The Fantasia '98 Festival Interview

Le festival Fant-Asia 98 a été clôturé devant un public enthousiaste par la projection du dernier film de John Carpenter, Vampires, avant sa sortie officielle en Amérique du Nord prévue pour le 31 octobre 1998. Ce fut pour moi l'occasion de discuter fantastique avec l'une de ces âmes millénaires qui en ont vu d'autre. Après vingt années de carrière comme réalisateur, scénariste, compositeur, John Carpenter a eu de nombreuses occasions de réfléchir à son métier, à la fonction du fantastique et de l'horreur dans notre imaginaire, au comportement des spectateurs...

Le scénario de Vampires est adapté d'un roman intitulé Vampire$. Pourquoi ne pas avoir gardé le « $ »?

Dans le roman, les chasseurs de vampires sont des mercenaires, ils sont payés par l'église catholique pour tuer des vampires. Et le roman appuie beaucoup plus là-dessus que nous ne le faisons dans le film. Le livre était vraiment centré sur la vie d'un mercenaire, largement payé, faisant la fête, etc.
Le film se concentre plutôt sur les relations existant entre les personnages qui ne sont pas dépeints comme des hommes riches, mais plutôt comme des travailleurs...

 

«Je veux que mes vampires soient sinistres et terrifiants.»

Avec le Dracula de Coppola, et l'Entrevue avec un vampire de Rice et Jordan, le mythe du vampire s'est récemment transformé au cinéma. De monstre, le vampire est devenu un héros romantique, une victime qui boit du sang parce qu'elle ne peut pas s'en empêcher. Comment percevez-vous cette transformation récente du mythe et comment décririez-vous Valek et les vampires qui sont dépeints dans votre film?

Je n'ai jamais aimé les histoires de victimes. En d'autres termes, dépeindre les vampires comme des victimes d'une malédiction, qui ne peuvent pas s'empêcher de faire ce qu'ils font, cela sonne comme un film sur les faibles, un film sur la maladie. Je veux que mes vampires soient sinistres et terrifiants, à la recherche de la puissance, de la vie éternelle. En fait, ils ont la vie éternelle et si j'avais l'opportunité de vivre éternellement, je le ferais. Je liquiderais mes affaires et je le ferais. Je voulais que Valek soit un vampire très puissant et impénitent. Ce n'est pas une victime...

Comment est-il devenu vampire?

Il a été la victime d'un exorcisme inversé de la part de l'église au 13e, 14e siècle. Il était prêtre à l'époque, et avait mené la révolte des bohémiens contre l'Église, révolte qui avait été matée. L'Église avait alors cherché à le tuer, mais pendant la cérémonie, quelque chose a déraillé et à la place il s'est transformé en vampire.

D'où vient le nom Valek? Moi ça m'a rappelé Vathek, le héros du roman gothique de Beckford, mais bon, c'est un caliphe démoniaque, pas un vampire, alors je me demandais s'il y avait un rapport...

Ça vient simplement de «Vlad», Vlad l'empaleur qui était supposé être le premier vampire. C'est juste une transformation de ce nom.

 

«Je suis un sceptique absolu.»

C'est étrange que l'église catholique qui paye Crow et son équipe ait autant de pouvoir. De nos jours, tout comme vos vampires qui n'ont plus peur de la croix, l'Église catholique a perdu beaucoup de son ascendant sur les gens en Occident.

Vous avez l'impression que je les mets dans une position de pouvoir? C'est intéressant... Ils me paraissent plutôt désespérés. Ils essaient d'éradiquer ce démon qu'ils ont créé par inadvertance, et ils semblent incapables de juguler cette menace, malgré leurs efforts continus. Et puis ils font face à la trahison d'un des leurs, le cardinal qui s'allie aux vampires... Je pense que c'est un peu le reflet de ce qui se passe dans la vie réelle, la perte d'influence dont vous parlez. On est dans une ère technologique, et lentement mais sûrement, certaines de nos croyances au surnaturel vont s'évanouir.

En même temps, en France, André Malraux déclarait que le 21e siècle serait spirituel ou ne serait pas... Et plus simplement, on peut penser aux séries télé telles que les X-Files, Millenium, qui mettent l'accent sur le spirituel ou le surnaturel...

