Tiré du Bloc-Notes par Didier Nordon dans Pour la Science (no 217 - novembre 1995 - page 7)

Pardonnez-leur, ils savent...

"L'ennui naquit un jour de l'Université", affirme un personnage de Balzac. Pourquoi la société multiplie-t-elle comme à plaisir les occasions de s'ennuyer? Passe encore que l'école ennuie les élèves : ils n'ont pas voix au chapitre. Mais la langue de bois des technocrates! Les discours politiques! Les séminaires universitaires! Autant de circonstances où des hommes, apparemment libres, s'infligent des doses d'ennui propres à décrocher les machoires les plus aguerries. Comment se fait-il que personne ne réclame un plan contre la production excessive d'ennui? Le héros d'un roman d'Amélie Nothomb donne peut-être la clé du mystère. Cet ancien professeur, faché contre son voisin, se venge en lui infligeant un discours interminable. "C'est ainsi que je découvris une vérité insoupçonnée: il est bien plus divertissant d'être ennuyeux que d'être intéressant. Au cours, quand je tentais de donner de Cicéron une image vivante, il m'arrivait d'étouffer des baillements intérieurs. En revanche, en arrosant [mon voisin] de mon érudition indigeste, je ne pouvais m'empêcher de jubiler. Je compris enfin pourquoi les conférenciers sont presque toujours assomants." (Les catilinaires , Albin Michel,1995.) Allons, un bon mouvement : au lieu de haïr l'orateur qui est en train de vous faire mourir d'ennui, imaginez sa jouissance, et pardonnez lui. Même si vous n'avez aucun espoir d'occuper un jour sa place !


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