    « je me tiendray tousiours grandement honoré de toute autre chose qui me sera commandée de la part de Vostre Majesté ».[50]

 

 

 

    Une impossible justice

 

    La force de Louise de Lorraine – sa légitimité en tant que reine – devient toutefois sa principale faiblesse : le temps des Valois est perçu comme révolu et le royaume semble promis aux partages, et au moins à la domination étrangère. Toutes les démarches d’Arnaud d’Ossat n’aboutissent qu’à de bien minces et fragiles résultats, au regard de la demande de la reine. Et la lecture de ces lettres dut constituer pour Louise de Lorraine une épreuve, certes nuancée par les annotations personnelles consignées par son émissaire. En outre, cette correspondance devient le nœud central d’un ensemble de correspondances entre la reine, son plénipotentiaire et diverses personnalités romaines ou italiennes. Car l’art de la diplomatie ne consiste pas seulement à établir un solide dossier argumentatif, mais demande surtout de s’attacher des personnes influentes afin d’infléchir la décision finale.

    Au-delà de l’expression de son affliction, cette correspondance et ses intertextualités apportent selon une perspective linéaire un éclaircissement sur le comportement de Louise de Lorraine et sa constance entre 1590 et 1601. Au travers des difficultés à obtenir audience du pape, des relations avec les cardinaux romains et les ambassadeurs de Toscane et de Venise, Arnaud d’Ossat retranscrit ses impressions sur la matière politique et insuffle à sa lectrice ses propres espoirs et ses craintes, lui conférant par son récit une certaine pratique du malheur où la politique peut néanmoins permettre un semblant de réussite.

 

    Les récits de Rome

 

    22 juillet 1590. Après le départ de Montmorin, Monsieur de Luxembourg a évoqué l’affaire en audience pontificale de la part des princes et des seigneurs catholiques et royalistes de France. L’ambassade de Toscane participe à la demande de la reine à sa poursuite, et délibère avec d’Ossat. Ce dernier, au matin du 22 juillet parle au pape, lui remet une lettre de Louise de Lorraine où elle semble poser le problème de la position du légat, alors en mauvaise grâce auprès de Sixte Quint.

 

    « Mais quant aux obseques, il n’estoit point temps d’en parler pour ceste heure ».

 

Enfin, le pape demande comment se porte la reine, où elle réside, et l’abbé lui répond que « vous ne faisiee point de difference d’un lieu à autre, et que tous lieux vous estoient bons ». L’abbé souhaite en outre que Louise de Lorraine écrive à une certaine « Signora Donna Camilla » et à plusieurs cardinaux afin de les intéresser à l’affaire.[51]

    7 août 1590. Arnaud d’Ossat consulte les personnes envisagées dans la missive précédente. Donna Camilla se rend auprès du pape une fois, mais n’y revient pas du fait de la chaleur et des maladies qui sévissent dans la Ville. En ce qui concerne le cardinal Montalto, ses seules paroles furent : « Et bien je feray ». Le cardinal Sante Penibina fut bien plus prolixe, mais il conclut en disant que, selon le cardinal de Gondi[52], Henri III est mort sans s’être confessé. D’Ossat tente de répondre mais « pour ce que les responses sont un peu longuettes, (…) j’ay estimé qu’il valoit mieux en fere un memoire à part ». Le cardinal Dataire serait plutôt enclin à défendre la reine si la question du monitoire[53] touchant le feu roi était réglée. Il apparaît que les tensions entre Gondi et le légat ont eu une fâcheuse conséquence, à savoir que « ledit Pere légat avoit respondu n’avoir eu commandement de Nostre Saint Pere, sinon que de prohiber qu’on ne preschast ni escrivist contre la memoire du feu roy ». La cardinal Lancelot prétend vouloir au parler au pape, se montre fort velléitaire, avant de s’exécuter toutefois. Enfin, le cardinal Pinelli est en plein accord avec le pape, tout comme le cardinal de La Loude.[54]

    21 août 1590. L’agacement d’Arnaud d’Ossat devant tant de retenue et d’hypocrisie commence à percer dans sa critique :

 

    « oultre que pour le regard des obseques mesmes, il advient plus souvent occasion de les faire en France pour les papes, que non à Rome pour nos Roys : d’aultant qu’on ne faict point de Pape qui ne soit jà fort vieux pour une fois qu’on auroit refusé à Rome de faire les obseques à un Roy Tres Chrestien, on pourroit refuser plusieurs fois de les faire en France pour les Papes. Mais je m’assure tant de la prudence et justice de nostre Saint Pere et de tous les seigneurs de ce Sacré College qu’il n’en fauldra poinct venir là ».[55]

 

    3 septembre 1590. Sixte Quint est décédé le 27 août ; par conséquent, Donna Camilla n’est plus d’aucune utilité. En l’état des choses, d’Ossat estime sa mission terminée s’il ne reçoit point d’autre commandement.[56]

    27 novembre 1590. Urbain VII est élu le 15 septembre mais meurt douze jours après. Les cardinaux rentrent en conclave le 8 octobre. Louise de Lorraine lui envoie deux dépêches écrites le 24 septembre et le 14 octobre, auxquelles est joint un mémoire : elle ne veut plus que l’on puisse discuter du monitoire. L’abbé l’invite à écrire à des cardinaux et au futur pape des remerciements quand il sera temps, à l’ambassadeur de Venise Albert Baducro « qui, à mon advis, s’y employeroit de tres bonne volonté ».[57]

    18 décembre 1590. Nicolas Sfondrat, cardinal de Crémone, vient d’être élu pape sous le nom de Grégoire XIV :

 

    « il y en ha qui presagent desià que ce pontificat sera administré en grande partie au gré des hespagnols ».

 

Arnaud d’Ossat l’invite à s’adresser aux cardinaux Sfondrat, Borromée, d’Ascoli et Cajetan, membres influents du nouveau gouvernement pontifical, ainsi qu’à un nouvel ambassadeur de la Sérénissime, Giovanni Moro.[58]

    22 janvier 1591. Les cardinaux Sfondrat et Cajetan sont nommés à la tête de la Congrégation de France. Quant au pape, « le Roy d’Hespaigne et la Ligue le pressent grandement de se declarer chef de ladicte Ligue ».[59]

    15 février 1591. La reine lui expédie une lettre le 26 décembre qu’il reçoit le 10 février. En retour, il l’invite à écrire au comte Sfondrat, un autre neveu du pape.

 

    « Monsieur le cardinal Morosini doit partir un de ces jours bien tost, pour s’en aller resider en son evesché de Bresse [Brescia] : dont je suis marri pour le service qu’il vous eust peu rendre en vostre affaire ».[60]

 

    19 mars 1591. Arnaud d’Ossat précise que Charles de Lorraine vient de recevoir le chapeau de cardinal, mais qu’il n’a encore pu lui parler.[61]

    15 avril 1591. Venise rend le 31 mars une réponse favorable par l’intermédiaire de son ambassadeur, mais pense qu’il convient de patienter, voyant la situation.

 

    « Lesdicts Seigneurs tenoient à faveur et honneur la confiance que Votre Majesté monstroit avoir en eux, et l’occasion qu’elle leur donnoit de luy faire service. (…) Bien leur sembleroit-il qu’il seroit plus à propos d’attendre à faire ceste instance jusques à quelque autre meilleure saison, qui n’estoit ceste-ci, se trouvant le Pape sur le poinct d’envoyer gens en France, et de faire autres choses en faveur de la Ligue ».

 

L’abbé remercia vivement l’ambassadeur, comprenant bien le point de vue vénitien :

 

    « Une République si courtoise, et si bien affectionnée à la memoire du feu Roy (…). Votre Maiesté se remettroit tousiours à leur prudence et discretion ».

 

Puis il prit conseil auprès d’Albert Baducro afin de voir s’il convient de parler au pape, ce à quoi ce dernier ne sait que répondre. Cependant, lui représentant son scepticisme sur l’avenir de la papauté, la nécessaire consolation de la reine, et surtout la lettre de congratulations à remettre, bien que Grégoire XIV soit alors indisposé, l’abbé convainc l’ambassadeur de demander maintenant une audience, quitte à être reçu plus tard (ce qui excuserait l’ancienneté de la lettre).

 

    « Suivant ceste resolution, je fus parler le second de ce mois au maître de la Chambre du Pape (…) [lors de l’audience, Grégoire XIV lui déclare] Qu’il estoit informé de vos rares vertus, et entre autres de vostre pieté et devotion, et vous tenoit pour une saincte princesse. (…) [Puis il expose la demande d’obsèques] Et quelle response y feist-on ? dist-il. Je répondis que pour ce que la chose de Blois estoit fresche encore alors, le Pape Sixte avoit volu diferer de pie et sainct office pour quelque temps (…) [le Pape réitéra la même réponse] ».[62]

 

    16 avril 1591. Les 5 et 6 avril, Arnaud d’Ossat a sollicité des cardinaux pour leur délivrer les lettres de la reine. Tous s’enquirent de l’état de santé de la reine et firent quelques autre politesses avant de répondre. Le cardinal Sancte Severino avoua que « ceste affaire avoit de la difficulté ». Il dit avoir demandé jadis des obsèques privées, mais ce dernier terme, lourd de conséquences, contrariait l’abbé :

 

    « Je notay ce mot de privées : qui me despleut (…). Tant y ha que ce mot ha esté cause que à toutes les fois que j’ay depuis parlé et escrit de ceste affaire, j’ay tousiours adiouxté à ce mot obseques cest epithete de publiques ».

 

Enfin, le cardinal voulut connaître le sort des frères de la reine et fit honorable commémoration de feu le cardinal de Vaudémont. Le cardinal Sancti Quatro mit en exergue l’implication politique de telles obsèques :

 

    « il trouvoit la chose raisonnable en soy (…). Mais, pour me parler librement, il pensoit que pour cest heure malaisement s’obtiendroit-elle, n’y ayant point de Roy en France : et qu’on craindroit de mescontenter ceux de la Ligue (…). Je luy repliquay que Vostre Maiesté avoit preveue ceste obiection, et m’avoit commandé de leur remonstrer là-dessus que prier Dieu pour l’ame du feu Roy n’accroistroit ni diminueroit les forces ou moyens d’un parti ni d’autre. Tout cela (dist-il) est vray et bon, mais les personnes malades et desgoutées trouvent amer le meilleur vin et les viandes les plus savoureuses ».

