FRANÇOIS DE LAVAL ET LA VIE RELIGIEUSE: REGARD SUR LE PASSÉ, LUMIÈRE POUR AUJOURD'HUI?


Doris Lamontagne
ancienne directrice du Centre d'animation François de Laval
Basilique-cathédrale, Québec

INTRODUCTION

Parler de la vie religieuse au 17e siècle en lien avec le premier évêque de Québec apparaît comme un sujet très vaste et voir même complexe.

L’histoire de la Nouvelle-France ne donne pas toujours bonne presse à François de Laval. En 1993, lorsque j’acceptais de devenir responsable du Centre d'animation François-de-Laval, j’ai découvert que la mémoire du temps impute à François de Laval plusieurs querelles avec les Gouverneurs comme avec les institutions religieuses de son époque. Qui n’a pas entendu parler des démêlés concernant le commerce de l’eau de vie? Qui ne se rappelle pas de ses disputes avec les Récollets et les Ursulines? Est-ce toujours exacte, quels sont les enjeux mis en cause dans ces conflits? Peut-on dire autre chose qui soit pertinent pour la vie religieuse du 21e siècle?

FONDATION - SOURCE D'INSPIRATION

Je suis entrée en communauté en 1982 au temps où ma Congrégation, comme la plupart d’ailleurs, était soucieuse de retrouver le charisme de la fondation. Après plus de trois siècles de fondation, est-il possible de retrouver la spiritualité du Fondateur de l’Église en sol d’Amérique? Intéressée par cette question, je cherche à savoir comme ce bienheureux peut être une source d’inspiration pour l’Église actuelle.

Plus j’approfondis la vie de François de Laval, moins il me semble être conservateur mais plutôt très novateur. Si François de Laval vivait parmi nous, il chercherait sans doute à mettre en application les décrets d’une réforme conciliaire survenue l’année où je suis née.

En effet, je suis née en 1962 à l’heure d’un changement important au sein de l’Église, le Concile Vatican II, je me surprends parfois à faire des parallèles entre la vie du premier évêque et la mienne. Puiser à la spiritualité des commencements afin de s’aventurer sur de sentiers nouveaux d’apostolats, n’est-il pas un mouvement déjà vu suite à une réforme importante? En relisant l’histoire du christianisme, nous voyons comment chaque réforme provoque le renouvellement d’ordres anciens et voit naître de nouvelles formes de vie religieuse. N’est-ce pas un siècle après la réforme grégorienne que Dominique et François fondent les ordres mendiants? Suite au Concile de Trente, de nouvelles formes de vie religieuse apparaissent dont celle d’Ignace de Loyola avec la floraison de la vie missionnaire.

Héritier d’une Église réformée, le Fondateur de notre Église me semble être une source d’inspiration très pertinente pour l’Église actuelle. Plusieurs enjeux et défis de son époque ont des points communs avec les pages d’histoire que nous sommes en train d’écrire.

Pour en saisir la pertinence et y trouver des pistes pour la vie religieuse actuelle, il importe de replacer François de Laval dans le contexte religieux où il évolue. Par quelle école de vie religieuse a-t-il été lui-même formée? En reste-t-il des traces dans sa vie spirituelle? Qu’elles furents ses liens avec les communautés religieuses de son temps? En ce début de millénaire, peut-on trouver dans cet héritage spirituel des pistes pour éclairer les défis d’évangélisation dans le monde d’aujourd’hui? Telles sont les questions soulevées auxquelles j’ai cherché à donner réponse.

FRANÇOIS DE LAVAL, HÉRITIER D'UNE RÉFORME

François de Laval naît au 17e siècle dans un environnement de renouveau spirituel important. En France, la réforme du Concile de Trente vécue au 16e siècle enclenche un renouveau spirituel majeur au sein de l’Église et particulièrement celle de France.

Pour parler de cette phase historique, le terme contre-réforme a souvent été utilisé en l’analysant cette période comme une réaction de l’Église catholique en lutte contre les protestations initiées, entre autre, par Luther et Calvin. De plus en plus d’historiens soulignent que la réforme est attribuable avant tout à un mouvement de la base, à une conscience du peuple que des changements devaient s’opérer pour répondre à des questions formulées depuis plus d’un siècle.

Avant la modification de structures et de décrets disciplinaires à réviser, déjà au 16e siècle, un moine, Gilles de Viterbe, rappelle que tout changement s’amorce de l’intérieur avant l’extérieur: « Ce sont les hommes qu’il faut changer par la religion, et non la religion par les hommes. » Un besoin de réforme spirituelle appelant la conversion du cœur s’impose et prédomine sur les comportements extérieurs à rectifier. Ce besoin de renouvellement spirituel se fait pressentir par l’augmentation de livres religieux et des méthodes d’oraison témoignant de la préoccupation d’une transformation intérieure liée aux comportements extérieurs.

Dans les différents mouvements spirituels, une unité du message se retrouve rappelant l’importance de trouver Dieu au centre de l’âme et de se laisser transformer par Jésus-Christ. La valorisation accrue de la pratique de l’oraison a pour but d’aider à faire l’unité entre la foi et la vie. L’événement du Concile de Trente permettrera de poursuivre cette cure de rajeunissement favorisant une réorganisation tangible en suscitant une renaissance spirituelle majeure.

RÉFORME CLÉRICALE ET ÉPISCOPALE SOUHAITÉE

Or, plusieurs constatent que cette réforme ne peut être effective sans un renouveau clérical important. À cette époque, les prêtres reçoivent très peu de formation, la prédication est réservée aux ordres religieux tel que les dominicains ou les franciscains. Comme les moines, les prêtres s’appliquent à la récitation de l’office divin. Ce ministère d’intercession est considéré supérieur à la cure et le statut de curé est souvent déprécié. Des initiatives diverses viennent de différents coins de l’Europe pour apporter des changements aux ministères cléricals.

