Madame
la Présidente,
Mesdames, Messieurs,
Je
dois d'abord m'associer au vibrant hommage qui a été rendu à toutes celles et à
tous ceux qui ont rendu possible la tenue de ces assises. Par-delà les
différences de cultures, de races et de religions, le droit d'asile s'est
imposé comme valeur éthique et sociale fondamentale aux mœurs ainsi qu'à la
cité. Temples païens, synagogues, églises, mosquées, mausolées ont été des
refuges pour toutes sortes de personnes traquées, de proscrits.
Qu'à
la fin du XXe siècle se pose avec acuité la question de la protection du droit
d'asile en tant que simple norme humanitaire
alors que devrait se poser quelques décennies après la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme le problème de la promotion juridique,
économique et sociale en tant que droit de l'homme, nous confronte en réalité
avec le problème de société beaucoup plus profond, un problème de civilisation
plus grave, un problème politique énorme.
Les
peuples du Tiers Monde, qui forment environ trois cinquième de la population
mondiale sont dans leur majorité forcé à subir l'exil intérieur, résultat de
l'absence de démocratie ou bien choisir l'exil vers l'étranger. Ces phénomène
de violences historiques l'Europe les a connus avec le déferlement des régimes
totalitaires et la généralisation des conflits dont ils étaient porteurs.
Longtemps après la guerre, l'Europe a pu résoudre ses problèmes de réfugiés
avec l'aide de la communauté internationale.
Ce
n'est pas un hasard si l'expression "démocratie ",
"démocratique" apparaissent dans la Convention européenne des droits
de l'homme de 1950 et de la Charte sociale. Ces termes ne figurent pas dans la
Charte des Nations Unies ni dans la Déclaration universelle des droits de
l'homme bien que celle-ci ait esquissé une éthique des droits de l'homme en
proclamant que la paix ne peut être assurée entre les états que par le respect
et la promotion des droits de l'homme. C'est ce qui fait dire que les pays
signataires de la Charte et de la Déclaration universelle ne purent se mettre
d'accord que lorsqu'ils cessèrent de se poser la question du pourquoi, le
principe démocratique faisait sans doute partie de ce pourquoi.
En
Europe occidentale, les peuples et les individus qui pouvaient et voulaient
tirer les leçons de la montée et des conséquences du fascisme avaient
charnellement compris que l'alternative démocratique est le seule alternative
au régime totalitaire. Ils ne voulaient plus être égaux devant la mort mais
devant la vie, ils exigeaient que leur gouvernement soit soumis au respect des
droits de l'homme sous contrôle des institutions européennes et d'une presse
libre. D'où ce consensus social fondé sur la démocratie, sur le pluralisme des
idées, des partis, des associations syndicales et des choix électoraux.
Camus
disait: "La revendication de la justice aboutit à l'injustice si elle
n'est pas fondée sur une éthique de justice". Une éthique européenne des
droits de l'homme faisait à grands pas son chemin. C'était, c'est l’éthique de
la démocratie pluraliste, cette percée révolutionnaire au sens qualitatif, elle
doit la sauvegarder pour le bonheur de ses peuples et la contribution
indispensable qu'elle doit apporter à l'extension de l'humanisme des droits de
l'homme à l'humanité toute entière.
L'Europe
a une grande responsabilité historique par rapport aux pays sous-développés car
premièrement, le phénomène colonial lui a appris, lui a permis d'atteindre un
niveau de développement qu'elle a connu avant la deuxième guerre et qui a facilité son relèvement après la
guerre. Deuxièmement, elle dispose d'une expérience et d'une connaissance
beaucoup plus sérieuse des problèmes du Tiers Monde, elle n'a pas pu contribué
à les créer. Il ne s'agit pas d'ici de culpabiliser qui ce soit, ou d'opérer un
transfert de responsabilité. Pour moi, nous sommes responsables de tout ce qui
nous arrive. Après tout, l'impérialisme, néo-colonialisme, tout cela à besoin
de complicités pour se co-organiser, se co-gérer. Hélas, les réalités sont encore
là, en Afrique par exemple, qui fut façonné par le Congès de Berlin. Il y a un
siècle presque exactement ( 1885-1985), les puissances européennes se sont
partagé à la règle et au compas d'immenses territoires africains déchirant,
séparant et mélangeant les ethnies. La déstabilisation génératrice de la
dictature et des conflits inter-étatiques est déjà là au rendez-vous des
indépendances avec toutes les structures de sous-développement.
