François de Laval : premier évêque de Québec

De grandes fêtes marqueront  le 400e anniversaire de  la fondation de la ville de Québec. Dans la même veine, le diocèse de Québec a décrété une année jubilaire pour célébrer le 350e anniversaire de la consécration épiscopale de Mgr de Laval ainsi que le 300e anniversaire de son décès. Le Bienheureux François de Laval a été  premier évêque de Québec. Le pape Jean-Paul II l’a déclaré bienheureux le 22 juin 1980. Il l’a nommé Père de la Patrie. Nous avons rencontré Mgr Hermann Giguère, supérieur général du Séminaire de Québec depuis l’année 2002. Professeur retraité de la Faculté de théologie de l’Université Laval, Mgr Giguère est un spécialiste de la spiritualité de Mgr de Laval.

Propos recueillis par Jérôme Martineau


NDC – Vous êtes le Supérieur général d’une des plus vieilles institutions de la ville de Québec. L’action du Séminaire se situe-t-elle toujours en lien avec l’œuvre fondée par Mgr de Laval?

Hermann Giguère – Tout à fait! Le Séminaire des Missions Étrangères de Québec a été fondé le 26 mars 1663 par Mgr de Laval. Le premier évêque de Québec a réuni autour de lui un groupe de prêtres dans une communauté, une société apostolique. Ces prêtres menaient une vie en commun et ils partageaient leurs biens. En créant cette communauté de prêtres François de Laval voulait non seulement former des séminaristes mais aussi offrir aux prêtres diocésains une institution stable où ils pourraient se retrouver, être soignés si nécessaire et prendre leur retraite. Dans cet esprit, les prêtres du Séminaire étaient invités à se désapproprier de leurs biens, ce qui révèle, d’une part, la haute sainteté du clergé de cette jeune Église et, d’autre part, la volonté d’imiter l’Église naissante décrite dans le livre des Actes des apôtres.

Par la suite, la création du Petit Séminaire a permis d’accueillir des jeunes garçons qui suivaient leurs cours au Collège des Jésuites tout en résidant au Petit Séminaire. Pendant le Régime français, c’est-à-dire jusque vers 1765, le Petit Séminaire était une résidence. La situation a changé en 1765 au moment où les Anglais ont demandé aux Jésuites de quitter le pays. Leur collège a été transformé en une caserne pour les soldats. À ce moment les prêtres du Petit Séminaire ont commencé à former les jeunes et ils se sont tournés presque exclusivement vers l’éducation de la jeunesse.

L’aventure s’est poursuivie. Les prêtres du Séminaire ont été reconnus comme de grands éducateurs et c’est à eux que l’on a demandé de fonder l’Université Laval en 1852. Plusieurs de ces prêtres ont été des précurseurs dans l’enseignement des sciences et dans bien d’autres domaines. La communauté des prêtres a déjà compté 120 membres. Elle en compte aujourd’hui 42. Nous continuons à nous occuper de la formation des futurs prêtres. Quelques autres œuvres dépendent aussi du Séminaire dont Québec Ixthus, un centre d’évangélisation pour les jeunes.



Mgr de Laval a vécu dans un esprit de désappropriation. Il voulait favoriser la vie fraternelle en invitant les prêtres à mettre tout en commun. De cette manière ils pouvaient s’épauler les uns les autres dans la prière et dans diverses autres tâches apostoliques.

NDC – Est-ce que François de Laval avait des prédispositions pour devenir le premier évêque de la Nouvelle-France?

H. G. – Je pense qu’il y avait chez lui plusieurs choses qui le prédisposaient à devenir missionnaire. Sa venue à Québec comme évêque est le fruit d’un heureux hasard. C’est le roi Louis XIV qui a écrit une lettre au pape pour recommander l’abbé de Montigny, comme on l’appelait alors,  en vue de l’ordination épiscopale. En substance, Louis XIV a écrit qu’il recommandait l’abbé de Montigny parce qu’il savait qu’il allait accepter, et d’autre part, le roi avait été informé du fait que ce prêtre dévoué souhaitait se rendre dans les contrées démunies et lointaines.

J’ai étudié la vie de François de Laval et j’ai découvert qu’il entretenait depuis longtemps le désir d’être missionnaire.  Il a étudié au collège de La Flèche et chez les Jésuites à Paris. Il a fait partie d’un groupe que l’on appelait la Société des Bons Amis. Ces personnes avaient à cœur l’évangélisation de la France et des pays de mission.