Une idée nouvelle apparaît sous l’appelation de clercs réguliers. Des regroupements de clercs réguliers se forment à l’oraison méthodique pour approfondir leur expérience spirituelle. Plusieurs des décrets du Concile toucheront donc la formation des prêtres, les paroisses et l’épiscopat.

FRUITS DE LA RÉFORME CLÉRICALE ET ÉPISCOPALE

Comme les prêtres manquent de formation et que des abus de tout genre menacent la vie spirituelle de l’Église, pour corriger cette situation, la place des Écritures est mise au centre de la formation théologique des clercs. Le Concile de Trente opère une modification importante dans le ministère pastoral des prêtres en faisant passer le service du peuple chrétien avant celui de l’office divin. La formule des Séminaires est instituée pour garantir une formation solide à ceux qui ont, en tant que pasteur, la charge du salut des âmes.

Pour amasser plus de bénéfices, des prêtres comme des évêques cumulent les diocèses et les paroisses. Le procès pour examiner les mises en candidature de futurs évêques devient plus rigoureux, les contrôles sont de plus en plus sévères et comme moyen de contrôle on institue la visite ad limina.

La réforme épiscopale du Concile de Trente a porté fruit. De nombreux évêques s’inspireront de Charles Borromée pour ne pas répéter les erreurs du passé. Les évêques sont présents dans leur diocèse et visitent les paroisses comme les institutions religieuses.

RENAISSANCE SPIRITUELLE EN FRANCE À LA SUITE DU CONCILE DE TRENTE

Bien que le Concile de Trente statue sur des changements souhaités et espérés depuis un bon moment, la période qui suit ce Concile est capitale voir même déterminante pour le renouvellement de l’Église. Si plusieurs pays européen vont de l’avant suite au Concile, la France attendra une vingtaine d’années avant de mettre en applications les décrets conciliaires.

La résistance aux changements fait-elle partie des facteurs qui suit tout effort de réforme? Si certains groupes gagnent des points suite à ces changements, d’autres en perdent évidemment. La succession des générations permet progressivement de faire place aux idées nouvelles.

Aussi, le 17e siècle de l’Église française est marqué par un renouveau spirituel sans précédent permettant à celle-ci de se reprendre face au retard qu’elle avait pris. Pour illustrer cet essor spirituel, les historiens parlent du grand siècle des âmes. La vie de François de Laval s’enracine au cœur de cette effervescence.

FRANÇOIS DE LAVAL FORMÉ PAR DEUX ÉCOLES DE VIE INTÉRIEURE

Avant qu’il ne devienne évêque de Québec à 36 ans, François de Laval a reçu une formation spirituelle des plus innovatrice et adaptée. Par l’entremise des collèges Jésuites et de leur Confrérie, François est initié à la spiritualité ignatienne. Après son ordination sacerdotale, avec les disciples de Bérulle, il développe une spiritualité du sacerdoce qui influencera son ministère pastoral et ecclésial.

FRANÇOIS DE LAVAL À L'ÉCOLE DES JÉSUITES

François de Laval naît à Montigny-sur-Avre dans le diocèse de Chartres en France, le 30 avril l622. Dans la même année, Ignace de Loyola et son fidèle disciple, François-Xavier, missionnaire jésuite, sont canonisés. Aussi, l’Église fonde la Propagation de la Foi en favorisant la vie missionnaire comme moyen de reconquête spirituelle.

Étant le troisième fils de la famille Laval, dès l’âge de huit ans, François va étudier au Collège La Flèche tenue par les jésuites. Destiné à la carrière cléricale, François de Laval reçoit la tonsure et porte la soutane.

De 1631 à 1641, François de Laval reçoit une formation académique solide en lien avec la réforme du Concile de Trente nourrie par une vie spirituelle intense. Les collèges des jésuites ont une forte rénomées à ce sujet. Ils sont en pleine croissance : «Les 12 noviciats et 144 collèges en 1581 seront devenus, en 1640, respectivement 49 à 518. » Au Collège La Flèche, François de Laval participe à la célébration du centenaire de la fondation de la compagnie de Jésus en 1640.

Dès l’âge de douze ans, François de Laval fait partie de la Congrégation mariale du collège. Plus qu’une association pieuse, les congrégations sont de véritables écoles de spiritualité : « on s’y exerce à l’oraison, à la pratique des sacrements, et aussi aux œuvres de charité. »

Lorsqu’il vient étudier à Paris au Collège de Clermont à partir de 1641, François de Laval est toujours membre de cette Congrégation et, après ses études, il fera partie de la Congrégation des Externes confiée à ce moment au Père Jean Bagot jusqu’à son ordination sacerdotale en 1647.

Cette spiritualité prise au sein des Congrégations mariales inspirera toute la vie spirituelle de François de Laval et il y restera fidèle. Cette dévotion mariale va traverser l’océan et laisser des traces. En 1664, il érige la première paroisse de Québec sous le vocable de l’Immaculée-Conception. Cette église sera consacrée à la vierge le 11 juillet de l’année 1666. En 1665, avec les prêtres de son Séminaire, il reprend le vœu à l’Immaculée comme les pères jésuites. La dévotion à Marie chez François de Laval s’exprime dans un climat marial dont il vit intensément. Dans l’ensemble de ses écrits et de ses lettres, on y retrouve plusieurs mentions de Marie.