 

Le cardinal Lancelot déclara avoir proposé lors d’une séance à la Congrégation de France d’absoudre Henri III, mais l’assemblée ne l’aurait pas suivi, « et me sembla que je le laissay bien edifié et persuadé de cest affaire ». Le cardinal Cajetan dit n’avoir reçu aucune instruction particulière lors de sa légation en France. Le cardinal de La Rovere conseille à d’Ossat de rédiger un mémoire pour le cardinal Sfondrat. Le cardinal d’Ascoli demanda implicitement si le cardinal de Lorraine ne pouvait pas faire évoquer l’affaire : l’abbé insiste sur la franchise de ce cardinal. Quant au cardinal Borromée, il parla peu, si ce n’est pour déclamer quelque compliment. Et le cardinal Cusan ne sut rien dire d’autre que d’écrire à Borromée.[63]

    17 avril 1591. D’Ossat a rédigé le mémoire sans parler d’excommunication ou de monitoire, mais en donnant des raisons implicites de les récuser : il le destine au pape, à Rovere, à Sfondrat et d’autres cardinaux, aux ambassades de Venise et de Toscane. Il n’a pu sonder le cardinal de Lorraine pour l’instant, mais rappelle que le cardinal de Joyeuse doit sa carrière à Henri III. Or ce dernier « doibt arriver au commencement de may, et y sejourner quatre ou cinq mois » : Louise de Lorraine devrait donc lui écrire par le biais de sa belle sœur car pour l’issue de sa demande, « s’il ne l’obtenoit, je ne scay qui le pourra obtenir ». D’ailleurs, l’ambassadeur de Toscane n’a toujours pas reçu de nouveau commandement et croit l’affaire perdue, « car aujourd’huy ils [les Espagnols] peuvent tout et ne se faict que ce qu’ils veulent ». Enfin, l’abbé s’étonne de ce que la réponse du cardinal Sfondrat puisse remplacer celle de son oncle Grégoire XIV, alors que les papes « ont accoustumé de faire response eux-mesmes aux Roys et aux Roynes ».[64]

    12 mai 1591. Le pape a écrit un bref délibéré en la Congrégation de France. La réponse des cardinaux est unanime : il est trop tôt. Mis à part le cardinal Sfondrat, ils n’ont pas parlé au pape, ou l’ont fait trop tard, tout comme l’ambassadeur de Venise qui ne s’exécute qu’à sa troisième audience le 3 mai. Quant à la Toscane, Arnaud d’Ossat n’en a plus de nouvelles.

 

    « En somme, il est trop vray, Madame, qu’il fault attendre un autre temps, (…), un roy paisible ».[65]

 

    17 mai 1591. Arnaud d’Ossat vient de recevoir le bref qui refuse tacitement des obsèques, ce « dont je suis tres marri ». En l’envoyant à la reine, il joint des lettres de quelques cardinaux, et en particulier une émanant du cardinal Morosini avec lequel Louise de Lorraine est en relation depuis quelques temps.[66]

    11 juin 1591. Solliciter les cardinaux devient une perte de temps pour l’abbé qui conseille plutôt de s’adresse directement au pape et à la Congrégation de France :

 

    « Et enfin, je me suis bien apperceu, que de rechercher plus telles intercessions, soit pour cest heure ou pour l’advenir, ne seroit que temps et peine perdue ».

 

Le cardinal de Joyeuse n’est toujours pas à Rome mais des gentilshommes, émissaires de « princes du sang catholiques » sont arrivés dans la Ville.

 

    « Mais ni en une façon ni en autre, je ne pense pas qu’on puisse rien advancer en cest affaire, tant qu’on verra la France en estat de ne pouvoir faire ni bien ni mal hors de foy ».[67]

 

    9 juillet 1591. Le 20 juin, d’Ossat a rendu visite à Giovanni Moro, le nouvel ambassadeur de Venise, afin de lui remettre une lettre de la reine ; mais ce dernier semble fort peu empressé de lui répondre…

 

    « Bien scay-je, longtemps y ha, que les ambassadeurs de Venise, et tous gentilshommes Vénitiens, escrivent mal aisement aux princes estrangers, et lors mesmes qu’ils ont quelque occasion de leur escrire (…). La ruine du seigneur Jaquet Paranzo, qui estoit le premier homme de sa republique en reputation, ne vint d’autre chose que d’avoir escrit une lettre au feu Grand Duc de Toscane, et l’avoir requis de certaine faveur pour son particulier. Et encore au jourd’huy le sieur Lipomani, qui estoit baile pour la seigneurie à Constantinople, est en grand danger de sa vie, pour estre chargé d’avoir escrit ces jours passez au Roy d’Hespaigne, une lettre d’advis de quelques preparatifs que le Turc sembloit faire, pour s’en servir en ces quartiers de la Chrestienté ».

 

Le cardinal de Lorraine a quitté Rome le 26 juin, or une dépêche de sa cousine datée du 8 avril arrive le lendemain avec deux lettres pour le cardinal (lequel a obtenu du pape que les 15000 écus d’abord destinés à la Ligue, soient octroyés au duc de Lorraine « pour empescher l’entrée aux Allemans, qui doibvent venir pour les princes du sang »). Quant à Joyeuse, il serait à Montserrat sur les hauteurs de Barcelone, en train d’attendre le duc de Savoie pour s’embarquer en direction de Gênes. Ce dernier visitait alors Philippe II dont il obtint une grosse somme et des soldats afin de combattre Epernon en Provence. Malgré ses soupçons vis à vis de Venise, la complexité à suivre les affaires romaines (en fait les 15000 écus n’auraient pas un sort fixé), Arnaud d’Ossat trouve alors une consolation dans le service de la reine :

 

    « Je remercie Votre Maiesté en toute humilité et de toute mon affection, du bien et honneur qu’il luy a pleu me faire en donnant ordre que j’aye la jouissance de mon prioré ».[68]

 

    6 août 1591. Le 23 juillet, d’Ossat reçoit un paquet avec une lettre de la reine en date du 18 juin, ainsi que d’autres pour les cardinaux de Lorraine, de Joyeuse, Sfondrat, et enfin pour Giovanni Moro. Il a envoyé les précédentes lettres pour Charles de Lorraine, mais est « fort esmerveillé que lesdictes lettres soyent si tard arrivées à Florence ». François de Joyeuse a débarqué à Gênes le 10 juillet et a atteint Rome le 20 du même mois. A ce propos, d’Ossat se met à penser « incontinent qu’il verra luire quelque scintille d’esperance d’y pouvoir advancer quelque chose ». Quant aux affaires de France, le duc de Savoie n’a en fait obtenu ‘que’ 25000 écus par mois, 14 galères, 900 soldats, et connaît de sérieuses difficultés devant Marseille, et ce d’autant que le grand duc de Toscane a envoyé des munitions pour défendre le château d’If : les prétentions de Savoie à la couronne de France se font plus incertaines. Le mardi 30 juillet, un « grand bruit » veut que le nouveau légat serait un sujet de Philippe II, le cardinal Alexandrin, jacobin de surcroît. Enfin le duc de Ferrare devrait passer à Rome pour régler les problèmes successoraux de la maison d’Este.[69]

    4 septembre 1591. Finalement le légat pour la France est le cardinal Paravieino. Le duc de Ferrare est à Rome depuis le 15 août, mais il n’a pu voir Grégoire XIV, alors en conflit avec son Consistoire. La nomination du légat intervient pour organiser les Etats Généraux « que ladicte Ligue entend tenir à Rheims et pour y faire un roi, et pour le sacrer ».[70]

    23 novembre 1592. D’Ossat a reçu une lettre de Louise de Lorraine en date du 8 août à laquelle il a répondu le 26 octobre, renvoyant aussi la réponse du cardinal Mathei. Il obtient pareillement une réponse de Paul Parute, ambassadeur de Venise, dont les termes demeurent laconiques : « il n’estoit pour cest heure temps de parler de cest affaire ». D’où la réflexion de l’abbé : « mais, si il tient le style de ses predecesseurs, il n’escrira non plus qu’eux ». Le cardinal de Gondi est à Florence car il paraît peu en cour auprès du Saint Père. L’évêque de Lisieux et le secrétaire de Mayenne, Desportes, sont à Rome, et cherchent quelque appui en adressant des missives aux cardinaux, dont Arnaud d’Ossat envoie des copies à la reine. Grégoire XIV leur donne de quoi payer 3000 hommes de pied et 500 à cheval. Il donne aussi 10000 écus au cardinal de Lorraine pour la guerre de Strasbourg. D’autre part, Lesdiguières est en Piémont où il a fortifié quelques places : Savoie tente de l’en déloger. En Sicile, à Messine, une sédition populaire a éclaté du fait des impositions du vice-roi.[71]

    3 septembre 1598. Une lettre de Louise de Lorraine lui est parvenue le 4 juin dernier, mais entre temps, il dut négocier la paix avec Venise et la Toscane. Il rend aussi à Monsieur de Luxembourg une lettre de la reine, « et l’informay de ce qui s’estoit faict aupres du pape, en la poursuite des funerailles du feu Roy ».[72]

    10 mars 1599.

 

    « J’estime qu’advant que ceste lettre arrive à Votre Majesté, vous aurez esté advertie comme il pleust à Notre Saint Pere à la priere du Roy, me comprendre en la promotion de cardinaux, qu’il feist le 3 de ce mois. Je n’ay pourtant voulu laisser de vous en donner advis moy-mesme, comme tres humble et tres obeissant subiect et serviteur ».[73]

 

    18 mars 1600. Arnaud d’Ossat inventorie les dernières missives reçues de la part de la reine, ainsi que d’autres pour l’abbé de Beaulieu, aumônier de la reine, pour le pape sur la mémoire de Henri III, la confirmation de dispenses et la fondation de monastères (à Bourges, Moulins et Tours). Pour ces affaires, le cardinal préfère attendre le retour de Sillery, car « il fauldra que Monsieur de Silleri et moy y marchions d’un mesme pied ».[74]

    20 mai 1600. Sillery est pari à Florence le 17 avril négocier la main de Marie de Médicis. Arnaud d’Ossat se rend le 21 avril à l’audience pontificale du vendredi où il évoque les trois dispenses requises, « touchant la communion et un autel portatif, et de manger de la viande aux jours maigres : pour l’indisposition et de fluxion, dont Votre Majesté est ordinairement travaillée ». Le lendemain, Clément VIII renvoie le mémoire rédigé par d’Ossat à cette occasion au cardinal Bellarmin, lequel lui annonce le 27 avril l’accord du pape et l’augmentation de la dispense autrefois consentie par Grégoire XIV. Louise de Lorraine peut choisir deux jours par semaine pour communier en un lieu approprié ; elle peut aussi manger de la viande « selon le conseil du confesseur et du medecin de Votre Majesté ». Le 28 avril, Arnaud d’Ossat apporte une lettre de la reine au pape, ainsi que celles du roi lui étant adressées, et demande l’érection de trois monastères de capucines. Clément VIII manifeste son accord mais se pose le problème des capucins qui ne devraient pas vouloir gouverner des religieuses. Au sortir, le cardinal se rend donc chez le cardinal Aldobrandini, neveu du pape, puis le lendemain, auprès du « protecteur de l’Ordre des Capucins », le cardinal Sancte Severino, et chez le P. Monopoli, procureur général de l’Ordre.

