Encore! encore la mer qui revient me rechercher comme une
barque,
La mer encore qui retourne vers moi à la marée de syzygie et
qui me lève et remue de mon ber comme une galère allégée,
Comme une barque qui ne tient plus quà sa corde, et qui
danse furieusement, et qui tape, et qui saque, et qui fonce, et
qui encense, et qui culbute, le nez à son piquet,
Comme le grand pur sang que lon tient aux naseaux et qui
tangue sous le poids de lamazone qui bondit sur lui de
côté et qui saisit brutalement les rênes avec un rir
éclatant!
Encore la nuit qui revient me rechercher,
Comme la mer qui atteint sa plénitude en silence à cette
heure qui joint à lOcéan les ports humains pleins de
navires attendants et qui décolle la porte et le batardeau!
Encore le départ, encore la communication établie, encore la
porte qui souvre!
Ah, je suis las de ce personnage que je fais entre les hommes!
Voici la nuit! Encore la fênetre qui souvre!
Et je suis comme la jeune fille à la fênetre du beau
château blanc, dans le clair de lune,
Qui entend, le coeur bondissant, ce bienheureux sifflement
sous les arbres et le bruit de deux chevaux qui sagitent,
E elle ne regrette point la maison, mais elle est comme un
petit tigre qui se ramasse, et tout son coeur est soulevé par
lamour de la vie et par la grande force cosmique!
Hors de moi la nuit, et en moi la fusée de la force nocturne,
et le vin de la Gloire, et le mal de ce coeur trop plein!
Si le vigneron nentre pas impunément dans la cuve,
Croirez-vous que je sois puissant à fouler ma grande vendange
de paroles,
Sans que les fumées men montent au cerveau!
Ah, ce soir est à moi! ah, cette grande nuit est à moi! tout
le gouffre de la nuit comme la salle illuminée pour la jeune
fille à son premier bal!
Elle ne fait que de commencer! il sera temps de dormir un
autre jour!
Ah, je suis ivre! ah, je suis livré au dieu! jentends
une voix en moi et la mesure qui saccélère, le mouvement
de la joie,
Lébranlement de la cohorte Olympique, la marche
divinement tempérée!
Que mimportent tous les hommes à présent! Ce
nest pas pour eux que je suis fait, mais pour le
Transport de cette mesure sacrée!
O le cri de la trompette bouchée! ô le coup sourd sur la
tonne orgiaque!
Que mimporte aucun deux? Ce rythme seul!
Quils me suivent ou non? Que mimporte quils
mentendent ou pas?
Voici le dépliement de la grande Aile poétique!
Que me parlez-vous de la musique? laissez-moi seulement mettre
mes sandales dor!
Je nai pas besoin de tout cet attirail quil lui
faut. Je ne demande pas que vous bouchiez les yeux.
Les mots que jemploie,
Ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont point les
mêmes!
Vous ne trouverez point de rimes dans mes vers ni aucun
sortilège. Ce sont vos phrases mêmes. Pas aucune de vos phrases
que je ne sache reprendre!
Ces fleurs sont vos fleurs et vous dites que vous ne les
reconnaissez pas.
Et ces pieds sont vos pieds, mais voici que je marche sur la
mer et que je foule les eaux de la mer en triomphe!
(Cinq Grandes Odes, Quatrième Ode.)
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