Pour l’élargissement du bureau politique FLN et contre la dissolution des partis ( 7 Décembre 1962 )
Pour une enquête sur l’attentat contre Mohamed Khemisti (11 Avril 1963 )
Sur le dossier de la sûreté nationale (12 Avril 1963)
Contre l’arrestation de Boudiaf et pour un débat sur la dégradation de la situation ( 25 Juin 1963 )
Pour une séparation de l’exécutif, du législatif et du judiciaire ( 22 Juillet 1963 )
Pour l’élargissement du bureau politique FLN et contre la dissolution des partis ( 7 Décembre 1962 )
Séance
du vendredi 7 décembre 1962
Déclaration devant l’Assemblée Nationale Constituante
Le
gage le plus sûre, le plus important pour l’édification solide de notre pays
c'est l’élargissement de la base du pouvoir, car le pouvoir personnel ou
oligarchique conduit à la paresse, au laisser-aller et à la passivité. Il nous
est impossible, quelles que soient nos décisions, quels que soient les moyens
mis à notre disposition: capitaux, assistance technique, culturelle d'édifier
notre pays si l'enthousiasme populaire fait défaut, si le peuple ne participe
pas à cette édification avec ferveur et si nous ne créons pas les conditions
psychologiques d'un renouvellement d'automobilisation.
Donc
chers frères, chères sœurs, je souhaite que le bureau politique soit élargi le
plus rapidement possible dans des proportions qui donneront satisfaction à
l'ANP, aux ouvriers, aux étudiants et paysans. Il faut trouver des solutions
qui soient de nature à faire renaître l'enthousiasme et à relever le moral du
peuple. Car l’enthousiasme qui constitue notre capital, aussi bien en temps de
paix qu'en temps de guerre c'est l'enthousiasme des élites qui constituera la
force du Parti.
Et un parti fort et organisé qui jouit de la
confiance du peuple n'a nul besoin de dissoudre un autre parti comme le parti
communiste algérien. Il me semble au contraire, qu'il serait bon que ce parti
puisse se maintenir, car il jouerait un rôle de stimulant ainsi que d'autres
organisations révolutionnaires. Je pense que la prééminence du parti FLN n’entraîne
pas nécessairement l’unicité.
Ce
qui me parait important, c'est que tous ceux qui ont milité‚ avec le peuple et
participé‚ d'une façon conséquente à la lutte se rencontrent pour bâtir
ensemble l'avenir en toute confiance et sans exclusivité.
La
presse et le peuple pourraient alors librement s'exprimer. Les critiques venant
aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur seraient permises et celles
formulées au sein du parti lui-même seraient consolidées à tel point que les
critiques émanant de l’extérieur ne lui porteraient nullement préjudice.
Il
y a des urgences souveraines. Il faut assurer à nos fellahs, à nos ouvriers, à
nos chômeurs le pain quotidien, le logement et l'habillement minimum. C'est un
devoir impérieux de satisfaire ces besoins élémentaires face à une saison
d'hiver qui s'annonce difficile. La Commission parlementaire mobiliserait
l'opinion mondiale, non seulement pour subvenir à ces besoins, augmenter notre
avoir en devises, et pour demander une assistance massive en équipement et en
matériaux.
J'ai
parlé du chaptel. C'est un fait que dans certaines régions, les fellahs ne
peuvent tirer leurs subsistances que de l’élevage. La guerre a supprimé cette
ressource. Comment la renouveler ? Nous demandons à l'opinion publique mondiale
de consentir elle-même des réparations non formelles. La reconstitution de
notre chaptel aidera, par ailleurs, à réamorcer l'opération-labours,
l'opération-reproduction.
Monsieur
le Président, frères et sœurs ! J'estime de mon devoir est de soulever ici un
problème du Parti.
Vous
pourriez et c'est de votre droit le plus absolu de demander: pourquoi partisan
de l’élargissement du buureau politique n'avez-vous pas accepté d'en faire
partie ? Je suis prêt à m'expliquer à tout moment. Je voudrais que les dossiers
des responsabilités de la crise soient ouverts.
