Chapitre 1: Rimalk
Sur la plaine, au nord des murs, un berger et son fils lourdement habillés sous un soleil de plomb regroupaient un troupeau. Le berger, dont le nom était Jonatide, amenait d’innombrable moutons vers les collines portant sur ses petites épaules qu’un léger sac à dos. Celui-ci cria à son fils : - N’oublie pas Kradim, à la moindre vue d’un grand oiseau… - Oui, oui! Je sais père… - Mieux vaut ne pas prendre de chance avec ces monstres! As-tu toujours ta bouteille de poison? - Oui père! et j’ai aussi la vieille brebis attachée à moi. Voyant son fils d’à peine seize ans se comporter si nonchalamment, le vieil homme soupira et s’occupa de nouveau de son troupeau. Cependant ses yeux scrutaient beaucoup plus le ciel que la route de galets qui les menait aux grottes des collines. L’ouverture de la grotte était maintenant à quelques minutes de l’endroit où ils étaient. - Tu vois bien père, il nous arrivera rien… et comme chaque année, on va s’ennuyer pendant que le village sera en fête. Pourquoi est-ce toujours moi qui dois faire la sale besogne? - Vois-tu, mon fils, ce travail est le plus important de l’année. Sans nous les gens du village risqueraient de ne pas survivre à l’hivers. - Oui, je sais bien, mais moi j’aimerais beaucoup plus aller voir les joutes du tournoi qu’organise le roi Délogran. Au lieu de ça, je dois rester ici à surveiller ces bêtes! Le vieil homme soupira de nouveau, et fit entrer ses animaux dans les entrailles de la colline. À l’intérieur, une multitude d’autres animaux s’entassait, séparés par les reliefs naturels des grottes ainsi que par quelques rustiques barrières. De plus quelques chiens étaient demeurés là à faire respecter les frontières. Une plus petite grotte à l’intérieur était destinée à héberger les deux gardiens. C’est ainsi qu’il restèrent toute la nuit dans l’humidité et la noirceur des grottes pendant qu’à la ville, les rues et places publiques avaient grouillé d’activités de toutes sortes toute la journée et toute la soirée. Cependant l’attraction principale demeurait les joutes dans l’enceinte du château où s’affrontaient des aventuriers à la recherche d’actions et de pièces d’or lors de compétitions diverses. Des visiteurs de toutes races et origines venaient démontrer leurs talents; des hommes des bois à la peau cuivrée et aux muscles sayant venus du lointain sud, des pirates de Thorval, des gigantesques bûcherons de Borelande, quelques capitaines représentant des armées de Gareth, plusieurs petits mais robustes nains descendu des montagnes environnantes et parfois même quelques voyageurs habillés de noir venus des terres situé au delà de l’Épée d’Airain tous espérant repartir avec honneurs et gloires. Aussi certains venaient uniquement pour démontrer leurs talents particuliers, comme les elfes venus des Monts de la Salamandre démontrant leur dextérité au tir à l’arc ou les cyclopes sortis de leur archipel venus pour exposer quelques unes de leurs plus belles créations de forges. Dans l’obscurité de la grotte, autour d’un petit feu, les deux paysans se réchauffaient. C’est alors que Jonatide après de longues réflexions se mit à raconter une histoire à son jeune fils : « Savais-tu que, il y a pas très longtemps, les dragons terrorisaient notre région? Les champs étaient riches mais ils étaient impossibles à cultiver. La rivière était encore plus poissonneuse et la forêt, remplie de gibiers. Mais aucun humain n’osait s’y aventurer. C’est alors, qu’un jour, un chevalier passa sur ces lieux et les trouva si beau qu’il décida d’y ériger une maison. Une fois sa maison construite il parcourut le territoire et s’aperçut que des milliers de dragons avaient aussi décidé d’y établir domicile. Il revint à sa demeure, s’arma de sa lance la plus solide puis, chevauchant la plaine à toute allure, il chercha le repère des dragons. Il arriva dans une clairière où une cinquantaine de dragons dormaient. Parmi eux, un était éveillé. Il était plus grand, plus gros, à la fois plus monstrueux et plus magnifique. Le chevalier était figé tellement le dragon était imposant. Son large torse recouvert d’écailles dorées lui donnaient une allure presque humaine mais ses griffes et multiples cornes annulaient toute parenté possible entre les deux races. De plus ses yeux