Chapitre 2 : Adieu
Rimalk Visitez le site de l'auteur de ce dessin, Romain Soulcié
Rendu aux portes de Rimalk, Kradim fit entrer
le troupeau dans un enclos où ils furent séparés puis retournés à leur
légitime propriétaire, ne restant que ceux de Jonatide. Adressant la
parole, pour la première fois depuis bien longtemps il demanda à ce que
l’on vende ses animaux. Les marchands refusèrent demandant l’accord de
Jonatide mais le jeune homme leur annonça sèchement la
nouvelle.
Pendant tout le reste de la journée, la rumeur de la mort
de Jonatide s’étendit à la ville entière ne laissant à Kradim qu’un chemin
désert vers la maison de son père. Là, personne ne l’accueillit; enfant
unique d’une mère emportée par la maladie il y a plusieurs hivers et dont
les seuls parents demeuraient en totalité à Ferdok, ville en aval de la
rivière. La cabane lui sembla aussi lugubre que les grottes de la veille.
Il rassembla quelques effets personnels et repartit à la place du marché
pour y vendre à perte le reste. Ainsi tous ses biens furent vendus à sa
demande et l’argent lui fut remit ne gardant qu’un cheval, ses vêtements,
quelques provisions et l’épée que son père lui avait remise.
Tout
Rimalk était au courant du prochain départ du jeune Kradim. Celui-ci
parcourut la ville pour une dernière fois, le visage attristé regardant
chaque cailloux sur son chemin; les gens arrêtaient de parler, de courir,
de marchander à son passage. Bien peu de murmures se firent entendre,
l’atmosphère était le même qu’un cortège funéraire. Tous compatissaient
avec le jeune garçon. Soudain, des voix se firent entendre, des voix
familières aux oreilles de Kradim. Celui-ci releva la tête et arrêta son
cheval pour ensuite le retourner vers ceux qui l’interpellaient.
Il
s’agissait de ses deux meilleurs amis; Stonyr et Xennie, tous deux frère
et sœur. L’un était un apprenti chevalier mais dont la carrure donnait
déjà l’impression d’être celle d’un soldat de plusieurs guerres. Tous deux
était richement vêtu, l’un d’une ample chemise de lin aux broderies dorées
et de pantalons de cuir de cerf, et l’autre d’une fine robe bleue nuit,
sans manche, également bordée de reliefs dorés. L’autre, cette fillette à
la coiffure garçonnière au teint pâle et au regard curieux était élève
apprenant les bonnes manières d’une fille de roi. - Notre père te
demande à sa court, dit Xennie. Je t’en supplie, avant de partir comme ça,
vient au moins écouter ses bons conseils.
Kradim regarda les yeux
du vaillant Stonyr, celui-ci qui était du même âge que Kradim mais sa
royauté présente sur son visage lui donnait des allures de soldats
aguerrit, remarqua à quel point celui-ci tenait à son ami. Sans un mot
Kradim fit avancer sont cheval redonnant ainsi un petit sourire à ses
amis. Il s’arrêta près d’eux et les fit monter tout aussi
silencieusement.
Une fois arrivé au château, le roi Délogran les
attendait au pied des marches menant à l’intérieur. Les gardes aidèrent
les enfants à descendre mais Kradim demeura sur sa monture. Le roi prit la
parole : - Je sais que la perte de ton père est triste et j’essaie de
comprendre ce que tu ressens mais je sais que c’est presque impossible. Si
tu le veux bien, je pourrais te prendre comme mon fils et t’élever en
compagnie de Stonyr et de Xennie. Tu ne dois pas fuir…
À ces mots
Kradim interrompit d’une haute voix : - Je ne fui pas, je parts pour
connaître la vérité!
« Comment pouvait-il interrompre le roi de la
sorte! » se demandaient les quelques gens présent, mais sur le sage visage
du roi se lisait une expression de compassion pendant que Kradim
retournait son cheval et reprenait son chemin. Stonyr voulut le rattraper
mais Délogran l’arrêta : - Kradim a fait son choix… je crois qu’il sait
ce qu’il fait même si cela ne le semble pas. Kradim part aujourd’hui pour
une grande quête, celle de sa vie…
Aussitôt sorti de la ville, il
traversa le petit pont de pierres afin de rejoindre la rive est. Une fois
de l’autre côté il poussa son cheval au galop sur la route qui longe la
montagne noire en direction du lac de Neufoeil.