 

    « Il me feist la susdite difficulté encore plus grande que ne l’avoit faicte le pape, ni le cardinal de Sancte Severino ».

 

Pourtant, une solution semble possible et d’Ossat déclare que ces couvents seraient identiques à ceux de Rome. Le vendredi 5 mai, il argumente très longuement sur la nécessité de célébrer des obsèques et il pense avoir convaincu le pape. Il reconnaît toutefois que ce dernier ne prendra aucune décision avant de consulter les anciens cardinaux.[75]

    4 novembre 1600. Louise de Lorraine lui a écrit le 12 septembre par le biais du doyen des chanoines de Notre Dame de Moulins : elle a reçu trois brefs et la lettre du cardinal. Elle joint trois lettres pour régler la question de la fondation des capucines. Enfin, pour l’affaire de son chancelier, Arnaud d’Ossat a obtenu le « gratis de l’expedition de l’abbaye des Preaux pour son fils » grâce au soutien de la reine douairière.[76]

 

    Conclusion : l’acceptation du malheur terrestre ?

 

    La lassitude d’Arnaud d’Ossat dans l’échec tranche singulièrement avec l’acharnement de Louise de Lorraine. Sa fermeté d’âme est souvent mise à l’épreuve, ne se montre jamais épuisée. D’où le contraste entre un tel récit – organisé, méthodique, complice mais raisonnable – et les écrits de la reine – hyperboliques, emphatiques. La conciliation acceptée à Rome et l’exaspération affichée en France procèdent d’une démarche pourtant commune, profondément politique dans les deux cas, mais selon deux modalités différentes. Dans ce vécu de l’échec, entrecoupé de quelques espérances et réussites, les leçons de Catherine de Médicis affleurent assurément. En d’autres termes, Louise de Lorraine voit entre 1589 et 1601, à une échelle certes différente, ce que sa belle-mère vit entre 1559 et 1589 : la mort tragique d’un époux estimé, le désir de conciliation et d’harmonie, la nécessaire implication personnelle, l’impossible relâchement, une grande désolation mais l’acceptation de son sort. Ce mimétisme vaut au moins pour la réception des évènements et leur gestion au quotidien.[77] Ainsi la différence du discours répond à la différence contextuelle, ce qui dénote encore une fois la connaissance des pratiques politiques. Louise de Lorraine aurait pu s’assurer le soutien de Monsieur de Luxembourg, que l’on retrouve à plusieurs reprises comme ambassadeur à Rome : or la distinction d’un plus humble émissaire (en 1590) mais aussi mieux introduit dans les cénacles romains, témoigne d’un esprit rompu à la diplomatie. De plus, alors qu’Arnaud d’Ossat désespère de l’attitude de Venise et de la Toscane, la reine persiste à entretenir quelque relation épistolaire avec leurs ambassades. En 1600 encore, elle insiste pour faire évoquer la question des funérailles à l’audience pontificale.

    Si dans son fors intérieur, Louise de Lorraine est ébranlée par la mort de Henri III et le refus qui lui est opposé à Rome dans ses démarches, en revanche un certain pragmatisme prévaut pour assurer une justice ardemment souhaitée.

 

 

323. La cérémonie de Mantes (janvier 1594).

 

    « Dieu qui met le sceptre en la main des rois… »

 

    A cette première acception de la justice comme lecture d’éléments médiats d’un point de vue personnel et politique répond une autre lecture plus immédiate dans sa perception politique et judiciaire : cette ambivalence entre une éthique privée, et une éthique officielle ne requiert cependant pas l’utilisation  d’un argumentaire différent selon le cas. Une distinction est pourtant à établir : celle de la publicisation de son affliction et du caractère judiciaire de sa requête. Ainsi la lettre du 6 septembre 1589 se présente comme une lettre ouverte dans la mesure où elle est l’objet de deux éditions la même année, à Tours et à Chalons. De même, le discours en forme de requête qu’elle fait parvenir au roi début novembre est à de nombreuses reprises copié dans des manuscrits contemporains, ce qui témoigne de l’importance de l’affaire – elle est examinée au Conseil – et de sa visibilité extérieure.

    Ce dernier texte énonce les fondements traditionnels de la royauté générée par Dieu et se perpétuant par le sang , non selon le libre arbitre, et avant tout garante de la justice :

 

    « Dieu qui met le sceptre en la main des rois en les constituans sur ses peuples ne leur commande rien plus expressement apres son honneur et service que l’egale administration de sa justice auparavant mise ès mains des iuges que Sa divine bonté y avoit establitz et ordonnez comme estant la principale charge et fonction de la puissance royale et où gist la plus illustre marque de cette supresme et souveraine auctorité.[78]

 

Roi de Justice selon le paradigme biblique, le roi est également un pater familias pour son peuple : émanation de son royaume, il est roi de concorde entre les princes du sang, les « Estats de ce royaume » et autres « officiers, serviteurs, et subjects ». Or l’attentat du 1er août 1589 remet en cause ces critères et la continuité des temps depuis l’ère biblique. L’irruption d’une dynamique temporelle renversant l’harmonieuse statique bouleverse d’une manière tragique l’établissement du royaume même, au-delà de la propre affliction de la reine :

 

    « ne se trouvant en tous les aages et siecles passez nul exemple pareil à cette felonnie tant pour le respect de la personne, estat et dignité du desfunct sacré et l’oingt de Dieu, que de la qualité de l’executeur de ce damnable assassinat (…).[79]

 

    La diligence du procureur général de La Guesle, aidée en cela par la contingence des faits d’armes, mit le prieur du couvent des jacobins de Paris, Edme Bourgoing, à la disposition du Parlement siégeant à Tours.

 

    « Pour responce à la lettre qu’il a pleu à Vostre Majesté m’escrire, je vous diray que j’ay communicqué le contenu en icelle à Monsieur le Premier President qui a trouvé n’estre besoing que Vostre Majesté pour ce coup signe les conclusions qu’il fault bailler contre le prieur des Jacobins parce qu’il fault reserver cela à quelque plus grande occasion qui se presentera en la suitte et continuation du proces. Ce sera assez qu’en vertu de la procuration et commission que m’avez envoiée, je signe lesdites conclusions et que Vostre Majesté prenne la peyne d’escrire une lettre à Messieurs de la Court afin qu’ils aient la justice de vostre cause (…) ».[80]

 

Et en effet, à la suite de cette lettre du 27 janvier 1590, le Parlement jugea le prieur qui fut condamné pour régicide.[81] Cependant, Louise de Lorraine demeurait insatisfaite car elle était convaincue qu’un tel complot ne pouvait qu’avoir reçu l’assentiment, sinon la bénédiction et de substantiels moyens, du chef de la Ligue, Henri de Lorraine, duc de Mayenne. Et dans la logique d’une conspiration nobiliaire, le réseau des culpabilités devait sûrement être aussi grand que le nombre des clients de Mayenne et de la Ligue. C’est pourquoi la reine douairière persiste à demander des enquêtes, afin que justice soit faite. L’ambiguïté de ses relations avec certains ligueurs, patente depuis 1588, n’avait cependant pas été éteinte par l’assassinat du roi. En 1594 encore, des agents de la Ligue auraient été découverts dans son entourage.[82]

 

    « le Roy s’estannt derechef advancé, il luy tendit la main pour l’ayder à la relever… »

 

    « Le mercredy douziefme iour du mois de Ianvier, la Royne douairiere Louise estant venue de Chenonceaux à Mantes, pour demander iustice au Roy de l’assassinat commis en la personne du bon prince Henry III, le lieu pour luy donner audience fut préparé dans la nef de la grande eglise de Mantes ».[83]

 

Le cadre imposant de l’église en fit un « theatre » au sommet duquel fut installé pour Henri IV « une chaire recouverte d’un riche drap d’or frizé rouge ». La cérémonie s’annonçait d’emblée fastueuse et conforme au rang des protagonistes, dans la tradition des réceptions de souverains. Or donc, le 20 janvier, le roi se rendit vers les deux heures de l’après midi vers l’église, escorté par les soldats de sa garde.[84]

 

    « Un quart d’heure apres vint la Royne Louïse, devant laquelle marchoient les Suisses de sa garde, ses Gentils-hommes & principaux officiers vestus de dueil. Elle estoit menée & soustenüe du bras gauche par Monsieur le prince de Conty. A la main droite, un pas devant elle, marchoit son Chancelier, le sieur de Chasteauneuf, & apres son chevalier d’honneur, le comte de Fiesque. La queuë de sa robbe estoit portée par Madame de Nevers, Madamoiselle sa fille, & Madame de Rohan, suivies de quarante autres dames conduittes par des seigneurs, serviteurs du feu Roy, tous habillez de dueil ».[85]

 

L’apparition de Louise de Lorraine est à bien des égards extraordinaire. D’abord parce qu’une reine douairière n’était guère destinée à se retrouver instigatrice de l’une des grandes manifestations solennelles de la monarchie française. Ensuite parce que l’entourage de la reine est assez étonnant. André Favyn a beau préciser que ce sont « ses » Suisses, il semble contestable qu’elle ait put conserver et entretenir un corps de soldats. D’autre part, ni le prince de Conti, ni la duchesse de Rohan ne furent des intimes de Louise de Lorraine, à l’inverse d’Henriette de Clèves, du baron de Chasteauneuf et du comte de Fiesque. Henri IV dut par conséquent pourvoir à sa suite afin de lui donner une allure vraiment royale. Quant aux dames et autres seigneurs, leur provenance et accointance avec la reine est plus difficile à saisir. Un réseau de fidèles devait exister en Touraine car, se trouvant à Chenonceau et ne disposant que d’une maison assez réduite (une quarantaine de personne environ), la reine est toujours informée rapidement des évènements du royaume, sauf que lorsqu’elle se trouve à Ancenis par exemple, où seul le gouverneur de Saumur semble l’informer. Toutefois, ces personnes issues de la cour d’Henri III peuvent aussi être des royalistes tôt ralliés à Henri IV.

 

    « la Royne ayant apperceu Sa Maiesté luy fit une humble reverence. A laquelle le Roy s’estant levé & mis la main au chappeau, ceste dame à my-partir fit une seconde reverence. Pour la recevoir, le Roy ayant advancé un pas, parvenüe au premier degré, devant luy elle mit un genoüil à terre, & le Roy s’estant derechef advancé, il luy tendit la main pour l’ayder à la relever, & monter ledict Theatre, d’où elle fut conduitte dans sa chaire couverte de drap noir ».[86]

 

L’étiquette n’étant plus depuis longtemps pour la reine une matière inconnue, le cérémonial se déroule parfaitement, selon un rythme bien cadencé, et son organisation témoigne du renouveau rapide de la cour autour du roi, avant même que celui-ci ne soit rentré à Paris : le Béarnais se montre ainsi digne héritier des Valois et assure la continuité dynastique. Et à défaut d’avoir une descendance ou d’incarner lui-même un véritable homo novus, le nouveau roi forme un ‘couple’ appréciable avec la reine blanche.

