Elle était là. Assise, dans le parc, sur un banc vert, ce même vert qui avait coloré l'ambiance durant les 16 années de ma vie. Elle lisait une revue, éclairée par les rayons de soleil qui parvenaient à traverser l'épais feuillage des bouleaux du parc. A l'arrière-plan, une montagne. Le Mont-Rouge. On lui avait donné ce nom par rapport à sa coloration automnale que lui donnaient les érables.
Etrange. Malgré le profil imposant de ce massif rocheux, il m'était impossible de ne pas le comparer à Guylaine. Pourtant, son regard attendrissant n'avait rien d'écrasant. Et n'allez pas croire que sa stature évoquait dans ma tête un second Mont-Rouge. Elle était plutôt pour moi un sommet à atteindre, un défi à relever. M'approcher d'elle, c'était vouloir la conquérir.
Par quel côté devrais-je commencer? Quels instruments aurais-je à utiliser? Et, surtout, serais-je le seul à avoir mon drapeau érigé sur son faîte?
Toutes les deux, elles m'intriguaient. Comme liguées contre moi, elles m'invitaient à les aborder tout en déployant leur côté le plus escarpé.
Ce matin-là, je me réveillai très tôt. Par la fenêtre de ma chambre, je la vis. Gigantesque et froide. Elle me semblait encore plus attirante. En elle, Guylaine ressortait plus que jamais. Je devais la gravir.
Muni d'une corde et d'un crochet que je m'étais procuré dans l'atelier de mon père, je partis à la conquête de ma timidité. Une fois la montagne surmontée, aborder Guylaine serait beaucoup plus aisé.
C'est par un sentier sinueux et difficile d'accès qu'on parvenait à sa base. Une fois arrivé au bout de ce sentier, je débutai l'escalade. Les bouleaux se dressaient à mes côtés comme pour m'indiquer la route à suivre tandis que de gros chênes s'acharnaient à me bloquer le passage. Aidé par ma corde et quelques arbres qui voulurent bien offrir leur tronc afin de me faciliter la tâche, je gravis plusieurs escarpements mineurs.
Si tout avait été si facile...
Se dressait devant moi un immense mur hostile à mes intentions. il devait bien faire une dizaine de mètres de haut et les points d'appui ne semblaient pas nombreux.
Je parvins cependant à faire l'ascension des deux premiers mètres mais un faux pas me ramena au sol. Je décidai donc d'emprunter un chemin beaucoup plus long et tortueux mais combien plus sécuritaire.
Le soleil était déjà au-dessus de ma tête et j'avais à peine gravi la moitié du mont.
J'y mis toutes mes énergies afin d'accélérer la montée; mais plus je pressais le pas et plus hardue me semblait la pente.
Les kilomètres qui suivirent étaient d'une beauté resplendissante. Des érables hauts d'une vingtaine de mètres se dressaient tout autour de moi. Le sol encore recouvert à certains endroits d'une neige pure et vierge dégageait une odeur comme on en retrouve près du lac où habitait mon grand-père.
Un paysage d'un attrait surnaturel cachait derrière lui une dense forêt de conifères arrogants et monstrueux.
Dès lors, tout me paraissait difficile; un sol glissant et vaseux, des pins au branchage sombre et écrasant et, pour couronner le tout, une corde qui menaçait de céder à tout moment.
Ma patience et ma volonté absolue d'atteindre la cime du massif m'empêchaient de revenir sur mes pas.
Je poursuivis ainsi mon ascension pendant plus d'une heure, jusqu'à l'arrivée au sommet.
C'était un belvédère qui donnait sur une des façades de la montagne qui tenait lieu de sommet. Des souches de pins taillés à la scie me rappelaient sans cesse que je n'étais pas le premier sur place. Un vent froid et humide parvenait jusqu'à la moelle de mes os. Une scène affreuse s'offrait à mes yeux: plusieurs ossements de cerfs gisaient en bas du belvédère comme si quelque chose les avait poussés à faire un pas de plus.
Majestueuse et grandiose vue d'en bas, repoussante et désolante vue d'en haut. Telle était cette chose que je tenais tant à conquérir. Et si Guylaine était un second Mont-Rouge. Difficile à aborder et tapissée d'escarpements insoupçonnés. Une apparence de fraîcheur et de jeunesse masquant une âme sombre et coléreuse.
Etait-elle vraiment différente de cette montagne ou avais-je vu juste? Je n'étais plus maintenant désireux d'en apprendre plus de cette personne.
Je redescendis promptement du Mont-Rouge arrivant à sa base tout juste avant le coucher du soleil.
En bas, je me retournai, voulant pour une dernière fois contempler cette superbe colline si invitante quand on ne la connaît pas.
Arrivé au village, je croisai Guylaine, sourire aux lèvres, rayonnant, comme à l'habitude, sa joie de vivre.
Elle portait sur son épaule une longue corde et, à la main, un vieux crochet rouillé.
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