[ samedi 26 janvier ] [ début ]
Commencer comme ça,
commencer par un café enfumé, commencer par un soir
dans ma vie, un soir où j'avais envie de pleurer plus
que de rire, commencer par remonter la rue et me
retrouver là, assise les yeux dans les yeux de celui qui
fut mon meilleur ami, celui qui n'a pas su devenir mon
meilleur amour. Je lui parle à coeur ouvert, depuis
qu'il y a cette fille dans sa vie, je lui parle comme
j'avais cessé de le faire un jour il y a très
longtemps, ou peut-être était-ce un soir, ou bien une
nuit, lorqu'il a laissé tomber une goutte d'amour dans
un bocal d'amitié sur les deux drôles de poissons qu'on
était. Je lui dit que je vais partir, qu'il y a ce
quelqu'un là-bas qui m'attend en silence, ce quelqu'un
pour qui je savais qu'un beau matin je quitterais tout,
et le jour est arrivé, mais à lui en parler, les mots
sonnent trop faux pour être gais, les mots ont du mal à
déguiser mon angoisse, ma trouille immense comme le
ciel, brûlante comme je le soleil. Je lui dit que je
vais partir, et à cet instant-là, c'est sûr, au milieu
de sa peine il croit à mes mots bien plus que moi-même.
Je fais semblant d'y croire, j'essaye de me convaincre,
qu'il n'y a pas d'autre destination puisqu'aucune n'est
assez belle sans amour au bout de la route. Je lui dit
que je me sens seule, que je suis celle qui veut Vivre
avec un fil de grands sentiments noué à mes deux
pieds... Je lui dit que j'ai peur, mais qu'il n'y a pas
d'autre route à suivre, pas d'autre choix pour moi. Je
lui dit que je ne veux pas vieillir seule, que je ne veux
pas vieillir ici. Je lui dit que j'ai besoin d'être là
où quelqu'un m'attend, le seul endroit où quelqu'un
m'attende encore. Je voudrais lui dire de regarder autour
de lui et de me dire qui d'autre aurait eu cette
volonté, et cette patience : m'attendre. Que ce soit au
bout du monde, si j'aime je ne compterai pas, et donnerai
tout de moi, les joies et les peines, même si je crève
de trouille à l'intérieur, si l'on me dit 'je
t'attend', c'est pour moi la seule chance d'y croire
vraiment.
Il me dit que tout le
monde est seul sur la terre, il me dit que c'est pour
tout le monde la même, je lui dit que je ne veux pas
subir la vie, je lui dit qu'on choisit sa destinée, que
les moyens de choisir je veux me les donner, qu'il n'y a
qu'ainsi qu'on ne peut pas regretter, pas le droit de
regretter, il me dit qu'il s'y est résigné, je lui dit
'jamais de la vie', il me dit qu'il est tout seul dans sa
tête avec la fille qui dort dans son lit, il dit qu'il
l'aime bien, il dit qu'il la garde pour réchauffer son
coeur quand c'est l'hiver et qu'il a un peu froid, il dit
qu'il ne l'a pas choisie, qu'elle était là, elle
l'attendait, il a pris la pochette surprise sans trop se
poser de questions, il dit qu'il a envie de tout balancer
parfois, même si la plupart du temps il tient bon, il
dit rien, il dit qu'il n'a pas d'amour pour elle. Et l'on
se regarde au fond, tout au fond des yeux, et je dois me
mordre les joues pour ne pas sourire de mon embarras, et
de mon égoïsme qui a du mal à se taire parfois, cet
égoïsme qui me fait me rassurer, me rassurer, puisqu'il
ne l'aime pas. Embarras. Ca faisait une heure que je lui
parlait de moi, de mon coeur d'artichaud en fleur, de la
nature cachée de ce coeur, que je lui balançais en
pleine figure mes amours et mes déboires, mes coup de
blues et mes espoirs, et ce qui traînait déjà dans ce
coeur les nuits sombres où il me voulait près de lui.