C'est
une question d’opportunité. A un certain échelon, ce n'est plus la morale de la
conviction, du sentiment, d’émotion qui doit compter: c'est la morale de la
responsabilité‚ et nous devons faire attention aux conséquences de nos actes.
(Applaudissements)
Hocine Ait-Ahmed
Assemblée Nationale Constituante
Intervention de Mr Hocine Ait-Ahmed
Monsieur
le Président, mes frères, mes sœurs! Le débat d'aujourd'hui prouve et affirme
la souverainté de cette assemblée, comme il exprime le désir de notre peuple de
connaître ce qui se passe dans le monde, de suivre les événements
internationaux et de connaître la politique suivie par le gouvernement pour
faire face à ces mêmes événements.
Notre
révolution à une vocation internationale; c'est pourquoi nous saluons tout ce
débat et nous espérons son renouvellement chaque fois que l'occasion se
présentera, pour que l’assemblée nationale constituante puisse avoir la
possibilité‚ d'exprimer les désirs et les besoins du peuple et aussi pour
appuyer la politique du gouvernement, en prouvant qu'elle est celle de
l’assemblée.
C'est
avec intérêt que nous avons écouté le discours de M. le ministre des affaires
étrangères et son analyse juste de la situation internationale. Nous approuvons
tous les principes qu'il a énoncés et toutes les mesures qu'il a prises en vue
de l'application de ces principes.
Il faut que le gouvernement sache que l’assemblée nationale constituante l'aidera
et l’appuiera chaque fois que les droits de la patrie seront en jeu et toutes
les fois qu'il prendra des mesures énergiques pour assister un pays frère en
difficulté.
En ce qui concerne l'analyse de ce matin,
j'ai quelques petites remarques à faire et aussi quelques suggestions.Après les journées sombres qu'a vécu le monde et qui ont failli le précipiter dans la
destruction et le suicide deux facteurs sont apparus.
Le premier facteur concerne la décision des Etas-Unis de lever le blocus Cuba.
Le deuxième facteur concerne le cessez-feu décidé par la Chine populaire à la
frontière sino-indienne.
Nous accueillons avec satisfaction ces deux décisions, mais nous nous demandons
aujourd'hui : le dénouement de cette crise est-il définitif ou cache-il
d'autres dangers?
Personnellement, je dis ces dangers
subsistent. Pourquoi?
Après
la défaite vient le revanche. L'Union Soviétique a beaucoup perdu de son
prestige à Cuba, peut-être choisira-t-elle d'autres parties du monde pour
prendre sa revanche? Car, si Cuba représente un important enjeu pour les
États-Unis, Berlin-Ouest, par exemple, est un pion névralgique non moins
important pour l’Union Soviétique.
J'attire
l'attention de mes frères de l’assemblée sur une information publiée
aujourd'hui dans la presse qui fait état d'un accord américain-soviétique.
Cette information est significative, elle est grave, nous devons l’étudier et
en saisir la portée.
Certes,
nous sommes heureux d'enregistrer la détente intervenue à Cuba sur laquelle
l’impérialisme a relâché son emprise. Mais qu'est venue faire l’Union
Soviétique à Cuba? Mes frères, mes sœurs, l'accord sovieto-américain, nous
renvoie à la politique du partage du monde en zones d'influence. Cuba
dispose-t-elle d’elle-même, ou non? Si elle est libre de disposer d’elle-même,
il faut constater que cet accord, qui est intervenu en dehors d'elle bien qu'il
ait servi aujourd'hui à sortir de l'impasse et à éviter une guerre mondiale,
n'en constitue pas moins un précédent dangereux pour l'avenir du monde.
Ce
précédent, il nous faut le dénoncer et le condamner, car il démontre que ces
grands
qui
possèdent des armes atomiques et nucléaires veulent se partager le monde dans
le mépris et la violation des principes de l’indépendance et de la libre
disposition. Il importe de souligner que cet accord nous fait penser à celui
d'Algesiras, du temps ou les grandes puissances se rencontraient et se
partageaient le monde en zones d'influence.
Cela,
il nous est impossible de l'accepter !
En
effet, le peuple algérien qui a tant sacrifié pour sa liberté et son
indépendance n'accepte pas qu'on porte atteinte à la liberté‚ dans quelque
partie du monde que ce soit.
