Proses de Francis Pelletier PELLETEUR DE NUAGES |
Le paradis infernal de la promiscuité Encore les voisins ! J'habite au second palier, un trois et demi hanté, au centre d'un bloc d'activités. Je ne possède rien. Ni poële, ni réfrigérateur, ni radio, ni télé, ni réveil... Pourquoi ? Dans le mur de droite, celui des Lavigueur, j'ai percé un petit trou grand comme un oeil et épais comme un mur : le Canal télé. Les Lavigueur possèdent un super écran géant de quarante pouces, naturellement branché, câblé, abonné et pas encore payé (ce que les créditeurs appellent une télévision payante), qu'ils ne quittent jamais des yeux, vingt-cinq heures sur vingt-quatre (avec celle des Maritimes). Ils vivent du bien-être télévisée. Le plafond des Lavoie se prend pour le fond d'une caisse de son. Il vibre du matin au soir et du soir au matin. La lumière vacille au rythme de la lambada. Le plâtre craque aux lamentations des guitares éloctrocutées. Le plafonier gémit, sans répit, depuis qu'il pleure «Hélène». Le mur de gauche, celui des Labondance, est parcheminé de minuscules ouvertures par lesquelles me parviennent les effluves capiteux et gargantuesques de la fine cuisine (on ne peut pas en dire autant de la ligne) demes voisins. Ma porte de chambre est un menu. Il suffit de l'ouvrir pour sentir la table d'hôte des autres. Pour m'endormir, le soir, je colle ma tête contre le plancher des Lavertu. Rien. Que du subliminal. Presque trop d'absence. Et une folle envie de l'éviter. Sur le mur arrière de l'édifice, le mur avant de la ruelle, une porte. Elle donne sur la galerie : centre de contrôle de mes activités sensorielles ! «Madame Lavigueur, ne manquez surtout pas cet après-midi, à treize heures vingt et une, au canal de goût, le sensationnel (?) documentaire sur "Les mésaventures sexuelles des cétacés dans les bas-fonds du Saint-Laurent. entre Tadoussac et Saint-Siméon"...» Bonjour mon p'tit Lajeunesse, tu devrais écouter l'extraordinaire disque de ... «Monsieur Labondance, dans le dernier livre de la soeur Verte, il y a une recette époustouflante de "Canard du Lac St-Pierre truffé aux éclats de bombes"...» En ce qui concerne les Lavertu, on n'a qu'à se regarder, au fond des têtes, sans rien se dire, pour comprendre qu'il vaudrait mieux... déménager ! |