 

    « En ce voyage ceste vertueuse & chaste Royne, s’estant un iour trouvée à la messe du Roy, & à l’issue d’icelle ouy chanter l’Exaudiat te Deus, priere que le feu Roy faisoit tousiours dire pour lui, elle fut longtemps esvanouie, & tenue pour morte : le Roy accourut, & tous les princes & seigneurs qui estoient avec luy, & la remirent au mieux qu’il leur fust possible. (…) Ainsi à la moindre apprehension, ou representation des choses bien aymées on en devient transporté & se voyant à tout iamais privée de la iouïssance d’icelles, la douleur surmonte la constance, dont nous nous puissions armer ».[87]

 

Cette anecdote fut narré par plusieurs gentilshommes dans leurs mémoires et se situe dans la lignée des tressaillements que Louise de Lorraine affectaient étant reine, lorsqu’elle écoutait certains prédicateurs. Si son émotion à cet endroit paraît sincère, il faut cependant considérer qu’un tel événement contribuait à lui attirer la bienveillance de l’entourage royal, sûrement ému par une telle tension intérieure. Laquelle trouve un écho tout aussi spectaculaire dans le discours de Louis Buisson : loin de défaillir pour ce qui est d’imaginer quelque châtiment pour venger la mort d’Henri III, la reine douairière avait même trouvé le moyen d’accentuer encore plus son réquisitoire depuis octobre 1589 et son instruction au sieur de Montmorin. Le procureur détailla l’ensemble des mesures que la justice royale devrait appliquer :

-         Ordonner à tous les officiers royaux de rechercher les coupables.

-         Presser le clergé de requérir l’excommunication contre quiconque chercherait à entraver la bonne marche de la justice.

-         Faire connaître à l’ensemble du royaume les noms des accusés, les appréhender, et ordonner des poursuites envers ceux qui les aideraient.

-         Demander aux souverains étrangers de remettre les coupables réfugiés dans leurs territoires, sous peine de représailles contre leurs sujets se trouvant en France.

-         « Que la somme de dix mille escus fust promise, avec impunité de tous les crimes & delicts, à ceux qui prendroient les accusez, vifs, ou en aporteroient les testes ».[88]

-         « Que le premier iour d’Aoust (…) fust declaré malencontreux ».[89]

-         Interdire le nom de ‘Jacobin’, réformer l’Ordre de Saint Dominique, introduire à Paris et à Sens d’autres religieux « tels que la Royne veufve voudra nommer, afin qu’ils prient Dieu pour l’ame du feu Roy ».[90]

-         Obligation pour les autres couvents dominicains de célébrer le 1er août un service solennel, une procession, une prédication expiatoires, et de jurer fidélité au roi.

-         Fonder à Saint Cloud une « église d’expiation du parricide du Roy Henry Troisiesme ».[91]

    Pour justifier de telles mesures, Louise Buisson insiste sur le tourment personnel de Louise de Lorraine, mais exprime également le danger de laisser un tel crime impuni.

 

    « Sire, qu’il n’y a point d’eloquence, de voix, ny de langue qui puisse exprimer dignement le dueil, l’ennuy et la perte de la Royne douairiere. Car bien que de premiere apparence elle puisse estre estimée pareille à celle des autres veuves, qui ont perdu leurs maris, si est-ce qu’elle ressemble à la statue de Niobé formée de l’excellente main de Policlete, laquelle, estant veue de loing ne paroissoit qu’avec une tristesse commune et un visage plein de larmes ; mais quand on l’approchoit de pres, on trouvoit un visage sans forme, et plustost une figure de mort que d’une creature vivante ».[92]

 

Plus morte que vive, drapée de noir, Louise de Lorraine présente son affliction personnelle dans son extrémité la moins humaine et la plus monstrueuse : son visage est « sans forme » et donne à voir la présence de la mort. Elle-même se transforme en allégorie vivante de la mort. Et c’est ce paradoxe qui est cause de ses tourments : malgré elle, elle vit et doit vivre. Son affliction rapportée à sa dignité mérite donc un traitement hors du commun, extraordinaire.

    Cependant, afin de persuader Henri IV de se montrer plus vif dans la recherche des coupables, Louis Buisson se tourne vers le défunt, dont il narre d’un ton élogieux les sages actions et la triste fin.

 

    « Mais l’experience feit bien tost congnoistre à ce tres grand Prince que la guerre, le meurtre, et le sang, n’estoit pas le moyen legitime pour extirper les erreurs, et ramener au trouppeau de l’Eglise les ames qui en sont devoyées, & qu’il n’y avoit que la paix, la predication, & ut magna facta quam dictis Christiani docet, la bonne vie des prelats ecclesiastiques (…) ».[93]

 

    « Mais d’autre part (…) ce monstre prodigieux d’ambition, qui a les pieds en la terre, & la teste au ciel (comme dict Homere) luy en defaisoit autant de lavé, & soubs main luy tramoit tousiours la guerre intestine, jusques à ce que le Prince pensant tousiours le determiner par prudence et sagesse, come il a faict longtemps, a veu tout en un coup le feu, qui avoit long temps croupy, allumé aux quatre coins de son royaume, & beaucoup de ses subjects qu’il avoit tousiours recongneu composez d’un esprit doux, paisible et tranquile, par le charme d’une autre Circé, transmuez tout en un instant en esprits farouches et en bestes furieuses et sauvages. Ce fut le songe que feit Sa Maiesté, ou plustost vision qu’elle eut que ces lions et leopards domestiques le vouloient devorer ».[94]

 

    Ce rêve, que les ligueurs exploitèrent pour accréditer l’idée de la folie du roi, trouve là une interprétation bien différente, et qui témoigne de l’évolution du rapport de Louise de Lorraine à la Ligue. Bien que liée aux Mercœur, elle n’hésite plus à faire critiquer ouvertement sa parenté, ce « monstre prodigieux d’ambition » qui lui fait maintenant horreur. Elle hésita d’autant moins à exprimer cette rancœur qu’Henri IV était revenu au giron de l’Eglise, et que, si ce dernier était cohérent dans ses actions, il assurerait la promotion des idées de paix, de prédication et de « bonne vie » des prélats – donc en concourant à la Contre Réforme – et partant une bonne justice envers son prédécesseur. Car si Henri IV peut alors espérer redevenir maître de son royaume, c’est par la conciliation pacifique : ainsi Henri III apparaît alors à la source du règne de paix de son successeur, et donc de l’Edit de Nantes en 1598.

 

    « Pensez, je vous supplie, que vostre grand ayeul commun, ce divin et celeste Roy sainct Louis (…) : c’est luy mesme qui vous demande vengeance de son petit-fils, qui vous annonce que la punition de son parricide est vostre salut et conservation. Aristote dict que la mere de preservation, c’est l’apprehension du peril et du danger ».[95]

 

Enfin, le dernier argument prend une tournure plus pragmatique et prophétique : si le roi n’assure pas la « vengeance » de son prédécesseur, les éventuels régicides se trouveront renforcés dans la possibilité de se penser comme potentiels régicides. Prophétie sûrement illusoire dans son dévoilement, mais qui tenait compte de plusieurs tentatives d’assassinat sur la personne d’Henri IV, dès avant 1594.

 

 

  33. L’affirmation d’une politique ?

 

331. Une partenaire privilégiée, mais obligée pour Henri IV

 

    Les réseaux politiques d’un reine de France

 

  1. Parenté & parentèle

-         Les Mercœur : Philippe Emmanuel de Lorraine, Marie de Luxembourg, Marie de Martigues.

-         Henriette de Clèves, duchesse de Nevers

-         Diane de France, duchesse d’Angoulême

-         François de Joyeuse

 

  1. Des serviteurs zélés

-         Guillaume de L’Aubespine, baron de Châteauneuf

-         Sébastien Zamet

-         M. Buisson

-         Arnaud d’Ossat

 

  1. D’illustres correspondants

-         Jacques de La Guesle

-         Bernard de Girard, sieur du Haillan

-         Pomponne de Bellièvre

-         Philippe Duplessis Mornay

-         Henri de Montmorency

-         Maréchal de Biron

 

  1. Des relations romaines et italiennes

-         Ambassadeurs de Venise (Alberto Baducro, Giovanni Moro, Paul Parute)

-         Ambassadeurs de Toscane ( + Christine de Lorraine, grande duchesse de Toscane ?)

-         Cardinaux romains (et en particulier le cardinal Morosini)

 

 

    Duchesse de Berry, de Bourbonnais et d’Auvergne, comtesse de Forez, de la Marche et de Gien, dame de Romorantin et de Civray.

 

    En août 1589, Louise de Lorraine, en devenant reine douairière, se retrouva dans une situation matérielle difficile ; c’est pourquoi elle effectua plusieurs démarches afin d’obtenir un douaire conforme aux clauses de son contrat de mariage. Le décès d’Elisabeth d’Autriche en janvier 1592 allait faciliter le règlement de son douaire. Henri IV fit donc procéder au transfert des terres et des assignations dont jouissait l’ancienne vers la veuve d’Henri III.

 

    « il lui concédait : le duché de Bourbonnais à l’exception de six châtellenies et terres, déjà baillées à Mme Diane, pour la somme de 3963 écus 1/3 (soit 11.890 livres), le duché d’Auvergne, haut et bas pays compris le Carladais, pour 5465 écus 25 sols 6 deniers (soit 16.396 livres), les pays de Haute et Basse Marche pour 2979 écus 28 sols (soit 8942 livres 14 sols), le comté de Forez pour 3372 écus 30 sols (soit 10.120 livres 10 sols), la seigneurie de Romorantin pour 500 écus (soit 1.500 livres). Le tout revenait, charges déduites, à la somme de 16.290 écus 44 sols 6 deniers (soit 48.872 livres 4 sols 6 deniers), qui était le douaire d’Elisabeth évalué par ses officiers. Les prérogatives étaient les mêmes : droits, vasselage… Elle pourvoirait aux bénéfices ecclésiastiques (c’était un pouvoir et un revenu supplémentaire, les candidats versant ordinairement quelque chose quand ils étaient choisis). Pour compléter ce douaire il fallait lui fournir 11.127 livres 11 sols par an. En outre le roi lui accordait une pension de 20.000 livres sur les aides et recettes des villes du Berry, les gabelles et les greniers à sels. Le roi ayant disposé de certaines terres du duché de Bourbonnais (les châtellenies de Billy et de Murat), il accordait à Louise en compensation le comté de Gien et la seigneurie de Civray proche de Chenonceau ».[96]

 

     Ce douaire dut certes la soulager de quelques dettes, mais son importance ne résida pas tant dans son rapport en espèces sonnantes que dans la pertinence symbolique dont il était pourvu. Grande feudataire au même titre que les ducs de Nevers ou de Nemours, Louise de Lorraine entendait assurer la plénitude des pouvoirs qui lui furent alors attribués. La première manifestation publique de ce pouvoir se déroula entre le 27 octobre et le 24 novembre 1592 à Moulins, où la nouvelle duchesse vint prendre possession de son duché et fit une entrée solennelle dans la ville. Dans la foulée, elle délivra des lettres patentes en faveur d’un pauvre curé et intervint dans la nomination d’un vicaire à l’Hôtel-Dieu de Moulins.[97] En 1598 elle se préoccupait toujours de cette vicairie en y nommant un certain Simon Vincent.[98] Agissant en tant que princesse souveraine, elle nommait les capitaines de Romorantin, délivrait des passeports.

