La deuxième rencontre provinciale des
jeunes prêtres a pris fin le 10 octobre dernier au terme de trois jours
d’échange et de réflexion. Dans le magnifique cadre du Foyer de Charité
Notre-Dame d’Orléans, 66 prêtres ordonnés dans différents diocèses catholiques
du Québec depuis 1990 ont pris part à cet événement ayant pour thème
« prêtres aujourd’hui : joies et défis ».
Deux conférences sont venues ponctuer
ces rencontres. Dans un premier temps Gilles Routhier, théologien, a livré ses
réflexions sur le prêtre en tant qu’« acteur du renouvellement de
l’Église ».
Gilles Routhier relève une grande
différence entre les conditions de vie et d’exercice des jeunes prêtres
d’aujourd’hui par rapport aux anciens. Le plus petit nombre de prêtres, leur
âge moyen plus élevé et surtout le contexte humain et spirituel dans lequel ils
opèrent a considérablement évolué.
Au lendemain du grand Concile Vatican
II, un enthousiasme quasi euphorique caractérisait l’Église du Québec.
Vers 1982, un vent de récession ouvre
une nouvelle période dans la société québécoise qui se reflète dans la vie de
l’Église. C’est une période de déprime économique et de morosité. Beaucoup de
grands mouvements d’église s'essoufflent. Le décrochage de la pratique religieuse
s’installe. Le rapport « Risquer l'avenir » de 1992 révèle que les
catholiques sont devenus minoritaires au Québec.
À
cette situation les prêtres opposent différents types de réactions. Un
fatalisme admettant que la décroissance, désormais irréversible, doit être
liquidée au quotidien. « Puisque c’est comme ça, on va gérer la
décroissance ». Un héroïsme stoïque du type : « On va tenir
bon »! Devant la réalité trop dure, d’autres encore seront tentés d’aller
chercher ailleurs que dans le ministère un sens à leur vie.
Fin 90, une nouvelle période semble
vouloir naître. On commence à admettre que l’Église est en exil. Des termes
nouveaux apparaissent dans le lexique religieux québécois. On parle désormais
de mission et d’évangélisation. On commence à réfléchir sur l’initiation chrétienne.
La crise actuelle se présente comme un
temps de choix. On comprends mieux la nécessité de
redevenir pro-actifs. Mais les urgences de la mission
se voient désormais confrontées à un manque flagrant de ressources humaines et
matérielles.
Comment peut-on devenir concrètement
acteurs d’une solution ? En ce qui
regarde les prêtres, il faut envoyer les troupes vers des activités plus
« expressives » c’est-à-dire, directement liées à l’annonce de la
Parole de Dieu.
Pour sortir du cercle du repli, il va
falloir chercher la mobilité de la mission plutôt que dans la sédentarité qui
marque la vie en temps de chrétienté. Or dans les faits, il faut souvent nous
épuiser à être mobiles pour entretenir une pastorale sédentaire.
Par ailleurs, il nous faut sortir de la
dimension du « grand service publique du religieux ». L’Église ne
pourra plus répondre à tous les besoins dans tous les domaines. À ce chapitre,
ne faudrait-il pas repenser toute la pastorale sacramentelle en fonction de la
mission. Cela pourrait conduire à revoir le discernement des demandes de
baptêmes, obliger le mariage civil avant le mariage religieux, revoir les
pratiques pastorales entourant les funérailles.
Selon Gilles Routhier, notre temps
comporte des défis, des chances et des tentations. Il faut accepter de perdre
un certain nombre d’assurances pour entrer avec confiance dans le registre de
la foi tout en osant s’exposer à la question de l’autre. C’est la foi qui remet
le monde en marche, qui fait tomber les peurs. L’échec, comme la mort,
aurait-il le dernier mot dans le christianisme ? « Si vous devenez des
croyants, vous serez des acteurs ».
Ces propos ont trouvé un écho dans
l’allocution prononcée le lendemain par M. Claude Ryan. Ce dernier posait la
question de savoir si un nouveau printemps de l’Église est possible au Québec
?