LES INFLUENCES DE LA SPIRITUALITÉ IGNATIENNE DANS LA VIE DE FRANÇOIS DE LAVAL

La compagnie de Jésus fondée par Ignace de Loyola s’inscrit sans contre dit dans l’élan du renouveau spirituel amorcé au XVIe siècle. Ignace fut l’une des figures marquantes qui au sein des controverses et des oppositions propose une réforme intérieure. Un des outils majeurs qui a permis l’héritage de sa spiritualité fut un livre qui a jailli de sa propre expérience spirituelle mieux connus sous le vocable des Exercices spirituels. Dans une lettre datée de 1687, François de Laval écrit : « Il y a longtemps que Dieu me fait la grâce de regarder tout ce qui m’arrive en cette vie comme un effet de sa providence. » Est-ce ici l’écho de quelqu’un qui s’est initié à la relecture spirituelle tel que le veulent les Exercices? À la suite d’Ignace, les Jésuites véhiculent cette spiritualité dans leur collège.

Cette spiritualité conduit à voir Dieu présent en toutes choses. La prière fut-elle très importante comme l’ascèse et la discipline mais se sont les actes qui attestent l’authenticité de l’apôtre. Comme le dit Ignace de Loyola: « Ce n’est pas dans les paroles qu’il faut d’abord mettre l’amour mais dans les actes. » Dans les conseils qu’il adresse aux missionnaires en 1668, François de Laval rappelle la primauté de la prédication par l’exemple. «La langue est nécessaire pour agir avec les Sauvages; c’est toutefois une des moindres parties d’un bon missionnaire (…) Les talents qui vont les bons missionnaires sont : 1o Être rempli de l’esprit de Dieu. Cet esprit doit animer nos paroles et nos cœurs (…). 4o N’avoir rien dans notre vie et dans nos mœurs qui paraisse démentir ce que nous disons oui qui mette de l’indisposition dans les esprits et dans les cœurs de ce ceux qu’on veut gagner à Dieu».

Cette cohérence entre les paroles et les actes est si importante que François de Laval souligne que se laisser emporter jusqu’à perdre le contrôle pendant un court moment, cela est suffisant pour détruire ou enlever toute crédibilité à son ministère pastoral. «Il faut se faire aimer par sa douceur, sa patience et sa charité et se gagner les esprits et les cœurs pour les gagner à Dieu; souvent une parole d’aigreur, une impatience, un visage rebutant, détruiront en un moment ce que l’on avait fait en un long temps.»

Le but ultime de la réforme intérieure proposée par Ignace de Loyola est qu’«une seule réponse s’impose : la gloire de Dieu. Tout le reste est vain, et dérisoire. » Dans les écrits de François de Laval, l’expression pour la gloire de Dieu revient sous différentes formes : « afin que Notre-Seigneur se glorifie en tout », « pour procurer la plus grande gloire de Dieu et le plus grand bien des âmes » «Notre Seigneur tirera sa gloire de tout».

La gloire de Dieu prime sur ses intérêts personnels et influence son ministère épiscopal, François de Laval sert la cause du Royaume. Marie de l’Incarnation en donne d’ailleurs le témoignage : « Mgr notre Prélat est tel que je vous l’ai mandé par mes précédentes, savoir très zélé et inflexible : zélé pour faire observer tout ce qu’il croit devoir augmenter la gloire de Dieu et inflexible pour ne point céder en ce qui est contraire.»

L’influence de la spiritualité ignatienne est bien réelle dans la vie spirituelle de François de Laval, il le confirme lui-même lorsqu’il écrit au supérieur des jésuites en 1659 en manifestant sa reconnaissance envers ceux qui furent ces maîtres et ces guides. « [Les Jésuites] m’ont appris à aimer Dieu et ont été mes guides dans la voie du salut et des vertus chrétiennes. » Mais, elle ne fut pas la seule.

FRANÇOIS DE LAVAL ET L'ÉCOLE BÉRULLIENNE (ÉCOLE FRANÇAISE DE SPIRITUALITÉ)

Au terme de ses études chez les jésuites, François de Laval est ordonné prêtre le 1er mai 1647. Il continue à cheminer comme membre de la Société des Bons Amis. Cette Société regroupe des prêtres et des laïcs s’aidant à vivre l’idéal évangélique. François de Laval se fait remarquer dans l’exercice de son ministère pastoral par sa piété et son zèle alors qu’il est archidiacre d’Évreux. Dans les années 1650, il frappe à la porte de l’Ermitage de Caën dirigé par Jean de Bernières de Louvigny. Bernières est disciple de Pierre de Bérulle et compte parmi les laïcs qui permettront à la doctrine bérulienne d’être à l’origine de l’École française. Si Pierre de Bérulle a initié le courant spirituel appelé l’école française, l’expansion de sa doctrine se fera davantage par ses disciples dont plusieurs furent contemporains de François de Laval.

Au 17e siècle, lorsqu’un prêtre veut se consacrer à Dieu, il doit se faire religieux. Bérulle est soucieux que les prêtres tout en exerçant leur ministère développent une vie spirituelle alimentant leur sacerdoce. Ce phénomème marquant de la première moitié du 17e siècle connaîtra différents maîtres et diverses fondations dont celle de Philippe Néri à Rome, Pierre de Bérulle avec l’Oratoire en France fondé en 1611, Vincent de Paul et les Lazaristes, congrégation approuvée par Rome en 1632 ou, encore, la Congrégation de Jésus-et-Marie fondée en 1643 par Jean-Eudes.

Ces fondations variéees ont des traits communs. Elles cherchent un style de vie en rupture avec le comportement clérical de l’époque. Elles valorisent la pauvreté et le partage des ressources entre leurs membres. Nourris par le zèle apostolique, ces prêtres orientent leur ministère pastoral et missionnaire auprès des paysans et sont soucieux de donner une bonne formation religieuse à tous les baptisés.