 

    « Louise par la grace de Dieu Royne de France, duchesse de Berry, Bourbonnoys et Auvergne, comtesse de Forestz, haulte et basse Marche (…) et dame de Romorantin. A tous ceux qui ces presentes lettres verront : Sçavoir faisons que suivant le pouvoir à nous donné par le Roy nostre tres cher seigneur et bon frere de pourvoir aux officiers ordinaires (…), desirant favoriser et gratiffier le sieur de Montigny chevallier des Ordres du Roy, cappitaine de cinquante hommes d’armes de son ordonnance et lieutenant general au gouvernement de Blaysois, en consideration des bons et agreables services et pour et nous sçavons qu’il a cy devant faictz au feu Roy nostre seigneur et espoux ; avons audit sieur de Montigny donné et octroyé, donnons et octroyons (…) les estats et offices de cappitaine, maistre particulier des tours et foretz de Romorantin (…). Fait le 20 juin 1596 en présence de Guillaume de Châteauneuf, chancelier de la Reine ». [99]

 

    « De par la Royne douairiere de France. A tous qu’il appartiendra nous vous prions et mandons laisser seurement et librement passer, aller, venir, sejourner et retourner par chemins de vos pouvoirs le sieur Tessier (…) ».[100]

 

Apanagée, la reine douairière demeurait dans l’orbite royale et Henri IV s’assura de sa loyauté en veillant à la sécurité de ses terres lorsqu’elles se trouvaient importunées par des incursions étrangères. D’ailleurs en pareil cas, la reine ne manquait pas d’en appeler au roi ou à son Conseil, comme le 5 septembre 1593 dans une lettre à Schomberg, Bellièvre, Sancy et Revol.

 

    « Messieurs. Depuis avoir parlé à vous le jour qu’il vous pleut prendre la peine de me venir veoir, je supliay le Roy, monsieur mon frere, de me laisser Romorantin pour ma demeure ordinaire exempt de cappitaines et garnisons, ce qu’il m’accorda et donna charge sur l’heure à M. le Chancelier [Hurault de Cheverny] de vous escrire et prier d’en parler aux deputez de l’autre party pour reigler cest affaire ».

 

Détentrice de la mémoire de la cour des Valois, Louise de Lorraine eut à cœur de mettre à profit ses nouvelles ressources et ses droits afin de mener une vie sociale conforme à son rang royal : jamais son éthique presque ascétique ne l’éloigna entièrement d’un monde où elle avait toujours vécue. Jacqueline Boucher montre que Chenonceau et Moulins furent fréquentés à de nombreuses reprises par le roi, Gabrielle d’Estrées, la duchesse de Mercœur, la duchesse de Joyeuse et leurs suites pour les années 1598, 1599 et 1600.[101] Antoine Malet rapporte également que la reine douairière n’avait guère le loisir de manger seule, étant la plupart du temps entourée de nombreux visiteurs. Chenonceau prenait souvent des allures de salon mondain, contrairement au mythe d’un château devenu retraite de solitude. Et à Moulins, la reine continuait à donner des marques de sa puissance, malgré une présence intermittente. En 1599, la municipalité dut prendre en charge les dépenses occasionnées pour sa venue, et l’année suivante, installée au château des ducs de Bourbonnais, elle assiste à plusieurs fêtes publiques, comme les feux de St Jean et St Pierre en juin, et fait accueillir dignement le roi lors de ses visites.[102]

    Enfin, la diversité de ses titres et la disposition géographique de ses terres lui furent parfois autant de refuges politiques disant sa volonté d’autonomie. L’exemple le plus frappant se situe au lendemain de la cérémonie de Mantes, alors que le roi souhaite qu’elle reste auprès de lui. Or, arguant du climat rigoureux de l’hiver, elle décide de se rendre à Romorantin, ville fortifiée et qui lui était fidèle. Certains virent dans son départ un peu hâtif une dérobade : toujours est-il qu’à d’autres moments, la maladie lui conféra un singulier avantage car, ne pouvant quitter le lit selon ses dires dans plusieurs lettres, le roi dut venir en personne la consulter sur quelques affaires, ce qui contribuait à la publicisation de son rang et de sa volonté de puissance.

 

    Louise de Lorraine et Henri IV

 

    Roi de Navarre, Henri de Bourbon n’eut guère le loisir de bien connaître Louise de Lorraine : du moins sa fuite de la cour la cour le 3 février 1576 l’éloigna durablement de celle-ci. La première lettre de la reine à celui qui n’est alors que roi de Navarre date du 18 février 1589, et les ‘retrouvailles’ ne commencèrent pas sous d’agréables auspices, Rosny et ses soldats faisant œuvre de pillage sur le territoire de la seigneurie de Chenonceau, propriété directe de la reine.

 

    « Monsieur, je viens pour me plaindre à vous du sieur Rosny, vostre lieux tenant, lequel est venu pour troubler la paix de mon domaine et ma benicte maison de Chenonceau, en se logeant et malheuvrant sur mes terres, avec ses artyleries, gensdarmes, soudards et autres malefices de guerre, comme aussi grand nombre de chevauls, au destriment des bonnes gents du pays que je vous prie vous souvenir, Monsieur, qu’ils me sont vassaulx et tenus par moi comme enfants tres affectionnez. Vous disant aussi que vous debvriez bien d’estre pitoyable pour eulx en ordonnant à vostre sieur de Rosny qu’il se desparte de ceants ou ses gents font mille ravages, et que ne s’opiniastre encore d’offancer la serenité royalle en ma personne, en se maintenant sur terre de mon obeissance comme il ose de le faire. Si vous faits-je porter par ce pays mien un livret qui vous pourroit, comme je le pense et le voudroix, eclaircir l’esprit, et vous puis dire encore une foix, Monsieur, que je prie continuellement nostre Seigneur et sa benigne Mere pour vostre conversion. Vostre bonne sœur et cousine, LOYSE. A Chenonceau, ce 18 de febvrier ».[103]

 

    La préoccupation de la reine, fort matérielle, devient peu à peu le prétexte à une intervention plus politique : Rosny n’est qu’un « lieux tenant » en face de sa « serenité royalle » et cette offense est d’autant plus inacceptable qu’elle provient indirectement de celui qui pourrait être amené à succéder à Henri III. L’affirmation de la Majestas se présente peut être aussi comme l’image idéale et nécessaire de la monarchie. D’ailleurs, il est remarquable que Louise de Lorraine termine sa lettre par le souhait de la conversion du Béarnais : si sa prière est sincère, elle n’en est pas moins politique dans le contexte des négociations du printemps 1589 entre les deux Henri (de France et de Navarre).

    La conscience de son rang demeure après la mort de son époux une constante dans la relation de la reine douairière au nouveau roi de France. Dès que la capture d’Edme Bourgoing est portée à sa connaissance, la reine écrit sans tarder au roi :

 

    « Je ne vous represente pont l’affliction commune ni le devoir d’un legitime successeur, mais une douleur qui m’est particulierement sensible par dessus toutes les                 angoisses qui se peuvent imaginer et qui ne peuvent avoir allegeance que par une pleine justice du parricide commis en la personne du roi, mon seigneur et mon epoux. Et pour ce, d’autant que vous tenez, Sire, le prieur des Jacobins de Paris, principal autheur et instigateur d’un meurtre si detestable, qui a esté pris aux faulxbourgs de cette ville armé contre Vostre Majesté, je la supplie de me faire justice au chastiment des coupables, principalement de cettuy-ci, afin que vostre regne commencant par un tel debvoir de piété, Dieu donne si bon succes à vos entreprises que vous ayez victoire sur vos ennemis et l’accroissement de Sa gloire ».[104]

 

    Son devoir d’épouse meurtrie la porte à supplier le roi, mais malgré ses dénégations, la tonalité politique affleure explicitement dans le déni primordial sur le devoir d’un roi à l’égard de son peuple et de son prédécesseur. Henri IV, abandonné par une bonne partie de l’entourage du feu roi au lendemain du 2 août 1589, sut alors saisir la main que la reine lui tendait depuis le 6 septembre. Sa réponse du 9 novembre exprime sa bonne volonté à l’égard de celle qui, à défaut de détenir un territoire, demeurait influente en Touraine, avait une réputation de sainteté et promettait d’être une alliée sûre et efficace. De plus, un tel crime ne pouvait le laisser insensible puisque lui-même pourrait en être l’objet.

 

    « et n’adjousteray autre chose à ladicte reponse et à ce que je vous ay cy-devant escript sur pareil sujet, sinon que le faict, de soy, est sy execrable qu’il doibt estre en horreur à tout prince et homme d’honneur. Mais pour vostre contentement et pour satisfaire à moy-mesme, qui me sens infiniment offensé en la perte que j’ay faicte, je n’y espargneray mes forces, mes moyens, mon auctorité, ny ma propre vie, s’il en est besoin ».[105]

 

    De tels témoignages d’affections, sous le couvert de la lamentation personnelle, pouvaient se lire comme des lettres ouvertes. Car la véritable préoccupation des deux protagonistes était la pérennité de l’Etat et son relèvement, certes pour des motivations un peu différentes. En se mettant au service d’un roi à la conquête de son royaume, Louise de Lorraine entendait poursuivre l’action de son défunt mari et honorer ainsi sa mémoire : la prière, la justice et l’action politique sont toutes également constitutives de ce ‘devoir de mémoire’ personnel et collectif que la reine douairière entend développer. Dans cette perspective, l’incessante demande de justice peut se comprendre comme une re-présentation de Henri III comme celui qui a vraiment permis que de ‘béarnais’ qu’il était, Henri de Bourbon fût reconnu roi légitime.

