La dissidence a éteint les tons latinos de Léonor

 

 
Photo René Breny.

 

De sa jeunesse au Pérou, Léonor Villagra, 42 ans, coordinatrice du «Parcours de femmes», a gardé le goût du militantisme. Nous étions une bande de jeunes copains artistes qui nous opposions au régime dictatorial, se souvient la peintre tout émue. Moi, je brossais des fresques porteuses de messages anti-racistes et pacifistes. Notre groupe était bien en marge de l'art officiel.

Après ses études à Lima, la peintre part découvrir l'art européen. En 81, elle atterrit à Bruxelles pour suivre les cours de sculpture du créateur engagé qu'est Roger Somville. Elle poursuit ensuite ses peintures grand format et repart en Amérique latine où l'horreur l'attend.

Le gouvernement avait flanqué mes profs et pas mal de mes amis dissidents en prison, raconte Léonor qui a dû s'expatrier en Belgique. J'ai demandé l'asile politique au moment de l'accession au pouvoir du président Alberto Fujimori dont le régime considérait mes oeuvres comme subversives. Depuis Bruxelles, j'ai décidé de dénoncer les massacres des paysans et des opposants politiques.

La perte d'êtres chers déteint dans les toiles de Léonor. Ses couleurs vives très latinos s'estompent au profit de tons sombres propres au plat pays et des visions macabres envahissent ses scènes naïves de la paysannerie andine. Sa peinture bascule dans un expressionnisme désenchanté qui rappelle James Ensor. Derrière des agriculteurs exubérants se dissimulent des têtes de morts. Mélange plein de tourmente: des tontons Macoutes haïtiens font gicler le sang sur des paysages péruviens idylliques, abandonnés par leurs dieux protecteurs.

Avant, j'étais attachée à la terre et à la joie de vivre. Maintenant, je livre mes tensions intérieures, se résigne Léonor. Pourtant, j'ai bon caractère. C'est sans doute la vie qui a progressivement assombri ma peinture.

A coups de pinceaux, Léonor Villagra dénonce aussi la condition de la femme péruvienne. Dans mon pays, dix pour cent des prisonnières tombent enceintes et accouchent suite aux viols qu'elles ont subi lors de séances de torture, s'émeut l'artiste. Je suis aussi préoccupée par la prostitution enfantine causée par la crise économique.

Léonor poursuit également sa démarche politique en ouvrant les portes de la culture aux milieux défavorisés. Elle anime des ateliers pour femmes et enfants de l'immigration. Une démarche considérée comme subversive au Pérou, note-t-elle.

J. Bo.

Léonor Villagra expose chez Amazone (rue du Méridien, 10 à 1000 Bruxelles) jusqu'au 23 mars et à l'atelier-galerie «Las Meninas» (rue Gray, 122 à 1050 Bruxelles) jusqu'au 10 mars.

 

© Le Soir du mercredi 8 mars 2000
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