Vous avez raison. Vous parlez à quelqu'un qui ne croit pas personnellement au surnaturel. Je n'y crois simplement pas: je ne crois pas aux soucoupes volantes, je ne crois pas au monde des esprits ou quoique ce soit dans ce genre. Je suis un sceptique absolu. Mais je peux comprendre pourquoi, quand on utilise la technologie, quand on vole dans un avion ou qu'une fusée se pose sur la lune, nous, l'espèce humaine, nous avons encore besoin de cet attachement au surnaturel. Carl Sagan disait: si vous avez un malade devant vous, vous pouvez faire deux choses, prier près de lui ou lui donner un antibiotique. Moi je lui donne un antibiotique.

En même temps, c'est toujours étonnant d'apprendre que plus les gens sont instruits et plus ils ont tendance à croire au surnaturel...

Je pense que je peux vous dire pourquoi c'est le cas. Notre place dans l'univers a rétréci. Il y a longtemps, lorsque les hommes commençaient à prendre conscience du monde qui les entourait, des mythes qui nous plaçaient au centre de l'univers ont été forgés. Le soleil et les étoiles tournaient autour de nous. Nous étions les créatures dominantes, le cadeau de Dieu, des êtres spéciaux. Mais nous réalisons à présent que nous sommes sur une toute petite planète, en orbite autour d'un soleil de troisième catégorie, a sein d'une galaxie parmi des milliards d'autres. Nous ne sommes plus le centre, nous n'avons plus rien de spécial et c'est très dur à accepter. Les gens veulent du sens, ils veulent croire que leur existence a un sens, qu'il y a un plan. C'est une tendance de base de l'humain, je crois.

Et peut-être que plus les gens sont instruits et plus ils veulent comprendre le pourquoi, pourquoi ils sont ici, pourquoi ils font ça, etc.

Mais en même temps, plus les gens sont instruits et plus ils réalisent qu'il n'y a pas de pattern, pas de plan! Et ça fait peur. Quelle est la plus grande peur? La peur de l'inconnu. Nous ne savons pas ce qui passe, ce que tout ça veut dire.

C'est peut-être pour ça qu'il y a une résurgence des films d'horreur en ce moment. On parle d'Halloween H20, j'entendais l'autre jour à la télé qu'il y allait y avoir une nouvelle version de Chucky la poupée diabolique, etc. Et puis on parlait des X-Files. Tout ça provient peut-être de la même tendance.

Oui, tout à fait!

«Si j'étais le maître de l'univers...»

Votre film est à l'opposé de la très politiquement correcte série Buffy. Vous décrivez un monde d'hommes, comme dans les vieux westerns. Est-ce que vous avez dû vous battre pour ça, dans une ère de rectitude politique? (*)

C'est sûr que certains aspects du film ne seront pas très populaires auprès des gens qui défendent la rectitude politique. Mais ce n'est pas à cause de mon point de vue. Simplement, certains personnages sont mysogines, ils sont un peu durs... en fait je suis vraiment fatigué de cette histoire de rectitude politique. C'est particulièrement terrible aux États-Unis, je ne sais pas trop comment c'est au Canada, je ne suis pas familier avec votre société, mais aux États-Unis c'est incroyable, ces leçons de morale à propos de tout, des cigarettes, du harcèlement sexuel. C'est une attitude tellement bizarre. Je pense que ce que vous allez voir prochainement dans les médias, c'est un retour de bâton. Les hommes sont en colère, ils ont été rabaissés pendant trop d'années et ils se demandent ce qui se passe, par exemple avec ces histoires de harcèlement sexuel. C'est allé beaucoup trop loin, beaucoup trop loin... Moi je suis un homme, évidemment!

Si j'étais le maître de l'univers, je dirais, entendons-nous les uns avec les autres, respectons-nous les uns les autres et respectons ce que nous sommes. Les hommes sont sexuellement agressifs, ça fait partie de notre bagage génétique, nous sommes supposés passer notre semence au plus grand nombre de femmes possible. Nous sommes des chiens de chasse. Ils faut qu'on s'accepte les uns les autres, qu'on s'entende. Mais je ne suis pas le maître de l'univers...

[Ensemble] Malheureusement!

Avez-vous vu de nombreux films de vampires? Quels sont vos préférés?

J'ai grandi en regardant des films de science-fiction et d'horreur. Mon préféré était le film de la Hammer, Horror of Dracula, avec Christopher Lee. J'adore ces films. Maintenant, je ne vais plus au cinéma, j'attend que les films sortent en disque laser ou en DVD pour les voir. Je n'ai vu aucune des nouveautés de l'été pour l'instant... Je les verrai quand ils seront en vidéo, après l'effet de mode. Parce que de nos jours, les films sont accrochés à la publicité. Je préfère éviter.

Après Vampires, comment voyez-vous le futur, l'évolution des films de vampires?