    Dans sa recherche du « bien et transquilité de cest Estat que je desire infiniment »[106], Louise de Lorraine vit ses efforts produire pleinement leurs effets à partir de 1593. La nouvelle de la conversion prochaine du roi la remplit de joie, et, oubliant sa maladie, elle veut même se rendre à St Denis, alors que depuis 1588, elle se méfiait profondément de Paris.

 

    « Ma cousine [Henriette de Clèves], il faut que je vous fasse part des nouvelles que j’ay receues, qui m’ont extremement resjouye, qui est que le roy sera catholique : Dieu a pitié de ce royaume de luy faire cette grace de se remettre au giron de nostre mère sainte Eglise ; et, toute malade que je suis, il faut que je m’en resjouisse avec vous, ma cousine. Samedy dernier, les depputez ont encore esté assemblez à Suresnes, pour adviser comme l’on fera, et, si cela est, je suis resolus d’aller, avec beaucoup d’incommodité que j’ay, tant de ma santé que de ce que celles de ma qualité n’ont point de honte de dire, qui est de l’argent, n’estant plus possible d’endurer le peu de memoire que l’on a du feu roy mon seigneur, pour avoir esté traictée, ces jours passez, avec telle cruauté de n’avoir voullu prendre une requeste que je voullois faire presenter au roy. Cela est insupportable et pitoyable. Je me doubte du desseing qu’avez de voir le roy et que vostre diette sera faicte en ce temps-là : ce me seroit beaucoup d’heur d’aller ensemble. J’ay une si grande douleur de teste, que je ne say plus que dire, vous baisant les mains. De Moulins, ce vingt-troisieme de may 1593 ».[107]

 

    Eprouvée par la maladie, les déboires de ses requêtes et « le peu de memoire que l’on a du feu roy », la nouvelle du retour d’Henri IV « au giron de nostre mere sainte Eglise » lui procure une joie extrême : dans le malheur, ou dans l’heur, sa réaction est remarquable pour son intensité et sa spontanéité. La sincérité de cette lettre témoigne encore de sa relation d’amitié avec la duchesse de Nevers, mais surtout d’un véritable sens de la dignité : ses ennuis financiers ne sont pas seulement un mépris de l’argent, mais la manifestation la plus directe de l’indifférence pour elle-même, alors qu’elle se doit d’assurer son rang et maintenir son entourage. En outre la maladie dont elle devait ressentir le poids quotidiennement ne se présente que comme un élément secondaire, au regard de son devoir de reine : si Louise de Lorraine eut quelque stoïcisme, ce fut bien dans la mesure où son corps, réceptacle de ses douleurs morales, demeure le plus possible impassible, avant de céder mais au dernier moment : « J’ay une si grande douleur de teste, que je ne say plus que dire ».

    A partir de juillet 1593, la reine douairière consentit à battre les chemins de France afin de permettre au roi d’être maître en son royaume. Ainsi à l’automne 1595, sous prétexte de prendre les eaux, elle se rendit à Nancy et rencontra son cousin le duc Charles III, appuyée dans cette démarche par Henri IV lui-même. Mais sa grande affaire fut le ralliement de son frère cadet, le duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne et ligueur assez fin pour n’avoir pas été mêlé au grand jour avec les Guise. Les négociations furent pour le roi l’occasion d’éprouver la loyauté de Louise de Lorraine vis à vis de sa personne et de l’Etat : chérissant son frère cadet, elle aurait pu vouloir le protéger en se proposant comme intermédiaire. Ainsi le roi écrivit à Duplessis Mornay le 5 mars 1594 afin qu’il accompagne la reine en Bretagne, avec aussi son oncle Philippe du Bec, archevêque de Nantes. Certes une telle rencontre entre une catholique fervente et le ‘pape des huguenots’ avait de quoi surprendre, eu égard aux antécédents du second notamment. En effet, le gouverneur de Saumur avait écrit le 11 août 1589 au secrétaire d’Etat Dupin que « ce que Dieu a fait est bien fait ». Mais le temps n’étant plus aux passions religieuses, il se rapprocha de la reine douairière lorsque celle-ci offrit ses services pour obtenir la soumission de son frère. Le 19 juillet 1592, Mornay mentionne dans un mémoire envoyé au roi son intention de se rendre à Chenonceau « pour lui faire trouver bon de ployer Monsieur de Mercœur à une paix ». Il ne la vit que plus tard car au même moment, elle se trouvait en sa résidence de Moulins.[108] Et la rencontre fut apparemment heureuse puisqu’au printemps 1594, se rendant non sans une pompe digne de son rang à Ancenis, elle s’arrangea avec lui pour organiser les négociations. Ainsi le 5 juillet, Mornay explique au roi que « la royne feut d’avis que je ne m’advançasse poinct qu’elle n’eust veu M. de Mercœur et senti son humeur » – Henri IV craignait quelque faiblesse de la part de sa belle-sœur, mais il fut vite rassuré sur ce point. La reine et le gouverneur passèrent l’hiver à Ancenis et leurs conversations – sinon leurs lettres[109] – furent assurément agrémentées d’une part de dispute théologique puisque le second fit un présent significatif à la première avec son livre, la Vérité Chrétienne dont l’objet principal est de montrer les convergences des christianismes contre l’hérésie suprême, l’athéisme.

    Louise de Lorraine avait beau négocier en souveraine, les Mercœur ne voulurent rien céder. Henri IV, croyant bien faire, la rappela par sa missive du 13 mars 1595, s’excusant de l’avoir sollicitée, mais la louant pour ses qualités de négociatrice :

 

    « Madame, quand il vous a pleu prendre la peine d’entreprendre le voyage de Bretaigne, si j’eusse jugé que mon cousin le duc de Mercœur, vostre frere, eut esté aussy peu disposé à la paix comme il a faict cognoistre (…), je vous eusse priée instamment de ne faire ledict voyage, pour les incommoditez qu’avés receues de vostre dict voyage. (…) Je sçais, Madame, combien vous avés apporté de vostre prudence et dexterité accoustumée, pour advancer ledict traité ».[110]

 

Mais elle avait déjà quitté Ancenis et se trouvait à Paris, d’où trois jours après, le 16 mars, elle écrivait que sieur du Haillan « conseiller secretaire de la chambre et des finances du Roy (…) et historiographe de France ».

 

    « Monsieur du Haillan. Je suis tres marrie que l’on ne vous peult pour le present escrire quelque chose de mieulx du traicté de ceste conferance et que vous n’avez subject de remplir voz memoires de la conclusion que je desire qu’il s’en face au contentement du Roy, monsieur mon frere, et repos de ces provinces ».[111]

 

Cette dépêche semble donner quelque indication sur la nature des relations entre l’historiographe et la reine, dans la mesure où cette dernière trouve dans le premier un conseiller d’Henri IV et surtout, un chroniqueur des rois. Dans son esprit, le sieur du Haillan aurait peut-être pu être l’historien de ses actes politiques comme Pierre Matthieu le fut pour Henri IV.

    Un orage vint cependant assombrir ses relations avec le roi. La nouvelle favorite, Gabrielle d’Estrées, alors sur le chemin du trône, montra de l’intérêt pour Chenonceau et désira l’acquérir, profitant des ennuis financiers de la reine douairière.[112]

 

    « Monsieur de Chasteauneuf. Si j’ay beaucoup de deplaisir de la depesche que m’aporta le sieur de La Varenne pour veoir le Roy monsieur mon frere si affectionné en la poursuite de Chenonceau, j’en ay encor davantage par ceste derniere pour avoir recongneu qu’il n’a pas pris ma reponce en bonne part et que l’on la veult interpreter aultrement qu’une tres humble remonstrance que j’ay voulu luy faire de mes justes pretentions en ceste maison (…) ».[113]

 

Victime de la complaisance du roi envers sa maîtresse, Louise de Lorraine allait trouver un alliée en la personne de son frère qui permit de trouver un compromis : la reine donnait le domaine à sa nièce, promise à César de Vendôme, mais en conservait l’usufruit. Cette alliance opportune peut aussi s’interpréter comme une confrontation entre deux grandes feudataires et un roi oeuvrant à la réduction à l’obéissance des Grands du royaume.[114]

    Toutefois, malgré cet épisode malheureux, plusieurs lettres attestent du respect mutuel que se vouèrent finalement les deux figures royales, dont les entretiens ne se bornent pas seulement aux politesses, mais s’étendent aux affaires politiques intérieures et extérieures, notamment lors de la guerre contre la Savoie en 1600, dont Louise de Lorraine suit l’évolution :

 

    « Monsieur mon frere. Je prise extremement la faveur qu’il vous a plu me faire de m’avoir escry par Roisyli, cest souvenance qu’yl vous plaict avoir de moy remantera de plus an plus l’affections que j’ay à vostre servise. J’ay un regret tres grand que cest fascheuse gere m’oterat l’honneur de vous voir. Je ne doute poinct que Monsieur de Savoie ne se perde vous manquant de sa parolle comme yl fet, vostre puissance et aucy grand que la sienne petyte ».[115]

 

    « Monsieur mon frere. Je resois tant d’onneur de la souvenance que part vostre bonté il vous plait avoir de moy, m’onorant de vostre lettre, que ne puis accés dinemant vous an randre grace bien humble, resentant un deplaisire extreme de la paine que Monsieur de Savoie vous donne qui serat sa ruine comme elle commansse dejà ».[116]

 

Cette impression d’apaisement final tient au moins autant à la relation personnelle qu’elle pouvait entretenir avec le roi – elle s’occupa quelque temps en 1600 de César de Vendôme[117] – qu’avec la certitude de la résurrection du royaume : « vostre puisance et aucy grand que la sienne petyte ». Jusqu’au bout, le sentiment du devoir paraît l’emporter car à plusieurs reprises, elle n’hésite pas à s’opposer au roi de façon plus ou moins spectaculaire, mais toujours sûre de son bon droit.

 

332. Une opposition remarquable et remarquée : le cas de Mayenne

 

      L’automne 1595 vit se finaliser des pourparlers entre le roi et le duc de Mayenne, au terme desquels fut décidé le compromis de Folembray. Henri IV n’ayant aucun grief autre que politique à l’égard de l’ancien chef de la Ligue, il négocia sans réticence avec celui-ci. Pourtant, malgré plusieurs dénégations de la part de l’intéressé et du roi lui-même, Louise de Lorraine demeurait convaincue de la culpabilité personnelle du duc dans le meurtre d’Henri III. La rancune tenace qu’elle lui vouait s’exprima d’abord de manière retenue, alors que les discussions n’étaient pas encore achevées. Ainsi le 16 novembre 1595, la reine douairière, dans sa lettre au connétable Henri de Montmorency – en partance de Lyon pour rejoindre le roi en Picardie – insiste sur « la jeustise de la mort du roy monseigneur » et « l’anteremant de son cors quy de lontant atant ce devoir de cest esta ».[118] L’envoi de son chancelier signifiait que cette énième évocation de l’affaire revêtait à ce moment précis une pertinence appréciable : enterrer toute recherche de culpabilité du côté de Mayenne comme allait le stipuler l’Edit de Folembray revenait à enterrer la mémoire et la justice due au dernier Valois.