semblaient contenir toutes les couleurs. Deux grandes ailes blanches étaient reposées sur son dos de manière à former avec le sol de chaque côté une tente capable d’abriter une centaine d’hommes. Les griffes de ses puissantes pattes étaient plantées profondément dans le rocher où il était couché et chaque respire faisait expulser une nuée de tisons. Le chevalier, immobile, ne put qu’admirer l’impressionnante créature. Celle-ci le regardait depuis son arrivée. À la grande surprise du chevalier, le dragon lui adressa la parole : - Vaillant chevalier, que fais-tu en ces lieux? - J’ai érigé ma maison sur cette terre, non loin d’ici. - Cette construction devra être détruite et abandonné ces lieux sont les miens et ainsi ceux de tous mes frères. Alors, je te suggère de partir avant la tombé de la nuit. - Si je refuse? - Tu périras… comme ceux qui n’ont pas écouté mon obligation. - Tu peux savoir que je ne quitterai jamais ces lieux contre ma volonté. Si tu veux m’en empêcher, c’est le moment! - Si c’est ce que tu veux! C’est dommage que le peuple des humains perde un autre chevalier. Prépares-toi à ta fin… Sur ces mots les yeux du dragon se changèrent en charbon ardent. Se levant sur ses deux pattes arrières, ouvrant ses gigantesques ailes, la créature poussa un cri qui aurait découragé n’importe quel autre guerrier mais celui-là était très courageux. Tous les dragons se réveillèrent et s’écartèrent d’entre le monstre et le chevalier. Le ciel s’obscurcit mais cela n’était pas la cause des nuages mais celle de millier de dragons qui volaient autour de la clairière. C’était un spectacle à la fois le plus beau et le plus terrifiant qu’on puisse imaginer. La monture du chevalier se cambra mais celui-ci tenu bon et calma le cheval. Il partit, lance baissée, droit sur la créature. Dans un incroyable rugissement, le dragon cracha une immense boule de feu, celle-ci aurait pu incendier toute une ville d’un seul coup et elle s’abattit sur le guerrier. Miraculeusement, le chevalier et sa monture en ressortirent sans aucune douleur. Le dragon, voyant que son feu n’avait causé aucun dommage au vaillant chevalier rugit de nouveau. Encore une fois, le feu n’arrêta point le guerrier. Voyant cela, le dragon reposa ses pattes de devant et inclina la tête. L’homme s’arrêta et se demanda pourquoi il agissait ainsi. Soudain la créature se remit à parler : - Voyez, tous, cet homme est celui qui sera notre seigneur car nous n’avons aucun pouvoir sur lui. Alors, maître, que feras-tu de nous? L’homme réfléchit peu, encore sous l’énervement de sa course, et dit : - Quittez ces terres et vivez en nomade. Ne rester jamais plus qu’une dizaine de jours dans la même région. - Qu’il en soit ainsi… Lentement, le ciel s’éclaircit. Comme un nuage de tempête poussé par le vent, les dragons partirent, volant, marchant, bondissant, rampant, tous vers le nord. Avant longtemps des marchands venus d’Andergast en direction de Gareth qui habituellement se risquaient sans pénétrer dans les plaines apportèrent la nouvelle qu’un chevalier mystérieux avait libérer les Terres de Feux jusqu’à la Capitale et la nouvelle s’étendit à travers le toute l’Aventurie et plusieurs gens sont venus fonder Rimalk. Tous décidèrent d’élire le chevalier comme roi mais celui-ci refusa. Il leur dit : - Je ne suis pas un roi, je ne suis qu’un chevalier désireux de paix et tranquillité et qui espère peut-être fonder une famille. Plusieurs d’entre vous feraient certainement d’excellant rois, il ne vous reste plus qu’à le choisir. Sur ces mots, le chevalier reprit la route et s’en retourna à sa demeure isolée près des premiers Gardes-Blancs de l’ouest. Quelques années passèrent puis plus personne de Rimalk ne sut ou s’interrogea sur ce qu’il était advenu. Cependant, durant plusieurs années, à la même date, une nuée de dragons survolaient la ville sans s’arrêter et les gens de Rimalk organisèrent des fêtes en l’honneur du chevalier errant qui devint le Seigneur des Dragons. » Le jeune garçon, intéressé par l’histoire de son père le questionna : - Quel était le nom de ce chevalier? - Nul ne le sait. - Pourquoi n’y a-t-il plus de dragons qui survolent la ville? - Nous l’ignorons aussi… c’est peut-être une demande de leur Seigneur? - Est-ce que le chevalier avait tout