Sa venue à Québec relève d’un concours de circonstances. Il faut d’abord savoir que François de Laval avait été choisi pour être évêque au Tonkin. Il veut se préparer pour cette mission et il se retire quatre ans à Caen auprès de M. Jean de Bernières, un laïc qui possède un ermitage. Des recherches ont montré que M. de Bernières fut « un des grands mystiques de son temps ». Entre-temps, François de Laval  a renoncé à la Seigneurie de Montigny et à ses droits.

Durant cette période, les Jésuites désirent qu’un évêque vienne s’établir en Nouvelle-France. Des pressions se font en France et c’est à la suite de bien des tergiversations que François de Laval ne se rendra pas au Tonkin mais plutôt à Québec. Il a reçu l’ordination épiscopale le 8 décembre 1658 en la chapelle aujourd’hui disparue de l’Abbaye St-Germain-des-Prés à Paris et il s’embarque pour Québec le 12 avril 1659. Il a 36 ans.

Formé chez les Jésuites, François de Laval a été reçu en Nouvelle-France comme l’un des leurs. Il était en accord avec leurs méthodes missionnaires. Ces derniers avaient développé une approche basée sur la connaissance des populations comme base de leur évangélisation.

NDC – On dit de lui que c’était un évêque missionnaire. En quoi cela consistait-il?

H. G. – Dans la perspective de cette époque la vocation missionnaire consistait à étendre l’annonce de l’Évangile et à faire des conversions. Le travail missionnaire consistait aussi  pour Mgr de Laval à établir des paroisses et des missions. D’ailleurs, tous les curés de paroisse étaient des missionnaires. Il voulait donner aux gens les moyens de se constituer en Église, de créer des lieux de rassemblements, des lieux de culte, des confréries. C’est dans cette optique qu’il a fondé le Séminaire, une école d’arts et de métiers. Il a acquis à même sa bourse des terres afin d’assurer des revenus pour le Séminaire. Tout cela était fait dans le but de constituer une Église solide.



Photo de l’entrée du Séminaire de Québec. Remarquez au dessus de la porte centrale l’insigne SME pour Séminaire des Missions Étrangères.

NDC – On dit de lui qu’il a joui durant sa vie  d’une réputation de sainteté. Sur quoi reposait cette réputation?

H. G. – Il est mort à l’âge de 85 ans. Son serviteur, le frère Houssart, avait une grande admiration pour cet évêque. Il a raconté tout de suite après la mort de Mgr de Laval pourquoi il le considérait comme un saint. Il a mené une vie sobre. Je constate qu’il n’a jamais construit un palais épiscopal, chose que son successeur fera. Il faut lire une lettre du gouverneur Frontenac avec qui Mgr de Laval est entré en conflit. Le gouverneur parle du Séminaire où résidait Mgr de Laval comme d’un « trou ». Les prêtres vivaient très pauvrement. Le premier évêque de Québec mettait de l’avant dans sa spiritualité l’esprit de « désappropriation ».  Il préconisait un détachement des biens sensibles. Il ne s’agissait pas seulement de se priver pour se priver. Cet esprit de désappropriation avait aussi pour but de favoriser la fraternité en invitant les prêtres à mettre tout en commun. De cette manière ils pouvaient s’épauler les uns les autres dans la prière et dans diverses autres tâches apostoliques. On dit que Mgr de Laval ne faisait pas de différence entre les personnes. Je trouve aussi intéressant qu’il ne signe presque jamais François de Montmorency Laval. Il ne met pas en évidence ses titres issus de la noblesse. Il n’utilise sa signature officielle qu’en France pour faire avancer des dossiers auprès du roi.

La vie de cet homme était tournée vers l’Évangile. Il a traversé de nombreuses  épreuves. Le séminaire a brûlé à deux reprises. Il a vécu plusieurs querelles avec le gouverneur. Il a connu de grandes difficultés avec Mgr Plessis, son successeur. Il manifeste un grand abandon face à la Providence. Cet évêque a impressionné ses contemporains.

NDC – Il a vécu un conflit majeur avec le gouverneur concernant le commerce de l’eau-de-vie avec les Indiens. En quoi consistait ce conflit?