Le mythe du vampire est un mythe tenace, parce qu'il représente tellement de choses, la sexualité réprimée, les forces démoniaques. Originellement, les vampires de Bram Stocker représentaient l'aristocratie mourante en Europe, se nourrissant de la classe ouvrière. Vous pouvez projeter ce que vous voulez dans le vampire... Aussi longtemps que ces mythes survivront, il y aura d'autres films, certainement.

 

Des films post-modernes

Vingt ans après Halloween, il y a une réapparition d'adolescents hurleurs poursuivis par des tueurs psychopathes. Ça vous inspire quoi?

C'est très bien. C'était vraiment bien de voir ces films, dans le bon vieux temps. Ils ont été en partie réinventés aujourd'hui pour la nouvelle génération. Ce sont des sortes de films post-modernes! Ils réfèrent à des films d'horreur, plutôt que de porter sur de vrais personnages. Dans un film post-moderne, le réalisateur et les acteurs reconnaissent ouvertement que vous avez déjà vu ça quelque part... C'est un clin d'oeil au public. Moi je préfère ne pas faire ça. Mais je suis très flatté qu'Halloween soit toujours aussi excitant, c'est agréable.

En même temps, je ne suis pas sûre que le public qui va voir ces films récents soit conscient de l'effet postmoderne. Ils sont trop jeunes...

Mais ils les ont vu en vidéo et à la télé. La révolution de la vidéo a vraiment tout changé. Vous pouvez posséder les films, ou les louer, les regarder encore et encore, les étudier. Vous pouvez faire des arrêts sur image, voir comment le film a été fait. C'est vraiment une nouvelle génération par rapport à la mienne. Moi j'allais en salle, je n'avais pas l'expérience du film directement chez moi. C'est vraiment un monde différent.

Vous pensez que ça a changé la façon dont on voit les films?

Oui. Ce qui a changé, également, c'est que le public est plus cynique. Quand le public va voir un film, comme par exemple un film d'action, il sait que le héros ne va pas mourir. Tout ce qui importe, c'est le type d'excitation que vous pouvez lui procurer pendant la durée du film. Ils n'ont pas peur, ils savent que tout va s'arranger à la fin. Ils n'affrontent plus l'inconnu dans les films. C'est très cynique. Le public se branche sur le côté business des films. Quand vous voyez Lethal Weapon, vous savez que quoiqu'il arrive votre héros va triompher du mal...

Mais en même temps ces gens vont aller voir Titanic et vont pleurer sur le sort de Leonardo di Caprio et Kate Winslet...

Mais à la fin de ce film, rappelez-vous, ils vont au paradis du Titanic. Elle se suicide, on coupe sur le paradis du Titanic, elle grimpe les escaliers et il est là, l'équipage applaudit... Je suis tombé de mon siège en voyant ça! «Vous vous moquez de moi, c'est une blague, ça ne peut pas être vrai...»

Alors vous n'avez pas pleuré?

Je hurlais de rire! Je veux aller au paradis du Titanic et que tout le monde m'applaudisse à la fin. Quelle fin! C'est la fin la plus hallucinante que j'ai jamais vue dans un film... Comment s'en est-il tiré? Il s'en est sorti et tout le monde pousse des cris d'admiration. Tout le monde veut cette romance, cette idée que l'amour dure toujours, que quelque chose existe après la mort.

Dans cette époque cynique, peut-être les gens regrettent-ils leur enfance et son innocence...

Les jeunes ont trouvé dans ce film un océan d'amour véritable. Les gens avaient cessé de croire à l'amour véritable et Titanic corrige ça: l'amour véritable peut exister et il peut durer jusqu'après la mort. Je ne sais pas si j'y crois personnellement ou pas! Je ne sais pas...

«Les gens qui font des films d'horreur sont souvent considérés comme des pornographes»

Pour beaucoup de gens, les films d'horreur ne sont pas des oeuvres d'art. Est-ce que vous avez une explication à ça? Et comment vivez-vous cette situation?

Les films d'horreur touchent à un sentiment fondamental, la peur. C'est l'émotion la plus forte de l'être humain. On passe notre existence entière à essayer de fuir la peur. On s'invente des stratégies de dénégation. Vous et moi, nous craignons la même chose: la mort, l'inconnu, la mort de quelqu'un qu'on aime, la défiguration, on pourrait en faire la liste sur une feuille de papier. Et regardez le temps qu'on passe à nier notre vieillissement... on utilise la chirurgie esthétique, on teint nos cheveux (enfin, certains d'entre nous le font!), on fait comme si on était à nouveau jeune, on cherche un sens dans cette existence chaotique... Les gens se demandent pourquoi je fais ces films effrayants sur la peur et la mort... je rappelle à tout le monde qu'il y a des choses dont on doit avoir peur. Les gens qui font des films d'horreur sont souvent considérés comme des pornographes: «Comment pouvez-vous faire ça? C'est indécent...»

