Bulletin du Service Géologique de l'Algérie, vol. 5, n° 1, pp. 49-68, 6 fig., 1 tab., 1994.
Le magmatisme cénozoïque du Hoggar:
une synthèse des données disponibles.
Mise au point sur l'hypothèse d'un point chaud.
Farida AIT-HAMOU* et Jean-Marie DAUTRIA**
* Institut des Sciences de la Terre, Département de Géologie, Université des
Sciences et de la Technologie Houari Boumedienne (USTHB), BP. 32 El Alia,
Bab-Ezzouar, Alger, Algérie.
** Laboratoire de Pétrologie, Université de Montpellier 111 U.R.A.
Géofluides-Bassin-Eau, Place E. Bataillon, 34095 Montpellier, France.
Résumé
Le bombement du Hoggar est caractérisé par
une anomalie gravimétrique fortement négative de grande amplitude (jusqu'à -120
mgal) et de grande longueur d'onde.(600 Km). Cette anomalie résulte de
l'existence d'un manteau lithosphérique anormalement léger situé à l'aplomb du
bombement. Cet allégement serait en partie, associé à la phase distensive qui a
affecté toute l'Afrique centrale et occidentale, au Crétacé Inférieur. Il
résulterait alors d'un amincissement de la lithosphère et du remplacement
partiel du manteau lithosphérique par du manteau asthénosphérique plus léger et
fertile.
Au bombement du Hoggar est associée une intense activité
magmatique cénozoïque. Celle-ci a débuté à l'Eocène moyen par l'épanchement, au
Sud de l'Amadghor, d'un grand volume de basalte tholéitique (massif du Taharaq).
Ce massif est exactement situé au sommet de l'anomalie gravimétrique. Les autres
districts volcaniques du Hoggar sont situés sur les flancs de l'anomalie. Ils
sont plus récents et d'affinité alcaline. L'âge du déclenchement de leur
activité (entre le Miocène et le Pliocène) varie en fonction de leur position
par rapport au sommet de l'anomalie (les districts les plus récents - Tahalgha,
Eggéré et Adrar N'Ajjer - en sont les plus éloignés). Cette évolution
spatio-temporelle associée au changement d'affinité des laves émises, évoque le
modèle de point chaud proposé par Wyllie (1988) (volcanisme tholéitique à l'apex
du point chaud, volcanisme alcalin à la périphérie).
Dans le cas du Hoggar, ce point chaud se serait développé
alors que la plaque était statique. Les données géochimiques et isotopiques
montrent, par ailleurs, que les laves, qu'elles soient tholéitiques ou
alcalines, résultent d'une interaction entre deux sources, l'une "appauvrie" et
l'autre "enrichie". La première correspond vraisemblablement au manteau
lithosphérique supérieur (voisin de celui remonté sous forme d'enclave par les
basaltes alcalins les plus récents), la seconde à des matériaux
asthénosphériques. Dans l'hypothèse d'un point chaud, ces derniers pourraient
appartenir à un panache mantellique. Cependant, compte tenu du fait que la
partie inférieure de la lithosphère du Hoggar a vraisemblablement une signature
isotopique et géochimique asthénosphérique, en raison des événements distensifs
crétacés, la source enrichie pourrait bien être la lithosphère inférieure.
Les données paléomagnétiques les plus récentes montrent par
ailleurs que la plaque Afrique, au niveau Hoggar, a été presque statique entre
-50 et 40 Ma (vitesse de déplacement infférieure à 0,5 cm/an). C'est justement
durant cette période que s'est déclenché le volcanisme tholéitique du Sud
Amadghor. Si l'on retient l'hypothèse "point chaud", l'absence totale d'activité
tholéitique avant 45 Ma et après -35 Ma, du moins en surface, suggère que les
vitesses de déplacement de la plaque avant et après l'Eocène inférieur-moyen
(>2cm/an) sont trop grandes et/ou que les lithosphères au SW et au NE du Hoggar
sont trop épaisses, pour que le point chaud puisse s'exprimer par du volcanisme.
Il est possible aussi que le "point chaud Hoggar" corresponde, non pas à un vrai
point chaud, mais à une perturbation thermique de moindre importance (un courant
convectif, par exemple), dont l'activité se serait accrue en raison du
quasi-statisme de la plaque entre -50 et -40 Ma. Cette perturbation thermique se
serait alors exprimée "à la manière d'un point chaud" grâce à la présence d'une
lithosphère inférieure fertile. Dans les deux cas, le volcanisme alcalin
mio-plio-quaternaire resulteraitde la résorption tardive d'instabilités
gravitatives (par un mécanisme vraisemblablement de type diapirique) générées
par 1'injection et la percolation de fluides asthénosphériques en base de
lithosphère.
Mots clés: Magmatisme intra-continental, tholéite, basalte alcalin,
bombement lithosphérique, point chaud, Hoggar, Afrique.
The Cenozoic magmatism of the Hoggar: a
synthesis of available data.
Discussion about a hot spot hypothesis.
Abstract
A large-scale negative gravity anomaly
(600 Km, Up to -120 mGal) is associated with the Hoggar swell. It is due to a
reduction of lithospheric mantle density which is probably related to Cretaceous
lithosphere thinning and correlative replacement of lower lithosphere by fertile
and lighter asthenospheric material.
Cenozoic intensive magmatism is also associated with the Hoggar swell. The
earliest (Mid-Eocene) volcanic district (Southern Amadghor) is of tholeiitic
affinity and it is exactly located on the top of the gravity anomaly. The other
districts are more recent (Mio-Plio-Quaternary), of alkali affinity and they are
located at the anomaly periphery. This temporal, spatial and compositional
evolution reminds the plume model of Wyllie (1988) for stationary lithosphere.
Geochimical and isotopic data show that tholeiitic and alkali basalts derive from
mixing of asthenospheric and lithospheric melts. The origin of the first melts is
problematic : they may have a mande plume origin or they may result from melting
of the fertile lower lithosphere. On the other hand, the Cenozoic activity is
indubitably related to the Paleocene-Eocene slowing down of the African plate.
The tholeiitic activity began when the slowing down was the highest (0.5 cm y-1 between -50 and
-40 Ma).
In the hypothesis of hot spot, the lack of tholeiitic volcanism before -45 Ma and
after -35 Ma suggests that the plate velocity has been too high before and
after lower-Mid Eocene (>2cm y-1) and/or that the lithosphere north-eastward and
south-westward Hoggar is too thick to allow volcanism on surface. An other
hypothesis can be proposed: the magmatism would be related to the presence of a
fertile lower lithosphere beneath Hoggar and it would have been triggered by an
increase of convective activity related to plate slowing down. In the two
hypothesis, the late alkali magmatism would result from delayed resorption (by diapiric transfer) of lithospheric percolations induced by injection and
percolation of asthenospheric volatil-rich melts.
Key-words: intra-continental magmatism, tholeites, alkali basalt,
lithospheric swell, hot spot, Hoggar, Africa.