J'étais prise, prise par un autre tout ce temps. Je ne
lui avais jamais vraiment dit, pas TOUT ce temps, presque
5 ans. Je l'avais préservé tout ce temps. Pour atterrir
ce soir dans cet embarras, dans ce débarras, me
débarrasser de tout ce qui passe à travers ma tête,
que ce soit clair ou sombre, quelle importance, moi je
croyais parler à quelqu'un heureux, heureux d'une
nouvelle vie que je ne lui connaissais pas, que je ne lui
reconnais pas, pas tout seul, pas si seul dans son coeur,
lui qui n'est pas seul dans son lit. Je pouvais bien me
débarrasser de ces sacs de grands voyages avant d'en
remplir de nouveaux, égoïste, égoïste,
égoïste...peut-être pas tant s'il ne m'avait pas
oublié le week-end dernier alors que je commençais ma
descente vers les abysses de la mélancolie, s'il ne
m'avait pas oublié un instant, lui aussi, oublié parce
que chacun à sa vie, et que celui qui est censé
partager la mienne est trop loin d'ici, parce que celui
qui devrait partager la mienne ne m'attend qu'en silence.
Alors j'avais besoin des autres, pour tenir le coup, moi,
la petite force s'étant fait la malle hors de mon âme.
Pour quelques jours, j'aurais voulu que quelqu'un
m'appelle, comment ça va, ça va bien, merci. Je lui dit
que pour un moment j'ai attendu des autres, je lui dit
que personne jamais ne m'a crié à l'aide, je lui dit
que j'aurais voulu tendre la main pourtant, si seulement
on avait eu besoin de moi, besoin de moi comme j'avais
besoin de lui pour me sortir de cette pénombre ce soir.
Je lui dit que ce n'est pas tous les jours qu'il
m'entendra dire 'au secours', et je lui dit 'merci', je
crois qu'il ne voit pas pourquoi. Juste merci d'être
là.
Je ne suis pas
amère, pas ce soir, pas à cet instant-là. J'en veux
juste un peu à ce sourire qui s'esquisse au bord de mes
lèvres, alors que les yeux dans les yeux il me dit qu'il
n'est pas heureux, puisque la fille qui vit chez lui il
n'en est pas amoureux. Mais je ne peux que sourire, parce
qu'autour de moi le monde s'agite et se bouscule, mais
nous sommes les deux seuls ici à ne pas hurler, à ne
pas éclater d'un gros rire bien gras de temps en temps,
nous sommes les seuls qui n'avons pas besoin de se
toucher pour se comprendre, et tout à coup ça me fait
juste sourire, sourire comme tout ce bruit autour
m'enivre, sourire comme je vois sans regarder autour de
nous, sourire comme tout le reste sort de ma tête pour
un moment, mes retours et mes départs, mon homme, qui
n'est plus que l'absent, et ses défis que jusqu'à
aujourd'hui j'étais prête à relever, toutes ces choses
qui dorment en moi me semblent tellement, tellement loin.
Rien qu'un soir avec
celui qui fut mon meilleur ami, celui que je n'ai pas
voulu comme meilleur amour, rien qu'un soir pour me
sortir de mes idées noires. Retenir l'instant, c'est
tout ce que je voudrais, encore une heure, encore des
heures, toute la nuit si je pouvais, tenir son regard
sans rien dire, et puis en rire, me taire et sourire,
sans plus chercher des mots bien faits à sortir, juste
bouffer l'instant, bouffer l'instant à pleines dents, un
moment comme celui-ci de mes yeux j'en voyais plus depuis
longtemps...Silence, jamais je n'ai été aussi forte
d'un silence. Silence choisi, quelques secondes, par moi,
silence orange, qui me porte au-dessus de moi, au-dessus
de nous, au-dessus de tout, silence, pour apprécier
comme un doux vide au fond de moi, silence, et puis pour
allumer une cigarette. Pour pas que l'instant s'arrête.
Et je lui dit que de ce geste j'ai le sentiment que
quelque chose commence. Pour ne pas que l'instant
s'arrête.