La
véritable portée de ce précédent vient de ce que l'entente des deux grandes
puissances nucléaires met bien en évidence la division du monde en deux : d'un
coté‚ les puissances industrielles et d'un autre les pays économiques
sous-développés. Si ces puissances poursuivaient leurs politiques, l'on
assisterait sur le plan économique aux phénomènes suivants: les zones fortes
deviendraient de plus en plus fortes et les zones faibles deviendraient de plus
en plus faibles.
Derrière
le monopole politique, il y a eu en effet le monopole économique dont M. le
ministre a parlé.
Face
à ce processus monopolisateur, nous assistons
à des regroupements économiques. Notamment le marché commun, dont a
parlé‚ le frère ministre et le désir de la Grande-Bretagne d'y adhérer.
Cette
monopolisation a eu pour conséquence l'existence des bases militaires, parce
qu’aussi longtemps que le monde demeurera divisé en deux blocs, les deux grands
chercheront à accroître le nombre de
leurs bases militaires dans les pays d'Afrique, d'Asie, et Amérique latine,
évidemment, notre politique neutraliste est opposée à la politique des bases militaires.
Mais,
si la Grande-Bretagne et d'autres puissances ont senti le besoin de s'unir à
plus forte raison devenons-nous nous-mêmes prendre conscience de la nécessité
d'un regroupement et de l'union des peuples d’Afrique, d'Asie et d’Amérique
latine.
L'intervention
combinée des États neutralistes n'a jamais été aussi nécessaire à l’humanité.
Les
pays sous-développés représentent plus de 3/4 de la population mondiale. Mais
cette importance numérique est sans effet : si le monde est en danger, ces pays
n'ont pas la possibilité d'intervenir. Un frère a parlé ce matin du danger
d'"apathie" dans l'opinion. C'est vrai. Le monde a failli être
détruit, nous avons failli sombrer dans l'apocalypse, ni les peuples, ni les
élites ne prirent conscience du danger.
L'Union
Soviétique et les États-Unis disposent de l’humanité. Ils provoquent des
crises, des situations explosives et ce sont eux à l'exclusion du tiers-monde
qui règlent ces situations. Il faut reconnaître que le monde a capitulé devant
les États-Unis et l’Union Soviétique.
Devant
cette politique des grandes puissances, je propose à notre gouvernement
d'entreprendre des démarches et une campagne afin de faire convoquer une
nouvelle conférence de Bandung, mais étendue cette fois à l’Amérique latine et
à tous les pays qui sont concernés.
Cela
est nécessaire. Nous pouvons dire que nous sommes plus que le
"tiers-monde" pour la bonne raison que nous sommes le monde lui-même.
D'aucuns
disent, en effet, que le terme "tiers-monde" n'est pas exact. Il
s'agit du monde en tiers, parce que nous représentons la majorité de
l’humanité. Et puis, ce terme suppose une symétrie qui n'existe pas. En fait,
nous sommes pris dans une tenaille, l’Union Soviétique d'un coté‚ et les
États-Unis de l'autre, chacune de ces puissances cherchant à grignoter les
positions de l'autre en nous avalant. Si nous demeurions absents,
inorganisés, nous ne cesserions pas
d’être la proie des influences économiques, militaires ou politiques des
États-Unis ou de l’Union Soviétique. Les récents événements ont donc souligné
la pressante nécessité de convoquer une seconde conférence de Bandung tenue cette fois-ci en Amérique latine.
Pour
faciliter l'organisation de cette conférence, je propose que notre gouvernement
envoie des délégations en Inde et en Chine, afin que le cessez-le feu puisse
ouvrir la porte à l'entente, les deux parties étant jusqu’à l'heure actuelle
hésitantes quant à la conclusion d'un accord même provisoire.