H. G. – La Nouvelle-France a été cédée aux compagnies qui venaient ici pour faire du commerce et en particulier le commerce des fourrures. Leur objectif premier n’était pas de peupler le territoire : il y avait environ 2 500 personnes ici lorsque François de Laval débarque en 1659. Le commerce se faisait avec les Amérindiens et l’alcool servait souvent de monnaie d’échange. De grands maux s’en suivaient chez les nations amérindiennes. Ces compagnies n’avaient pas de cœur. Mgr de Laval jugeait cette situation comme dangereuse et scandaleuse. Il a décidé d’intervenir énergiquement avec les moyens mis à sa disposition à cette époque. Il a décidé de priver de la réception des sacrements ceux qui faisaient le commerce de l’eau-de-vie avec les Amérindiens. Le gouverneur a porté cette querelle à Paris où des théologiens ont été  mis à contribution. Finalement, Mgr de Laval n’avait pas le droit de prendre cette décision. Cette lutte menée par Mgr de Laval était faite au nom de la dignité des Indiens. Il a pris leur défense face aux compagnies.

NDC – N’est-il pas étonnant de voir à Québec dans les débuts de la colonie trois contemporains qui sont maintenant bienheureux : Marie de l’Incarnation, Catherine de St-Augustin et Mgr de Laval?

H. G. – La vie de chacune de ces trois personnes est intéressante. Il faut dire que Marie de l’Incarnation et Catherine de St-Augustin arrivent à Québec avant lui. Marie de l’Incarnation débarque à Québec en 1639. C’est le dénuement total. Je comprends pourquoi ces fondatrices ont travaillé si fort et nous leur devons notre admiration. Ces personnes ont donné leur vie. Ce sont vraiment de grandes missionnaires. Leurs actions se sont déroulées auprès des hommes, des femmes et des enfants de la colonie. Marie de l’Incarnation s’est occupée des petites amérindiennes. Je trouve stimulant et passionnant de voir que ces personnes n’ont pas vécu un itinéraire spirituel en vase clos. Je constate que lorsqu’on vit dans des états avancés de l’expérience mystique, plus ces personnes descendent en elles, plus leur rayonnement est grand. Elles rencontrent la source. Jean de la Croix disait : « Dans cet état, tout est moi, le Christ est à moi, le monde est à moi, les oiseaux sont à moi. » Cela ne peut pas être autrement. Leur Dieu ne leur appartient pas.

NDC – Nous regardons aujourd’hui ces institutions et nous constatons que plusieurs d’entre elles sont à la veille de disparaître. Qu’en pensez-vous?

H. G. – Je m’excuse de le dire, mais ces institutions vivent une phase terminale. Je pense cependant que le Seigneur nous donnera autre chose. J’ai étudié l’histoire de la spiritualité et les grandes disparitions ne sont pas rares. Les abbayes de Cluny et de Cîteaux ont disparu. Cette situation doit nous amener à poser une question : comment pouvons-nous emprunter les traces laissées par les fondateurs?

Le Séminaire n’est pas rendu à sa phase finale. Comment être audacieux aujourd’hui? Il y avait six prêtres au Séminaire lorsque Mgr de Laval l’a fondé. Il en restait cinq lorsque le collège a été créé. Il n’y avait pas plus de trente prêtres lorsque l’Université a vu le jour. Nous sommes une vieille institution. Sommes-nous prêts à faire quelque chose?

L’Évangile est toujours là. Nous devons trouver les moyens de le faire rayonner et de rejoindre les gens. Je ne suis pas attaché à la conservation pour la conservation même si ici nous sommes très soucieux de cela. Nous devons relever des défis dans l’esprit de Mgr de Laval. Nous vivons une phase de transition. La phase de décroissance n’est plus l’horizon vers lequel nous devons regarder. Cet horizon doit être celui de la semence et du recommencement. C’est la qualité de ce qui est vécu qui fera naître quelque chose de nouveau autour de nous.


Il suffit d'une foi

Les fondateurs de l’Église de la Nouvelle-France ont vécu des expériences spirituelles exceptionnelles. Ce livre scrute la place de l’Eucharistie et de la dévotion à Marie dans la vie de ces héros de la foi. Les quatre chapitres de ce livre illustrent comment les premiers Jésuites de la Nouvelle-France, Marie de l’Incarnation, Catherine de Saint-Augustin et Mgr de Laval ont vécu ces spiritualités dans leur vie. Nous découvrons que leur vie spirituelle est le fondement de leur activité missionnaire.

Il suffit d’une foi, sous la direction de Thérèse Nadeau-Lacour, Éditions Anne Sigier, Québec, 2008, 250 pages, 24.95$