Manon Jutras

une carte postale
de la Hollande

Mercredi, 3 septembre 2003

Je suis arrivée aux Pays-Bas (la Hollande est une province des Pays-Bas) lundi en avant-midi. Le Tour, le Holland Ladies Tour, est une course en six étapes. Plus de 780 km au menu de la semaine. Pour cette compétition, on m'a inscrite avec une équipe locale, l'équipe cycliste Ton Van Bemmelen (ce commanditaire principal de cette équipe est un détaillant d'articles de sport du genre Sport Experts). C'est l'équipe de développement de la très célèbre équipe FarmFrites. Célèbre puisqu'elle compte sur la championne olympique Leontienne Zijlaard-VanMoorsel comme leader d'équipe. Une super star en Europe. C'est donc avec une équipe de jeunes domestiques qu'on m'a jumelée (l'équipe de développement est souvent au service de l'équipe de premier plan). C'est donc le match parfait avec moi. Cela m'aidera à retrouver ma forme rapidement.

J'ai rencontré mes nouvelles coéquipières une heure avant le départ lundi midi.

J'ai eu l'agréable surprise de rencontrer ma coéquipière de l'équipe RONA en 2002, l'américaine Nicole Freedman. Une excellente sprinteuse. Comme moi, Nicole est une cycliste invitée. Le Holland Ladies Tour est une excellente course pour elle. Il faut d'excellentes habiletés techniques pour négocier les nombreux virages sur le parcours, lire la direction du vent et tenir sa position dans un peloton de plus de 130 coureuses. Tout ça avec la possibilité de courser sous la pluie. Il n'y a pas que les montagnes qui rendent les courses excitantes.

Une étape particulière cette année au Tour est le contre la montre par équipe. Le contre la montre de 23 km a été disputé mardi en après-midi. En matinée nous avions coursé une épreuve de 88 km. Ce fut l'étape où j'ai eu le plus de plaisir. J'ai tiré plus longtemps et plus vite que mes jeunes coéquipières. À quelques occasions, elles m'ont crié de ralentir... un peu. Nous nous devions de finir l'épreuve avec au moins quatre cyclistes. Nous étions sept au départ. Après l'épreuve, le directeur d'équipe est venu me remercier pour mon travail. Je ne m'attendais pas à autant de reconnaissance. D'ailleurs, depuis mon arrivée, je n'ai jamais eu autant d'attention à mon égard. Le soigneur, le directeur d'équipe, les deux mécaniciens ainsi que la capitaine (pour la traduction), tous sont à l'écoute de mes besoins. Le traitement royal pour une super domestique ! Je crois que je pourrais y prendre goût. Comme condition de travail, on ne retrouve pas ça en Amérique.

Parlant de mon séjour en Europe, j'ai eu un choc visuel à mon arrivée au Pays-Bas. Ici le piéton n'existe pas. Les trottoirs sont déserts. Il n'y a que des gens à bicyclette. Tout le monde circule à vélo. Avec un type de vélo de ville qu'on ne retrouve pas en Amérique. Tout le monde sans exception, jeune et moins jeune. Imaginez un instant, les piétons de la rue Ste-Catherine en cyclotrotteur...un choc visuel, vous dis-je ?

J'ai eu besoin de quelques jours pour m'adapter au peloton. Il faut aussi attendre quelques étapes pour voir qu'elles sont les équipes et les prétendantes au maillot de leader. Après la quatrième étape, l'équipe locale, FarmFrites, monopolisait les trois premières places du podium. Tout semblait être gagné. Mais la cinquième étape allait tout changer. C'était l'étape de montagne. Une dizaine de bosses, 1 à 2 km chacune, à négocier sur le parcours de 130 km. Mon directeur sportif m'avait demandé d'attendre à cette étape pour montrer le commanditaire à l'avant du peloton !

Au vingtième kilomètre, je décide d'attaquer. Un kilomètre plus tard, j'ai réussi à creuser un écart avec le peloton. Et je me retrouve dans un groupe sélect de 5 coureuses : Nicole Cooke, l'actuelle leader au classement de la Coupe du Monde, Suzanne Ljungskog, championne du monde en 2002, Trixi Worrack, championne nationale d'Allemagne et finalement, une ancienne championne de l'Union Soviétique, Valentina Plokanhova. Bon ok. Puis-je survivre en échappée pour plus de 100 km ? Aucune des cyclistes n'hésite. Nous y allons à fond de train, prenant notre relais, chacune notre tour. Le maillot de leader est en jeu. Derrière, les FarmFrites nous pourchassent. Pendant plus de 100 km, l'écart se maintient entre 60 à 90 secondes. C'est dire comment les deux groupes y vont à toute allure.

Avec moins de 20 km à faire, mon directeur sportif vient à mes côtés dans la voiture d'équipe. Il veut me donner les consignes pour le final. Dans la voiture, il y a aussi le Big Boss de l'équipe. Il me regarde bien dans les yeux, et avec son accent il me dit qu'une victoire d'étape est très importante pour le commanditaire. Si je réussis, je toucherai un bonus, en euros. WOW ! Je ne vous dis pas combien, mais je peux vous dire que je n'ai jamais eu la possibilité de faire autant d'argent pour une course. C'est vous dire comment le cyclisme féminin est différent en Europe. Bon ok, je dois penser à mon attaque finale.

J'ai manqué de jus lors dans la dernière montagne, à 5 kilomètres de l'arrivée. La victoire est allé à Nicole Cooke. Après cette étape, le maillot de leader est allé à Suzanne Ljungskog. Quant à moi, j'ai terminé 5e. Très satisfaite. Je me suis mesurée aux meilleures grimpeuses sur le circuit de la Coupe du Monde. Nous avons tenu une échappée de plus de 100 km. Cette cinquième étape fût éprouvante pour plusieurs. Plus de 40 coureuses ont abandonné.