Le soleil se
perdait dans l’horizon et le jeune garçon était assis sous un arbre
regardant son cheval brouter dans l’herbe. Il en était à sa sixième
journée de voyage mais les questions ne cessèrent de le tracasser. Il
faisait de plus en plus sombre mais il faisait déjà nuit pour Kradim; que
devait-il faire maintenant? Qui était cette personne qui lui voulait tant
de mal? Que devait-il faire de cette épée?... Kradim finit par
s’endormir.
Le chant d’un oiseau annonçant le lever du soleil
parvint aux oreilles du malheureux garçon qui se réveilla doucement.
Aussitôt il referma durement les yeux; Kradim aurait bien souhaité qu’à
son réveil tout serait comme avant, le mauvais rêve serait passé. Mais il
était encore sous l’arbre, seul, même son cheval avait disparu; même sa
monture l’a abandonné se disait-il! Ce sentiment de solitude semblait
devenir insupportable au moment où Kradim senti un souffle chaud et humide
dans son coup. Son cheval était bien là, attendant sagement derrière lui,
comme un soldat attendant les ordres de son roi. Kradim ouvrit son sac, y
sorti un pain et le brisa en deux. Il en donna une partie au bon cheval
mais celui-ci ne fit que le renifler. « T’as raison, j’en aurai sûrement
besoin plus tard » dit-il à son fidèle compagnon. Après son léger repas,
Kradim repris la route sous le soleil levant. Mais sur son visage on
aurait pu remarquer une petite lueur le long de sa joue.
Kradim
chevaucha cinq autres jours, arrivant à une intersection sur les bords du
grand lac Neufoeil. Une caravane venant du nord approchait lentement. Deux
cavaliers armés menaient le convoi de trois chariots et deux autres
fermaient la marche. À une centaine de mètre de Kradim le groupe
s’immobilisa sous l’ordre d’un des cavaliers qui par la suite s’avança
avec précaution. Il interrogea le jeune homme sur ces allez et venus
: - J’arrive de Rimalk et je m’en vais par vers l’est, vers l’épée
d’Airain! À ces mots, stupéfait, l’émissaire demanda combien d’orques
ou autres créatures avait-il rencontré depuis son départ? - Aucun… -
La chance a été de ton côté mais tu auras besoin de bien plus que ça si tu
souhaites vraiment atteindre les hautes montagnes? Nous sommes en route
pour Gareth et nous allons faire escale à Trallo… peut-être voudrais-tu
nous accompagner pour ta sécurité?
Le jeune voyageur accepta
l’invitation réalisant au même moment qu’il devra se tenir sur ses gardes
d’avantages s’il désirait rester en vie car habituellement la route qu’il
venait de prendre grouille de troupes d’orques et de loup des
bois.
Le garde plaça Kradim à ses côtés pour les deux jours qui les
séparaient de Trallo. Ni un ni l’autre était d’humeur bavarde, alors, la
majeure partie du voyage se passa en silence. Une fois aux portes de la
ville, le cavalier prit la parole : - Il semble que ta bonne fortune
nous ait suivi. Espérons qu’elle te suivra encore longtemps… bonne route
jeune homme!
Kradim laissa le convoi à leurs affaires et parti à la
recherche d’un lit pour la nuit dans une auberge. Bien que le soleil était
encore haut dans le ciel, il s’installa dans sa chambre. Couché dans son
lit il entendit les gens dans la rue courant, criant. Il entendait aussi
les gens dans la taverne de l’auberge festoyant, riant. Malgré cette foule
Kradim se sentait bien seul, son esprit toujours aussi tourmenté
d’innombrables questions.
Le lendemain matin l’aubergiste vint
cogner à la porte du jeune homme mais aucune réponse ne vint. Il ouvrit la
porte et vit la chambre vide, le lit fait; tout brillant d’une propreté
inhabituelle.