Selon l’écrivain Paul Cochois deux grandes figures marquent l’Église de France à la fin des guerres de religions : François de Sales et Pierre de Bérulle. «François de Sales expliquant aux chrétiens vivant dans le monde qu’ils peuvent et doivent devenir saints dans leur état de vie; (…) Bérulle expliquant aux prêtres séculiers qu’il y a une plus grande exigence de sainteté dans leur état de prêtrise que dans la profession religieuse. »

Comme ses contemporains, Bérulle cherche de nouveaux sentiers pour aider à la réforme du clergé. Il ne cherche pas à fonder un nouvel ordre religieux mais «sa seule ambition est de retrouver la condition de prêtres. » Dans la condition cléricale, il tente d’y trouver un chemin conduisant à l’esprit de perfection. Tout le programme d’initiation mystique a été pensé pour permettre à des prêtres de trouver la sainteté en coïncidant avec leur état de prêtrise.

François de Laval s’inspire de cette école spirituelle lorsqu’il fonde le Séminaire de Québec en 1663. Il l’associe au Séminaire des Missions Étrangères de Paris fondé la même année. La fondation du Séminaire s’harmonise avec la pensée de Bérulle. « Il y a un esprit de partage évangélique et de soutien fraternel que François de Laval et les ecclésiastiques qu’il amène avec lui au Québec en 1659 avaient en commun. C’est à l’école de M. de Bernières à Caen qu’ils avaient vécu la communauté fraternelle et la mise en commun des biens. » C’est d’ailleurs M. de Bernières qui donne par écrit la règle aux frères du Canada pour former ce qu’il appelle l’Ermitage de Québec.

L'INFLUENCE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE DE SPIRITUALITÉ DANS LA VIE SPIRITUELLE DE L'ÉVÊQUE DE QUÉBEC

Pierre de Bérulle développe une doctrine spirituelle d’abnégation dans un traité qu’il a écrit et publié en 1597 Bref Discours de l’abnégation intérieure. La désappropriation ou l’abnégation est au cœur de la spiritualité de François de Laval. « C’est l’abnégation de soi-même selon l’Évangile. Mais, pour lui, l’abnégation n’est pas un but. Elle se justifie dans une perspective de partage et de soutien fraternel. » C’est dans cet esprit de détachement, qu’en 1654, François de Laval fait don de son patrimoine et de ses droits d’aînesse à son frère cadet, Jean-Louis. Dans un second temps, en 1680, il donne au Séminaire tout le patrimoine acquis au sein de la colonie. La mise en commun des biens est présente à l’esprit de François de Laval lorsqu’il fonde le Séminaire de Québec où les prêtres sont au service de la mission et envoyés dans des cures qu’il aurait voulues garder amovibles. Un des règlements du Séminaire fait part de cette préoccupation de ne pas devenir propriétaire dans les charges ecclésiales : «Qu’ils (les prêtres) ne se regarderaient point comme propriétaires de ce qui leur est assigné pour leur subsistance, mais que pour pratiquer le détachement, ils lui rendraient compte tous les ans de l’administration de leur temporel.»

Dans une société en mutation, Bérulle «a voulu replacer Dieu et la religion au centre de la vie. » La prière d’adoration est au cœur de la réforme bérullienne et elle aide à maintenir l’équilibre de vie menacée par la dispersion en raison des actes. « Car la répétition de nos actes est un effet de notre actuelle dispersion. Pour y remédier, il nous faut tendre d’abord à transformer nos actes vertueux en une disposition permanente et devenir peu à peu pur regard ver Dieu. Plus nous adhérerons au dynamisme divin qui nous meut, plus nous tendrons à devenir pur acte d’adoration et d’amour. »

La prière d’adoration fait partie du quotidien de François de Laval. Lors de son séjour à l’Ermitage de Caën, François de Laval intensifie cette formation particulière. À sa mort, plusieurs témoignages confirment l’importance de la prière dans sa vie. Le frère Houssart qui a partagé les vingt dernières années de la vie de François de Laval le note à plusieurs reprises. Suite au décès de François de Laval survenu le 6 mai 1708, dans l’oraison funèbre datée du 9 mai, de la Colombière rappelle : « Passer plusieurs heures devant le saint sacrement, s’était la manière dont l’évêque se délassait de la fatigue que lui procurait son zèle. »

En 1687, lorsque François de Laval apprend que le pape ne lui permet pas de revenir à Québec suite à sa démission comme évêque, il écrit aux directeurs du Séminaire du Québec en ces termes : « Adorons les conduites de Dieu sur nous et toutes ses œuvres (…). Je n’eus pas plus tôt reçu ma sentence que Notre-Seigneur me fit la grâce de me donner les sentiments d’aller devant le Très [Saint-] Sacrement lui faire un sacrifice de tous mes désirs et de ce qui m’est de plus cher en ce monde. »

Affecté par la maladie en 1706, François de Laval ne quitte plus sa chambre. Aussi, de la France, Mgr de St-Vallier autorise Mgr l’Ancien à aménager un oratoire privé non loin de sa chambre. « J’ai écrit à Mgr de Québec sur ce que vous me proposiez, si ayant près de votre chambre une chapelle bien ornée, vous ne pourriez pas avoir le Saint-Sacrement pour votre consolation, ne pouvant aller à l’église. Ce prélat trouve très bon, Monseigneur, que vous l’y ayez et on convient que cela se peut en pareille occasion pour un évêque comme vous.» En toutes circonstances, le recours à la prière ponctue les écrits et la vie de François de Laval.

