True Lies - Un tournage haute pression

(SFX numéro 16 octobre 1994, pages 16 et 17)

A Hollywood, il y a des cinéastes et il y a... James Cameron ! On ne compte plus les superlatifs qualifiant ces artiste hors du commun. Il a dépensé plus d'argent en trois films que la plupart de ses confrères dans toute leur carrière : près de 280 millions de dollars de budgets cumulés ! Ses tournages comptent parmi les plus longs qu'Hollywood ait jamais connus. Même des productions interminables comme celles de Ben-Hur, Lawrence d'Arabie ou Cléopâtre, se soldaient à l'arrivée par des films de 3h30 et plus. Cette seule comparaison laisse deviner la complexité inouïe des tournages mis en oeuvre.
True Lies est tout cela et plus encore : le budget le plus fou - 120 millions de dollars; le tournage le plus interminable - sept mois rien que pour l'équipe principale (les 3h10 de Wyatt Earp ont été bouclés en "seulement" cinq mois); les cascades les plus folles - une femme extraite par hélicoptère d'une voiture au moment même où celle-ci plonge dans le vide; les scènes d'action les plus ambitieuses - trois personnes s'affrontant sur la carlingue d'un avion de chasse en plein vol; les péripéties les plus délirantes - une poursuite entre un motard et un cavalier dans les couloirs d'un grand palace... On le voit, James Cameron vient une nouvelle fois de placer la barre extrêmement haut et il sera difficile aux prochains James Bond, Indy ou John McClane d'aller plus loin.
Le cinéaste aborda le tournage de True Lies avec la légèreté d'un général préparant une opération militaire d'envergure. Ses techniciens... ou plutôt ses troupes, étaient dirigées avec un main de fer par l'intermédiaire de mégaphones branchés sur leur volume maximum. Gare à celui qui ne marchait pas droit ou qui se rendait au petit coin hors des rares temps de pause "officiels"! En effet, Cameron ne supporte pas que les membres de son équipe - du tout-puissant directeur de la photographie au plus modeste stagiaire - ne donnent pas le meilleur d'eux-même, dix heures par jour, cinq jours par semaine pendant sept mois : "Un entraîneur sportif est applaudi lorsqu'il pousse ses athlètes dans leurs derniers retranchements. Pourquoi n'accepte-t-on pas qu'un réalisateur agisse de même à l'égard de ses techniciens, surtout lorsque cent millions de dollars sont en jeu?"
Selon les collaborateurs habituels du cinéaste, le vrai drame de James Cameron est qu'il est capable d'occuper tous les postes d'un tournage mieux que n'importe lequel de ses techniciens, mais qu'il n'en a ni la possibilité, ni le temps. Il est donc constamment obligé d'expliquer à d'autres ce qu'il pourrait faire lui-même en quelques minutes... A l'arrivée, forcèment, les interprétations successives de ces collaborateurs se traduisent par des résultats pas exactement conformes à sa vision originale. Et quand James Cameron n'est pas satisfait à 101%, il le fait savoir haut et fort! A la fin d'une prise de vues que tout le monde jugeait parfaite, Cameron faisait régulièrement tonner son mégaphone en annonçant : "Voilà exactement ce que je ne voulais pas voir..." ou, plus savoureux encore : "J'ai déjà travaillé avec des enfants auparavant...". Mais il gardait son commentaire préféré pour les plans les plus importants : "Cette prise était absolument nulle... mais c'est probablement ce que je peux espérer de mieux de la part de simples êtres humains." Exquis, en vérité.
Les séquences avec le Harrier lui donnèrent l'occasion de mettre en valeur son sens de l'oganisation quasi-militaire. Aux côtés d'Arnold Schwarzenegger, le Harrier est la vraie star de True Lies. Conçu par l'armée de l'air britannique et acheté par les Marines américains, cet avion de chasse n'avait jamais été utilisé au cinéma. Grâce à des déflecteurs mobiles dirigeant le flux des réacteurs vers le bas, le Harrier est capable de décoller verticalement et de se poser sur une simple place de parking! Toutefois, cet avantage indéniable s'obtient au détriment d'une consommation monstrueuse et d'une efficacité moindre en situation de vol normale. Après des mois de négociations avec l'état-major des Marines, James Cameron parvint à les convaincre de lui louer deux Harriers pendant trois jours. D'une valeur de 180 millions de francs pièce, chaque Harrier était facturé 110.000 francs de l'heure...