Kradim avait repris son chemin bien avant que le
soleil n’éclaire le jour. Il chevauchait tranquillement à travers un
champs. Comme il traversait un petit ruisseau, il vit une fumée blanche
s’élever dans le ciel vers les rives du grand lac toujours à sa gauche. À
mesure qu’il approchait il vit une maison de bois. Autour de celle-ci un
troupeau de mouton se reposait calmement surveillé par un vieil homme qui
cependant semblait bien en forme. Comme il passait devant la cabane, un
jeune garçon en sorti puis alla aux côtés du berger, tous deux le
remarquèrent et le saluèrent de la main. Kradim leur renvoya le salut d’un
simple petit geste de la main car des images de son passé lui revenait à
l’esprit, se rappelant travailler avec son père, le berger… ou bien le
chevalier? Il se rappela les paroles de son père…
Il continua son
chemin encore quelques temps jusqu’à l’endroit où le chemin s’éloigna du
Lac de Neufoeil. Kradim se retourna pour contempler une dernière fois
cette magnifique mer intérieure sans vague et sans îles. Il se disait à
lui-même qu’on aurait dû le nommer le « Lac-Mirroir » mais il devait bien
y avoir une aussi bonne raison pour son vrai nom. Il se retourna et
reparti vers l’est.
Bien qu’il n’ait jamais voyagé aussi loin
auparavant il connaissait le chemin qu’il empruntait car c’était le seul
digne de porter ce nom. De plus, quel jeune garçon de Rimalk n’avait pas
entendu les histoires du vieux Harould et de sa fameuse traversée de la
Tranchée de Liska. Bien qu’à l’époque il ne croyait qu’à moitié les dires
du vieil ivrogne, les détails de ses récits apparaissaient pas après pas
le long du parcourt. « Un chemin parfait pour les voleurs » disait-il, «
ils nous tombaient dessus du haut de cette maudite tranchée creusée par
cette maudite louve enragée… ils semblaient préférer la Grotte de
Fal’Ruman… au moins là on les avait devant ou derrière… maudite
hommes-lézards… maudite louve… rien, aucune pousse, que de la pierre… au
nord la faucille, au sud la faucille… peu importe la couleur, elles sont
empoissonnées… des trolls de collines et leur longue barbe… l’hydres
gigantesques nous encerclant de ses trois têtes… maudite louve… maudite
tranchée… » Un bien sinistre passage que devait emprunter le jeune homme
mais il avait la ferme intention de se rendre au bout.
Pendant
quatre jours le paysage était tel que le vieux l’avait conté à l’exception
de ses rencontres; bien qu’à de nombreux endroits les restes de créatures,
humaines et autres, pourrissaient sur le chemin, rien ni personne n’avait
dérangé son voyage. Cependant un sentiment d’être observé croissait en
l’esprit du jeune. Arrivé à la Grotte qui en fait ne semblait être qu’un
long tunnel passant sous une colline, Kradim se rappela les paroles du
vieux Harould « au moins là on les avait devant ou derrière ». Après
environ deux cent mètres à l’intérieur, torche à la main, Kradim frappa du
talon son cheval le poussa aussi vite qu’il le pouvait vers la sortie
devant lui à plus d’un kilomètre… après avoir parcourut la moitié du
trajet, il fit faire demi-tour à son cheval, conservant ainsi la même
vitesse. Il n’avait pas imaginé ces silhouettes du haut de la fosse; loin
devant lui courrait, cinq ombres bondissaient vers l’extérieur et
l’instant d’après ils avaient disparu.
Une fois sorti, Kradim
regarda autour de lui mais la tranchée était déserte. « Sortez! Je n’ai
pas peur de vous! Montrez-vous! » cria-t-il brandissant son poing.
« Calme ton esprit jeune homme et poursuit ton chemin vers
Festum, nous t’accompagnons depuis assez longtemps que si nous t’avions
voulu mal, tu n’aurais pu traverser la Clair-Rivière! Lorsque le chemin
sera moins périlleux au-delà des Monts Dragon nous te laisserons à
toi-même… » Ainsi parlait, sous l’entrée de la grotte, le plus grand des
cinq elfes des montagnes facilement reconnaissables à leurs interminables
vêtements gris-bleu sans manche et à leur chevelure gris foncé. Après
avoir terminé son court message, ils firent volte-face en soulevant leur
long manteau puis disparurent dans la pénombre.
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