Un autre trait majeur hérité de l’école bérulienne tisse la vie spirituelle de l’évêque soit l’abandon. Le terme abandon est évoqué dans la chapelle funéraire de l’évêque de Québec que l’on peut voir dans la Cathédrale. Le mouvement spirituel promut par l’école française s’apparente peut-être aujourd’hui à ce qu’on appelle le «Lâcher prise». Pour l’école française, l’abandon est une manière d’entrer en relation avec Dieu origine de tout conduisant à un esprit d’abandon continu en la divine Providence de Dieu. « L’âme ne peut plus alors que s’abandonner, se laisser à Dieu dans la vérité de son néant devant lui». François de Laval l’expérimente à un degré remarquable à l’égard de refus difficile à accepter où il lui est demandé le sacrifice de ce qui lui est «le plus cher en ce monde». Dans la lettre aux directeurs du Séminaire, il écrit : « Il est bien juste cependant que nous demeurions perdus à nous-mêmes et que nous vivions que de la vie du pur abandon en tout ce qui nous regarde au-dedans comme au dehors. »

Pour François de Laval, Dieu est au centre de tout, il le sait et le dit. Relevant d’une maladie où il a failli mourir en 1689, il écrit: « C’est en cet état qu’on reconnaît qu’il n’y a que Dieu seul et que tout le reste n’est rien qu’un pur néant.»

FRANÇOIS DE LAVAL ET LA VIE RELIGIEUSE AU TEMPS DU CONCILE DE TRENTE

Dans cette Église en mutation, les Ordres religieux sont des artisans majeurs ayant contribués au renouvellement spirituel. Des ordres anciens se réforment et des communautés inaugurent des formes nouvelles de vie religieuse. Dans cette période de l’histoire, les capucins naissent au sein de la famille franciscaine et Ignace Loyola promeut la vie missionnaire comme moyen d’évangélisation.

Du côté féminin également, un vent de renouveau est initié apportant une problématique jamais vue. Dans les monastères féminins, une tension existe entre la vie monatisque et la vie religieuse questionnant la règle du cloître. Les congrégations nouvelles s’engagent plus activement au service de la charité et dans l’enseignement. Notons la fondation des Ursulines par Angèle de Mérici et les Filles de la Charité par Vincent de Paul. Cette originalité conduit à un nouveau type d’engagement où l’on introduit les vœux simples par opposition aux vœux solennels.

Ces institutions nouvelles sont confiées à l’autorité épiscopale et sous son entière dépendance. En France, ce nouveau type de vie religieuse s’intègre plus difficillement en raison, selon les historiens, d’une vision plus négative de la femme. «L’attachement des hommes d’Église à un rigoureux encadrement de la vie religieuse féminine corresponda à leur vision très négative de la femme. Toutefois, une historiographie récente souligne que l’innovation que représent les congrégations à vœux simples marque une victoire des femmes dans l’institution ecclésiastique. » Les monastères et couvents féminins seront des agents efficaces aidant à la réforme catholique, aidant à la promotion de ce renouveau et oeuvrant dans des secteurs nobles de la société par leur engagement caritatif. Cette précision aide à mieux comprendre les rapports que François de Laval aura avec les institutions présentes en Nouvelle-France et qui se réclament de ce renouveau religieux.

FRANÇOIS DE LAVAL ET LES COMMUNAUTÉRES RELIGIEUSES DE LA NOUVELLE-FRANCE

En prenant connaissance des rapports que François de Laval a eus avec les institutions religieuses alors qu’il est évêque de Québec, ceux-ci ne sont pas toujours faciles à nuancer. La rareté de documentation occasionne des lacunes au plan de l’information et peut entraîner une interprétation inexacte de ce qui s’est réellement passé.

Il semble important de noter que pour compléter sa formation théologique, François de Laval fait des études en droit canonique. Déjà en France, alors archidiacre d’Évreux, il aide à la réforme de deux communautés religieuses. En tenant compte de ce qui est dit au sujet du clergé français au 17e siècle à l’égard des femmes, on peut se demander quelle a été l’attitude de François vis-à-vis du sexe féminin?

L’histoire demeure très discrète à ce propos. Par contre, François de Laval posera des actions en faveur des femmes lorsqu’ils autorisent la fondation de la Confrérie de la Sainte-Famille pour ces dernières. Une Confrérie similaire existait exclusivement pour les hommes et François de Laval autorise la fondation d’une Confrérie pour les femmes de la Nouvelle-France par souci qu’elles aient, elles aussi, un lieu pour approfondir leur engagement de baptisé.

À Paris en 1659, avant de s’embarquer pour la Nouvelle-France, François de Laval donne l’autorisation à Marguerite Bourgeoys de fonder la Congrégation de Notre-Dame pour tenir des écoles dans tout son diocèse. De passage à Montréal, le 6 août 1676, il approuve définitivement cette fondation canadienne de religieuses à vœux simples.

Le 7 octobre 1671, ils accordent les mêmes autorisations pour les Hospitalières de St-Jean qui oeuvrent à l’Hôtel-Dieu de Montréal avec Jeanne Mance.

Les relations avec les Ursulines divergent d’avec les autres congrégations fémines de l’époque. Grâce aux écrits de Marie de l’Incarnation, des témoignages éloquents sur le nouvel évêque de Québec nous sont connus, mais également, des divergences de points de vue y sont notés. Le point majeur concerne la règle du cloître. Dans le contexte de la réforme du Concile, tel que souligné précédemment une modification majeure est apportée dans la vie consacrée avec l’introduction des vœux simples. Or, les Ursulines en France sont reconnues comme moniales à vœux solennels. Les Ursulines de Québec ont écrit une nouvelle constitution pour les religieuses établies ici. Cette règle ne semble pas faire l’unanimité au sein de l’Institut. Aussi, suite à sa visite régulière en 1681, après avoir parlé avec toutes les sœurs, François de Laval demande aux Ursulines de prendre la même constitution que les Ursulines en France.