Notre
pays jouit de l'estime de ces deux pays, il est du devoir de notre gouvernement
de jouer un rôle en contribuant au règlement pacifique du différend
sino-indien. Ce faisant, nous aplanirons les difficultés et faciliterons la
réunion de la conférence de Bandung. Il est d'ailleurs regrettable que les
Indiens n'aient pas toujours été d'accord pour la réunion d'une telle
conférence. La conférence de Bandung permettra aux peuples du tiers-monde de
s'organiser et d'avoir leur mot à dire dans toutes les questions internationales
telles que le désarmement, l’arrêt des expériences nucléaires, les bases
militaires. De même pour que nos
efforts soient couronnés de succès dans la lutte que nous menons en vue de la
liquidation du colonialisme, une seconde conférence de Bandung à laquelle
participeront les pays présents à Belgrade et auront à jouer un rôle de premier
plan, cette conférence se doit de fixer une date à l'accession à l’indépendance
de tous les pays encore colonisés.
C'est
avec satisfaction que nous avons tous appris le dépôt par notre délégué à
l'O.N.U, d'une résolution tendant à fixer une date à l'accession à
l’indépendance de tous les peuples actuellement sous domination étrangère.
Cependant, cette résolution resterait lettre morte si la conférence de Bandung
ne prenait pas les dispositions nécessaires et ne mettait pas tout son poids
dans la balance en vue d'imposer le respect et l'application de ces
résolutions.
Il
nous fait aussi combattre la monopolisation économique dans le monde. En effet,
le commerce international nous échappe, les marchés et les matières premières
se trouvent sous la coupe des "Grands". Ce sont ces mêmes
"Grands" qui fixent le cours des produits nécessaires à la
subsistance des pays sous-développés ( le chaos au Ghana, le coton de
l'Egypte...et partout ailleurs, caoutchouc de Ceylan). Il faut y mettre fin.
Mais pour que les peuples sous-développés puissent faire entendre leur voix, il
faut jeter les bases d'un système économique de défense.
Telle
est ma proposition à l’assemblée nationale constituante. Voici maintenant une
autre suggestion. Nous approuvons entièrement la déclaration du gouvernement
relative à sa politique arabe et maghrébine. Néanmoins, je considère que
l’unité maghrébine doit passer par l'harmonisation de nos politiques de développement
et de nos planifications respectives. Faisons des projets communs de
développement, même limités ! Soyons pragmatiques! C'est la meilleure méthode
d'unification. Certes, les facteurs effectifs et culturels peuvent aider à
l'instauration d'un climat. Mais, l’unité ne peut se concrétiser qu'à la faveur
des réalisations économiques, qu'en agissant sur l’économie.
Si
nous parvenions à créer une zone économique à la frontière algéro-marocaine et
une autre frontière algéro-tunisienne, et à obtenir que nos frères marocains et
tunisiens y participent, la question des frontières deviendrait me semble-t-il
bien futile. Quant aux peuples du même coup, nous leur tracerions des objectifs
de lutte commune.
J'approuve
de tout cœur la reconnaissance par notre gouvernement de la République
Yéménite. Je tiens à saluer le peuple Yéménite frère pour son combat contre les
féodalités et contre l’impérialisme.
Mais
soyons prudents! Ce peuple ne doit pas tomber dans les pièges de
l’impérialisme. Nous devons lui éviter de tomber dans une guerre inutile et
meurtrière. Je suggère que notre
gouvernement effectue des démarches vers les autres États frères, aussi bien au
sein de l'O.N.U. que hors de cet organisme, des démarches pour amener les
grandes puissances à reconnaître la République Yéménite. Car, si la
Grande-Bretagne, les États-Unis et les autres puissances reconnaissent la
République yéménite, les intrigues ne
se trouvent pas les intérêts sacrés de la nation et du peuple du Yémen seront
frappés d'impuissance.
Telle
est mes frères la suggestion concernant le Yémen.
En
ce qui concerne les accords d'Evian, nous soutenons notre gouvernement dans son
désir de bâtir la coopération avec la France sur des bases saines. Nous
soutiendrons toute mesure prise pour la sauvegarde des intérêts du peuple et
saluerons tout pas en avant que notre gouvernement fera dans l'application des
principes de la révolution.
Comme
l'a dit le Dr Heddam, la loi ne crée pas la conjoncture sociale, mais en est
l'expression. Sans doute ces accords avaient-ils une valeur dans les
circonstances déterminées.
Mais
la conjoncture évolue; il serait bon que la loi suive l’évolution de celle-ci.
