Création d'un Institut européen d'innovation et de technologie et casse programmée du CNRS français

 

Où ira l'argent de l'actuel Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) français qui, d’après le discours de Nicolas Sarkozy à Orsay, doit devenir une simple « agence de moyens »  sans participation directe dans les programmes de recherche ? Deux semaines après la feuille de route de Valérie Pécresse, les perspectives paraissent bien sombres. Sarkozy et le gouvernement parlent d’un transfert aux universités des personnels et de la gestion des activités de recherche. Mais où iront vraiment les actuelles ressources financières des grands organismes scientifiques français ? Les universités sont programmées, par les lois des 18 avril 2006 et 10 août 2007, pour développer des liens étroits avec le secteur privé connu pour les délocalisations qu’il pratique au quotidien. En même temps, le 11 mars, le Parlement Européen a donné son accord à la mise en place d’un institut chargé, à terme, de chapeauter « l’innovation » à l’échelle continentale. Le début d’une nouvelle machine destinée à pomper les ressources financières des organismes de recherche des pays membres ? 

 

Le Parlement Européen vient de donner le feu vert à la création d'un Institut européen d'innovation et de technologie (IEIT), au motif que « l'innovation est le domaine dans lequel nous avons du retard à rattraper : trop souvent, nos brillants étudiants et chercheurs ne récoltent pas les fruits de leur travail simplement parce que les résultats de leurs recherches ne débouchent pas sur des produits commerciaux ». On reste quelque peu pensif.

Dans notre article du 11 mars, intitulé précisément « Vers une délocalisation générale de la recherche scientifique française et européenne ? », nous avions rappelé ce qu'a été la propagande officielle depuis les années 1990, que l'on peut résumer par cette déclaration du 16 juin 2003 de l'alors ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie Francis Mer au journal Les Echos :

«  Il y a des métiers industriels qui ont été délocalisés vers des pays à bas salaires : cela s'appelle la spécialisation internationale du commerce. Prenez l'exemple de la sidérurgie : ce type de métier doit, pour assurer sa survie en Europe, se concentrer au maximum sur le savoir, et localiser sa production là où les coûts, qu'il s'agisse des salaires ou des matières premières, sont les plus avantageux. C'est ce phénomène qui explique la croissance chinoise. Il suppose a contrario que l'Europe se mobilise sur l'innovation, la recherche et la formation professionnelle. (...)  ».

(fin de citation)

Avec un tel discours, qui a été invariablement celui de la grande majorité des politiques et « gestionnaires » avant et après l’arrivée de Francis Mer au gouvernement, les Etats membres de l’Union européenne sont censés avoir fait depuis longtemps le nécessaire pour s’assurer d’une mise en valeur efficace des résultats de leurs chercheurs. La France avait même procédé à la création de l’Agence Nationale de Valorisation de la Recherche (ANVAR) dès 1968. Que vient faire à présent la création de l’IEIT avec cet argumentaire du Parlement Européen ?

De surcroît, dans un article diffusé le 10 mars par Les Echos, l’ancien ministre français Jacques Barrot, vice-président de la Commission Européenne, vient de démentir la propagande précédente des « élites » françaises et européennes. Il s’en est pris explicitement à ce qu’il appelle « l’illusion d’une Europe sans industries » (voir notre article du 11 mars). Doit-on en conclure que la politique industrielle, scientifique et technologique suivie depuis deux décennies dans les pays de l’Europe occidentale s’est soldée par une catastrophe économique ? Autant le dire clairement. En tout cas, les financiers et les multinationales ont bien profité des délocalisations, et ce sont leurs interêts qui ont guidé les principaux choix politiques.

Quant aux organismes européens que l’on cherche à mettre en place, ils risquent d'être également des machines à délocaliser. D’emblée au sein de l’Union Européenne vers les pays à plus faibles revenus et standards sociaux. A fortiori, vu le caractère « minimal » du droit européen sur le plan social et des droits de la personne. Ensuite, à l'extérieur de l'Union Européenne par le biais de collaborations et sous-traitances.

Certes, les moyens financiers du nouvel institut européen créé dans le domaine de « l’innovation » restent comparativement modestes par rapport au projet initial. Mais, outre le fait que sa création acte un échec imputé sans autre argumentaire aux organismes des pays membres de l'Union Européenne, c'est sans doute le début d'un processus destinée à aller beaucoup plus loin. L'IEIT devrait d'abord procéder à la création de ses premières unités dans les domaines de l'énergie, du changement climatique et des technologies de l'information, mais l'extension à d'autres secteurs est envisagée en cas de « succès ». mais qui décidera de ce qui est un « succès » et de ce qui ne l'est pas ?

 

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le discours consensuel des politiques et des « gestionnaires » varie dans le temps et manque manifestement de crédibilité. Il ne semble même pas qu'on ait affaire à de véritables analyses, mais à des prestations de circonstance. Quant aux conséquences des stratégies adoptées, les ravages causés par les délocalisations en disent long.  Ce que les différents « specialistes » ne voulaient pas voir, la population l'a subi. A présent, les perspectives pour la recherche scientifique française et européenne apparaissent pires que jamais. Les organismes publics nationaux sont vidés de leur contenu, mais quelle confiance peut-on accorder aux montages qui doivent leur succéder ? Quels intérêts guident la « réforme » en cours, qui tend à mettre fin à un secteur public considéré comme un acquis stratégique de la Libération ?

 

Indépendance des Chercheurs 

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