Dans le même temps, les collaborateurs de Cameron négociaient avec l'état de Floride pour obtenir les autorisations de tournage sur le double pont de onze kilomètres qui relie le chapelet des îles Key à la pointe Sud de la Floride. Franchissant les eaux vertes de la mer des Caraïbes, cet ouvrage se trouvait au centre d'une attaque au missile, suivie d'une haletante course-poursuite entre une limousine et un hélicoptère. Comme cet axe routier était le seul lien de l'archipel avec le continent, le bureau du gouverneur accorda des plages de tournage de quinze minutes seulement, répétées tout au long de la journée. Il fallait donc synchroniser ces tranches de quinze minutes avec la disponibilité des Harriers de l'Armée. Ce timing devait ensuite être coordonné avec le mouvement de quatre hélicoptères, l'installation éclair d'énormes grues de plateau et la mise en action de 200 techniciens... Ces trois jours de tournage s'annonçaient donc comme un casse-tête logistique sans précédent.
Afin de ne rien laisser au hasard, un monumental travail de préparation fut engagé. Toute l'action fut enregistrée à l'avance sur bandes vidéo à l'aide de maquettes primitives, chaque plan étant minuté en longueur et pogrammé pour une plage horaire bien précise. L'équipe savait ainsi ce qu'il fallait faire, à quelle heure et de combien de temps elle disposait pour y parvenir.
Lors du tournage de la séquence, James Cameron prenait l'hélicoptère dès trois heures du matin pour se rendre à la base aérienne des Harriers. Là, il rencontrait une dernière fois les pilotes, puis il repartait pour embarquer dans un jet de tourisme Lear, seul capable de suivre et de filmer les Harriers en plein vol. Le tournage au sol fut encore plus compliqué. A cause du risque d'accident suscité par la curiosité des automobilistes venant en contre-sens (on imagine la réaction du touriste moyen au spectacle d'un avion de chasse atterissant sur la voie opposée!), la police devait couper la circulation sur les deux ponts parallèles. Dès que le traffic était interrompu, l'équipe de tournage se précipitait sur la chaussée pour mettre le plan en place. Quinze minutes plus tard, la circulation était rétablie. Cette course contre la montre dura trois jours, épuisant les nerfs de toute l'équipe.
Si les Harriers de l'armée étaient tout à fait appropriés pour les scènes de vol et d'atterissage/décollage, ils étaient indisponibles pour les plans montrant Schwarzenegger aux commandes. A cet effet, Cameron confia au maquettiste Don Pennington (Abyss) la fabrication d'une réplique grandeur nature du Harrier. Celui-ci entreprit donc de mouler la carlingue entière d'un Harrier, aidé par une équipe conséquente. De retour dans ses ateliers, il effectua des tirages de chaque moule et assembla le tout sur une superstructure extrêmement rigide. Des répliques des réacteurs motorisés furent insérées de part et d'autre du poste de pilotage pour reproduire la rotation des turbines. Sur le tournage, la réplique de quatre tonnes était suspendue à des câbles sous une énorme grue manipulée par l'équipe de Thomas et Scott Fisher, les superviseurs des effets spéciaux de plateau du film (Terminator 2, Total Recall).
Cette grue permit la mise au point d'effets saisissants tels que celui où Arnold Schwarzenegger s'installe aux commandes et fait décoller l'appareil, sans que l'on observe le moindre changement de plan. En l'occurence et dans tous les plans de vol au ras du sol, l'avion était déplacé exclusivement par la grue, les câbles étant ensuite effacés de l'image par retouche numérique. Dès lors, l'appareil semblait réellement planer entre les mains de la superstar. Les problèmes de plage horaire imposée compliquèrent de dramatique façon le tournage de ces effets déjà bien difficiles à régler. Le temps de mettre au point la chorégraphie des mouvements de bras de la grue, celle des poulies actionnant les câbles et celle des figurants au sol, les 15 minutes de délais étaient écoulées et l'équipe devait évacuer la chaussée. De quoi faire hurler un James Cameron surexcité!

Alain Bielik


Article précédent Revenir à l'introduction Article suivant


( URL de cette page = http://www.oocities.org/Paris/4206/reff001.htm )