Toujours dans ses relations avec les Ursulines, on sait que François de Laval est très attentif aux besoins temporels et spirituels des religieuses. Il permet qu’un directeur spirituel accompagne les Ursulines dans leur cheminement. Il est ravi de l’éducation que ces jeunes femmes prodiguent au sein de la colonie.

Ses relations avec les sœurs de l’Hôtel-Dieu de Québec manifestent cette même sollicitude pastorale. Pour un homme qualifié d’austère, il est surprenant de constater qu’il allège la règle de vie des moniales. «Pour adoucir un peu leur vie pénitentielle, il les obliga aussi de faire gras le samedi, depuis Noël jusqu’à la Purification et diminua les rigueurs de l’Avent.» Les annales de l’Hôtel-Dieu témoignent de l’évêque comme étant un «père tendrement aimé». Suite à la mort de Catherine de St-Augustin en 1668, dès 1671, il demande qu’une biographie soit écrite pour mieux faire connaître la vie de cette jeune religieuse.

FRANÇOIS DE LAVAL ET LES INSTITUTIONS MASCULINES DE LA NOUVELLE-FRANCE

Étant un ancien élève des Jésuites comme François de Laval le souligne, il est très reconnaissant de l’éducation et de la formation qu’il a recu de ces maîtres. Ces liens sont maintenus en Nouvelle-France.

En ce qui concerne les Sulpiciens à Montréal, on note que les deux Séminaires sont unis mais demeurent distincts. Cette unité est déjà présente en France entre le Séminaire des Missions Étrangères et celui de St-Sulpice à Paris.

Avec les Récollets, les relations ont été vécues différemment. François de Laval approuve le retour des Récollets au sein de la colonie le 10 novembre 1670. Ces derniers avaient dû quitter la Nouvelle-France en raison de la conquête par les frères Kirke en 1629. Dès leur retour, François de Laval leur confie des missions. Il est en faveur de leur implication évangélique et pastorale au sein de la colonie. Il les autorise à s’établir en haute-ville mais François de Laval limite leur ministère public parce qu’il considère qu’il y a déjà beaucoup d’églises en haute-ville. Les Récollets désobéissent aux consignes de l’évêque. Dans ce conflit, il est ardu de démêler les liens que les Récollets ont avec le roi qui leur a concédé des terres, avec le gouverneur Frontenac, syndic des Récollets, de même qu’avec l’évêque, au service de l’Église. Les risques d’ingérence, les luttes d’autorité et de pouvoir se chevauchent et s’entremêlent. À qui donner raison? Il est consolant de voir qu’au fil de l’histoire, la purification des intentions et des intérêts est toujours nécessaire et qu’un discernement continu doit s’exercer pour valider de qui ou de quoi nous sommes réellement serviteurs.

Ce bref retour historique atteste que les conflits entre les institutions et l’autorité écclésiale concernent l’application de normes canoniques et des règles d’interprétation disciplinaire. Dans un contexte de renouveau spirituel, tenant compte d’une Église nouvelle s’implantant en sol missionnaire où il est difficile de référer à des expériences antérieures pour éclairer les décisions, on peut expliquer ainsi les tensions saines et normales qui surviennent dans pareille situation!

En ce qui touche la vie spirituelle au temps de la Nouvelle-France, les témoignages réciproques manifestent appréciation et encouragement de part et d’autre entre des hommes et des femmes qui cherchent à missionner avec zèle et audace pour la cause du Règne de Dieu au sein d’une colonie naissante. Par l’esprit de désapprobriation qui le caractérise, on peut conclure en disant que François de Laval a cherché à servir l’Église tout en prenant le risque de perdre sa réputation au nom des valeurs évangéliques qu’il fut entêté à défendre.

FRANÇOIS DE LAVAL, SOURCE D'INSPIRATION POUR AUJOURD'HUI

Suite à ce qui vient d’être dit et partager sur la vie de François de Laval, cet homme m’apparaît comme une source d’inspiration particulière pour les enjeux de l’Église dans le monde d’aujourd’hui. L’entrée dans un nouveau millénaire suscite toutes sortes d’inquiétudes et de questionnements dans le contexte d’une société en mutation. Lorsqu’il est question de l’avenir de la vie religieuse surtout au Québec et dans les pays occidentaux, l’incertitude est également présente dans le discours de certains religieux. Certaines paroles que j’entends témoignent parfois d’un pessimiste où l’on croirait que Dieu a abandonné le peuple et son histoire puisque tout va mal dans le monde.

La fidélité de Dieu n’a-t-elle pas fait ses preuves depuis Abraham, Moise, Jésus, les apôtres et combien d’autres? Dans l’histoire de l’humanité, Dieu en a vu de toutes les couleurs mais n’est-Il pas toujours brûlé du même Amour pour son peuple? Sa fidélité a traversé des millénaires. Depuis l’Ancien Testament, la voix des Prophètes n’a-t-elle pas interpellé hommes et femmes à revenir à Dieu par la conversion du cœur là où Dieu fait sa demeure et établit l’Alliance?

Chaque mouvement de réforme n’est-il pas prophétique en interpellant à revenir à la source pour retrouver le Souffle? Si le Concile de Trente a suscité la réforme d’ordres anciens et la création de fondations nouvelles, dans la continuité de l’histoire, on peut se demander quel type de vie religieuse la réforme amorcée par le Concile Vatican II est en train de mettre au monde. Que reste-t-il à inventer après la prière, le service et la vie missionnaire? Dans un contexte de réforme, il est caractéristique de vouloir revenir au charisme de toute fondation.