L'Europe ne doit pas se laver les mains et
rester indifférente à la multiplication des crises, des dictatures, des famines
et guerre. La stratégie du bunker démocratique européen est un leurre et un
danger pour les Européens eux-même. L'évolution démocratique de l'Argentine, du
Brésil, de l'Uruguay, si fragile qu'elle soit encore, après l'évolution du
Mexique et du Venezuela, s'inscrit en faux contre la fatalité-connexion de la
militarisation. Ce n'est pas le Paraguay, où
bat le record de longévité, qui le démentira. Il ne tient que par le
soutien des multinationales. Il faut admettre que le Tiers Monde traverse la
situation la plus dramatique depuis la fin du processus de décolonisation. Pas
moins de cent vingt guerre, conflits internes et guerre civiles ont ravagé les
pays sous-développés.
Chaque
jour nous apporte une ration d'images atroces, famines, massacres, réfugiés,
qui confinent au génocide migratoire, Arménie, Afghanistan. Cinquante millions
meurent chaque année de carence alimentaire et médicale, 700 millions d'êtres
humains sont sous-alimentés, 250 millions se trouvent sans logement dans les
zones urbaines, des centaines de millions n'ont pas d'emplois, 550 millions
sont analphabètes, 1.200 millions n'ont pas d'accès à l'eau potable et au soins
médicaux. Parallèlement, les dépenses d'armement et les armements augmentent au
rythme diabolique. La militarisation des états s'étend sans cesse, polarisée et
remise sous tutelle par deux super-puissances.
Les dictatures y sont la règle, la démocratie
l'exception au point de se laisser prendre aux apparences et au jeu des bonnes
dictatures, celles dont les technique policières et la propagande ne font pas
de bavures trop visibles. En dépit de tout, les peuples du Tiers Monde ont
tendance à développer des grandes espérances à l'endroit de l'Europe; on trouve
chez les peuples qui ont combattu pour la liberté, ou simplement dans les
réflexes de survie, les intuitions politiques, stratégiques judicieuses qui
manquent à leurs dirigeants. L'alliance Europe-Tiers Monde peut constituer une
perspectives de salut pour l'humanité toute entière à condition:
- Premièrement, l'Europe soit, et c'est
l'affaire des Européens et des Européennes de faire en sorte qu'elle fasse
preuve de plus de fermeté et d'initiative à l'égard des pays comme la Turquie,
membre de la communauté européenne: " dites moi ce que vous faites de la
minorité kurde et je vous dirai ce que vous faites de la majorité turque".
Il faut arrêter le cycle des répressions et des terrorismes. Pour tarir la
source de l'exil extérieur, il faut régler politiquement les problèmes et
mettre fin à l'exil intérieur. Le Conseil de l'Europe pourrait reprendre et
approfondir les mécanismes de protections des minorités esquissées par la
Société des Nations.
- Deuxièmement, que l'Europe prenne des
initiatives cohérentes et conséquentes par rapport aux tenants de
l'expansionnisme, de l'apartheid et des dictatures, travaille collectivement à
ramener la paix partout où elle est rompue. A titre d'exemple, faire convoquer
des séances du Conseil de sécurité, voir la tenue d'assemblée générales
extraordinaires de l'ONU, successivement dans les régions chaudes ou
avoisinantes afin de dramatiser l'événement, de mobiliser l'opinion, de
rechercher et appliquer des solutions sur le terrain. Nous avons intérêt à ce
que les organisations internationales soient secouées et sortent de la routine
bureaucratique.
-
Trois, à condition que l'Europe cesse de
considérer que les droits de l'homme ne sont pas faits pour les nègres d'Asie,
d'Afrique ou d'Amérique latine et les pays sous-développés ne sont pas mûrs
pour la démocratie, comme si les dictatures civiles ou militaires avaient
jamais donné un exemple, un seul exemple de développement réussi. Le
développement politique, l'instauration de la démocratie constituent un
préalable au développement. Ils ne sont pas des luxes. L'humanité est une, il
ne peut y avoir plusieurs types de justice pour différentes catégories
d'hommes.
C'est
donc dans la mesure où la communauté européenne sort de ses hésitations et se
donne avec une volonté politique les moyens de faire respecter et promouvoir
les droits de l'homme dans le monde, qu'elle pourra, en ce qui concerne le
droit d'asile, agir d'une part sur l'aspect quantitatif des réfugiés et d'autre
part promouvoir un traitement qualitatif du problème de l'asile. La timide
ouverture de la Convention européenne en faveur des non-nationaux peut être
pour ces assises un point de départ en vue de l'élargissement de la sauvegarde
du droit d'asile et sa promotion véritable du Droit de l'Homme. Ainsi, le droit
européen des droits de l'homme aura contribué à accélérer l'élaboration du
droit international des Droits de l'Homme.
Je vous remercie