JEAN et MARIE
Jean-Jacques OLIER (1608-1657)
En 1866, sous le titre Vie intérieure
de la Sainte Vierge, le biographe de Monsieur Olier, M. Faillon,
P. S. S., publia un recueil de divers autographes du fondateur
de la Compagnie de Saint-Sulpice, concernant sa doctrine mariale.
Au chapitre XVIII : Marie unie à saint Jean travaille
efficacement à l'établissement et à la sanctification
de l'Église, sont empruntées les belles lignes
suivantes qui font pénétrer dans l'âme du
disciple bien-aimé comme dans l'âme de celle qui,
à la Croix, devint sa Mère :
Notre-Seigneur, avant d'expirer, voyant les
droits de sa Mère sur lui finir à la croix, par
l'abandon qu'elle faisait de lui-même, entre les mains
de Dieu, se donna doublement à elle, dans la personne
du disciple bien-aimé. Premièrement, comme Fils,
en se multipliant de la sorte, et en se survivant à soi-même
dans saint Jean, afin d'être par là toujours présent
à sa Mère, de lui continuer son obéissance,
quelque titre de grandeur qu'il pût posséder au
ciel et sur la terre, et de la faire jouir de lui d'une manière
mystérieuse et cachée. Secondement, il se donne
aussi à elle comme hostie, par le droit que saint Jean
lui transmettait, en ses intentions. Par sa qualité de
Mère, elle avait eu droit sur Jésus-Christ, notre
hostie, qui était son propre Fils, la chair de sa chair
; mais elle avait perdu ce droit à sa mort. Dieu le Père
s'en était rendu maître et juste possesseur par
la Résurrection ; et saint Jean, comme prêtre, entrant
dans les droits de Dieu le Père sur son Fils devait les
transmettre et les transférer à Marie, et la faire
entrer ainsi dans ceux qu'elle avait eus sur la personne du Sauveur.
C'est que, par le don que Jésus avait fait de saint Jean
à Marie, ce saint n'était plus à lui ; dans
le point le plus important de son ministère, il était
tout à elle ; il devait entrer dans ses intentions et
prendre les siennes propres dans celles de Marie. Il lui avait
été donné comme son prêtre particulier,
pur qu'il présentât le sacrifice, dans les intentions
qu'elle aurait agréables ; et lui transmît et lui
transférât tout ce qu'il avait de pouvoir et de
droit sur cette divine hostie, en qualité de sacrificateur.
Ainsi Jésus-Christ ne laissa pas à la Très
Sainte Vierge saint Joseph pour gardien, ni quelque personne
qui ne fût pas déclaré prêtre de la
Loi nouvelle. Il ne lui laissa pas même quelques femmes
pour gardiennes ; ce qui eût paru plus convenable aux yeux
des hommes. Mais il lui laissa un homme vierge et prêtre
tout ensemble ; un homme pur comme un ange, et supérieur
aux anges par son office de sacrificateur de Jésus-Christ
; un homme, enfin, qui avait dans ses mains ce sacrifice, le
plus auguste, le plus puissant et le plus admirable de tous les
prodiges de la religion...
Saint Jean avait donc été laissé
à ce dessein, savoir : qu'en offrant à Dieu le
Divin Sacrifice, pour la destruction du Royaume de Satan et pour
l'établissement de l'Église, il fît voir
à tous les hommes ce que c'est que l'auguste sacrifice
de la Croix, qui a acquis tant de biens et mérité
tant de grâces ; et ensuite, combien la continuation de
ce même sacrifice, c'est-à-dire l'offrande de ce
même corps et de ce même sang, dans les intentions
de la Très Sainte Vierge, ont opéré de merveilles
dans le monde. Ainsi saint Jean entre avec cette divine Mère
en part de l'oeuvre admirable de l'Église. Il est coopérateur
ou supplément de Jésus-Christ, procurant avec la
Très Sainte Vierge l'exécution de ce grand ouvrage,
et transportant dans le sein des fidèles les fruits de
l'arbre de la Croix. Il est comme un autre Jésus-Christ
ressuscité, qui, caché sous cet extérieur,
vit en lui de la vie de la Résurrection ; et en qualité
de nouvel Adam, ou de Père du siècle futur communique
aux hommes avec Marie, la nouvelle Eve, sa vie ressuscitée,
sa vie comme Fils de Dieu.
Saint Jean était, en effet, comme un
ciboire, où Jésus, caché aux yeux du monde,
et manifesté aux yeux de sa divine Mère, opérait
en personne avec elle, l'établissement de son Église
en qualité de Père du siècle futur. Il était
comme le coeur de Jésus-Christ, qui de là influait
secrètement, mais pourtant réellement et efficacement.
Il le représentait comme chef intérieur, selon
ce que Jésus-Christ a de divin, et qui le fait être
chef essentiel de son Église ; tandis que saint Pierre,
et ses successeurs, le représentent comme pasteur visible,
comme chef extérieur, à qui tout le monde doit
aboutir. Car depuis la Cène, Jésus-Christ habitait
en saint Jean, comme dans une hostie extérieure, dans
un sacrement vivant : saint Jean portant ainsi en lui la divinité
de Jésus-Christ, la tenait toujours voisine et proche
de Marie ; et de cette sorte, Notre-Seigneur se manifestait sans
cesse à elle, par la vue de la foi, qui est une voie mille
fois plus parfaite et plus pure que les voies extérieures
et sensibles...
Tout le temps que la Très Sainte Vierge
passa sur la terre depuis l'Ascension jusqu'à sa mort,
qui fut de quinze ou vingt ans, Jésus-Christ vivant dans
la personne de saint Jean la communiait sans cesse aux effets
de tous ses mystères...
Dans ce saint, il avait alors avec elle la même union qu'il
avait eue avant sa mort ; ou plutôt les communications
de ses grâces étaient bien plus fécondes
et plus abondantes en Marie, après l'Ascension, qu'elles
ne l'avaient été dans le temps de sa vie voyagère,
et de sa conversation commune sur la terre. Avant sa résurrection,
vivant encore dans sa chair mortelle, il était dans un
état où il méritait ses grâces pour
son Église ; au lieu qu'après sa résurrection,
tout son état était pour être communiqué
et pour être donné en communion aux hommes. Si bien
que Marie, dans les temps anniversaires de l'accomplissement
de ces mêmes mystères, qu'elle avait tant adorés
par la foi, et auxquels elle avait ensuite coopéré
elle-même, jouissait de tous leurs effets, et recevait
alors les fruits de ses propres travaux, et de ceux de Jésus-Christ,
son Fils, vivant dans la personne de saint Jean. Toute la vie
de ce saint Apôtre, auprès de Marie, n'a été,
au fond, que la vie de Jésus-Christ hostie, se donnant
à sa Mère par saint Jean, qui lui servait de canal
et comme d'espèces, pour la communier de tout lui-même
: saint Jean étant le pain vivant, sous lequel Jésus
Christ nourrissait sa Mère, non seulement corporellement
(en tant que par ce disciple, il fournissait à ses besoins)
; mais encore spirituellement, comme il fait sous les espèces
du Très Saint Sacrement de l'autel. En sorte que comme
Notre-Seigneur habite en ce sacrement, pour rendre toutes les
âmes participantes de son esprit, de sa grâce et
de ses mystères : ainsi par saint Jean, il répandait
dans elle tous ses dons.
(Monsieur Olier, Vie intérieure
de la Sainte Vierge. Édition 1866, IIe volume, p. 226
et sq).
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