Dans une
perspective strictement québécoise, le sacerdoce est devenu une profession
beaucoup moins attrayante qu’autrefois. Ayant aujourd’hui le choix entre une
multitude de carrières intéressantes, les jeunes qui se laissent attirer par le
sacerdoce sont plutôt rares au Québec. Si marginal qu’il puisse sembler chez
nous et dans les sociétés industrialisées, le choix de consacrer votre vie au service
du peuple de Dieu l’est cependant beaucoup moins dans le contexte de l’Église
universelle. Selon l’Annuaire statistique de l’Église catholique pour l’année
2000, le nombre de séminaristes pour l’ensemble de l’Église est passé de 63 882
en 1978 à 110 583 en 2000, soit une augmentation de 75,0%. Selon la même
source, les effectifs sacerdotaux et religieux sont en déclin dans les sociétés
industrialisées mais en progression en Afrique et en Asie. C’est peut être le
signe que le centre de gravité de l’Église se déplacera de plus en plus de
l’Europe et de l’Amérique du Nord vers l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie.
Ces chiffres ne sauraient certes faire oublier les problèmes très aigus
auxquels l’Église, et en particulier le sacerdoce, font face dans les sociétés
industrialisées. Ils nous invitent néanmoins à voir nos problèmes dans une
perspective plus large et moins pessimiste.
Au Québec, il
reste beaucoup de traces de nos racines catholiques dans nos manières de penser
et de faire. Les gens continuent de se déclarer catholiques au recensement et
de croire en Dieu. Ils continuent aussi selon les enquêtes d’opinion de prier
dans une proportion étonnamment élevée. On voit de même des personnes qui se
présentent rarement à la messe du dimanche faire montre d’un dévouement
exemplaire devant la maladie d’un parent sans se rendre compte qu’elles mettent ainsi en pratique
l’enseignement de l’Évangile. Le peuple québécois est de même foncièrement
bienveillant et paisible, et ce trait n’est certes pas étranger à ses
antécédents chrétiens. Il s’est cependant produit à notre époque une coupure
entre la religion et la culture de la population. Le Québécois et la Québécoise
moyens puissent désormais le principal de leur inspiration quotidienne dans des
sources autres que la religion. Le catholicisme des Québécois est de plus en
plus, selon diverses enquêtes, une
religion confinée surtout à la vie privée et une religion à la carte.
Même à ce dernier niveau, les gens se sentent beaucoup moins liés qu’autrefois
par les enseignements de l’Église.
On doit par
contre inscrire à l’actif du Québec sécularisé d’aujourd’hui les progrès nombreux réalisés au plan
scientifique, économique, social et culturel, et surtout la protection de plus
en plus explicite qui est accordée aux libertés fondamentales et aux droits
individuels. Cette protection renforcée n’a pas apporté de changements radicaux
dans l’immédiat car déjà le respect des libertés était implanté chez nous dès
avant la Révolution tranquille. En longue période, la protection
constitutionnelle des libertés fondamentales pourrait cependant s’avérer un
bien infiniment plus précieux pour les croyants que les avantages extérieurs
dont a pu bénéficier à d’autres époques la religion catholique. Dans le Québec
d’aujourd’hui, le nombre des catholiques pratiquants est moins élevé. En
contrepartie, l’adhésion à la religion, étant plus libre, a plus de chance d’être
authentique.
La première tâche
qui incombe aux croyants d’aujourd’hui, c’est la culture de la foi. Sans
renoncer à changer la société en profondeur, nous devons dans l’immédiat
entreprendre de nous y insérer sans autre dessein que de contribuer à son
avancement dans le respect de la forme extérieure et des règles de
fonctionnement qu’elle s’est données, et
cela dans toute la mesure où son mode de fonctionnement n’est pas incompatible
avec la foi en Dieu et les exigences de la morale. Nous devons cependant
chercher à y être présents avec notre foi et nos valeurs propres. Cela requiert
que, prêtres et laïcs, nous approfondissions sans cesse davantage notre foi et
que nous apprenions à en témoigner en nous inspirant d’une pédagogie accordée à
l’esprit de notre époque.