Nous estimons souhaitable en particulier
une évacuation volontaire des troupes françaises.
Il
est vrai que sans que cela fasse l'objet d'une grande publicité dans la presse,
nous voyons les troupes françaises se regrouper et se retirer, ce qui est de
nature à créer un climat politique propice à l'assainissement des fondements de
la coopération. Pour ma part, je me réjouis de toute mesure efficace - même si
elle est prise dans le silence - et je la soutiens.
Je
demande à notre gouvernement de ne pas hésiter, s'il le juge utile à prendre
des mesures tendant au rajustement des accords d'Evian. Nous le soutiendrons en
cela, parce que nous savons qu'un tel réajustement sera demandé d'une façon
responsable.
Néanmoins,
je voudrais, à ce propos attirer l'attention de notre gouvernement sur la fuite
des capitaux. Il nous faut trouver une solution à cette hémorragie car il est
impossible que notre pays se relève si les capitaux le désertent: il
deviendrait un puit sans fond, quand bien même les capitaux y afflueraient de
tous les coins du monde.
Si
nous ne trouvions pas une solution à ce problème par voie de négociation avec
la France- notre économie connaîtra de graves difficultés.
Je
termine en exprimant le souhait que la politique extérieure de la révolution
contribue efficacement à la réalisation des objectifs de celle-ci.
Cependant,
toute politique étrangère reflète sa situation intérieure. Il importe par
conséquent et en tout premier lieu d’opérer un redressement intérieur qui seul
redonnera à notre révolution son épanouissement international.
Pour une enquête sur l’attentat contre Mohamed Khemisti (11 Avril 1963 )
Assemblée Nationale Constituante
Intervention de Mr Hocine Ait-Ahmed
Monsieur
le Président, chérs frères et sœurs, on vient comme l'a déclaré notre président
de perpétrer un attentat contre le prestige de la révolution algérienne en la
personne de notre ministre des Affaires étrangères.
Le
pays tout entier est bouleversé par cet attentat parce que notre peuple en a
assez du sang, en a assez de la mort, en a assez des crimes.
Notre
peuple veut vivre en paix, car la paix est la condition objective minimale sans
laquelle rien ne pourra se faire.
La
paix, le retour à la fraternité sont les bases essentielles pour cette révolution de continuer sur sa
lancée.
L’assemblée
est donc unanime à s’élever contre ce crime odieux. Mais, en tant que
législatif, et parce que le frère Khemisti est membre de ce législatif avant
d’être membre de l’exécutif nous demandons que cette assemblée soit informée de
l’évolution de l’enquête que l’exécutif nous a promis de mener à bon terme.
Je
m'associe avec ferveur aux gestes de sympathie que les frères Abbas et Bitat
ont témoigné à l’égard du frère Mohammed Khemisti et de sa famille.
Sur le dossier de la sûreté nationale (12 Avril 1963)
Assemblée Nationale Constituante
Intervention de Mr Hocine Ait-Ahmed
Monsieur
le Président, mes chérs collègues, j'avais l'intention de présenter un
amendement analogue à celui de Melle Belmihoub. Il paraît maintenant sans objet
et c'est pourquoi je le retire.
En
vérité pour résoudre le problème de la sûreté nationale, le gouvernement
devrait comme l'a demandé un frère député à répondre à la question suivante :
selon quels critères a-t-on réparti les crédits entre les ministères?
Car,
si nous confions au gestionnaire d'un bain public la tâche de mettre en œuvre
un programme déterminé, il va de soi que ce gérant donnerait à son
établissement une importance d'autant plus grande qu'il demanderait des crédits
importants.
De
même, un gérant d’hôtel ne manquerait pas de prôner les avantages du Tourisme
et d'insister sur le rôle que cette branche est appelée à jouer sur le plan de
l’économie nationale, ceci bien entendu, dans le dessein d'obtenir également
des crédits importants.
Ces
exemples paraissent sans doute grossiers, simplistes. Cependant, si j'ai tenu à
les citer ce n'est que pour démontrer l'importance que j'attache au principe
des critères.
Certes,
lorsque nous confions des lourdes responsabilités au directeur général de la
Sûreté nationale et nul n'ignore l'importance de la Sûreté nationale surtout
dans un pays révolutionnaire, ce haut fonctionnaire pour mener à bien sa tâche
demandera le maximum de crédits.