    Le roi ne resta pas insensible aux atermoiements de la reine douairière et le 24 janvier 1596, il lui écrivait son sentiment sur la responsabilité de Mayenne : persuadé de son innocence, Henri IV voulut qu’elle s’abstint d’empêcher l’enregistrement de cet édit. Cependant cette missive n’eut point d’effet sur sa destinataire :

 

    « mais puis que je suis reduite à ce poinct qu’il faudra que je soie continuellement importunée pour avoir reson du parricide et myserable assassinat commis en la personne du feu roy monseigneur que Dieu absolve, je vous diré, monsieur mon frere, que je ne desire rien plus que de veoir un bon et heureux establissemant en vos affaire et repos de ce reaume (…). Pour le regart de Monsieur du Mayne, je serés bien aise que luy et les siens se trouve innocent du suget de mes jeuste doulleur et neanmoins, d’où qu’il procede, je ne puis que je n’en demande justice, vous suppliant bien humblement avoir souvenance des promesses (…) et que la declaration soyt faicte selon les formes ordinaires où j’aurois ocquasion de me plendre, si on me fermoyt le chemyn de la justyse que je en recherche et an laquelle je ne puis esparner ny excepeter personne. Vous orés s’il vous plaist agreable que je en prayne avis des serviteurs du feu roy monseigneur et de quelques officiers de vostre Court de Parlement suivant le pouvoir particulier que je en anvoie à ceulx de mon conseil pour leur en communiquer ».[119]

 

La justice se retrouve érigée en éthique du Vrai, et son absoluité n’a d’égal que la tension vers le divin qui anime la reine. Cette démarche confine donc au sacrifice de soi, à l’ascèse de la conscience généalogique pour l’accomplissement impersonnel d’une reine allégorie de Justice. Mais, comme bien souvent chez Louise de Lorraine, le souci de l’éthique est une esthétique qui se nourrie copieusement d’une pratique didactique fondée sur l’expérience ‘technique’ – passionnée de broderie, la reine pouvait ainsi consacrer à ce travail minutieux un temps considérable, et les pièces qu’elle réalisait montraient sa dextérité en la matière.

    Malgré ses intentions, Louise de Lorraine ne pouvait guère aller plus loin que la manifestation de sa volonté de puissance. De même que ses droits de nomination dans le ressort de son douaire étaient soumis à l’approbation du roi en son Conseil, son opposition ne constituait point un empêchement, mais un simple renvoi. Lequel dut être demandé par une alliée de poids dans cette affaire, Diane, duchesse d’Angoulême et légitimée de France, la reine douairière étant dans l’impossibilité de se rendre auprès du Parlement à Tours.

 

    « Supplie humblement Diane de France duchesse d’Angoulesme, ayant charge expresse de la Reine Louise douairiere de France, veufve du feu Roy Henry troizieme d’heureuse memoire, disant que ladicte dame reine est advertie que la court doibt proceder à la verification du traicté accordé à Charles de Lorraine duc de Mayenne et que dans icelluy il y a article expres faisant mention du cruel et abominable parricide dudict feu Roy son seigneur et mary qui emprescheroit à l’advenir qu’elle n’en pourrait avoir iustice contre ceux qui en seront trouvés coupables, ce consideré vous plaise nosdictz sieurs recevoir ladicte dame Reine Louise opposante à la verification dudict traicté (…) ».[120]

 

La connivence entre les deux belle-sœurs donnait par conséquent à l’opposition une dimension nouvelle : les dernières représentantes de la dynastie des Valois, bien que toutes deux veuves et en proie à des difficultés matérielles, ne se dressaient pas contre le représentant de la nouvelle dynastie, mais pouvaient par leur action affaiblir sa légitimité auprès de ses sujets. Face à un tel danger, Henri IV adopta un point de vue réaliste, comprenant certes les motivations de ces deux grandes dames, mais demeura résolu à faire passer cet édit de quelque manière que ce soit. Louise de Lorraine eut ainsi à se plaindre des manœuvres d’intimidations dont elle-même et ses serviteurs furent l’objet.

 

    « Ma sœur. Vous pouvez juger si j’ay esté continuellement accompagnée de miseres que apres que ma santé ne m’a pas peu permettre m’aller rendre en personne poursuivante à ce qui est deu à la memoire du feu Roy Monseigneur que les miens ayent receu des commandemens si absolus qu’ils ayent esté contraincts m’abandonner en une si juste poursuitte ; mais Dieu m’ayant regardé de son œil de pitié a permis que je sois parvenue à ce que j’ay plus eu à cœur par l’opposition que vous avez faite en mon nom à la declaration de cet edict (…). C’est de vous seule que je reçois ce contentement et qui m’est un service si signalé qu’il ne departira jamais de ma memoire pour recognoistre en tout ce qui sera de ma puissance ».[121]

 

    Cependant demeure le problème de l’acharnement envers Mayenne. La mort d’Henri III aurait-elle provoqué un éclair de lucidité chez Louise de Lorraine, quant à son utilisation politique par l’ensemble de ses parents. Au travers de leurs tentatives pour la rallier et de ses incessantes médiations pour sauver ce qui pouvait encore l’être, éprouvait-elle un sentiment de culpabilité dans le meurtre du roi, au point de se dresser contre le dernier représentant des Guise ? En mai 1593, ce dernier avait encore tenté d’utiliser ses difficultés matérielles pour réclamer en sa faveur un douaire décent, alors qu’elle ne lui avait demandé aucune intercession.



[1] Ms fr.4748, fol.184 v°-185. Discours de Louis Buisson, avocat de Louise de Lorraine, en janvier 1594, devant Henri IV, le Chancelier et plusieurs Grands du royaume.

[2] Jacqueline Boucher, op.cit., p.116-117.

[3] Acta Nuntiaturae Gallicae, Girolamo Ragazzoni, évêque de Bergame, nonce en France, correspondance de sa nonciature 1583-1586, p.270.

[4] Jacqueline Boucher, op.cit., p.245.

[5] Ms fr. 3238, fol.28.

[6] Lettres de Henri III, tome IV, publ. Michel François, Paris, 1984, p.14.

[7] La même Jacqueline Boucher montre l’ambiguïté entre la constance éthique de Louise de Lorraine et sa ‘constance amoureuse’, notant que la deuxième au moins tendait à déborder sur ses devoirs de reine. L’inconstance que prône sa belle-mère intervient alors non pas comme une stricte opposition à l’aspiration de la reine, mais lui donne un versant réaliste qui est autant une leçon de morale. Cf. Jacqueline Boucher, op.cit., p.129-130. Catherine de Médicis « donna aussi une leçon de sagesse à sa belle-fille. Une des mascarades organisées en février [1581] mit en scène des jeunes femmes qui, en costume austère, faisaient mine de se fouetter avec des rubans de soie. On chanta l’argument de ce divertissement :

Puisqu’en vain nous avons gardé trop de constance :

Sans gaigner jamais rien servant fidèlement,

Abandonnons le monde et faisons pénitence.

Non, gardez-vous en bien, c’est faire injustement,

Quand des fautes d’autruy l’on se punit soy mesmes,

Mais pensez desormais d’aymer plus sagement.

La sagesse et l’amour sont l’un à l’autre extreme,

Deux contraires ensemble on ne peut pas avoir,

Non pas mesmes un dieu n’est sage quand il ayme…

    Les mêmes jeunes femmes allèrent changer de vêtement et revinrent, habillées de soie blanche, pour se livrer à des danses étranges ».

[8] Ms fr. 3238, fol.32.

[9] Lettres missives originales tirées des archives du duc de La Trémoïlle, publ. P.Marchegay & H.Imbert, Niort, 1881.

[10] Denis Crouzet, op.cit., p.19.

[11] Ibid., p.419-420. « L’idée de la compassion est peut-être l’idée autour de laquelle l’érasmisme cicéronianiste de Michel de L’Hospital et le néo-platonisme de Catherine de Médicis trouvèrent un terrain d’entente jusqu’à la disgrâce de 1568. (…) De la part de la reine mère, il semble que la compassion ait été générée du spectacle avant tout alors que le chancelier réfléchit en elle la charité christique, l’amicitia du Christ ».

[12] Ms fr. 4708, fol.22.

[13] Jacqueline Boucher, op.cit., p.246.

[14] Virgile, Bucoliques, v.1-5.

[15] L’évocation du rocher brisant les lames des vagues ne doit pas seulement être d’inspiration ‘naturaliste’ ; elle se réfère sûrement à l’image du navigateur bravant la tempête parce qu’il place tous son espoir en Dieu.

[16] Acta Nuntiaturae Gallicae, Correspondance du nonce en France Anselmo Dandino (1578-1581), p.651-652. « E più grave il male della regina regnante, che non si mostro da principio, et non è della spetie che fa creduto ; ma s’è scopetto un catarro che le ha enfiato tutto il viso grandemente, et più che il resto la parte sinistra, et l’occhio, non senza un poco di febre. Piaccia a Dio di liberarla, come si spera, et si desidera da chi stima la gran bontà et le virtù que son il lei ».

[17] Jacqueline Boucher, op.cit., p.142.

[18] Ms fr. 3238, fol.36.

[19] Jacqueline Boucher, op.cit., p.136.

[20] Correspondance du nonce Ragazzoni, op.cit., lettre du 14 mai 1584, p.251. « Di più esso il duca di Mercurio ha detto al medesimo padre Claudio haver la regina regnante sua sorella compreso alcuna volta  che il Re esca di cervello”.

[21] Ms fr.3646, fol.91.

[22] Ms fr.2751, fol.293.

[23] Thomas d’Avignon, Oraison funèbre sur le trespas de Loyse de Lorraine, Paris, Douceur, 1601, p.28-29.

[24] Ibid., p.32.

[25] Ms fr. 3479, fol.66. Cette lettre ne fut pas remise de suite à la reine qui se trouvait à Chinon le 1er août 1589. Cependant, elle dut la lire assez vite après avoir appris la mort de son époux, et non pas en 1591 : sinon, que viendrait-elle faire avec les pièces relatives à la démarche de Jacques de Montmorin, écuyer de sa maison, organisée en septembre, soit à peine plus d’un mois suivant l’assassinat.

[26] Jacqueline Boucher, op.cit., p.308.

[27] Ms fr.3640, fol.1.

[28] Ms fr. 3473, fol.92.

[29] Ms fr.2751, fol.182.

[30] Ms fr.3640, fol.1.