Peut-être les gens lient-ils encore l'art à la beauté... Si vous tournez des films d'horreur, vous ne pouvez donc pas être en train de réaliser une oeuvre d'art! Il y a peut-être quelque chose comme ça dans ce rejet des films d'horreur...

Mais on a dépassé cette idée à la fin du XIXe siècle. L'art n'est plus seulement la représentation de jolies choses, il existe un art sauvage très répandu... et de nombreuses histoires finissent mal. L'art est un reflet de l'existence et tourner son regard vers les forces obscures peut être aussi éclairant que regarder une jolie image...

C'est peut-être spécifique au cinéma, car si l'on prend l'exemple de la peinture, il y a de nombreuses oeuvres reconnues comme des chefs d'oeuvre qui traitent de sujets horrifiques.

Tout à fait. Il suffit de considérer le cri de Munch. Peut-être que les gens n'aiment-ils simplement pas ce genre de situation. C'est une attitude de dénégation; ils préfèrent l'idée de la beauté.

Vampires est projeté dans le cadre du festival Fant-Asia et dans votre film, Big Trouble in Little China, vous avez exprimé votre amour du cinéma fantastique de Hong Kong. Est-ce que vous suivez toujours ce qui se passe là-bas? Et est-ce que ça vous tenterait de travailler avec des professionnels du cinéma de Hong Kong qui ont récemment émigré aux États-Unis?

J'ai toujours aimé les films d'action asiatiques, que ce soient les films de Kung Fu, les films de gangsters japonais, les films de samouraïs, tout ça est vraiment extraordinaire. Big Trouble était la chance de faire ça avec un gros budget. C'était vraiment marrant. Mais l'ayant fait une fois, je ne sais pas si j'aurais envie de recommencer. Je pense que John Woo a certainement transformé le film d'action avec Hard-boiled. C'est un film incroyable sous certains aspects: visuellement, c'est une véritable bravade. Sa façon de mettre l'action en scène est incroyable et Chow Yun-Fat est le Robert Mitchum chinois. Il est tellement charismatique... Quand je réalisais Escape from LA, en sortant de mon bureau j'ai remarqué John Woo, qui se tenait un peu plus loin, fumant une cigarette. Je me suis approché pour lui parler: et j'ai découvert qu'il adore les comédies musicales! Il aimerait faire une comédie musicale! D'ailleurs, ses scènes d'action sont des ballets. Il a un sens du rythme, avec ces oiseaux qui volent et ce genre de choses... Je ne sais pas si qui va se passer dans l'avenir. Si vous avez un bon scénario et beaucoup d'argent, je vais y réfléchir!

Qu'allez-vous faire après Vampires?

Je suis au milieu de vacances prolongées. À la fin de Vampires, fin janvier dernier, j'ai réalisé que si je ne prenais pas de vacances, j'allais tout droit vers le claquage. Je fais ce métier depuis trop longtemps, je ne peux pas continuer comme ça, encore et encore. Il faut s'éloigner. Je pense à Howard Hawks, que je considère comme mon mentor. Dans les années 50, il s'est arrêté pendant trois ans, réévaluant le cinéma et sa place dans cet univers, ce qu'il avait envie de faire. Je suis dans le même processus... je ne pense pas que je prendrais trois ans, mais j'ai besoin d'un peu de recul. J'ai une famille que je n'ai pas vu beaucoup... et on verra ce qui se passera ensuite.

 

«Carpenter»? Qui ça?

Ma dernière question a la forme d'une boutade: vous avez dit quelque part «en France, je suis considéré comme un auteur, en Allemagne, comme un réalisateur, au Royaume-Uni, un réalisateur de films d'horreur, et aux États-Unis, je suis un clodo». Et au Canada? Qui êtes-vous?

Je n'en sais rien! Je crois que je suis un homme sans identité ici. «Carpenter»? Qui ça? Jamais entendu parler de lui...

 

[La suite de l'histoire montra que John Carpenter était un réalisateur-culte aux yeux du millier de chanceux qui avaient réussi à se procurer un billet pour la projection de «Vampires»; il fut accueilli par une longue ovation, répondit à des dizaines de questions et signa des autographes jusque tard dans la nuit.]

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