Cependant,
il s'agirait de savoir si cette importance conférée à la Sûreté nationale est
bien le fait du gouvernement, car il y a un ordre de priorité‚ dont il faut
tenir compte.
C'est
ainsi que l'enseignement doit passer avant la police. C'est sur cette base, sur
ce critère que des crédits devraient être étudiés et par la suite répartis.
Personnellement,
je soutiens l'amendement de Melle Belmihoub, car la valeur intrinsèque de
l'enseignement est aussi celle de la Révolution.
D'autre
part, je constate que beaucoup de militants sont recrutés pour servir dans la
police, alors qu'ils n'ont pas le niveau d'instruction nécessaire leur
permettant d'assumer ces responsabilités. Pour ces militants, il serait
préférable de les diriger vers les centres de formation professionnelle après
quoi ils pourraient être versés utilement dans des secteurs productifs.
Mais,
cela va nous ramener aussi à cette autre question que la 1ère Commission a déjà
posé au gouvernement : la réforme administrative.
En
outre, il n'est pas facile de réduire les crédits de la Sûreté nationale sans
risquer de compromettre l’activité de cette administration.
Si
l'action de la Sûreté nationale ne s'inscrit pas dans le cadre de la réforme
administrative, si nous ne confions pas de responsabilités aux collectivités
locales pour leur permettre de prêter leur concours dans le domaine de la
sûreté publique par exemple, il serait alors impossible, voir irrecevable
d'envisager la réduction du budget de la Sûreté nationale.
Mais
si, au contraire, le gouvernement veut bien examiner cette question
parallèlement au problème de la réforme administrative, alors les collectivités
locales pourraient utilement contribuer au maintien de la sûreté publique et le
peuple lui-même y participera.
Mes
chérs frères, si nous prévoyions au titre du budget de la Sûreté nationale un
crédit de 15 milliards, si comme je crois le savoir la dotation définitive de
ce budget atteignait 19 milliards, nous pourrions dire alors que cela n'est ni
raisonnable ni même conforme à l’intérêt de notre pays.
Mais,
si nous dotions ce budget d'un crédit de 15 milliards seulement, ainsi que le
demande un de nos collègues cela obligerait les dirigeants de Sûreté nationale
à prendre leurs responsabilités. Les crédits supplémentaires ou reliquat
pourraient être alors mis à la disposition du ministre de l’éducation nationale
pour lui permettre de faire face aux nécessités de la rentrée scolaire.
Contre l’arrestation de Boudiaf et pour un débat sur la dégradation de la situation ( 25 Juin 1963 )
Assemblée Nationale Constituante
Intervention de Mr Hocine Ait-Ahmed
Monsieur
le Président, mes chérs collègues, l’assemblée est maîtresse de son ordre du
jour.
Cependant,
nul d'entre nous ne peut freindre d'ignorer la dégradation de la situation
générale dans notre pays. Les quelques incidents, les quelques manifestations
pacifiques ou violentes que l'on vient d'enregistrer reflètent cette
dégradation. L'arrestation du frère Boudiaf et de quelques autres militants
aggrave ce processus.
Monsieur
le président, mes chérs collègues, il est de notre devoir d'examiner cette
situation. Nous en sommes responsables au même titre que l’exécutif parce que
nous sommes tous issus du même parti : le F.L.N
Nous
n'avons pas le droit de dire que le gouvernement est seul responsable pour fuir nos responsablités, car nous
sommes tous concernés, et d'autant plus que nous sommes l’assemblée nationale
constituante, que nous détenons la souverainté.
Monsieur
le Président, mes chérs collègues, le président Abbas a pris ses
responsabilités dans son interview à " Jeune Afrique". Il a fixé ses
positions. Je me suis laissé dire que cette opinion reflétait celle de
l’assemblée nationale constituante. Aussi il importe que nous sachions tous
ici, si les positions du président Abbas reflètent l'opinion de l’assemblée
toute entière ou si au contraire, nous avons chacun des responsabilités à
prendre face au tournant socialiste que le gouvernement fait prendre au pays.