Ne trouvant pas réponse à nos questions, on s’excuse en disant que notre monde a bien changé et que dans les sociétés avant la nôtre tout était différent. Aujourd’hui, les points de repères sont-ils plus difficiles à trouver? Faut-il rappeler que les réformes de l’Église ont souvent été accompagnées de mutations sociales et l’arrivée de nouvelles classes sociales: féodalité, classe de marchands, bourgeoisie, monarchie absolue, révolutions françaises, industrielles ou tranquilles, modernité, capitalisme, communisme, mondialisation ou post-modernité.

Tous ces changements n’ont pas été vécus sans conflits ni oppositions, les générations précédentes ont connu les guerres, les croisades, l’inquisition. Si les armes pour se battre ont changé, nous savons tous que les conflits armés mènent nulle part et servent une minorité voulant s’imposer. On pourrait reprendre les paroles de François d’Assise, du moine de Viterbe, de ceux et celles qui ont édifié la Nouvelle-France et mieux encore celles du Christ pour trouver dans l’Évangile une manière d’être au monde qui a, de tous les temps, pertubé les autorités civiles et ecclésiales.

L’Alliance Nouvelle inaugurée par le Christ ne vient-elle pas briser définitivement les frontières de l’égoïsme en faissant de chaque être humain un égal devant Dieu, Notre Père? Dans une société où le monde est de plus en plus un gros village se reconnaître fils et filles d’un même Père unis dans un même élan d’amour, n’est-ce pas à ce Signe que sont reconnus les disciples au service du Maître?

À sa manière et à son époque, François de Laval a cherché à suivre le Christ dans une Église en mutation et s’est mesuré aux enjeux du pouvoir, de l’avoir et du savoir. À partir donc, du quotidien de la vie de François de Laval, je dégage six orientations pouvant être importantes encore pour nous aujourd’hui.

DIEU-MAÎTRE ET AU CENTRE DES PRÉOCCUPATIONS PASTORALES

Comme premier évêque de Québec, dans cette colonie où il est venu témoigner de Celui qui le faisait vivre jusqu’au risque d’y perdre la vie à chaque traversée, François de Laval rappellerait sans doute l’importance de voir Dieu en toutes choses en s’exerçant à trouver sa présence au cœur de nos vies. François de Laval a saisi que «C’est au grand Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers en sa vigne, toute notre industrie humaine et nos soins empressés n’avancent point l’œuvre du Bon Dieu.»

Placer Dieu au centre de la vie, revenir sans cesse à Jésus-Christ dont on suit l’exemple, François de Laval a cultivé le regard évangélique du serviteur. S’étant exercé à la relecture du vécu quotidien, François de Laval éclaire ses choix et ses décisions en liens avec les valeurs évangéliques qui invitent à la prudence pour ne pas modeler ses choix sur les valeurs du monde présent selon l’expression de saint Paul: «Avoir une grande prudence pour le choix et l’ordre des choses qu’il faut faire». François de Laval a compris que «l’entreprise de la conversion des infidèles est plutôt l’ouvrage de Dieu que de l’industrie des hommes.».

Dans une société de plus en plus sécularisée, la référence à Dieu comme Maître de l’univers demeure capital. S’exercer à la relecture spirituelle ne favorise-t-elle pas un regard critique sur les choix et les décisions à prendre pour demeurer fidèle au Maître et ne pas en servir d’autres à la place?

AUTHENTICITÉ DU TÉMOIGNAGE COMME CHEMIN D'ÉVANGÉLISATION

François de Laval a saisi l’impact et les conséquences de l’exemple comme premier témoignage apostolique avant de passer à la parole comme moyen d’évangélisation. François de Laval a compris le danger des incohérences qui peuvent mettre en péril le succès des initiatives évangéliques si louables soient-elles?

Dans une société où les paroles affluent, les témoignages crédibles sont de plus en plus rares. Il est toujours pertinent de se rappeler que l’exemple entraine et qu’il fut priorisé par l’Évêque dans l’Église de la Nouvelle-France soucieuse d’évangélisation.

CULTIVER UNE VIE INTÉRIEURE POUR SAUVEGARDER L'ÉQUILIBRE HUMAIN

Un des conseils adressés aux missionnaires souligne que la bouche doit parler de l’abondance du cœur. François de Laval a compris et expérimenté la nécessité de se nourrir intérieurement par une vie de prière sans compromis. Si les contenus de sa prière sont peu nombreux, les personnes témoignant l’avoir vu en train de prier, confirment qu’il a consacré du temps à cette priorité dès son enfance jusqu’à sa mort.

Dans un monde sécularisé où nous sommes portés à nous laisser accaparer par les tâches à accomplir, il peut être bon de se rappeler que même à l’époque de la Nouvelle-France, François de Laval a eu à maintenir l’équilibre entre action et contemplation. Il a compris que tout changement commence par l’intérieur en cultivant des espaces de gratuité pour se retrouver seul à seul avec Dieu.

Le besoin de spiritualité et le retour au silence qui se fait pressentir de diverses façons n’est-il pas prémisse de ce besoin d’intimité intérieur que réclame chaque humain pour donner sens à sa vie? Comme religieux et religieuse dans un monde actif et performant, ne devrions-nous pas être là pour donner l’exemple?

À LA DÉFENSE DE LA DIGNITÉ HUMAINE EN PRIORISANT LES PAUVRES ET LES SANS-VOIX

Dans les enjeux politiques et économiques de la Nouvelle-France, François de Laval s’est porté à la défense des pauvres et des sans-voix. Il est allé au bout de la lutte contre la traite de l’eau-de-vie, ne craignant pas de perdre sa réputation, faisant face à toutes persécutions en priant même pour ceux et celles qui le persécutaient. «La manière hardie est intrépide dont il s’est toujours déclaré pour le bien, lui a attiré toute sorte de persécutions, mais jamais aucune ne l’a pu faire plier contre l’intérêt de Dieu, ni altéré le moins du monde l’amour tendre et affectif qu’il a toujours eu pour ses persécuteurs. Toujours prêt à repousser leurs coups et toujours prêts à faire du bien».