le contrôle sur le maître des dragons? - Eh… je crois que oui… Assez les questions, il est temps de dormir. - Mais… - Il n’y a pas de mais! Au lit! Arrosant le feu d’un sot d’eau, le père regarda son fils s’envelopper dans sa couverture et s’endormir aussitôt. Il s’approcha doucement et murmura doucement au garçon endormit : « Si seulement tu savais… » Le lendemain matin, le bruit d’une forte pluie réveilla le jeune Kradim. L’endroit où Jonatide s’était couché était désert. Après un bref regard aux alentours il s’aperçut que la grotte tout entière était déserte. Il se leva d’un bon, mais la voix de son père le rassura aussitôt : « Dépêches-toi, tant qu’il pleuvra, les animaux pourront manger en sécurité! » Ainsi, sous la pluie battante, les deux paysans surveillèrent le troupeau qui ne s’éloigna pas de l’entrée de la grotte, comme s’ils étaient conscient du danger qui les menaçait. - Père, pourquoi les dragons ne volent-ils pas quand la pluie tombe? - C’est parce qu’ils n’aiment pas l’eau. - Est-ce qu’on peut tuer un dragon avec de l’eau? s’interrogea le jeune garçon. - Non, ils n’aiment pas l’eau sauf qu’ils sont très bien capable de l’endurer. Et le garçon se tût. Jonatide remarqua bien que son fils s’interrogeait encore au sujet des dragons mais il préféra ne plus en parler. La pluie ne cessa pas tout au long de la journée. Le jour s’assombrissait lorsqu’un cris strident se fit entendre. Les animaux s’affolèrent, courant de tous les côtés sans aucun berger pour les rassurer car ils étaient rentrés se couvrir pour prendre le repas du soir. Au son des animaux affolés, les deux hommes se précipitèrent vers la sortie de la grotte, Jonatide menant d’une bonne distance. Le spectacle lui glaça le sang, tellement que la pluie lui sembla bouillante. Plus de vingt créatures volaient au-dessus des animaux, fondant comme l’éclair sur leurs proies, leur déchirant la chair d’un seul coup de griffe. Quelques secondes après avoir choisit et saisit leur proie en groupe, il reprenaient leur envol à la recherche d’une autre victime, ne restait plus que quelques résidus fumant. Jonatide se retourna et cria à son fils de rester à l’abri. Cependant, profitant de ce moment d’inattention un dragon frappa l’homme qui se retrouva écrasé et prisonnier sous le poids de sa patte qui à elle seule pesait près de deux fois le poids du berger. Kradim entendit le cris de douleur de son père et, sans hésitation, il sortit brandissant l’épée émoussée de son père. L’énorme créature leva la tête et fixa son attention sur la silhouette qui fonçait vers lui. À cet instant Kradim sentit un malaise l’envahir, remontant progressivement son dos jusqu’à la nuque, tel une profonde haine envers toutes choses, surgit de nul part. Il sentait le regard de la créature scruter à l’intérieur même de son esprit. Bien peu d’autre jeune de son âge auraient pu supporter la vision de cette immonde face grise et noire au bout d’un long corps de serpent mais Kradim garda son sang froid et reprit sa course pour aider son père, inconscient. Le gigantesque reptile ouvrit alors toute grande sa gueule et, précédée d’un rugissement assourdissant, il souffla en sa direction. Effrayé, Kradim se couvrit le visage avec son bras droit sachant bien que cela était inutile car ça ne le protégerait pas de la gigantesque flamme qui filait vers lui. Tout se passa en une fraction de seconde mais pour lui cela paru durer bien plus longtemps. Il sentit le souffle se rapprocher et maintenant cette chaleur était si près qu’elle l’envahissait. Irradiant tous ses membres, un courant parcouru le corps de Kradim comme un frisson dans le dos mais celui-ci était doux. Il sentit tous ses muscles se réchauffer, en fait, tout son corps semblait fondre mais il ne ressentit aucune douleur, au contraire, cela lui faisait du bien. Kradim rouvrit les yeux, le carnage s’était arrêté. La vingtaine de dragons avait disparue; son père était encore étendu sur le sol dans une mare d’eau. Un éclair déchira le ciel, illuminant ainsi le corps de Jonatide qui gisait dans l’eau colorée par le sang du berger. Une larme coula le long de la joue de Kradim et finit par tomber sur le sol au même moment où l’on entendit le tonnerre. L’enfant resta aux côtés du cadavre de son père toute la nuit. Les premières lueurs réveillèrent le jeune homme. Celui-ci s’étonna qu’il ait réussit à trouver le sommeil mais il s’étonna encore plus lorsqu’il vit qu’il était au pied d’un monument de pierre. Une statue de dragon était perchée sur un pied d’estale de marbre dont la face portait des inscriptions que Kradim ne pu déchiffrer. Tout ce qu’il reconnu ne fut que le nom de son père de la même façon dont lui seul l’écrivait. Le jeune homme ne comprenait plus rien et avant qu’il ne pu réaliser quoi que ce soit, une voix derrière lui dit doucement : « Kradim!