[31] Ms fr.3473, fol.66.

[32] Ms fr.2751, fol.182.

[33] Ms fr.3291, fol.53.

[34] Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, éd. Franck Lestringant, p.7 (préface).

[35] Ms fr.3640, fol.1.

[36] Ms fr.3473, fol.66.

[37] Ms fr.2751, fol.182.

[38] Agrippa d’Aubigné, op.cit., Livre VI, v.178-184, 197-200 & 205-208 ; p.278-279.

    « Ainsi Abel offrait en pure conscience

Sacrifices à Dieu, Caïn offrait aussi :

L’un offrait un cœur doux, l’autre un cœur endurci,

L’un fut au gré de Dieu, l’autre non agréable.

Caïn grinça les dents, pâlit, épouvantable,

Il massacra son frère, et de cet agneau doux

Il fit un sacrifice à son amer courroux.

(…) Sa mort ne put avoir de mort pour récompense,

L’enfer n’eut point de morts à punir cette offense,

Mais autant que de jours il sentit de trépas :

Vif il ne vécut point, mort il ne mourut pas.

(…) Les plumes de son lit sont des aiguilles piquantes,

Ses habits plus aisés des tenailles serrantes.

Son eau jus de ciguë, et son pain des poisons (…) ».

    Le thème du remords agissant comme vengeance divine (ou plutôt jugement de Dieu) à propos de Caïn et Abel reprend le récit de la Bible (Genèse, IV, 1-16) en l’amplifiant dans un style baroque proche de la violence qu’exprime la reine douairière. Cf. aussi La Seconde Semaine, Premier Jour, livre IV, v.303-308 de Du Bartas. La métamorphose de la vengeance divine en vengeance personnelle dans le cas de Louise de Lorraine n’est pas  l’aveu de l’échec de ses idées religieuses ; car si cette ‘transsubstantiation’ reflète l’impression de la fin des temps, elle se justifie de la même manière que le double assassinat de Blois.  La passion de Louise de Lorraine relève certes d’une fureur semblable à la flamme divine de l’Ancien Testament, mais son expression semble indiquer un abandon de soi qui est révolte, un changement d’humeur qui est renonciation à soi pour s’incarner en la main – extrême et terrible – de Justice. Est-il pour autant possible de parler d’une reine shakespearienne de la même manière que pour Henri III ? La constance, la rigueur éthique ne seraient-ils que des paravents afin de se protéger d’un monde courant à sa perte ?

[39] Abbé C. Chevalier, op.cit., introduction, p. CXLV-CXLVIII.

[40] Ms fr.3473, fol.121-122.

[41] Ibid., fol.21r°.

[42] Ibid., fol.121 v°.

[43] Ibid., fol.121 v°.

[44] Ibid., fol.122 r°.

[45] Ibid., fol.57 r°.

[46] Ibid., fol.16 r°.

[47] Ibid., fol.70 r°.

[48] Ibid., fol.49.

[49] Grand Dictionnaire Historique de Moreri, tome VIII, p.136.

[50] Ms fr.3473, fol.57 r°.

[51] Ibid., fol.57 r°- 59 r°.

[52] Le cardinal de Gondi avait été renvoyé de la cour et nourrissait donc des sentiments hostiles envers Henri III.

[53] En réponse au double assassinat de Blois et à la détention des archevêques de Lyon et de Rouen, Sixte Quint avait lancé un monitoire contre le roi ; mais la mort de ce dernier fut vraiment pieuse et très orthodoxe, et ce d’autant qu’il tentait de prouver sa bonne foi à l’Eglise depuis plusieurs mois.

[54] Ms fr.3473, fol.76 r° -78 v°.

[55] Ibid., fol.82.

[56] Ibid., fol.88 r°.

[57] Ibid., fol.100 r° -101 r°.

[58] Ibid., fol.106 r° -107 r°.

[59] Ibid., fol.3 r°.

[60] Ibid., fol.7 r°.

[61] Ibid., fol.13 r°.

[62] Ibid., fol.16 r° -18 v°.

[63] Ibid., fol. 20 r° -22 v°.

[64] Ibid., fol.24 r° -26 r°.

[65] Ibid., fol.28 r° -30 r°.

[66] Ibid., fol.40.

[67] Ibid., fol.49.

[68] Ibid., fol.55 r° -56 v°.

[69] Ibid., fol.70 r° -72 r°.

[70] Ibid., fol.90.

[71] Ibid., fol.98 r° -99 r°.

[72] Ibid., fol.86 r°.

[73] Ibid., fol.9 r°.

[74] Ibid., fol.14 r°.

[75] Ibid., fol.42 r° -45 v°.

[76] Ibid., fol.96 r°.

[77] Cf. Jacqueline Boucher, op.cit., p.210-211. Sur la relation politique qui unit les deux reines, il faut se remémorer la journée des Barricades et la négociation de l’Edit de Juillet, menée à la fois par Catherine de Médicis et Louise de Lorraine, pourtant éprouvées par le départ précipité du roi et le climat d’insécurité à Paris.

[78] Ms fr.2751, fol.182.

[79] Ibid., fol.182.

[80] Ms. fr.3473, fol.1 r°.

[81] Jacqueline Boucher, op.cit., p.311 -312. « Interrogé le 20 février 1590, Bourgoing nia être l’instigateur du crime. Il mit en cause un autre jacobin qui aurait poussé Clément à agir. Il s’agirait du P. Chantebien, du couvent de Sens, prédicateur expérimenté. Pourtant l’ambassadeur espagnol Mendoza, installé dans le Paris ligueur et bien informé, a écrit que Clément avait demandé à son supérieur, c’est à dire à Edme Bourgoing et Nicolas de Monte, si ce meurtre était licite. En dépit de ses tentatives pour esquiver toute responsabilité, Bourgoing fut condamné à la peine qui frappait les régicides. Il fut tiré à quatre chevaux le 23 février. Encore interrogé avant le supplice, il répondit : ‘Nous avons fait ce que nous avons pu et non pas ce que nous avons voulu’ ».

[82] Edouard Meaume, op.cit., p.177.

[83] André Favyn, Histoire de la Navarre, Paris, 1610, p.992.

[84] Ibid., p.992.

[85] Ibid., p.993.

[86] Ibid., p.993.

[87] Ibid., p.996.

[88] Ibid., p.995.

[89] Ibid., p.995.

[90] Ibid., p.995.

[91] Ibid., p.995.

[92] Ms fr.4748, fol.159 v°.

[93] Ibid., fol.164 v°-165.

[94] Ibid., fol.167.

[95] Ibid., fol.173 v°.

[96] Jacqueline Boucher, op.cit., p.320-321.

[97] Inventaire sommaire des archives communales antérieures à 1790, op.cit., p.2.

[98] Ibid., p.2.

[99] Ms fr.16685. Le sieur de Montigny était l’époux de Gabrielle de Crevant, dame de Montigny attachée au service d’honneur de Louise de Lorraine à partie de 1585 jusqu’à une date inconnue. Peut-être faut-il voir dans cette promotion la gratitude de la reine envers une dame qui lui est restée fidèle après 1589.

[100] Edouard Meaume, op.cit., p. 77 (collection personnelle de l’auteur) .

[101] Jacqueline Boucher, op.cit., p.337-340.

[102] Inventaire…, op.cit., p.17-18.

[103] Abbé Chevalier, op.cit., introduction, p. CXLIV-CXLV.

[104] Edouard Meaume, op.cit., p.101-102. Cette lettre a été écrite entre le 4 et le 7 novembre, alors que le prieur avait été remis à François de Richelieu, grand prévôt de France au plus tôt le 2 novembre. Celui-ci fit certainement lui-même annoncer cette capture à la reine douairière, car son épouse, Suzanne de La Porte – mère du futur cardinal – était restée au service de Louise de Lorraine.

[105] Lettres missives de Henri IV, tome III, p.75.

[106] Ms fr.20480, fol.329. Lettre du 14 février 1592 à Bernard de Girard, historiographe du roi.

[107] Ms fr.3646, fol.91.

[108] Jacqueline Boucher, op.cit., p.325.

[109] Charles de Baillon, op.cit., p.238-240. Le 2 janvier 1595, elle adressa à Mornay une lettre à propos de l’attentat de Jean Châtel, qui venait d’être porté à se connaissance par son intermédiaire.

[110] Lettres missives de Henri IV, tome V, p.316-317. Les négociations ne furent jamais totalement interrompues et Louise de Lorraine eut à chaque fois un rôle certain jusqu’à la conclusion d’un accord en 1598, bien que les sources soient sur ce point fort discrètes.

[111] Ms fr.20480, fol.331.

[112] Gabrielle d’Estrées connaissait Chenonceau depuis son enfance car elle était née à La Bourdaisière, domaine situé non loin de Chenonceau, et où Louise de Lorraine se rendit à de nombreuses reprises. Sa dame d’atours, Louise de La Béraudière, épouse d’un Babou, fut aussi dame de La Bourdaisière ; et la mère de Gabrielle d’Estrées se nommait Françoise Babou de la Bourdaisière.

[113] Coll. Dupuy, n°211, fol.75.

[114] En effet, le duc de Mercœur se porta garant pour une bonne partie du paiement des créances assignées sur le domaine de Chenonceau au nom de sa sœur. Jusqu’à sa mort, la reine douairière fut sans cesse poursuivie par des créanciers qui eurent tôt fait de considérer un acte d’Henri III dégrevant ce domaine de toute dette comme nul et non avenu. Or, ces dettes, héritées de Catherine de Médicis, durent être payées, sur ordre du Parlement de Chalons, soit sur les meubles spoliés par le duc de Mayenne et la duchesse de Montpensier, ou bien sur la seigneurie de Chenonceau. Les hasards judiciaires (mais s’agit-il vraiment d’une coïncidence ?) faisaient peser sur Louise de Lorraine des charges dues par sa propre parenté, celle qu’elle croyait au plus haut point impliquée dans le meurtre de son époux. Et même si Henri IV avait fait payer sur sa cassette personnelle une rente de 12000 livres à Louise de Lorraine au début des années 1590, lorsqu’il avait besoin de son soutien politique, il ne fit plus preuve de prodigalité, et devint fort économe de libéralité ; ce qui le conduisit à prendre possession de Chenonceau dès le 20 février 1601, alors qu’il aurait d’abord pu se rendre à Moulins aux obsèques de la reine. Cf. Abbé Chevalier, Histoire de Chenonceau, op.cit., p.399-417.

[115] Coll. Dupuy, n°211, fol.71.

[116] Ibid., fol.72.

[117] Inventaire sommaire des archives communales…,  op.cit., p.14.

[118] Ms fr.3597, fol.1.

[119] Ms fr.15910, fol.372.

[120] Ms fr.2751, fol.292 v°.

[121] Ibid., fol.293.