Dans une société ou l’écart entre riches et pauvres s’accentuent, l’éloquence du témoignage de celui qui a eu à exercer un pouvoir politique et religieux indique la voie à privilégier jusqu’au péril de sa réputation, paré à faire face à la persécution.

Les gens de la Nouvelle-France ont vu l’évêque en train de balayer le plancher, faire les lits, donner de son temps et de son argent aux habitants de son diocèse. Il l’a visité plus d’une fois et il s’est fait proche des gens. Il a simplement servi en étant vigilant, il a su poser des gestes qui ne firent pas l’unanimité au risque de déplaire et de perdre quelques amis.

ÊTRE CRÉATEUR DANS LES MOYENS D'ÉVANGÉLISATION

Attentif aux signes de l’Esprit, François de Laval a été créateur et innovateur. Il fut là pour encourager et soutenir les fondations existantes. Il autorisa encore la fondation de communautés nouvelles à la recherce de sentiers novateurs pour que le nom du Christ soit connu. Il fut lui-même artisan et fondateur de chemins neufs pour l’évangélisation de tous en demeurant fidèle à l’Église.

Sa sollicitude pastorale et son zèle missionnaire encourageraient sans doute tous les efforts mis de l’avant pour aller porter l’Évangile à ceux et celles qui en sont éloignés. Deux priorités gagneraient peut-être encore son cœur : les jeunes et les familles. Lorsque François de Laval autorise la fondation de la Confrérie, il est préoccupé par le besoin spirituel des familles de sa colonie. La fondation du Séminaire, du Petit Séminaire et de l’École d’Arts et Métiers de St-Joachim ne sont-elles pas la preuve que la formation des jeunes est au cœur de ses priorités pastorales?

MAINTENIR UNE ATTITUDE D'ABANDON DANS UN ESPRIT DE DÉSAPPROPRIATION

Dans l’esprit de désappropriation qui caractérise la vie spirituelle de François de Laval, ce dernier a saisi qu’il n’est que de passage en ce monde et qu’il doit tout miser en faveur de Dieu qui est Tout. Ici se rencontrent très bien François d’Assise et François de Laval dans la dimension pérégrinante de toute vie humaine. Nous ne sommes que des pèlerins et des étrangers en ce monde dira François d’Assise en s’inspirant de Pierre.

Dans un nouveau millénaire, où la joie de vivre et d’exister est en crise en éclipsant la question du sens à la vie en privilégiant une consommation effreinée en quête de profits et de performance. Cherche-t-on en vain à s’installer en ce monde comme pour y vivre toujours? Choisissons-nous le suicide comme moyen de protestation pour ne plus vivre en ce monde et aller voir s’il n’y a pas autre chose?

Le fondateur de l’Église de Québec, comme le mendiant d’Assise, nous interpelleraient sans doute à témoigner de la joie de vivre sous le regard gratuit de l’Amour de Dieu. Ils nous convieraient à nous attacher à Dieu sans réserve en lui abandonnant toutes nos entreprises puisqu’Il est le Maître et que nous sommes ses serviteurs. Ils nous convoqueraient à la foi capable de déplacer les montagnes et de bouleverser toutes les statistiques.

Il nous rappellerait encore que l’engagement dans la vie religieuse par la profession des conseils évangéliques porte en lui-même ce rappel de l’itinérance dans sa dimension eschatologique. À chaque tournant de l’histoire, les conseils évangéliques ont servi de signe prophétique pour interpeller l’Église et la société dans ses passages où l’être humain est tenté de se construire en oubliant Celui qui est à l’origine du monde.

À l’égard du Dieu argent qui peut s’imposer comme absolu, la pauvreté ne cherche-t-elle pas à proposer un chemin de partager pour de meilleures solidarités? À l’égard d’une vie sexuelle qui peut engendrer des déviations dans la compréhension de l’amour, la chasteté n’est-elle proposée comme une manière libre et respectueuse de vivre ses amours sans possesivité? À toute forme de pouvoir cherchant à s’imposer par la force ou la puissance, l’obéissance n’est-elle pas proposée dans un esprit de service désarmé et désarmant en écoutant la voix du Maître pour lui obéir? 

CONCLUSION

Au terme de cet article, on peut me reprocher d’être impartiale et d’avoir dépeint un François de Laval plutôt sympathique. Suis-je devenue un peu complice de cet homme souriant sous les traits d’un gisant de bronze que je retrouve régulièrement dans sa chapelle funéraire? De François de Laval qui meurt âgé de 85 ans, de la Colombière dira : «Est-il possible qu’il soit mort cet homme qu’on avait tant de plaisir de voir vivre et dont la mémoire ne mourra jamais.» Auprès de ses contemporains, François de Laval laisse le témoignage d’un bon vivant et d’un fidèle serviteur de Dieu. L’Église a reconnu cette figure remarquable dont la béatification en a été le sceau en 1980.

Dans cette chapelle où il repose en paix, j’entends parfois l’écho de cette hymne : «Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix.» François de Laval a accompli sa tâche. Son sourire narquois semble me dire, j’ai servi fidèlement le Maître à mon époque, c’est à ton tour maintenant. Je l’entend qui ajoute : n’oublie pas le Christ et son Évangile, médite en ton cœur «ces paroles de l’Évangile : Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il en souffre au détriment pour son âme?»

Soeur Doris Lamontagne, p.f.m.,
Responsable du Centre d'animation François-de-Laval
20, rue De Buade
Québec, Qc
G1R 4A1

Adresse électronique: centre.francois.laval suivi du signe arobas et de patrimoine-religieux.com



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Dernière mise à jour 4 novembre 2005