" Comédie ! "

    - Aujourd'hui s'ouvre à Alger le congrès extraordinaire du FLN. Il s'agit donc de retoucher la charte nationale. Que pensez-vous de l'objectif de cette réunion?

    - Il est bon, au départ, de situer le congrès. Vous savez que le système politique algérien est fondé sur le parti unique. Et, depuis plus de vingt ans, il y a une espèce de cercle vicieux. Tout tourne autour du parti unique. Chaque fois qu'il y a crise, on le réorganise, on refait campagne, on fait des chartes. Et, à chaque fois, c'est un échec. Tout se passe comme si on avait inventé la quadrature du cercle vicieux. Il n'y aura absolument aucune ouverture sur la société. Il y aura un changement de personnel mais toujours à l'intérieur de la nomenklatura. Cette remarque est fondamentale. Quant aux débats sur la charte, c'est une immense comédie qui se veut démocratique. C'est un texte octroyé. Ce que nous voulons nous, c'est une constitution élaborée par une assemblée librement élue.

   - Vous avez annoncé, à Londres la semaine dernière, la création d'un front uni de l'opposition avec Ahmed Ben Bella et son Mouvement pour la démocratie. Pourquoi cette démarche?

   - La raison profonde de cette démarche tient dans la situation explosive qui règne en Kabylie. L'effervescence mobilisatrice de cette région d'Algérie s'est exprimée déjà en 1980 par l'avènement d'un "printemps kabyle" qui par la suite, pour une assise nationale, a cherché des points d'ancrage par le biais de la Ligue algérienne des droits de l'homme et de l'Association des enfants de martyrs de la révolution. Il y a beaucoup d'affrontements avec les services de police, des arrestations. Au mois d'octobre, 35 jeunes gens, âgés de 18 à 20 ans, ont été condamnés à des peines variantes entre dix-huit mois et deux ans et demi. Ce procès est passé complètement inaperçu parce que les accusés ont été jugés à huit clos et sans avocat. Nous avons senti la nécessité de sortir de notre isolement. Et c'est ainsi, qu'après plusieurs mois de négociations, nous avons conclu un accord avec Ben Bella. Cet accord porte sur un programme minimal, qui définit la nature et le fonctionnement d'un pouvoir démocratique en Algérie. Mais on ne va pas en rester là. Il s'agit de faire en sorte que d'autres personnalités algériennes connues, par exemple MM.Ben Kheda et Boudiaf, se joignent à nous. Ce qui est important, c'est qu'il y ait une solidarité à l'intérieur de l'Algérie avec ce qui ce passe en Kabylie. Nous nous adressons à la mémoire collective des algériens pour leur dire que la révolution a été trahie et que pour la rétablir, il faut installer un régime démocratique.

   - Mais vous n'avez pas la même vision politique que M.Ben Bella...

   - Nous avons effectivement une vision de l'avenir qui est différente, mais c'est dans la mesure ou nous respectons la différence d'aujourd'hui qu'on peut garantir la différence de demain. Le pluralisme politique que nous appelons de nos vœux s'exprime déjà par le fait que nous sommes ensemble. Cela dit, tout le monde sait que nous avons eu des affrontements au lendemain de l'indépendance et je ne cherche pas à sous-estimer la gravité de ces heurts. Mais nous avons aussi beaucoup de choses en commun. Nous avons été traqués par la police pendant des années, nous avons été des militants du mouvement indépendantiste, nous avons mis sur pied l'organisation secrète destinée à préparer la lutte armée du peuple algérien, nous avons passé sept ans ensemble en prison.

 Propos recueillis par Jean Gaud
24et25/12/1985 24h