Quelques
observations de M. Ryan à ce sujet :
1)
surtout dans notre univers de communications instantanées
où les idées et les modes de comportement changent beaucoup plus facilement, la
foi n’est jamais acquise une fois pour toutes dans la vie d’une personne,
encore moins d’une société. Elle doit au contraire être sans cesse renouvelée,
enrichie et reconquise;
2)
dans une société de plus en plus jalouse du pouvoir
et de l’autonomie de l’intelligence, il nous incombe de faire montre d’un
respect inviolable à l’endroit de ce que l’intelligence veut ou peut découvrir
par elle-même. Ceci implique que nous devons avoir à la fois un respect très
grand pour les connaissances humaines, une juste compréhension de ce qui
constitue le véritable objet de la foi et un grand respect pour le cheminement
personnel des êtres avec qui nous sommes en contact.
3)
la foi doit être reçue et vécue par chacun dans son
intégrité, et non pas de manière sélective. Bon nombre de prédicateurs sont
enclins de nos jours à mettre uniquement l’accent sur les aspects plus
agréables de la religion chrétienne et à passer beaucoup plus vite sur les
aspects plus difficiles. La croyance en la résurrection est la mesure suprême
de la foi chrétienne, mais la résurrection du Christ eut été impossible sans la
Croix. Je connais également des prédicateurs bien intentionnés qui parlent avec
émotion de la miséricorde de Dieu mais qui passent beaucoup plus vite sur les
passages pourtant nombreux de l’Écriture qui nous Le présentent aussi comme un
Dieu juste. Ces pratiques sélectives ne sont
pas de nature à favoriser à la longue une juste compréhension du message
chrétien;
4)
la foi doit être enracinée dans des sources
solidement éprouvées. La manière la plus sûre pour le croyant de conserver et
d’enrichir sa foi, c’est de l’alimenter et de la vivre en communion avec
l’Église. Dans la famille des religions organisées, l’Église catholique a ceci
de propre qu’à travers sa tradition séculaire, elle s’est toujours efforcée de
concilier la foi et la raison. La seule pratique ordinaire de la religion est
toutefois insuffisante pour procurer à une personne raisonnablement instruite
le soutien et l’alimentation dont elle a besoin. Il faut que la foi soit l’objet d’un
approfondissement continu dans la vie de chacun. Il m’apparaît nécessaire à
cette fin que tout croyant recoure habituellement à des sources solidement
éprouvées et adaptées à ses besoins. Celui qui n’approfondit pas sa foi se
condamne à la médiocrité. Son témoignage risque d’être tout aussi médiocre;
5)
loin de s’y opposer, la culture de la foi doit aller
de pair avec la recherche de la culture humaine. Nous sommes heureusement
témoins ces années-ci de nombreux efforts de rapprochement entre la foi et la
culture humaine. Nombreux sont les savants de diverses options philosophiques
et religieuses pour qui la science et la foi religieuse constituent des modes
distincts de saisie du réel dont chacun a sa
consistance et ses lois propres et dont chacun doit en conséquence être
considéré avec respect par l’autre. Le pape actuel donne l’exemple d’un chef
religieux rempli d’intérêt et d’admiration sincère pour la connaissance
scientifique. Il n’a pas craint d’affirmer l’entière autonomie de la science
par rapport à la religion, dans la mesure, a-t-il pris soin de préciser, où
elle respecte les normes morales que dicte la dignité de l’être humain. Dans le
même veine, Jean-Paul II n’a cessé d’exhorter les croyants à s’engager
activement dans l’arène politique même au moment où il s’avérait qu’en Italie
et dans d’autres pays, les milieux politiques étaient gravement gangrenés par
la corruption. Même pour celui qui se consacre exclusivement au travail
religieux, une bonne culture humaine est une condition nécessaire de fécondité
spirituelle. Au temps où je militais dans l’Action catholique, les aumôniers
qui eurent le plus d’influence sur nous furent ceux qui portaient une grande
attention à la vie concrète de leurs militants en même temps qu’ils savaient
leur fournir une alimentation solide au plan spirituel;
6)
Tout en semblant la plupart du temps être très
éloigné, Dieu est en réalité toujours proche non seulement des croyants mais
aussi des êtres qui croient avoir pris leurs distances par rapport à lui..
« Tu étais plus présent au cœur même de mon être que je ne le suis
moi-même », s’exclame saint Augustin. La foi chrétienne nous rend
conscients de cette présence de Dieu dans les personnes qui nous entourent.