Pour la 6e et dernière étape, nous sommes 60 au départ. Le directeur d'équipe nous a communiqué sa satisfaction à Nicole Freedman et à moi. Des sept cyclistes de l'équipe au départ du Tour, nous ne sommes que trois pour la dernière étape. Pour Nicole et moi, le Tour n'est pas terminé pour autant. Nous discutons stratégie pour la dernière épreuve de 112 km. Nous y allons pour la victoire d'étape. Un podium pour Nicole. Mon rôle, protéger Nicole pour le sprint final. Mais aussi montrer le commanditaire en avant le plus souvent possible. Je commence donc à me porter à l'attaque au 30e km. Je réussis à creuser un écart avec le peloton principal, mais on me rattrape. Même si je sens la fatigue de plus de 700 km dans les jambes, je continue à animer la course avec plusieurs attaques. Dans les derniers 20 kilomètres, j'essaie de protéger ma coéquipière Nicole pour le sprint final. Elle termine deuxième, derrière Diana Ziulute. Mission accomplie. Le jury de course me décerne la mention Rider with the most fighting spirit pour cette 6e et dernière étape. Le commanditaire de l'équipe, Ton, jubile. Il est très heureux de la façon dont Nicole et moi avons coursé. Pour souligner sa satisfaction, il nous a remis un bonus en argent. En euros ! Puisque cette dernière étape marque la fin du Tour, l'organisation remets les maillots aux vainqueurs. Cela se fait devant public et journalistes sur une estrade d'honneur. On remet les maillots suivants : Gagnante du Tour, Championne aux points, Reine de la montagne, Meilleure sprinteuse. Je me retrouve donc sur le podium parmi les meilleures : Suzanne Ljunskog, Diana Ziulute, Debby Mansvelt, Chantal Beltmann. J'me dis que c'est pas si mal pour finir mon camp d'entraînement en Europe.

Enfin, c'était presque la fin. Il reste la Coupe du Monde de Rotterdam.

Dimanche 7 septembre 2003
Me voici donc à participer à la 9e et dernière étape du cicuit de l'UCI. Nicole Cooke, de l'Angleterre, mène le classement aux points. Et son avance la concrétise déjà championne 2003. L'enjeu donc est de voir à l'oeuvre les favorites locales : Zijlaard-VanMoorsel, Melchers et les soeurs Beltman.

Le parcours de 140 km n'offre aucune difficulté. D'autant plus qu'il n'y a aucun vent au départ. Il y a quelques nuages à l'horizon et possibilités d'averses. Avec un peloton de plus d'une centaine de coureuses, les dangers d'accrochages sont évidents.

Pour l'occasion, je course avec mon maillot SATURN en équipe mixte. Je suis jumelée avec deux cyclistes de l'équipe VITRON (elles tiendront à peine 40 km) et Catherine Marsal, de l'équipe RONA-ESKER.

Mais, de façon non officielle, je suis au service d'une autre équipe. On a observé ma façon de courser pendant le Holland Ladies Tour, et une équipe voudrait bien que je joue un rôle de coéquipière pendant la course. J'obtiens une radio pour être en communication avec le directeur sportif. Selon les consignes de ce dernier, je tente quelques attaques. Mais la fatigue semble être mon adversaire numéro un. C'est ce que je croyais pendant la première heure de course. Jusqu'à ce que la pluie se mette de la partie, pendant plus de 30 minutes. Heureusement le peloton a ralenti. Mais la crainte a pris le dessus. Je n'avais pas la même confiance dans mon vélo, et surtout auprès des autres coureuses. La pluie a cessé et le peloton s'est remis à courser lors des 45 dernièrs kilomètres. Avec 30 kilomètres à faire, un accrochage est survenu entre plusieurs coureuses. J'ai réussi à l'éviter à la toute dernière minute. J'ai appris par la suite que plusieurs cyclistes ont subit des blessures importantes.

Dans les derniers 20 kilomètres, j'ai tenté une fois de plus de protéger ma compatriote Nicole. Elle a réussi à se présenter au sprint final. Quant à moi j'ai atteint mon objectif : finir sur mes deux roues. Une fois la ligne d'arrivée franchie, je peux vraiment dire que mon camp d'entraînement est terminé. Les spectateurs célèbrent, malgé le temps sombre, la victoire d'une des leurs, Chantal Beltmann. Mais la fête est plutôt timide, comparé à Nurnberg, en Allemagne. Même si c'est une Hollandaise qui a mérité la victoire, on en parlera peu dans les bulletins de nouvelles et les journaux.

C'est ainsi que se termine la série de Coupes du Monde. Prochain rendez-vous important pour le cyclisme féminin, les Championnats du Monde, le 11 octobre prochain à Hamilton, Ontario, Canada.

Quand je m'arrête quelques instants pour penser à ce séjour en Europe, je réalise que ce fût la plus belle expérience cycliste de ma jeune carrière. La France, l'Allemagne puis les Pays-Bas. Et au delà de la compétition, il y a aussi eu la rencontre avec les gens, l'apprentissage de d'autres moeurs et cultures et la découverte de d'autres paysages. Tout cela m'a permis d'explorer un peu plus qui je suis. Vraiment unique comme expérience.

Quant à mon prochain rendez-vous important : lundi 8 septembre à Victoria où mon amour m'attends.

J'espère que vous avez apprécié le récit de... mon Fabuleux Destin.

À bientôt,

Manon


Page mise en ligne le 9 septembre 2003 par SVP

Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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