… » Celui-ci se retourna et fut encore plus surpris de voir que la voix était celle de son père. Cependant il n’était plus vêtu de son long manteau gris habituel, il ne portait pas non plus les vieilles bottes de cuir ni la vieille branche tordue qui lui servait de canne; au contraire il portait une armure d’argent magnifiquement brillante. Sous les plaques d’armure on pouvait voir une cotte de mailles rouges comme de la lave sortant d’un volcan, le tout apaisé par une cape bleu-ciel agitée par la brise. Le casque que portait le chevalier était lui aussi d’argent et était modelé de façon à représenter un dragon ouvrant la gueule pour laisser sortir son venin. À sa ceinture une longue épée dont la garde était formée par les dents d’un dragon et le pommeau était l’œil d’un dragon tenu par une bague d’or. L’arme d’une rare beauté n’avait assurément pas été forgé de mains d’hommes. - Il est maintenant temps que tu saches une partie de la vérité. - Mais Père!… - Tu dois savoir que Kradim n’est pas ton vrai nom mais le temps de te le dévoilé n’est pas encore venu. Pour ma part, je suis bien Jonatide mais je ne suis pas le berger solitaire que tu as connu; il y a longtemps mon père a fait ce que je suis en train de faire espérant que ce cycle s’arrête mais hélas je n’ai pu y mettre fin. Il y a plusieurs siècles Fuldigor, le plus grand des dragons, souhaitant se reposer chargea deux hommes de veiller à la tranquillité des terres de chaque côté de son repère; notre ancêtre fut responsable de celles de l’ouest. Fuldigor donna de plus à chacun divers pouvoirs dont un seul commun aux deux; celui d’autorité sur tous ses fils et filles. Peu de temps passèrent avant que le deuxième homme, saoûlé par les pouvoirs qu’il détenait, se mit à pourchasser son homologue occidental, le seul qui pourrait mettre un frein à ses ambitions de grandeur. Au cours des années, il y eut plusieurs affrontements et trêves mais l’homme étant ce qu’il est, la guerre entre les Officiers de Fuldigor se poursuivit et continua jusqu’à aujourd’hui. Prépare-toi car un temps de malédiction va s’abattre sur cette terre, cette terre que le père de mon père avait choisi. Maintenant, tu dois apprendre par toi-même; prends cette épée, elle te sera utile. Jonatide tendit à deux mains l’épée dans son fourreau vers Kradim qui aurait eu bien des questions à poser mais il se contenta de prendre ce que son père lui donnait. Ses yeux attristés se posèrent sur la magnifique œuvre de forge mais c’est lorsqu’il les releva qu’il s’aperçut qu’il était seul au milieu du champs où la tombe de son père était. Kradim s’agenouilla en pleure devant la pierre; il voulait crier mais peu de son réussissait à trouver un chemin. Soudain il entendit une voix : - N’aie pas peur, nous serons toujours là… Kradim regarda le ciel et cru voir trois hommes formés par les nuages. Il reconnu rapidement son père mais l’instant d’après, le vent anéantit à jamais la vision de Jonatide. Tout était mélangé dans la tête de Kradim. Que devait-il faire? Pourquoi Jonatide lui avait-il caché toutes ces choses? et cette épée? il n’avait jamais été élevé comme un chevalier dans les court de châteaux. Les seuls choses que lui avait enseigné son père était la lecture et la garde de troupeaux. Kradim rentra dans la caverne pour y chercher ses choses et celles de son père. Il y découvrit à son étonnement, le troupeau calmement entassé, la plupart endormis. Il rassembla tous ses biens dans le grand sac à dos de son père et poussa les bêtes hors des grottes. Comme l’aurait fait, et voulu son père, il ramena le troupeau vers la ville. Kradim, la mine basse, n’eut aucun besoin de parler pour guider les animaux, comme si ceux-ci comprenaient sa peine. |