Aussi demeure-t-elle discrètement attentive à ce qui se passe chez l’autre. La foi chrétienne demeure
cependant patiente et longanime. Sachant que le grain doit être jeté en terre
et mourir et que Dieu seul fait fructifier la semence au moment qu’Il choisit,
elle se préoccupe davantage de la qualité du travail que de résultats
immédiats. Nous aurons beaucoup besoin de cette longanimité dans la longue et
relativement obscure période
d’ensemencement qui semble devoir être notre partage au cours des prochaines
années..
L’Église
catholique a certes perdu une bonne partie de la vitalité intérieure qu’elle
avait naguère au Québec. Même si ses effectifs, autant laïcs que sacerdotaux,
ont vieilli, il subsiste néanmoins dans son sein un volume d’activité bénévole
aisément comparable, sinon supérieur, à
ce qu’on peut observer ailleurs. Le taux de participation régulière et
suivie des membres a sans doute beaucoup diminué. Il demeure néanmoins plus
élevé que celui que celui que l’on observe en temps ordinaire dans les grandes
associations syndicales, coopératives et politiques.
À tort ou à
raison, l’Église est cependant devenue de plus en plus discrète sur les sujets
qui ne sont pas directement reliés à sa vie intérieure et à sa mission
religieuse. On s’est tellement habitué à ne pas l’entendre que, lorsqu’elle
intervient dans un débat de société, son intervention passe souvent inaperçue
non seulement dans les médias mais auprès de ses propres membres. Cette situation
n’est pas satisfaisante. Elle appelle des remèdes qui tiennent compte à la foi
de la juste autonomie du domaine temporel et de la mission propre de
l’Église.
Ce droit
d’intervention dans les débats de société est généralement exercé par l’autorité
ecclésiastique. Étant donné la structure hiérarchique de l’Église, on ne
saurait contester aux évêques et à leurs représentants dûment mandatés le droit
de parler au nom du peuple chrétien. Je souhaiterais personnellement qu’ils le
fassent plus souvent. Dans la mesure où leurs interventions doivent porter sur
des sujets reliés à la marche de la société civile, il serait cependant
souhaitable que le peuple chrétien soit
davantage associé aux démarches
ainsi faites en son nom.
Rien ne prescrit
cependant que doive être réservé exclusivement à l’autorité épiscopale le droit
d’intervenir dans les débats de société au nom de la communauté catholique. Les communautés paroissiales, régionales, diocésaines, voire
nationale, pourraient aussi être appelés à jouer un rôle plus actif à ce
niveau, tout comme les associations catholiques poursuivant divers objectifs.
Mais des interventions fructueuses ne pourront être envisagées à ces divers
niveaux que dans la mesure où se manifestera davantage, à tous les niveaux de
la vie de l’Église, la présence dans son sein d’une opinion publique bien
informée, vivante et libre. L’absence d’une telle opinion fait trop défaut dans
l’Église catholique en général. La rareté et la pauvreté relative des voix
catholiques dans les débats de société est le prix que nous devons payer pour
l’absence dans l’Église de tribunes où l’on pourrait discuter en toute
ouverture de sujets intéressant autant la vie de l’Église que celle de la
société humaine. Il est aussi la conséquence de la regrettable apathie avec
laquelle est reçu dans les milieux catholiques, y compris parmi le clergé,
l’enseignement pourtant très riche de l’Église en matière sociale.
Le défi de l’Église d’aujourd’hui est
de concilier le souci de l’unité avec l’attachement à la liberté qui est un trait non moins essentiel de notre
époque. A propos de la liberté, le père Georges-Henri Lévesque, de regrettée
mémoire, avait coutume de dire qu’elle
vient elle aussi de Dieu. À condition que nous sachions tenir ensemble
fidélité, présence aux valeurs et aux attentes de nos contemporains, liberté et
unité, nous ne devons pas hésiter à prier pour que l’Église d’ici connaisse un
nouveau printemps. Ce printemps, s’il doit survenir un jour, viendra de Dieu,
non de nous. Mais la semence en aura été jetée dans les épreuves et les
incertitudes d’aujourd’hui, tout comme des périodes de déclin, voire de
corruption, ont souvent été à d’autres époques la source de nouveaux
dépassements pour l’Église.
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