Message de Hocine Ait-Ahmed
                                                                   aux familles des disparus
                                              à l’occasion de l’innauguration du siège de SOS disparus
                                                             à Alger, le 15 septembre 2001

 

Chères compatriotes et mes chères sœurs,

 C'est un honneur pour moi de m'adresser à vous qui incarnez le courage, la fidélité, l'incorruptibilité et toutes nos traditions d'honneur qui n'ont pas cédé au délabrement spirituel et politique de notre formidable société.

A cette formidable jeunesse en quête de sens de respect et d'espoir crédible, vous avez donné deux exemples inestimables :

 1/ votre survie et votre résistance physique à toutes les épreuves, d'une part ;

 2/ et d'autre part votre existence et vos luttes citoyennes.

Survivre à vos angoisses sans fin ne témoigne-t-il pas déjà d'une grandeur d'âme exceptionnelle ?

 Depuis des années et chaque jour que Dieu fait - avec sa nuit - vous déployez des efforts surhumains pour retrouver vos êtres chers enlevés devant témoins par « les forces de sécurité » ou pour le moins connaître le sort qui leur à été réservé. Lorsque l'on sait, par ailleurs que vos démarches discrètes, vos suppliques, vos interpellations publiques, se sont heurtées à la hogra institutionnalisée à tous les niveaux d'un pseudo-Etat.

De quel droit ces gens vous ont-il honteusement fermé leurs portes au nez, alors que les dettes liées à leurs fonctions de service publique ainsi que leurs obligations internationales leur commandaient de vous répondre, et sur le fond de vos revendications et dans le respect qui est dû, non aux urnes qu'ils trafiquent mais aux contribuables qui les paient, sinon au nom de la loi non écrite du plus fort. Leur but étant de vous décourager à l'usure, d'exténuer votre esprit et vos nerfs et de faire plier votre résistance physique. Car la politique du silence et de l'autisme vous a infligé une interminable agonie que vous ne méritez pas et qu'aucun être humain ne mérite. Et pas la moins atroce des souffrances : même le travail de deuil vous est rendu impossible.

Aux épreuves quotidiennes de l'absence des êtres aimés, aux humiliations grotesques de l'arbitraire d'un pouvoir qui s'est arrogé le droit de décider de la vie, de la mort, ainsi que de la durée de cette zone grise entre les deux, s'ajoutent paradoxalement les tourments des vrais faux espoirs. Les promesses mensongères savamment tenues au chaud redevenant alors pures manipulations déshumanisées.

Ainsi après avoir kidnappé, torturé voire assassiné des milliers de membres de vos familles, voilà qu'on veut assassiner leur mémoire, en blanchissant crimes et forfaits par les techniques totalitaires de la banalisation et de l'oubli.

Mais soyez rassurées, vos sacrifices n'ont pas été vains, ils ont porté leurs fruits tant auprès de l'Algérie profonde que dans l'opinion internationale. Vous êtes dignes des visages qui vous manquent et qui nous manquent. Miracles de la tendresse et de l'intelligence vous êtes toujours et encore au premier rang de cette dissidence citoyenne, nationale et pacifique qui constitue la grande espérance pour une jeunesse impatiente de reconquérir ses libertés politiques et ses droits sociaux et culturels.

 C'est ce qui rend votre existence et vos luttes citoyennes aussi exemplaires que votre résistance physique. Dès lors, vous vous en doutez bien, chères compatriotes, chères sœurs, la mémoire des vôtres est inexpugnable ; puisqu'elle est au cœur de l'histoire qui avance tous les jours - hélas / certes encore dans le deuil et le martyrologue d'autres mamans, d'autres épouses d'autres sœurs et d'autres jeunes et moins jeunes - mais qui avance IRREVERSIBLEMENT vers la paix, la démocratie, la justice et la restitution des richesses de notre pays aux algériennes et aux algériens les plus faibles et les plus démunis. De plus leur mémoire, la vôtre également, feront indubitablement partie de notre patrimoine historique commun, quand l'histoire échappera aux faussaires et pourra être écrite librement. En outre, je répète, l'histoire qui se fait vous a donné raison, quand, à l'instar des mères argentines de la Place de Mai, et après avoir épuisé tous les recours nationaux fictifs et inopérants, vous n'avez pas hésité à porter la question de vos parents disparus devant les instances internationales adéquates. Vous avez là aussi fait œuvre de citoyenneté, car en signant le Protocole facultatif des deux Pactes Internationaux des droits de l'hommes, l'Algérie officielle vous a ouvert la porte de ce recours international conforme au droit national. De même qu'elle permet à tous les pays signataires de ce même protocole de porter des jugements sur la situation des droits de l'homme dans notre pays.

L'inauguration de ce Bureau est la preuve que vous avez gagné. C'est désormais le siège de la Mémoire vivante des disparus et celui de l'Espoir pour le retour de la paix et de réconciliation. Il ne vous a pas été octroyé par le caprice du prince; vous l'avez arraché de haute lutte, un exemple tellement éloquent pour notre jeunesse. Je vous félicite de toutes mes forces pour cette domiciliation des chers disparus, quant à l'exercice, par vous interposées, de leurs droits à la vie ou à la vérité, et à la reconquête de vos propres droits civils et politiques. Dans ce combat nous resterons toujours à vos côtés.

 Nous ne cesserons d'interpeller et l'indifférence des autorités algériennes et la mollesse des institutions internationales dont nous attendons impatiemment l'envoi d'un rapporteur sur le problème des disparus.

 

 Vous symbolisez le véritable honneur de notre pays.

Un honneur inséparable de la vérité de la justice et de la liberté. Un honneur qui refuse de se mettre au pluriel, car les honneurs, les privilèges, les passe-droits vont aux opportunistes, leurs destinataires naturels.

 Avec mes fraternelles salutations,

 Hocine Aït-Ahmed