L'INTUITION BOULEVERSANTE D'UN BIENHEUREUX PASTEUR
l'abbé André Gagné,
prêtre de la Société des prêtres du Séminaire de Québec
Je suis un prêtre diocésain de Québec rattaché à la communauté des prêtres du Séminaire de Québec fondé par le Bienheureux François de Laval en 1663. Je ne peux pas ne pas vous parler de ce saint Évêque qui a été le premier Pasteur d'un diocèse qui couvrait à l'époque la presque totalité de l'Amérique du Nord. Laissez-moi vous expliquer en quoi sa vie et son ministère comme premier Évêque de Québec, et surtout l'intuition qui était la sienne dans la fondation de son Séminaire, peuvent être mis en rapport avec tout ce que j'ai pu vous partager jusqu'à maintenant.
Monseigneur François de Laval est arrivé en terre canadienne et en la Nouvelle-France avec toute la richesse de la foi catholique qui avait marqué l'histoire de la France, comprenant l'apport bénéfique de certains courants spirituels plus récents qui avaient transformé positivement les mentalités, autour et dans la suite du Concile de Trente. Alors qu'il était encore jeune prêtre, il s'était associé à quelques confrères qui se rencontraient périodiquement dans le seul but de se soutenir les uns les autres spirituellement, s'exerçant particulièrement à pratiquer l'abandon confiant entre les mains du Seigneur, en une attitude de service qui les rendait disponibles pour la mission, comme pour tout ce que le Seigneur pourrait requérir d'eux. C'était déjà remarquable à l'époque qu'un homme de son rang, issu d'une famille de la vieille noblesse française, se montre finalement aussi détaché, allant jusqu'à renoncer à son droit d'aînesse en faveur de son plus jeune frère et à sacrifier la possibilité d'être à la tête d'un Évêché de prestige en sa France natale , pour aller fonder un diocèse en pays de mission.
Cet Évêque au cœur d'apôtre et de feu a montré dans l'exercice de son épiscopat toutes les qualités et les vertus qu'on peut attendre d'un saint Pasteur. Il est intéressant de spécifier qu'il a été béatifié par le pape Jean-Paul II le 22 juin 1980, sur la base de la qualité de sa vie chrétienne et du témoignage héroïque qu'il a donné en tant qu'Évêque entièrement consacré à son diocèse et demeuré en service jusqu'à un âge avancé . C'est tout autant ce qu'Il était comme prêtre et comme Évêque, que la manière selon laquelle il a vécu concrètement son ministère, qui demeurent les traits marquants de la sainteté de François de Laval, telle que reconnue et authentifiée par l'Église. Je trouve cela à la fois très édifiant et très inspirant pour l'époque même où nous sommes. L'Église met sous nos yeux un bienheureux à qui nous pouvons nous identifier d'autant plus aisément qu'il n'était pas à proprement parler un mystique. Mais Il aimait le Christ et l'Église, et il avait le préoccupation de bâtir des communautés paroissiales fortes, constituées de chrétiennes et de chrétiens ardents.
Si le Bienheureux François de Laval a marqué beaucoup l'histoire de notre Église, comme l'histoire du Canada et du Québec, je me limiterai à mentionner, et ce n'est pas peu, l'esprit qu'il a voulu donner à cette communauté de prêtres tout à fait originale qu'il a fondée et rattachée à une institution qui lui survit toujours et qui porte le nom de « Séminaire de Québec ». Sans considérer ses prêtres comme des religieux, monseigneur de Laval avait tenu tout de même à ce que les prêtres de son diocèse, bien qu'appartenant au clergé séculier, soient marqués d'un esprit missionnaire. Ils se rendaient dans les paroisses pour l'exercice de leurs charges et de leur ministère, mais pour qu'Ils ne soient pas laissés seuls et pour qu'ils puissent toujours bénéficier d'un support et d'un soutien fraternels tangibles, ils étaient rattachés à la communauté du Séminaire. Ils trouvaient ainsi en la résidence principale du Séminaire, où demeurait l'Évêque, une maison, comme un chez soi, où ils pouvaient être accueillis à leur retour de mission ou en tous temps, et un lieu où ils pouvaient se reposer, être soignés si nécessaire, en une vie de partage où s'exerçait une certaine mise en commun des biens en fonction des besoins et pour le bénéfice de tous et de chacun.
Partage, soutien fraternel, matériel, et spirituel, proximité avec l'Évêque, voilà les éléments majeurs de cette manière de vivre le sacerdoce et d'organiser le ministère pour les prêtres des paroisses au temps de monseigneur de Laval. Elle avait l'avantage de s'adapter aux conditions de pauvreté des fidèles et des communautés paroissiales de l'époque, et elle tenait compte de l'immensité d'un territoire qui risquait d'isoler d'autant plus les prêtres, et de les mettre en danger de bien des manières. Monseigneur de Laval remettait aussi du même coup la formation des futurs prêtres entre les mains de cette communauté de prêtres diocésains qui se chargerait de l'assumer, et qui assure, encore aujourd'hui, la formation des futurs prêtres, dans le soutien du Grand Séminaire de Québec qu'elle considère toujours comme son œuvre principale.
