06.08.28

 

La queue et son chien

 

Le 17 juillet dernier, j'écrivais que le massacre des innocents perpétrés par Israël au Liban était non seulement méchant, mais si bête, qu'on ne pouvait s'imaginer quel cerveau fêlé en Israël avait bien pu le concevoir. Seule explication logique, personne en Israël n'avait conçu cette opération incroyablement néfaste pour l'image de la communauté juive ; elle n'avait pu qu'être imposée de Washington.

Intérêt de Georges W. Bush, d'abord détourner l'attention du massacre en Iraq, puis se gagner un vote de gratitude aux élections de novembre de la communauté américaine de culture juive, en considération de l'indéfectible appui des USA à Israël dans ce conflit où Israël ne se trouverait évidemment pas beaucoup d'amis. Les votes de la communauté juive aux USA étant, en circonstances ordinaires, majoritairement acquis aux Démocrates, cette opération de charme pouvait avoir des résultats bien avantageux dans certaines régions, dont New York, où le Parti Républicain traîne souvent de l'arrière.

L'importance du vote juif et la forte présence de la communauté juive dans le secteur des communications donne naturellement à celle-ci un pouvoir sur la politique américaine, menant certains à comparer la relation entre l'Amérique et Israël à celle d'un chien à sa queue.... mais où c'est la queue qui branle le chien !

Dans cette optique, les USA deviennent la grosse caisse de résonance des refrains made in Israël. Cette image du petit Israël, qui lance à volonté là où il lui convient le géant USA, colle si bien aux préjugés de certaines gens que, des commentaires que j'ai reçus pour cet article, bien peu m'ont accusé d'être trop dur envers Israël. La vaste majorité m'ont simplement traité de naïf. Les USA qui instrumentalisent Israël ? Allons donc ! C'est la « juiverie internationale » qui a tout fomenté ! Et patati, et patata

Il y a une semaine, cependant, j'ai reçu un appui inespéré. Eustace est avec nous ! Eustace, c'est le personnage allégorique du New Yorker, peut-être le plus prestigieux des magazines américains. Le New Yorker de la semaine dernière publie que les USA ont télécommandé l'opération au Liban, et l'on fait bien AVANT que l'enlèvement de deux soldats israéliens vienne servir de prétexte pour la déclancher. Ils ne l'ont pas imposé seulement pour faire oublier le drame en Iraq, mais pour en faire un test d'une prochaine attaque contre l'Iran !

Bien naïf de ma part, en effet, d'avoir imaginé que le gouvernement Bush ferait quoi que ce soit pour cacher une vieille saloperie sans profiter de l'occasion pour en préparer une nouvelle. En ce qui a trait à la relation USA-Israël, toutefois, il semble bien que le diagnostic était le bon. C'est bien le gros chien, qui a branlé sa queue.

L'article du New Yorker n'est pas signé d'un inconnu, mais de Seymour Hersh, Prix Pulitzer, l'un des journalistes les plus respectés des USA. C'est lui, en 1969, qui a dénoncé le massacre de My Lai au Vietnam, une révélation qui a fait beaucoup pour que le soutien à cette guerre parmi la population américaine s'effondre et que la paix revienne. C'est lui encore qui, récemment, a fait le jour sur la torture en Iraq et qu'il faudra encore remercier si les Américains, dégoûtés, confient le pouvoir à un nouveau Congrès qui mettra enfin un terme à cette invasion qui a tué 20 000 civils.

Seymour Hersh est un type sérieux et, ce qui ici n'est pas sans importance, aussi juif qu'on peut l'être. Pas facile pour un Juif de venir admettre qu'Israël a été, dans cette affaire, l'appendice caudal du molosse américain qui d'un coup de queue a fait valser la verrerie et que le gouvernement d'Israël a accepté ce rôle humiliant d'être l'exécuteur des basses oeuvres d'un régime infâme. Un régime qui déshonore l'Amérique et Israël avec elle.

Pas facile, mais bien utile, ce reportage de Hersh, car l'alliance politique contre nature entre la communauté juive, urbaine et intellectuelle et la paysannerie fondamentaliste bushiste, alliance que pouvait laisser craindre le soutien américain à Israël au Liban, ne se réalisera pas.

La communauté juive a été manipulée dans l'affaire du Liban et ce n'est pas un gentil chroniqueur du MidWest qui le leur a dit, mais Seymour Hersh. Elle ne l'oubliera pas. Sa réaction épidermique aux propos peut-être antisémites, mais certainement éthyliques, de Mel Gibson est bien symptomatique de la lassitude de la communauté juive face à une certaine Amérique. Cette Amérique dont est las aussi le monde entier.

Vienne le 7 novembre : les élections américaines du mi-terme qui peuvent vraiment changer la structure du pouvoir aux USA. Il est probable que le vote juif, le 7 novembre, sera plus démocrate que jamais. La communauté juive fera sa part pour que, comme je le souhaitais l'an dernier « l'Amérique de la liberté (puisse) renvoyer à ses amulettes l'Amérique des superstitions et des inquisiteurs » (5114).

Ce ne sera pas encore la victoire assurée, car il restera toujours à convaincre aussi de se débarrasser de Bush, cette « vieille dame de Dubuque » dont le New Yorker a fait cruellement, depuis son premier numéro, le symbole de l'Amérique bebête avec laquelle Eustace ne s'abaissera pas à converser. Ce ne sera pas encore la victoire, mais c'est un pas significatif vers une défaite de Bush. Hosannah !

Ce rejet de Bush sera du m[eme coup le geste purificateur qui permettra de voir à nouveau la diaspora juive comme une entité distincte d'Israël et de lui pardonner sa réticence à blâmer celui-ci pour les crimes commis au Liban. Un premier beau geste, en attendant qu'Israël même reconnaisse son erreur, limoge Olmert et se refasse une vertu.

 

Pierre JC Allard

 



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