Mes
responsabilités, je les ai déjà prises. Moi je dis la bourgeoisie se trouve au
sein du régime; c'est de la qu'elle peut saboter le régime socialiste, diviser
les éléments révolutionnaires et empêcher que se réalise l’unité de ceux qui
veulent la mener à bon port.
Monsieur
le Président, mes chérs collègues, des bruits fantaisistes circulent. Je viens
d’écouter "Europe 1" qui annonce que Mr Ahmed Francis aura des ennuis
à son arrivée!
Sommes-nous
chez Duvalier ou sommes-nous en Algérie?
Il
faut couper court à ces rumeurs fantaisistes. Le Gouvernement a jugé
nécessaire, utile d’arrêter Boudiaf, qui est un frère de combat. Qu'il nous
dise pourquoi il l'a arrêté, qu'il saisisse l’assemblée de cette arrestation,
quitte à fixer une date. Il devrait donner l'explication quand l’enquête aura
aboutie.
Je
demande en conséquence à cette assemblée avant de passer à l'ordre du jour,
d'ouvrir un débat général afin que nous puissions poser en toute franchise, en
toute fraternité, les problèmes et trouver -avant qu'il ne soit trop tard- les
solutions qu'il faut.
Merci,
Monsieur le Président.
Pour une séparation de l’exécutif, du législatif et du judiciaire ( 22 Juillet 1963 )
Assemblée Nationale Constituante
Intervention de Mr Hocine Ait-Ahmed
Monsieur
le Président, mes frères, j'ai parlé, au cours de la dernière séance du danger
de créer un précédent en revenant sur la décision qui avait été prise. De quoi
ai-je parlé ? Je n'ai pas parlé d'un sujet qui me paraissait secondaire à coté
d'autres questions essentielles qui se posent à l’assemblée.
Je
suis intervenu dans le seul but d'essayer de rendre sa dignité à cette
assemblée de mettre en lumière le rôle fondamental qu'elle doit jouer dans tous
les domaines. C'est dans cette perspective que se situe mon intervention.
Monsieur
le Président, je profite de cette occasion pour dire quelques mots à ce sujet.
Il est du devoir de l’assemblée d'assumer son rôle. Les députés comprennent que
ce rôle est le leur. Monsieur le Président tout le premier.
Mais
comment M. le Président a-t-il pu faire à un journal une déclaration dans
laquelle il proclame que cette assemblée est "solidaire" du
gouvernement?
Je
dis que l’assemblée n'est pas "solidaire" du gouvernement.
L’assemblée a un rôle spécifique, qui est de légiférer et de contrôler le
gouvernement.
Dans
tous les pays, sous tous les régimes, il y a séparation entre l’exécutif, le
législatif et le judiciaire. Il y a des pouvoirs qui s'opposent, d'autres qui
coexistent dans le respect mutuel, d'autres enfin qui coopèrent.
Nulle
part, il n'est question de "solidarité". Pour permettre à l’assemblée
de jouer son rôle historique, je demande à M. le Président de prendre quelques
précautions lors de ces déclarations, parce que nous défendons la souverainté
de notre assemblée.
D'autre
part, parce que tous les frères avec lesquels je me suis entretenu sont
convaincus que si après le vote acquis de l'article 6, nous étions passés
immédiatement à l'examen de l'article 7, nous n'aurions pas été amenés à ce
débat.
Je
ne dis pas cela pour m'opposer à M. le Président. Je le dis pour démontrer le
rôle historique que doit jouer l’assemblée.
Pour
cela, il faut que les députés respectent notre règlement intérieur.
Une
autre question a été posée par le frère Haroun. Cette proposition ne touchant
pas le fond du problème, le président aurait du consulter l’assemblée, pour
savoir si les députés étaient pour le débat immédiat ou son report à lundi afin
d'avoir le texte réimprimé.
Cela
aurait contribué à nous éviter toutes ces difficultés.
Soucieux
de la dignité de cette assemblée, j'ai tenu à faire ces remarques. Et je
demanderai à M. le Président de prendre à l'avenir les mesures nécessaires pour
faire respecter le règlement intérieur et sauvegarder le prestige de notre
assemblée.