En raison surtout de l'importance qu'ont prise des œuvres majeures qu'a créées et soutenues le Séminaire au cours de son histoire, requérant ainsi un nombre considérable de prêtres pour en assurer la bonne marche, pendant longtemps seul les prêtres qui étaient au service du Séminaire et qui en maintenaient les œuvres en son Nom, furent à toute fin pratique les membres de la communauté des prêtres du Séminaire de Québec. Il reste aussi que, après la démission de monseigneur de Laval en tant qu'évêque de Québec, on a cru bon d'organiser autrement les choses et de créer des cures inamovibles, de telle sorte que les prêtres qui étaient au service des paroisses y vécurent de manière plus autonome.
Or, dans la situation d'Église qui est la nôtre actuellement, bien des prêtres sentent de plus en plus le besoin de se retrouver avec des confrères, parfois même de briser un certain isolement dans lequel ils se trouvent… allant jusqu'à souhaiter qu'un lieu puisse les accueillir et même favoriser des activités diverses d'ordre spirituel qu'ils pourraient vivre avec des confrères. Je me suis pris à penser qu'il faudrait peut-être songer à créer, non seulement à Québec mais ailleurs aussi, des « Maisons du Sacerdoce », qui puissent être à la fois un peu comme un « chez soi » pour les prêtres, mais qui offriraient plus que des facilités d'ordre matériel ( du genre chambre et pension ). S'il est question de ressourcement spirituel, cela irait plus loin que la seule offre de sessions. Le premier ressourcement, peut-être le plus fondamental, tiendrait à l'esprit même qui régnerait en de pareilles Maisons, et à la qualité et à la profondeur des liens qui trouveraient à se développer entre des prêtres qui y toucheraient du doigt ce qui les unit entre eux et qui est d'ordre sacramentel. Dans une « Maison du Sacerdoce », la vie et le ministère des prêtres y seraient valorisés, en même temps que soutenus, et ce, de toutes les manières possibles, et avec toute la diversité et la créativité nécessaires, sans oublier l'essentiel qui réside en un véritable amour fraternel que chacun pourra sentir et dont il pourra bénéficier. Ce serait un lieu d'accueil par excellence pour tous les prêtres qui pourraient y venir facilement, sans complication aucune , et où des confrères prêtres pourraient recevoir la mission d'être à leur service, en une communauté-témoin qui y maintiendrait et y communiquerait un esprit qui soit de nature à aider les prêtres à goûter et à partager entre eux toute la Joie de leur Sacerdoce.
N'est-ce pas là, au moins dans les intentions de base, ce que ce saint Évêque que fut le bienheureux François de Laval avait voulu bâtir fondamentalement ? Seul une vie spirituelle authentique et une attention aux signes de l'Esprit, pouvaient lui avoir inspiré une intuition aussi fondée, voire prophétique, avec un souci particulier de répondre aux volontés de l'Église en rapport avec les besoins du clergé et la formation des futurs prêtres, telles que le Concile de Trente les avait signifiées. L'esprit qui a présidé à la fondation du Séminaire de Québec, ne pourrait-il pas nous inspirer encore étant donné les besoins qui se font jour dans l'Église d'aujourd'hui ? En tous les cas, il ne répugne pas de penser, me semble-t-il, que l'intuition du bienheureux François de Laval puisse être envisagée comme une proposition qui ne manque pas d'intérêt dans toute la réflexion que nous pouvons mener autour du ministère, de la mission et de la vie des prêtres diocésains. Qui sait ?
Si j'ai pris la peine de vous partager personnellement cette réflexion en lien avec le Séminaire de Québec, c'est vraiment en raison de ce dont le bienheureux Fondateur du Séminaire était porteur, du souci qu'il avait de ses prêtres, et de l'influence qu'Il a eue et qu'Il a toujours dans ma vie sacerdotale. Quand je me suis retrouvé en présence de ses ossements en avril 1980, à l'occasion de l'exhumation de son corps en rapport avec sa béatification annoncée pour le mois de juin suivant, je vous avouerai que je n'ai plus jamais rangé sa mémoire au passé. Je le voyais au présent de notre Église, et comme une inspiration pour son avenir et pour l'avenir de ses prêtres, que son Séminaire avait pour mission de servir. Je laisse bien sûr à ceux à qui il appartient d'en décider de faire ce qui convient dans la poursuite d'une mission auprès des prêtres. Cette lettre, vous vous le rappellerez, me permet de vous livrer ce qui m'habite, elle ne propose pas des plans d'action, mais des intuitions, des certitudes, et pourquoi pas des rêves à l'occasion. Parfois les idées, quand elles sont exprimées, font avancer les choses, ou, du moins, elles permettent à d'autres de se faire jour. Que la Volonté de Dieu soit faite ! « L'homme propose, Dieu dispose ». Que Dieu en soit béni !
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Dernière mise à jour 4 novembre 2005