Le refus de la mascarade
De retour d'Algérie, le chef historique de la révolution algérienne fait le
point.
Chef historique de la révolution algérienne, emprisonné plusieurs fois,
exile pendant vingt-trois ans en Suisse, Hocine Ait-Ahmed, 62 ans est retourné
il y a cinq mois en Algérie où son parti, le Front des Forces Socialistes ( FFS
) a été légalisé. Profitant de son intervention devant le Cercle de la presse à
Lausanne, " Le Matin " lui a demandé de dresser un premier bilan.
- Hocine Ait-Ahmed - C'est un bilan très positif en ce sens que j'ai
pu réduire à néant le travail de déstabilisation et de désinformation du pouvoir
à mon égard. Ce qui n'était pas facile dans un pays aussi piégé par les
institutions que par les pratiques de manipulation. Le prestige et la sympathie
dont jouit le FFS, tout comme son organisation sont en train de se développer
sur l'ensemble du territoire.
Boycottage
- Le Matin - Certains sont déçus de votre décision de boycotter les
élections communales et régionales du 12 juin. Une telle attitude ne
risque-t-elle pas de vous laisser sur la touche ?
- Hocine Ait-Ahmed - Du dehors, on le perçoit peut-être ainsi, de
façon négative, a l'intérieur le boycottage est perçu comme une radicalisation
nouvelle. C'est le refus d'élections fausses, accompagné de la revendication
d'un socle constitutionnel nouveau par l'élection d'une assemblée constituante.
Nous avons refuser les trois fois cinq minutes que le pouvoir nous a attribuées
pour la campagne électorale, alors que le FLN dispose des radios et des TV à
longueur de journée. On m'a aussi reproché de cautionner le pluralisme de façade
en rentrant en Algérie. En fait, je soutiens le processus démocratique mais je
refuse de cautionner une mascarade.
- Le Matin - Quel est votre principal adversaire, le Front de
Libération National au pouvoir, les intégristes islamiques du Front Islamique de
Salut ( FIS ) ou le morcellement des partis d'oppositions ?
- Hocine Ait-Ahmed - En fait, il y a trois pôles: le FLN, qui a perdu
sa base, tente de compenser cela en manipulant des partis satellites. Le FIS
bénéficie de la stratégie du gouvernement. Contrairement à ce quel l'on croit,
il y a des rapports solides entre le FLN et FIS, un soutien parfois pour
empêcher le développement de toute opposition indépendante. C'est une donnée
fondamentale de la politique algérienne. Aujourd'hui, le pouvoir monte en
épingle l'intégrisme pour leurrer l'opinion et lui faire oublier les mauvais
résultats de plus un quart de siècle de dictature. Cet épouvantail à toujours
servi le FLN qui a surpolitisé les mosquées tout en dépolitisant la population.
Nous tentons d'éviter que le FIS ait le monopole de l'opposition.
Optimisme de combat
- Le Matin - Vous n'avez pas pris part à la Marche pour la démocratie qui
répondait, le 10 mai dernier à celle des intégristes. Quelle est la stratégie de
votre parti ?
- Hocine Ait-Ahmed - Nous ne voulons pas nous laisser imposer nos
objectifs. Le FLN et quatre groupuscules plus ou moins apparentés ont fixé, sans
consultation, le lieu, la date et les mots d'ordres de la manifestation du 10
mai. De notre côté, nous avons fixé une marche à Alger dans un cadre très clair.
Il faut secouer la tutelle de la police politique, libéraliser l'information et
permettre à la majorité silencieuse d'entrer dans le jeu politique. Le dynamisme
de la démocratisation s'appuie sur la jeunesse. Elle ne traîne pas les lourdeurs
du passé et nous trouvons chez elle un bon écho. Quant à savoir si je suis
optimiste, je vous dirai qu'il faut lutter. c'est un optimisme de combat.
Vincent Volet
Le Matin, 18/05/1990